Sermon de Mgr Fellay à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris, le 1er juin 2008

En la fête du Sacré Cœur de Jésus

[Le sermon a été transcrit en respectant le langage parlé et les intonations]

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, Ainsi soit il.

Mes bien cher fidèles,

Il Nous est donné cette année, au tout début du mois de juin, qui est traditionnellement consacré au Culte du Sacré Cœur, de précisément célébrer la solennité du Cœur Sacré de Jésus. Qui ne connaît le Sacré Cœur ? Qui n’a été touché à la vue de ce Cœur divin, entouré d’épines ? Qui n’a été ému d’entendre ces paroles : « Voici ce Cœur qui a tant aimé le monde » ? Et on ne lui répond que par mépris et injures. Aujourd’hui Nous aimerions nous arrêter sur un « pourquoi ?»

Pourquoi le Sacré Cœur  ? C’est une histoire d’amour. Une vraie histoire. Une histoire qui nous concerne. Une histoire d’un amour bafoué. Lorsque l’on dit « Sacré Cœur », évidemment, on voit ce cœur miséricordieux, — dans le mot Miséricorde, vous avez cœur, un cœur qui se penche sur la misère —. Et lorsque nous voyons Notre Seigneur lui-même prendre la peine de nous apporter cette révélation de Son Cœur, ce n’est pas une miséricorde simple, ce n’est pas un cœur qui se penche sur la misère. C’est un cœur qui se penche sur une misère au carré. Et c’est la nôtre. On va dire une misère de misère. La première miséricorde, tellement extraordinaire, c’est celle de Dieu , « qui a tant aimé le monde », — c’est  Notre Seigneur qui l’a dit à Nicodème — : « Dieu a tant aimé le monde qu’Il lui a livré Son Fils ». Dieu, c’est Saint Paul, c’est Saint Jean, Dieu a répondu le premier, dans l’injure, dans l’injure des hommes, Ses créatures, qui reçoivent tout de Dieu.

Il n’y a pas la moindre bonté, la  moindre perfection, que nous n’ayons reçue de Dieu. Et malgré cela, nous avons osé, nous osons offenser ce Dieu d’Amour ; ce Dieu qui a voulu donner comme définition de Lui-même : Amour : « Deus Caritas est ». Il semble que cela aurait pu suffire.

Il semble qu’après ce deuxième affront, — ou peut-être ce premier, comme on veut —, cette non-réponse à l’Amour de Dieu, Dieu aurait pu dire cette fois-ci : « ça suffit ! »  Eh bien, non ! Dieu répond encore une fois par une nouvelle invitation à l’Aînée. Mais cette fois–ci, Il nous montre Son Amour blessé, cet Amour incommensurable, infini, blessé.

Pour illustrer, pour essayer de comprendre ce que Dieu veut nous dire, deux illustrations :

  1. La première, c’est l’histoire d’un pays : la France
  2. La deuxième, c’est la situation de l’Église aujourd’hui.

Le Sacré-Cœur, qui manifestement voue à la France un Amour de prédilection, a voulu offrir au monde entier cette dévotion. Mais ici, en  France. Il a demandé, par l’intermédiaire d’une petite sœur, une grande sainte. Il a demandé au roi que ce pays Lui soit consacré. Que cet Amour, donc, de prédilection, ait un répondant du côté des hommes. On peut dire que c’est là que nous touchons ce grand, grand, grand mystère du Sacré Cœur. Dieu Tout Puissant ! Et il est infaillible dans Son gouvernement. Cela veut dire que rien ne lui échappe, Il fait ce qu’Il veut. Et Il est vraiment Seigneur ! Et cependant, ce qui L’intéresse, c’est de gagner nos cœurs, par une réponse libre de notre part. Il pourrait faire cela comme Il l’entend. Tout simplement. Il ne le veut pas. Il veut cette réponse libre. Il veut nous gagner. Il veut nous vaincre dans un acte d’amour. Et là, Il veut gagner une nation. Il demande qu’à cette manifestation de Son Cœur sacré, miséricordieux, réponde un don plus grand, plus parfait. Consacrer, consacrer tout le pays. Par son chef, le roi.

