De l’œcuménisme à l’apostasie silencieuse - 25 ans de pontificat
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Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
DE
L’ŒCUMÉNISME
A
L’APOSTASIE
SILENCIEUSE
25 ans de pontificat
Menzingen
2004
1. Le 25ème anniversaire de l’élection de Jean-Paul II est l’occasion de réfléchir sur l’orientation fondamentale que le Pape a donnée à son pontificat. Dans la suite du concile Vatican II, il a voulu le placer sous le signe de l’unité : «La restauration de l’unité de tous les chrétiens était l’un des buts principaux du IIème concile du Vatican (cf. UR n° 1) et, dès mon élection, je me suis engagé formellement à promouvoir l’exécution de ses normes et de ses orientations, considérant que c’était là pour moi un devoir primordial[1] .» Cette “restauration de l’unité des chrétiens” marquait, selon Jean-Paul II, un pas vers une unité plus grande, celle de la famille humaine tout entière : «L’unité des chrétiens est ouverte sur une unité toujours plus vaste, celle de l’humanité tout entière[2].»
2. En raison de ce choix fondamental,
- Jean-Paul II a estimé devoir «reprendre en main cette “magna charta”
conciliaire qu’est la constitution dogmatique Lumen gentium[3]»
laquelle définit l’Eglise comme un «sacrement, c’est-à-dire à la fois le
signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le
genre humain[4]». Cette “reprise en main” était faite en vue de
«réaliser toujours mieux cette communion vitale dans le Christ de tous ceux qui
croient et espèrent en lui, mais également en vue de contribuer à une plus
ample et plus forte unité de la famille humaine tout entière[5]» ;
- Jean-Paul II a consacré l’essentiel de son pontificat à la poursuite de cette
unité, multipliant rencontres interreligieuses, repentances et gestes
œcuméniques. Ce fut également la principale raison de ses voyages : «ils
ont permis d’atteindre les Eglises particulières dans tous les continents, en
portant une attention soutenue au développement des relations œcuméniques avec
les chrétiens des différentes Confessions[6]» ;
- Jean-Paul II a donné l’œcuménisme pour trait caractéristique du Jubilé de
l’an 2000[7].
En toute vérité, donc, «on peut dire que toute l’activité des Eglises locales
et du Siège apostolique ont eu ces dernières années un souffle œcuménique[8].»
Désormais, vingt-cinq ans ont passé, le Jubilé s’en est allé : l’heure des
bilans a sonné.
3. Longtemps, Jean-Paul II a cru que son pontificat serait un nouvel Avent[9] permettant à «l’aube de ce nouveau millénaire [de] se lever sur une Eglise qui a retrouvé sa pleine unité[10] .» Alors se serait réalisé le «rêve» du Pape : «Tous les peuples du monde en marche, de différents lieux de la Terre, pour se réunir auprès du Dieu unique comme une seule famille[11].» La réalité est tout autre : «Le temps que nous vivons apparaît comme une époque d’égarement [où] beaucoup d’hommes et de femmes semblent désorientés[12].» Règne par exemple sur l’Europe une «sorte d’agnosticisme pratique et d’indifférentisme religieux», au point que «la culture européenne donne l’impression d’une “apostasie silencieuse”[13].» L’œcuménisme n’est pas étranger à cette situation. L’analyse de la pensée de Jean-Paul II(1ère partie) nous fera constater, non sans une profonde tristesse, que la pratique œcuménique est héritée d’une pensée étrangère à la doctrine catholique (2ème partie) et mène à l’“apostasie silencieuse” (3ème partie).
Chapitre I
ANALYSE DE LA PENSEE ŒCUMENIQUE
L’UNITE DU GENRE HUMAIN
ET LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
Le Christ, uni à chaque homme
4. A la base de la conception du Pape se trouve l’affirmation selon laquelle
«Jésus-Christ (qui) “s’est uni d’une certaine manière à tous les hommes” (Gaudium
et spes, n° 22), même si ceux-ci n’en sont pas conscients[14].»
Jean-Paul II explique en effet que la Rédemption apportée par le Christ est
universelle non seulement en ce sens qu’elle est surabondante pour le genre
humain tout entier et qu’elle est proposée à chacun de ses membres en
particulier, mais surtout parce qu’elle est appliquée de fait à tous les
hommes : si donc, d’un côté, «dans le Christ, la religion n’est plus une
“recherche de Dieu comme à tâtons” (Act 17, 27), mais une réponse de la foi à
Dieu qui se révèle […], réponse rendue possible par cet Homme unique […] en qui
tout homme est rendu capable de répondre à Dieu», de l’autre, le Pape ajoute
«[qu’]en cet Homme, la création entière répond à Dieu[15].» En effet,
«chacun a été inclus dans le mystère de la Rédemption, et Jésus-Christ s’est
uni à chacun, pour toujours, à travers ce mystère. […] C’est cela, l’homme dans
toute la plénitude du mystère dont il est devenu participant en Jésus-Christ et
dont devient participant chacun des quatre milliards d’hommes vivant sur notre
planète, dès l’instant de sa conception[16].» De la sorte, «dans
l’Esprit-Saint, chaque personne et chaque peuple sont devenus, par la croix et
la résurrection du Christ, des enfants de Dieu, des participants de la nature
divine et des héritiers de la vie éternelle[17].»
Le congrès d’Assise
5. Cet universalisme de la Rédemption trouve son application immédiate dans la
manière dont Jean-Paul II pratique les relations entre l’Eglise catholique et
les autres religions. En effet, si l’ordre de l’unité précédemment décrit «est
celui qui remonte à la création et à la rédemption et s’il est donc, en ce
sens, “divin”, ces différences et ces divergences [citées plus haut], même
religieuses, remontent plutôt à un “fait humain”[18]» et doivent donc
«être dépassées dans le progrès vers la réalisation du grandiose dessein
d’unité qui préside à la création[19].» D’où les réunions
interreligieuses telles que celle d’Assise, le 27 octobre 1986, en laquelle le
Pape a voulu déceler «de manière visible, l’unité cachée mais radicale que le
Verbe divin […] a établie entre les hommes et les femmes de ce monde[20].»
Par de tels gestes, le Pape entend faire proclamer à l’Eglise que «le Christ
est la réalisation de l’aspiration de toutes les religions du monde et, par
cela même, il en est l’aboutissement unique et définitif[21].»