Eh bien, le Roi n’a pas voulu. Il était libre. Et dans sa liberté, il a préféré, — pour Dieu sait quelle raison d’État —, ne pas suivre cette invitation, cette invitation à une si belle histoire d’amour encore une fois. On pourrait continuer en disant : « Mais, de toutes façons, le Sacré Cœur, c’est Sa définition : Il est bon, Il est miséricordieux. Donc, allons-y ! Peu importe, finalement ! Les choses ne vont pas si mal ! »

Eh bien non ! mes bien chers Frères, cet Amour de Dieu pour nous, Il est indiscutable. C’est à dire qu’on n’a pas le droit de discuter. Il est indisputable. C’est à dire qu’on n’a pas le droit de Le Lui disputer. Cette invitation à répondre librement, c’est un commandement. C’est l’une des illustrations du Commandement qui résume tous les autres commandements de Dieu. Et c’est d’aimer Dieu sans partage, de tout notre cœur, de toutes nos forces, de tout notre esprit Et cette fois-ci, Il ne s’adressait pas aux simples âmes, si je puis dire. Il s’adressait à une Nation. A un État. Il veut tout, le Bon Dieu. Il veut toutes les âmes et il veut tout l’État. Il veut tout. Et tout lui appartient.

Et si à la fin on ne répond pas à Ses invitations, il y a des conséquences, et des conséquences qui se payent cher. Cent ans après l’invitation, cent ans après le refus : c’est la Révolution ! Des ravages ; de ces passions humaines qui se déchaînent ; qui vont jusqu’à la haine de Dieu, et de tout ce qui est de Dieu et à Dieu. Qui connaît encore jusqu’à aujourd’hui diverses manifestations. Il a des moments plus intenses, plus tragiques, d’autres, plus faciles à supporter. Et pourtant tout va dans le même sens. Dans le sens du détournement de Dieu : « aversio a Deo ».Tout un peuple, — et ce n’est pas que la France —, ce sont les peuples, les uns après les autres, qui se détournent de Dieu. À l’Amour de Dieu, ils préfèrent le leur. Et cette histoire continuera Dieu sait combien de temps encore, de pire en pire, jusqu’à un moment, — nous l’entendons de Saint Pie X —, où il y aura enfin, j’ose dire, une réponse juste.

Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi, doux Sacré Cœur ?

Je crois que nous pourrions dire ainsi, mes bien chers Frères : Dieu donne le remède avant le Mal. Le Mal qui doit arriver avec la Révolution, c’est ce que l’on appelle le libéralisme. C’est une manifestation de la liberté humaine, qui va contre le but donné par Dieu, lorsqu’Il nous a donné la Liberté. Et alors, nous sommes tous plus ou moins touchés par ce démon. Il est partout, dans toute notre société, ce libéralisme.

Oh ! certes chez nous il ne sera pas aussi radical qu’au moment de la Révolution. Non. Il se contentera d’un partage.
Oui, « laissons donc une place au Bon Dieu ». Une place. Pas toute la place. Pour Dieu, l’injure c’est la même. De Le refuser tout ou une partie, cela revient au même. Car Dieu est simple et ne connaît pas le partage. Son commandement, c’est un commandement du Tout. Il veut tout. Il ne veut pas la moitié. Et qui prétendrait disputer une moitié à Dieu. Franchement ?

Regardez l’attitude actuelle, normale, du commun des mortels aujourd’hui. Regardons-nous nous-mêmes. Si souvent, combien de fois, nous essayons le « partage », le « compromis ». Oui, bien sûr, il y a le Bon Dieu, bien sûr, il y a Ses commandements. Mais… « il faut bien vivre » !

En parlant des sortes de mensonge, en Allemand, on parle de la : « Notlüge », c’est à dire le mensonge que l’on fait par nécessité, pour s’en sortir. Combien de fois, combien de fois dans notre vie, pour s’en sortir, pour se ménager, pour ne pas avoir à souffrir quelque chose, nous lésons les principes fondamentaux de la vie chrétienne. Ce « Tout à Dieu ». Et puisque nous donnons quand même quelque chose au Bon Dieu, nous pensons que ça suffit. Puisque le Bon Dieu ne répond pas immédiatement avec une fameuse taloche, nous pensons que ça suffit, que tout va bien.De Dieu on ne se moque pas.

Cette attitude : « partager », « mélanger », nous la voyons aujourd’hui régner non seulement dans notre société depuis le Concile, nous la voyons régner dans l’Église. Oui, mes bien chers frères, c’est ce qui tue l’Église. C’est ce qui La paralyse. C’est ce qui comme annihile Sa fécondité de grâces. Et on la trouve partout. Au lieu de risquer d’offenser ceux qui sont dans l’erreur, on va « composer ». Pour telle réunion, comme à Assise, on va enlever ces crucifix, qui pourraient gêner, qui pourraient blesser les autres. Et Notre Seigneur, alors ?

Dans les salles de classe, on s’abstiendra de la prière du matin, parce que cela pourrait gêner les autres. Et alors, nous ne sommes plus les créatures de Dieu ? Tant que cela n’est qu’une attitude, on peut l’attribuer à la faiblesse humaine. Depuis le début, depuis le début de l’histoire des hommes, c’est comme ça. Depuis le début de l’histoire des hommes, nous avons un cœur partagé, tiraillé, entre cet amour des créatures, ces attachements, plus ou moins illégitimes, et l’amour que nous devons donner au Bon Dieu. C’est vrai. Et dans le libéralisme on trouve beaucoup de cette histoire qui commence au début de l’histoire des hommes.