L’EGLISE DU CHRIST ET
L’ŒCUMENISME
L’unique Eglise du Christ
6. Un double ordre : unité divine demeurant inviolée, et divisions
historiques qui ne relèvent que de l’humain ; telle est encore la grille
appliquée à l’Eglise, considérée comme communion. Jean-Paul II distingue en
effet l’Eglise du Christ, réalité divine, des différentes Eglises, fruits des
“divisions humaines”[22]. L’Eglise du Christ, aux contours assez mal
définis du fait qu’elle déborde des limites visibles de l’Eglise catholique[23],
est une réalité intérieure[24]. Elle rassemble pour le moins
l’ensemble des chrétiens[25], quelle que soit leur appartenance
ecclésiale : tous sont «disciples du Christ[26]», «dans une
appartenance commune au Christ[27]» ; ils «sont un parce que,
dans l’Esprit, ils sont dans la communion du Fils et, en lui, dans sa communion
avec le Père[28]». L’Eglise du Christ est donc communion des saints,
par delà les divisions : «L’Église est Communion des saints[29].»
En effet, «la communion en laquelle les chrétiens croient et espèrent est, en
sa réalité la plus profonde, leur unité avec le Père par le Christ et dans le
Saint-Esprit. Depuis la Pentecôte, elle est donnée et reçue dans l’Eglise,
communion des saints[30].»
Les divisions ecclésiales
7. D’après Jean-Paul II, les divisions ecclésiales survenues au cours de
l’histoire n’auraient pas affecté l’Eglise du Christ, autrement dit auraient
laissé inviolée l’unité radicale des chrétiens entre eux : «Par la grâce de
Dieu, ce qui appartient à la structure de l’Eglise du Christ n’a pourtant pas
été détruit, ni la communion qui demeure avec les autres Eglises et Communautés
ecclésiales[31].» Ces divisions sont en effet d’un autre ordre ;
elles ne concernent que la manifestation de la communion des saints, ce
qui la rend visible : les traditionnels liens de la profession de foi, des
sacrements et de la communion hiérarchique. En refusant l’un ou l’autre de ces
liens, les Eglises séparées ne portent atteinte qu’à la communion visible
avec l’Eglise catholique, et encore seulement de manière partielle : cette
dernière communion est capable de plus ou de moins, selon qu’un plus ou moins
grand nombre de liens auront été sauvegardés. On parlera alors de communion
imparfaite entre les Eglises séparées et l’Eglise catholique, la communion de
tous dans l’unique Eglise du Christ demeurant sauve[32]. Le terme
d’“Eglises-sœurs” sera souvent utilisé[33].
8. Selon cette conception, ce qui unit entre elles les différentes Eglises chrétiennes est plus grand que ce qui les sépare[34] : «L’espace spirituel commun l’emporte sur bien des barrières confessionnelles qui nous séparent encore les uns des autres[35]». Cet espace spirituel, voilà l’Eglise du Christ. Si celle-ci ne «subsiste[36]» «en un unique sujet[37]» que dans l’Eglise catholique, elle n’en garde pas moins une «présence active» dans les Communautés séparées en raison des «éléments de sanctification et de vérité[38]» qui y sont présents. C’est ce prétendu espace spirituel commun que Jean-Paul II a voulu sceller par la publication d’un martyrologe commun aux Eglises : «L’œcuménisme des saints, des martyrs, est peut-être celui qui convainc le plus. La voix de la communio sanctorum est plus forte que celle des fauteurs de division[39].»
Ni absorption ni fusion, mais don
réciproque
9. Dès lors, «le but ultime du mouvement œcuménique» n’est que «le
rétablissement de la pleine unité visible de tous les baptisés[40].»
Une telle unité ne se réalisera plus par l’“œcuménisme de retour”[41] :
«Nous le rejetons comme méthode de recherche d’unité. […] L’action pastorale de
l’Eglise catholique tant latine qu’orientale ne tend plus à faire passer les
fidèles d’une Eglise à l’autre[42].» Ce serait en effet oublier deux
choses :
- Ces divisions, que le concile Vatican II analyse comme des manquements à la
charité[43], sont imputables de part et d’autre : «Evoquant la
division des chrétiens, le décret sur l’œcuménisme n’ignore pas “la faute des
hommes de l’une et l’autre partie”, en reconnaissant que la responsabilité ne
peut être attribuée uniquement “qu’aux autres (UR, 3)”[44].»
- L’œcuménisme est aussi «échange de dons[45]» entre les
Eglises : «L’échange des dons entre les Eglises, dans leur
complémentarité, rend féconde la communion[46].»
C’est pourquoi l’unité souhaitée par Jean-Paul II «n’est pas absorption ni même
fusion[47].» Appliquant ce principe aux relations entre l’Eglise
catholique et les orthodoxes, le Pape développe : «Les deux Eglises-sœurs
d’Orient et d’Occident comprennent aujourd’hui que sans une écoute réciproque
des raisons profondes qui sous-tendent en chacune d’elles la compréhension de
ce qui les caractérise, sans un don réciproque des trésors du génie dont
chacune est porteuse, l’Eglise du Christ ne peut manifester la pleine maturité
de cette forme qu’elle a reçue au début, dans le Cénacle[48].»
LA RECOMPOSITION DE
L’UNITE VISIBLE
10. «De même que dans la famille les éventuelles dissensions doivent être
dépassées par la recomposition de l’unité, c’est ainsi que l’on doit faire dans
la famille plus vaste de la communauté chrétienne tout entière[49].»
Dépasser les dissensions humaines par la recomposition de l’unité visible,
telle est la méthodologie du Pape. Il faudra l’appliquer dans les trois liens
traditionnels de la profession de foi, des sacrements et de la communion
hiérarchique, du fait que ce sont eux qui constituent la visibilité de l’unité.
L’unité de sacrements
11. On sait comment Paul VI s’y est employé en matière de sacrements :
dans les réformes liturgiques successives qui ont appliqué les décrets
conciliaires, «l’Eglise a été guidée (…) par le désir de tout faire pour
faciliter à nos frères séparés le chemin de l’union, en écartant toute pierre
qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou
de déplaisir[50].»
12. L’obstacle d’une liturgie catholique trop expressive du dogme ainsi écarté, il restait à dépasser la difficulté posée par les liturgies des communautés séparées. La réforme fit alors place à la reconnaissance : bien qu’elle ne contienne pas les paroles consécratoires, l’anaphore assyrienne (nestorienne) d’Addaï et Mari fut décrétée valide en un document expressément approuvé par Jean-Paul II[51].
L’unité dans la profession de foi
13. En matière de foi, Jean-Paul II estime que, bien souvent, «les polémiques
et les controverses intolérantes ont transformé en affirmations incompatibles
ce qui était en fait le résultat de deux regards scrutant la même réalité, mais
de deux points de vue différents. Il faut trouver aujourd’hui la formule qui,
saisissant cette réalité intégralement, permette de dépasser les lectures
partielles et d’éliminer les interprétations erronées[52].» Cela
réclame une certaine latitude par rapport aux formules dogmatiques jusque là
employées par l’Eglise. On recourra donc au relativisme historique, afin de
faire dépendre les formules dogmatiques de leur époque : «Les vérités que
l’Eglise entend réellement enseigner par ses formules dogmatiques sont sans
doute distinctes des conceptions changeantes propres à une époque
déterminée ; mais il n’est pas exclu qu’elles soient éventuellement
formulées, même par le Magistère, en des termes qui portent des traces de
telles conceptions[53].»
14. Deux applications de ces principes sont souvent citées. Dans le cas de l’hérésie nestorienne, Jean-Paul II estime que «les divisions qui se sont produites étaient dues dans une large mesure à des malentendus[54].» En effet, si le principe qui affirme que «En premier lieu, devant des formulations doctrinales qui se séparent des formules en usage dans la communauté à laquelle on appartient, il convient manifestement de discerner si les paroles ne recouvrent pas un contenu identique[55]» est clair, l’application qui en est faite est détournée. C’est ainsi que la reconnaissance de foi christologique de l’Eglise assyrienne d’Orient, sans que lui ait été réclamée l’adhésion à la formule d’Ephèse selon laquelle Marie est Mère de Dieu, fait fi des condamnations antérieures, sans tenir compte de leur aspect infaillible[56]. Plus caractéristique encore est la déclaration commune avec la Fédération luthérienne mondiale. Son souci ne fut pas de dire la foi et d’écarter l’erreur, mais seulement de trouver une formulation apte à échapper aux anathèmes du concile de Trente : «Cette déclaration commune est portée par la conviction que le dépassement des condamnations et des questions jusqu’alors controversées ne signifie pas que les séparations et les condamnations soient prises à la légère ou que le passé de chacune de nos traditions ecclésiales soit désavoué. Elle est cependant portée par la conviction que de nouvelles appréciations adviennent dans l’histoire de nos Eglises[57].» D’un mot bien simple, le cardinal Kasper commentera cette déclaration : «Là où nous avions vu au premier abord une contradiction, nous pouvons voir une position complémentaire[58].»
La communion hiérarchique
15. Quant au ministère pétrinien, les souhaits pontificaux sont connus :
trouver, de concert avec les pasteurs et théologiens des différentes Eglises,
«les formes dans lesquelles ce ministère pourra réaliser un service d’amour
reconnu par les uns et par les autres[59].» On introduira alors le
régulateur de la necessitas Ecclesiæ[60], comprise aujourd’hui
comme réalisation de l’unité des chrétiens, pour atténuer ce qui, dans
l’exercice du ministère pétrinien, pourrait être obstacle à l’œcuménisme.
16. Selon le cardinal Kasper, cette démarche ne suffit pas. Il faut encore dépasser les obstacles présents dans les communautés séparées, par exemple l’invalidité décrétée des ordinations anglicanes [61] La piste qu’il propose pour cela est une redéfinition du concept de succession apostolique, non plus «dans le sens d’une chaîne historique d’imposition des mains remontant à travers les siècles à un apôtre – ce serait une vision très mécanique et individualiste» mais comme «participation collégiale dans un collège qui, comme un tout, remonte aux apôtres par le partage de la même foi apostolique et par la même mission apostolique[62].»
Chapitre II
LES
PROBLEMES DOCTRINAUX
POSES PAR L’ŒCUMENISME[63]
17. La pratique œcuménique de ce pontificat repose tout entière sur la distinction Eglise du Christ / Eglise catholique, laquelle permet d’avancer que, si la communion visible a été blessée par les divisions ecclésiales, la communion des saints, considérée comme partage des biens spirituels dans la commune union au Christ, n’a pas été brisée. Or, cette affirmation ne tient pas devant la foi catholique.
L’EGLISE DU CHRIST EST
L’EGLISE CATHOLIQUE
18. On ne peut distinguer l’Eglise du Christ de l’Eglise catholique ainsi que
le suppose la pratique œcuménique. Par le fait même qu’elle est considérée
comme réalité intérieure, cette “Eglise Corps du Christ”, distincte réellement
de l’Eglise catholique, rejoint la notion protestante d’une «Eglise invisible
pour nous, visible aux seuls yeux de Dieu[64]». Elle est contraire aux
enseignements constants de l’Eglise. Léon XIII, parlant de l’Eglise, affirme
par exemple : «C’est parce que [l’Eglise] est corps qu’elle est visible à
nos regards[65].» Pie XI ne dit pas autre chose : «Son Eglise, le
Christ Notre Seigneur l’a établie en société parfaite, extérieure par
nature et perceptible aux sens[66].» Pie XII conclura donc :
«C’est s’éloigner de la vérité divine que d’imaginer une Eglise qu’on ne
pourrait ni voir ni toucher, qui ne serait que “spirituelle” (pneumaticum),
dans laquelle les nombreuses communautés chrétiennes, bien que divisées entre
elles par la foi, seraient pourtant réunies par un lien invisible[67].»