Mais quand on en fait un principe, quand on en fait une loi ! Quand on commence à changer toute l’attitude de  l’Église, envers le Mal, pour composer, pour composer avec le monde, pour composer avec les autres religions. Au prix de la Vérité. Au prix de la  prédication de la Vérité, sans lésion, sans la moindre lésion du moindre iota. C’est ce que demande Notre Seigneur. Alors pourquoi ? Pourquoi cacher aux protestants que ce sont des hérétiques et que s’ils continuent comme ça, ils iront droit en Enfer ? Pourquoi cacher aux orthodoxes que s’ils ne veulent pas reconnaître la souveraineté de Pierre et de ses successeurs, eh bien les portes du Ciel leur seront fermées ? Pourquoi ne pas dire à ceux qui sont dans l’erreur qu’ils se trompent et que cette erreur ne conduit  pas au Ciel. On dit tout le contraire.

On dit que le Saint Esprit ne dédaigne pas d’utiliser ces choses comme moyen de salut !

Mais qu’est-ce que c’est que cela ?

Et maintenant, nous avons un Pape, mes bien chers frères, parfaitement libéral. Lorsqu’il va dans ce pays qui est fondé sur les principes maçonniques, c’est à dire d’une révolution, d’une rébellion contre Dieu. Eh bien il exprime son admiration, sa  fascination devant ce pays qui a décidé de donner la liberté à toutes les religions. Il va même jusqu’à condamner l’état confessionnel ! Et on le dit traditionnel ! Et c’est vrai, c’est vrai. Il est parfaitement libéral, parfaitement partagé. Il y a des bons côtés, des bons côtés que nous saluons, dont nous nous réjouissons, comme ce qu’il fait pour la liturgie traditionnelle.

Quel mystère mes bien chers frères, quel mystère !

Et que le Sacré Cœur nous rappelle aujourd’hui. Précisément que Dieu vomit les tièdes ! Il ne veut pas de ce partage. Lui, qui a dit en même temps qu’il fallait laisser l’ivraie au milieu du blé. C’est le même.

Donc, comprenons bien, que dans la vie de tous les jours, il y aura toutes sortes d’évènements qui nous obligeront à la tolérance. Un mot qu’il faut bien comprendre. Tolérer, c’est supporter ; c’est supporter un mal pour en éviter un plus grand. Ou certaines fois, pour obtenir un plus grand bien.

Et il est vrai que dans notre vie d’aujourd’hui, où nous voyons, partout, des mélanges : mélanges de religions, mélanges de sociétés, forcément, pour certains biens importants comme : le bien commun, la paix, la paix physique, civile, il faudra cette tolérance. Et donc très souvent dans le concret, dans la mesure concrète, on ne verra même pas de différence entre ce qui est prôné par le libéral et ce qui est prôné justement selon les justes principes par l’Église. Précisément les principes qui dictent cette situation sont opposés, radicalement opposés.

Donc demandons aujourd’hui au Sacré Cœur cet Amour non partagé, ce désir, cette volonté de Dieu. Nous voulons Dieu. Nous Le voulons partout. Nous voulons qu’Il gagne nos âmes. Nous voulons nos âmes pour Lui. Nous voulons nos familles à Dieu. Nous voulons nos sociétés, à Dieu. Nous voulons les états, à Dieu. Et même si aujourd’hui, de manière immédiate, cela n’est pas possible, eh bien ! nous y travaillerons, nous prierons, nous nous  sacrifierons. Selon Ses moyens, selon Ses dispositions tellement mystérieuses, d’un Dieu qui veut gagner les volontés, des volontés hostiles, qui veut gagner Ses ennemis dans la Charité. C’est une Charité exigeante à laquelle Dieu nous appelle. Elle n’est pas du tout bonasse. Dieu n’est pas bonasse. Il est bon, et parce qu’Il est bon, Il est juste.

Demandons que cet Amour de Notre Dieu règne en nous. Afin qu’à la fin de nos jours, nous puissions régner avec Lui et ne pas être perdus, comme tant et tant d’âmes qui méprisent cet Amour.

Demandons aujourd’hui vraiment cette grâce d’être saisis au plus profond de nous-mêmes, demandons cette grâce de vraiment renouveler au plus profond de notre cœur ces promesses du baptême : « Tout à Dieu. Rien au Diable. Rien au Monde ».

Tout à Dieu.

Ainsi soit-il.

Au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit

Ainsi soit il.

† Bernard Fellay

 

Source La Porte Latine : http://www.laportelatine.org/communication/sermonsecrits/fellay20080601/fellay20080601.php