19. La foi catholique oblige donc à affirmer l’identité de l’Eglise du Christ et de l’Eglise catholique. C’est ce que fait Pie XII en identifiant «le Corps mystique de Jésus-Christ» à «cette véritable Eglise de Jésus-Christ – celle qui est sainte, catholique, apostolique, romaine[68]». Avant lui, le Magistère avait affirmé qu’«il n’y pas d’autre Eglise que celle qui, bâtie sur Pierre seul, en un corps joint et assemblé [entendez “visible”], se dresse dans l’unité de la foi et de la charité[69].» Rappelons enfin l’exclamation de Pie IX : «Il n’y a en effet qu’une seule religion vraie et sainte, fondée et instituée par le Christ Notre-Seigneur. Mère et nourrice des vertus, destructrice des vices, libératrice des âmes, indicatrice du vrai bonheur ; elle s’appelle : Catholique, Apostolique et Romaine[70].» Suite à un magistère constant et universel, le 1er schéma préparatoire de Vatican I était en droit d’avancer ce canon condamnatoire : «Si quelqu’un dit que l’Eglise, à qui ont été faites les promesses divines n’est pas une société (cœtus) externe et visible de fidèles, mais une société spirituelle de prédestinés ou de justes connus de Dieu seul, qu’il soit anathème[71].»
20. Par voie de conséquence, la proposition du cardinal Kasper selon laquelle : «La véritable nature de l’Eglise – l’Eglise en tant que corps du Christ – est cachée et n’est saisissable que par la foi[72]» est certainement hérétique. Ajouter que «cette nature saisissable uniquement par la foi s’actualise sous des formes visibles : dans la Parole proclamée, l’administration des sacrements, les ministères et le service chrétien[73]» est insuffisant pour rendre compte de la visibilité de l’Eglise : “se rendre visible” – qui plus est par de simples actes – n’est pas “être visible”.
L’APPARTENANCE A
L’EGLISE PAR LA TRIPLE UNITE
21. Vu que l’Eglise du Christ est l’Eglise catholique, on ne peut
affirmer avec les partisans de l’œcuménisme que la triple unité de foi, de
sacrement et de communion hiérarchique n’est nécessaire qu’à la seule communion
visible de l’Eglise, cette assertion étant prise dans ce sens que :
l’absence d’un de ces liens, si elle manifeste la rupture de la communion
visible de l’Eglise, ne signifie pas la séparation vitale d’avec l’Eglise. Il
faut au contraire affirmer que ces trois liens sont constitutifs de
l’unité de l’Eglise, non en ce sens qu’un seul unirait à l’Eglise, mais du fait
que si un seul de ces trois liens n’était pas possédé in re vel saltem in
voto[74], celui à qui il ferait défaut serait séparé de l’Eglise
et ne bénéficierait pas de la vie surnaturelle. C’est ce que la foi catholique
oblige à croire, ainsi que le montre ce qui suit.
Unité de foi
22. Si la nécessité de la foi est admise par tous[75], il faut encore
préciser la nature de cette foi qui est nécessaire au salut, et donc constitutive
de l’appartenance à l’Eglise. Elle n’est pas «ce sentiment intime engendré par
le besoin divin» dénoncé par saint Pie X[76], mais bien cette foi
décrite par le concile Vatican I : «une vertu surnaturelle par laquelle,
sous l’inspiration et avec le secours de la grâce de Dieu, nous croyons que ce
qui nous a été révélé par lui est véritable : nous le croyons, non point à
cause de la vérité intrinsèque des choses vues dans la lumière naturelle de
notre raison, mais à cause de l’autorité même de Dieu qui nous révèle ces
vérités, et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper[77].» C’est
pourquoi celui qui refuse ne serait-ce qu’une vérité de foi connue comme
révélée perd totalement la foi indispensable au salut : «Celui qui, même
sur un seul point, refuse son assentiment aux vérités divinement révélées très
réellement abdique tout à fait la foi, puisqu’il refuse de se soumettre à Dieu
en tant qu’il est la souveraine vérité et le motif propre de foi[78].»
Unité de gouvernement
23. «Afin de maintenir toujours en son Eglise cette unité de foi et de
doctrine, il [le Christ] choisit un homme parmi tous les autres, Pierre…[79]» :
c’est ainsi que Pie IX introduit la nécessité de l’unité à la chaire de Pierre,
«dogme de notre divine religion [qui] a toujours été prêché, défendu, affirmé
d’un cœur et d’une voix unanimes par les Pères et les Conciles de tous les
temps.» A la suite des Pères, le même Pape développe : «c’est d’elle [la
chaire de Pierre] que découlent sur tous les droits à l’union divine[80] ;
[…] celui qui la quitte ne peut espérer rester dans l’Eglise[81],
celui qui mange l’Agneau en dehors d’elle n’a pas de part avec Dieu[82].»
D’où la célèbre parole que saint Augustin adresse aux schismatiques : «Ce
qui est vôtre, c’est que vous avez eu l’impiété de vous séparer de nous ;
car, si pour tout le reste, vous pensiez et possédiez la vérité, en persévérant
néanmoins dans votre séparation […] il ne vous manque que ce qui manque à celui
à qui la charité fait défaut[83].»
Unité de sacrements
24. «Celui croira et sera baptisé sera sauvé[84].» A travers
cette parole de Notre-Seigneur, tous reconnaissent la nécessité, outre de
l’unité de foi et de but, d’une «communauté […] de moyens appropriés au but[85]»
pour constituer l’unité de l’Eglise : les sacrements. Telle est donc
«l’Eglise catholique [que le Christ institua], acquise par son sang, comme
l’unique demeure du Dieu vivant […] le corps unique animé et vivifié par un
Esprit unique, maintenu dans la cohésion et la concorde par l’unité de foi,
d’espérance et de charité, par les liens des sacrements, du culte et de la
doctrine[86].»
Conclusion
25. La nécessité de ce triple lien oblige donc à croire que «celui qui refuse
d’écouter l’Eglise doit être considéré, selon l’ordre du Seigneur, “comme un
païen et un publicain” (Mt 18, 17) et ceux qui sont divisés pour des raisons de
foi ou de gouvernement ne peuvent vivre dans ce même Corps ni par conséquent de
ce même Esprit divin[87].»
HORS DE L’EGLISE, POINT
DE SALUT
Les non-catholiques sont-ils membres de l’Eglise ?
26. En conséquence de ce qui vient d’être dit, la proposition suivante :
«ceux [nés hors de l’Eglise catholique et donc ne pouvant “être accusés de
péché de division”] qui croient au Christ et qui ont reçu validement le baptême,
se trouvent dans une certaine communion, bien qu’imparfaite, avec l’Eglise
catholique» au point que «justifiés par la foi reçue au baptême, incorporés au
Christ, ils portent à juste titre le nom de chrétiens, et les fils de l’Eglise
catholique les reconnaissent à bon droit comme des frères dans le Seigneur»
alors que «des divergences variées entre eux et l’Eglise catholique sur des
questions doctrinales, parfois disciplinaires, ou sur la structure de l’Eglise,
constituent nombre d’obstacles, parfois fort graves[88]» doit être
soigneusement pesée ; si cette proposition entend parler de ceux qui
demeurent dans ces divergences pourtant connues d’eux-mêmes, elle est contraire
à la foi catholique. L’incise affirmant que «ils ne peuvent être accusés de
péché de division» est pour le moins téméraire : restant extérieurement
dans la dissidence, rien n’indique qu’ils n’adhèrent pas à la division de leurs
prédécesseurs, l’apparence portant plutôt à croire le contraire. Présumer la
bonne foi n’est pas ici possible[89], ainsi que le rappelle Pie
IX : «Il faut admettre de foi que, hors de l’Eglise apostolique romaine,
personne ne peut être sauvé. […] Cependant, il faut aussi reconnaître d’autre
part, avec certitude, que ceux qui sont à l’égard de la vraie religion dans une
ignorance invincible n’en portent point la faute devant le Seigneur.
Maintenant, à la vérité, qui ira dans sa présomption, jusqu’à marquer les
frontières de cette ignorance[90] ?»
Y a-t-il des éléments de
sanctification et de vérité dans les communautés séparées ?
27. L’affirmation selon laquelle «de nombreux éléments de sanctification et de
vérité[91]» se trouvent hors de l’Eglise est équivoque. Elle suppose
en effet l’efficacité sanctifiante des moyens de salut matériellement présents
dans les Communautés séparées. Or ce présupposé ne peut être affirmé sans
distinction. Parmi ces éléments, ceux qui ne réclament pas de disposition
spécifique de la part du sujet – le baptême d’un enfant – sont effectivement
salvifiques en ce sens qu’ils produisent efficacement la grâce dans l’âme du
baptisé, qui alors appartient à l’Eglise catholique de plein droit tant qu’il
n’a pas atteint l’âge des choix personnels[92]. Pour les autres
éléments, qui réclament des dispositions de la part du sujet pour être
efficaces, on doit dire qu’ils sont salvifiques seulement dans la mesure où le
sujet est déjà membre de l’Eglise par son désir implicite. C’est ce qu’affirme
la doctrine des conciles : «Elle [l’Eglise] professe que l’unité du corps
de l’Eglise a un tel pouvoir que les sacrements de l’Eglise n’ont d’utilité en
vue du salut que pour ceux qui demeurent en elle[93].» Or en tant
qu’elles sont séparées, ces communautés s’opposent à ce désir implicite qui
seul rend les sacrements fructueux. On ne peut donc dire de ces communautés qu’elles
possèdent des éléments de sanctification et de vérité, sinon matériellement.
L’Esprit-Saint se sert-il des
communautés séparées comme moyen de salut ? Les “Eglises-sœurs”
28. On ne peut affirmer que «l’Esprit du Christ ne refuse pas de se servir d’elles
[des communautés séparées] comme de moyens de salut[94].» Saint
Augustin affirme en effet : «Il n’y a qu’une Eglise, qui seule est appelée
catholique, et c’est elle qui, dans les communautés séparées de son unité,
engendre par la vertu de ce qui, dans ces sectes, reste sa propriété, quel que
soit ce qu’elle y possède[95].» La seule chose que ces communautés
séparées peuvent réaliser par leur propre vertu, c’est la séparation de ces
âmes de l’unité ecclésiale, comme l’indique encore saint Augustin : «Il
n’est point vôtre [le baptême], ce qui est vôtre c’est que vous avez des
sentiments mauvais et des pratiques sacrilèges, et que vous avez eu l’impiété
de vous séparer de nous[96].» Dans la mesure où elle remet en cause
l’affirmation selon laquelle l’Eglise catholique est l’unique détentrice des
moyens de salut, l’assertion du document conciliaire est proche de
l’hérésie : Si, en leur accordant une «signification et une valeur dans le
mystère du salut[97]», elle reconnaît à ces communautés séparées une
quasi-légitimité – ainsi que le laisse entendre l’expression “Eglises-sœurs”[98]
– elle va dans un sens opposé à la doctrine catholique parce qu’elle nie
l’unicité de l’Eglise catholique.
Ce qui nous unit est-il plus
grand que ce qui nous sépare ?
29. La proposition reste vraie matériellement, en ce sens que tous ces éléments
sont autant de points pouvant servir de base à des discussions visant à les
ramener dans l’unique bercail. Si les Communautés séparées ne sont pas
formellement détentrices des éléments de sanctification et de vérité – ainsi
qu’il a été dit plus haut – la proposition selon laquelle «ce qui unit les
catholiques aux dissidents est plus grand que ce qui les sépare» ne peut être
vraie formellement, et c’est pourquoi saint Augustin dit : «En beaucoup de
points ils sont avec moi, en quelques-uns seulement ils ne sont pas avec
moi ; mais à cause de ces quelques points dans lesquels ils se séparent de
moi, il ne leur sert de rien d’être avec moi en tout le reste[99].»
CONCLUSION
30. L’œcuménisme ne peut être que rapproché de la “théorie des
branches”[100]condamnée par le Magistère : «Son fondement […] est tel qu’il
renverse de fond en comble la constitution divine de l’Eglise» et sa prière
pour l’unité, selon «une intention profondément souillée et infectée par l’hérésie,
ne peut absolument pas être tolérée[101].»
Chapitre III
LES
PROBLEMES PASTORAUX
POSES PAR L’ŒCUMENISME
31. Outre le fait qu’il s’appuie sur des thèses hétérodoxes, l’œcuménisme est nocif pour les âmes, en ce sens qu’il relativise la foi catholique pourtant indispensable au salut et qu’il détourne de l’Eglise catholique, unique arche de salut. L’Eglise catholique n’agit plus en phare de la vérité qui illumine les cœurs et dissipe l’erreur, mais plonge l’humanité dans la brume de l’indifférentisme religieux, et bientôt dans les ténèbres de l’ «apostasie silencieuse[102]».
L’ŒCUMENISME ENGENDRE LE
RELATIVISME DE LA FOI
Il relativise les déchirures opérées par les hérétiques.
32. Le dialogue œcuménique voile le péché contre la foi que commet l’hérétique
– raison formelle de la rupture – pour mettre en avant le péché contre la
charité, imputé arbitrairement tant à l’hérétique qu’au fils de l’Eglise. Il en
arrive finalement à nier le péché contre la foi que constitue l’hérésie.
C’est ainsi que Jean-Paul II, au sujet de l’hérésie monophysite, affirme :
«Les divisions qui se sont produites étaient dues dans une large mesure à des
malentendus[103]», ajoutant : «Les formulations doctrinales qui
se séparent des formules en usage […] recouvrent un contenu identique[104].»
De telles affirmations désavouent d’autant le Magistère pourtant infaillible
qui condamna ces hérésies.
Il prétend que la foi de l’Eglise
peut être perfectionnée par les “richesses” de l’autre.
33. Même si le concile Vatican II précise, quoiqu’en des termes bien modérés,
la nature de l’“enrichissement” apporté par le dialogue – «une connaissance
plus conforme à la vérité, en même temps qu’une estime plus juste, de
l’enseignement et de la vie de chaque communion[105]» – la pratique
œcuménique de ce pontificat déforme cette affirmation pour en faire un
enrichissement de la foi. L’Eglise quitte un regard partiel pour saisir la
réalité intégralement : «Les polémiques et les controverses intolérantes
ont transformé en affirmations incompatibles ce qui était en fait le résultat
de deux regards scrutant la même réalité, mais de deux points de vue
différents. Il faut trouver aujourd’hui la formule qui, saisissant cette
réalité intégralement, permette de dépasser des lectures partielles et
d’éliminer des interprétations erronées[106].» C’est ainsi que
«l’échange des dons entre Eglises, dans leur complémentarité, rend
féconde la communion[107].» De telles affirmations, si elles
présupposent que l’Eglise n’est pas définitivement et intégralement dépositaire
du trésor de la foi, ne sont pas conformes à la doctrine traditionnelle de
l’Eglise. C’est pourquoi le Magistère mettait en garde contre cette fausse
valorisation des supposées richesses de l’autre : «En revenant à l’Eglise,
ils ne perdront rien du bien qui, par la grâce de Dieu, est réalisé en eux
jusqu’à présent, mais par leur retour ce bien sera plutôt (potius)
complété et amené à la perfection. On évitera pourtant de parler sur ce point
d’une manière telle que, en revenant à l’Eglise, ils s’imaginent apporter à celle-ci
un élément essentiel qui lui aurait manqué jusqu’ici[108].»
Il relativise l’adhésion à
certains donnés de la foi.
34. La supposée «hiérarchie des vérités de la doctrine catholique[109]»
est certes bien resituée théologiquement par la Congrégation pour la Doctrine
de la Foi : elle «signifie que certains dogmes ont leur raison d’être en
d’autres qui occupent le premier rang et les éclairent. Mais tous les dogmes
puisqu’ils sont révélés, doivent également être crus de foi divine[110].»
Cependant, la pratique œcuménique de Jean-Paul II s’affranchit de cette
interprétation authentique. Par exemple dans l’adresse à l’“Eglise”
évangélique, il souligne “ce qui importe” : «Vous savez que, pendant des
dizaines d’années, ma vie a été marquée par l’expérience des défis lancés au
christianisme par l’athéisme et l’incroyance. J’ai d’autant plus clairement
devant les yeux ce qui importe : notre commune profession de Jésus-Christ.
[…] Jésus-Christ est notre salut à tous. […] Par la force de l’Esprit-Saint,
nous devenons ses frères, véritablement et essentiellement des fils de Dieu.
[…] Grâce à la réflexion sur la Confession d’Augsbourg et à de multiples
rencontres, nous avons pris une nouvelle conscience du fait que nous croyons et
professons tout cela ensemble[111].» Léon XIII condamnait ce type de
pratique œcuménique, qui trouve son apogée dans la déclaration sur la
Justification : «Ils soutiennent qu’il est opportun, pour gagner les cœurs
des égarés, de relativiser certains points de doctrine comme étant de moindre
importance, ou de les atténuer au point de ne plus leur laisser le sens auquel
l’Eglise s’est toujours tenue. Il n’est pas besoin de long discours pour
montrer combien est condamnable une telle conception[112].»
Il promeut une “réforme
permanente” des formules de foi.
35. La latitude que la pratique œcuménique s’octroie avec les formules
dogmatiques a déjà été dite. Reste à montrer l’importance de ce procédé dans le
processus œcuménique : «L’approfondissement de la communion dans une
réforme constante, réalisée à la lumière de la Tradition apostolique, est sans
doute un des traits distinctifs les plus importants de l’œcuménisme. […] Le
décret sur l’œcuménisme (UR n° 6) fait figurer la manière de formuler la
doctrine parmi les éléments de réforme permanente[113].» Un tel
procédé a été condamné par Pie XII : «Certains entendent réduire le plus
possible la signification des dogmes et libérer le dogme lui-même de la manière
de s’exprimer en usage dans l’Eglise depuis longtemps et des concepts
philosophiques en vigueur chez les docteurs catholiques. […] Il est clair […]
que ces tentatives non seulement conduisent à ce qu’ils appellent un
“relativisme” dogmatique, mais qu’elles le contiennent déjà en fait. […] Certes,
il n’est personne qui ne voie que les termes pour exprimer de telles notions,
et qui sont utilisés dans les écoles [théologiques] aussi bien que par le
magistère de l’Eglise lui-même, peuvent être améliorés et perfectionnés. […] Il
est clair également que l’Eglise ne peut pas se lier à n’importe quel système
philosophique, dont le règne ne dure que peu de temps : mais ce qui durant
des siècles a été établi du consentement commun des docteurs catholiques pour
parvenir à une certaine intelligence du dogme, ne repose assurément pas sur un
fondement aussi fragile. […] C’est pourquoi il n’y a pas lieu de s’étonner si
certaines de ces notions, les conciles œcuméniques ne les ont pas seulement
employées, mais qu’ils les ont également sanctionnées, en sorte qu’il n’est pas
permis de s’en éloigner[114].»
Il refuse d’enseigner sans
ambiguïté le contenu intégral de la foi catholique
36. Le postulat œcuménique selon lequel «la méthode et la manière d’exprimer la
foi catholique ne doivent nullement faire obstacle au dialogue avec les frères[115]»
aboutit à des déclarations communes signées solennellement, mais équivoques et
ambivalentes. Dans la déclaration commune sur la Justification par exemple,
jamais n’est enseignée clairement l’infusion de la grâce sanctifiante[116]
dans l’âme du juste ; la seule phrase y faisant allusion, des plus
maladroites, peut même porter à croire l’inverse : «La grâce justifiante
ne devient jamais une possession de la personne dont cette dernière pourrait se
réclamer face à Dieu[117].» De telles pratiques ne respectent plus le
devoir d’exposer intégralement et sans ambiguïté la foi catholique, comme
“devant être crue” : «La doctrine catholique doit être proposée totalement
et intégralement ; il ne faut point passer sous silence ou voiler
en des termes ambigus ce que la vérité catholique enseigne sur la vraie nature
et les étapes de la justification, sur la constitution de l’Eglise, sur la
primauté de juridiction du Pontife Romain, sur la seule véritable union par le
retour des chrétiens séparés à l’unique véritable Eglise du Christ[118].»
Il met sur un pied d’égalité les
saints authentiques et les “saints” supposés
37. En publiant un martyrologe commun aux différentes confessions chrétiennes,
Jean-Paul II met sur un pied d’égalité les saints authentiques avec des
“saints” supposés. C’est oublier la phrase de saint Augustin : «Si,
restant séparé de l’Eglise, il est persécuté par un ennemi du Christ […] et que
cet ennemi du Christ lui dise à lui, séparé de l’Eglise du Christ :
“Offrez de l’encens aux idoles, adorez mes dieux” et le tue parce qu’il ne les
adore pas, il pourra répandre son sang, mais non recevoir la couronne[119].»
Si l’Eglise espère pieusement que le frère séparé mort pour le Christ a eu la
charité parfaite, elle ne peut l’affirmer. Dans son droit, elle présume
que l’“obex”, l’obstacle de la séparation visible, fut un obstacle à l’acte de
charité parfaite que constitue le martyre. Elle ne peut donc le canoniser ni
l’inscrire au martyrologe[120].
Il provoque donc la perte de la
foi
38. Relativiste, évolutionniste et ambigu, cet œcuménisme provoque directement
la perte de la foi. La première victime en est le Président du Conseil
pontifical pour la promotion de l’Unité des Chrétiens, le cardinal Kasper
lui-même, lorsqu’il affirme par exemple au sujet de la justification que «notre
valeur personnelle ne dépend pas de nos œuvres, qu’elles soient bonnes ou
mauvaises. Avant même d’agir, nous sommes acceptés et nous avons reçu le “oui”
de Dieu[121]» ; ou encore à propos de la messe et du sacerdoce,
que «ce n’est pas le prêtre qui opère la transsubstantiation : le prêtre
prie le Père afin que celle-ci ait lieu par l’opération du Saint Esprit. […] La
nécessité du ministère ordonné est un signe qui suggère et fait aussi goûter la
gratuité du sacrement eucharistique[122].»
L’ŒCUMENISME DETOURNE DE L’EGLISE
39. Outre qu’il détruit la foi catholique, l’œcuménisme détourne encore de l’Eglise les hérétiques, les schismatiques et les infidèles.
Il ne réclame plus la conversion
des hérétiques et schismatiques
40. Le mouvement œcuménique ne cherche plus leur conversion et leur retour à
«l’unique bercail du Christ, hors duquel se trouve certainement quiconque n’est
point uni à ce Saint-Siège de Pierre[123].» Cela est clairement
affirmé : «Nous le rejetons [l’uniatisme] comme méthode de recherche
d’unité. […] L’action pastorale de l’Eglise catholique tant latine qu’orientale
ne tend plus à faire passer les fidèles d’une Eglise à l’autre[124].»
D’où la suppression de la cérémonie d’abjuration en cas de retour d’un hérétique
à l’Eglise catholique. Le cardinal Kasper va très loin dans ce type
d’affirmations : «L’œcuménisme ne se fait pas en renonçant à notre propre
tradition de foi. Aucune Église ne peut pratiquer ce renoncement[125].»
Il ajoute encore : «Nous pouvons décrire l’ “ethos” propre à l’œcuménisme
de vie de la façon suivante : renoncement à toute forme de prosélytisme
ouvert ou camouflé[126].» Tout cela est radicalement opposé à la
pratique constante des papes à travers les siècles, qui ont toujours œuvré au
retour des dissidents à l’unique Eglise[127].
Il engendre un égalitarisme entre
les confessions chrétiennes
41. La pratique œcuménique engendre un égalitarisme entre les catholiques et
autres chrétiens, lorsque par exemple Jean-Paul II se réjouit du fait que, «à
l’expression frères séparés, l’usage tend à substituer aujourd’hui des termes
plus aptes à évoquer la profondeur de la communion liée au caractère baptismal.
[…] La conscience de l’appartenance commune au Christ s’approfondit. […] La
“fraternité universelle” des chrétiens est devenue une ferme conviction
œcuménique[128].» Plus encore, c’est l’Eglise catholique elle-même
qui, pratiquement, est mise à pied d’égalité avec les Communautés
séparées : nous avons déjà mentionné l’expression “Eglises-sœurs” ;
Jean-Paul II se réjouit également de ce que «le Directoire pour l’application
des principes et des normes sur l’œcuménisme appelle les Communautés auxquelles
appartiennent ces chrétiens des “Eglises et [des] Communautés ecclésiales qui
ne sont pas en pleine communion avec l’Eglise catholique”. […] Reléguant dans
l’oubli les excommunications du passé, les Communautés, un temps rivales,
s’aident aujourd’hui mutuellement[129].» Se réjouir de cela, c’est
oublier que «reconnaître la qualité d’Eglise au schisme de Photius et à
l’Anglicanisme […] favorise l’indifférentisme religieux […] et arrête la
conversion des non-catholiques à la véritable et unique Eglise[130].»
Il humilie l’Eglise et
enorgueillit les dissidents
42. La pratique œcuménique des repentances dissuade les infidèles de se tourner
vers l’Eglise catholique, vu la fausse image qu’elle y donne d’elle-même. S’il
est possible de porter devant Dieu la faute de ceux qui nous ont précédés[131],
en revanche la pratique des repentances telle que nous la connaissons laisse
croire que c’est l’Eglise catholique en tant que telle qui est pécheresse,
puisque c’est elle qui demande pardon. Le premier à le croire est le cardinal
Kasper : «Il [le concile Vatican II] reconnut que l’Eglise catholique
avait une responsabilité dans la division des chrétiens et souligna que le
rétablissement de l’unité supposait une conversion des uns et des autres au
Seigneur[132].» Les textes justificatifs n’y font donc rien : la
note ecclésiale de sainteté, si puissante pour attirer les âmes égarées à l’unique
bercail, a été ternie. Ces repentances sont donc gravement imprudentes, car
elles humilient l’Eglise catholique et enorgueillissent les dissidents. D’où la
mise en garde du Saint-Office : «Ils [les évêques] empêcheront
soigneusement et avec une réelle insistance qu’en exposant l’histoire de la
Réforme et des Réformateurs, on n’exagère tellement les défauts des catholiques
et on ne dissimule tellement les fautes des Réformateurs ou bien qu’on mette
tellement en lumière des éléments plutôt accidentels que l’on ne voie et ne
sente presque plus ce qui est essentiel, la défection de la foi catholique[133].»
CONCLUSION
43. Considéré sous l’angle pastoral, on doit dire de l’œcuménisme de ces
dernières décennies qu’il mène les catholiques à l’apostasie silencieuse et
qu’il dissuade les non-catholiques d’entrer dans l’unique arche de salut. Il
faut donc réprouver «l’impiété de ceux qui ferment aux hommes l’entrée du
Royaume des cieux[134]». Sous couvert de rechercher l’unité, cet
œcuménisme disperse les brebis ; il ne porte pas la marque du Christ, mais
celle du diviseur par excellence, le diable.
CONCLUSION GENERALE
44. Si attirant qu’il puisse paraître au premier abord, si spectaculaires que puissent apparaître ses cérémonies à la télévision, aussi nombreuses que puissent être les foules qu’il rassemble, la réalité demeure : l’œcuménisme a fait de cette cité sainte qu’est l’Eglise une ville en ruine. Marchant à la suite d’une utopie – l’unité du genre humain – ce pape n’a pas réalisé combien l’œcuménisme qu’il poursuivait était proprement et tristement révolutionnaire : il renverse l’ordre voulu par Dieu.
45. Révolutionnaire il l’est, révolutionnaire il s’affirme. On reste impressionné par la succession des textes le rappelant : «L’approfondissement de la communion dans une réforme constante […] est sans doute un des traits distinctifs les plus importants de l’œcuménisme[135].» «En reprenant l’idée que le Pape Jean XXIII avait exprimée à l’ouverture du concile, le Décret sur l’œcuménisme fait figurer la manière de reformuler la doctrine parmi les éléments de la réforme permanente[136].» Par moments, cette affirmation se pare d’onction ecclésiastique pour devenir “conversion”. En l’occurrence, la différence importe peu. Dans les deux cas, ce qui préexistait est rejeté : «“Convertissez-vous”. Il n’est aucun rapprochement œcuménique sans conversion et sans renouvellement. Non la conversion d’une confession à l’autre. […] Tous doivent se convertir. Nous ne devons donc pas demander d’abord “Qu’est-ce qui ne va pas avec l’autre ?”, mais “Qu’est-ce qui ne va pas chez nous ; par où commencer, chez nous, le ménage ?”[137]» Trait caractéristique de son aspect révolutionnaire, l’appel au peuple que clame cet œcuménisme : «Dans l’action œcuménique, les fidèles de l’Eglise catholique […] considéreront surtout avec loyauté et attention tout ce qui, dans la famille catholique elle-même, a besoin d’être rénové[138].» Oui, vraiment, en cette ivresse d’aggiornamento, la tête a besoin d’être dépassée par les membres : «Le mouvement œcuménique est un processus quelque peu complexe, et ce serait une erreur de s’attendre, du côté catholique, à ce que tout soit fait par Rome. […] Les intuitions, les défis doivent aussi venir des Églises locales, et beaucoup doit être fait au niveau local avant que l’Église universelle le fasse sien[139].»
46. Comment, en ces tristes circonstances, ne pas entendre le cri de l’Ange à Fatima : «Pénitence, Pénitence, Pénitence» ? En cette marche utopique, le demi-tour doit être radical. Il est urgent de revenir à la sage expérience de l’Eglise, synthétisée ici par le Pape Pie XI : «L’union des chrétiens ne peut être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Eglise du Christ, qu’ils ont eu jadis le malheur d’abandonner[140].» Telle est la véritable et charitable pastorale à l’endroit des égarés, telle doit être la prière de l’Eglise : «Nous désirons que monte vers Dieu la commune supplication de tout le Corps mystique [c’est-à-dire de toute l’Eglise catholique] afin que toutes les brebis errantes rejoignent au plus tôt l’unique bercail de Jésus-Christ[141].»
47. En attendant l’heure heureuse de ce retour à raison, nous gardons pour notre part le sage avis et la ferme sagesse reçus de notre fondateur : «Nous voulons être dans une unité parfaite avec le Saint-Père, mais dans l’unité de la foi catholique, parce qu’il n’y a que cette unité qui peut nous réunir, et non pas une espèce d’union œcuménique, une sorte d’œcuménisme libéral ; car je crois que ce qui définit le mieux toute la crise de l’Eglise, c’est vraiment cet esprit œcuménique libéral. Je dis œcuménisme libéral, parce qu’il y a un certain œcuménisme qui, s’il est bien défini, pourrait être acceptable. Mais l’œcuménisme libéral, tel qu’il est pratiqué par l’Eglise actuelle et surtout depuis le concile Vatican II, comporte nécessairement de véritables hérésies[142].» Faisant de surcroît monter notre supplication vers le Ciel, nous implorons le Christ pour son Corps qu’est l’Eglise catholique, en disant : «Salvum me fac, Domine, quoniam defecit sanctus, quoniam diminutæ sunt veritates a filiis hominum. Vana locuti sunt unusquisque ad proximum suum : labia dolosa in corde et corde locuti sunt. Disperdat Dominus universa labia dolosa et linguam magniloquam[143].»
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Source DICI : http://www.dici.org/fraternite_read.php?id=000012 |