LE MAGISTÈRE ORDINAIRE DE L'EGLISE ET SES ORGANES
J.-M.-A. VACANT[1]
Maître en
Théologie, Professeur au Grand séminaire de Nancy
Imprimé
avec
l'autorisation de Monseigneur l'Évêque de Nancy et
de Monseigneur l'Archevêque
de Paris.
delhomme
et briguet, libraires-éditeurs
1887
paris
13 rue de l'abbaye, lyon 3
rue de l'archevêché
INTRODUCTION
Cette
étude[2]
s'adresse à des lecteurs catholiques ; elle n'est pas
écrite pour réfuter les
erreurs des Protestants, des Grecs schismatiques ou des Gallicans sur
l'autorité
de l'Église et l'infaillibilité du corps
épiscopal ou du Souverain Pontife.
Qu'on n'y cherche donc point la démonstration des principes
admis aujourd'hui
par tous les enfants soumis de l'Église Romaine ! On n'y
trouvera qu'un simple
exposé de la doctrine de cette Église sur son
magistère ordinaire, avec
quelques éclaircissements au sujet des
difficultés que cette doctrine soulève.
Nous essayerons d'abord de donner une idée générale du Magistère ordinaire et universel de l'Église que le concile du Vatican a déclaré une règle de la foi divine et catholique ; puis nous dirons quels sont les organes par lesquels ce magistère s'exerce, de quelles manières il s'exprime, quelles obligations il impose en matière de doctrine ; enfin nous étudierons, en particulier, la part qui revient aux évêques dispersés dans l'exercice de ce magistère et celle qui appartient au Souverain Pontife.
I.
IDÉE GÉNÉRALE DU MAGISTÈRE
ORDINAIRE ET UNIVERSEL DE L'ÉGLISE
Voici
d'abord le texte dans lequel le concile du Vatican nous parle de ce
magistère :
«Fide
divina et catholica ea omnia credenda sunt quæ in verbo Dei
scripto vel tradito
continentur et ab Ecclesia sive solemni judicio sive ordinario et universali
magisterio tanquam divinitus
credenda poponuntur[3]».
En
étudiant la foi, le Saint Concile a voulu
déclarer quelles sont les vérités
qu'il faut croire de foi divine et catholique, c'est-à-dire
sous peine d'être
hérétique aux yeux de l'Église et
d'être exclu de son sein. Or, on le sait, ces
vérités sont celles que l'Église
propose à notre foi comme
révélées. Elles
doivent par conséquent remplir deux conditions :
1°
être révélées ou
renfermées dans la parole de Dieu ;
2°
être proposées comme telles à notre foi
par l'Église qui affirme explicitement
qu'elles sont dans la révélation divine et qui,
par suite, manifeste clairement
à tous ses enfants l'obligation de les croire.
Le
Concile indique ces deux conditions : ce qui l'amène
à expliquer incidemment de
quelles manières ces vérités
peuvent se trouver dans la parole de Dieu et de
quelles manières elles peuvent être
proposées à notre foi par l'Église.
Elles
peuvent se trouver dans la parole de Dieu sous deux formes :
1°
sous la forme écrite, si elles sont renfermées
dans l'Écriture divinement
inspirée ;
2°
sous la forme de tradition, si on les cherche dans les enseignements de
l'Église.
D'ailleurs,
Jésus-Christ a confié tous Ses enseignements
à Son Église, pour qu'elle les
transmette infailliblement à tous les hommes
jusqu'à la fin des siècles. Aussi
est-on certain qu'elle conserve le dépôt des
enseignements divins dans son
intégrité. Si donc les
vérités révélées[4]
n'ont pas été consignées toutes dans
nos livres saints par les écrivains
inspirés,
toutes néanmoins ont leur place dans la doctrine de
l'Église. Comme, du reste,
la garde de l'Ancien et du Nouveau Testament a
été commise à l'Église,
avec la
mission de les interpréter infailliblement, c'est par ses
mains que nous est
transmise la parole de Dieu, sous toutes ses formes
autorisées, sous celle
d'Écriture inspirée, aussi bien que sous celle de
tradition.
Mais,
qu'on s'en souvienne bien, l'Église n'est pas un instrument
automatique qui
répète, à travers les
siècles, les formules employées par le
Sauveur et Ses
apôtres ; elle est comme un maître vivant et qui
sait ce qu'il dit. Elle
accommode donc à l'intelligence et aux besoins de chaque
génération ses
enseignements, ou plutôt ceux de Dieu, sans y rien ajouter,
sans en rien
retrancher, mais en variant la forme qu'elle leur donne. Elle en
présente
successivement les multiples aspects, éclairant et
proposant expressément à la
croyance des fidèles des points qui auparavant
étaient restés dans l'ombre,
cachés en quelque sorte au milieu d'autres points dont on ne
songeait pas à les
distinguer.
Cette
proposition explicite n'est, on le comprend, qu'une manière
d'affirmer avec
plus de clarté, de précision, de
certitude et d'insistance les vérités
révélées qui ont toujours
été crues au moins implicitement. C'est
simplement
une nouvelle forme du même enseignement qui est immuable dans
son fond. Or,
suivant la doctrine exprimée par le Concile du
Vatican, dans le texte qui nous
occupe, cette proposition explicite est la seconde des conditions
requises pour
qu'une vérité soit de foi catholique, et elle
peut être faite de deux manières.
L'Église a, en effet, deux moyens d'affirmer qu'un point
particulier est révélé
et doit être cru comme tel : ses jugements solennels et son
magistère ordinaire
et universel.
Tous
nos lecteurs le savent, un jugement solennel de l'Église est
une définition
portée par un Souverain Pontife ou par un concile
œcuménique, en des formes qui
en montrent l'authenticité. Mais que faut-il entendre par le
magistère
ordinaire et universel ? C'est la question que nous avons à
résoudre. Voyons
d'abord si notre texte nous mettra sur la voie de la solution.
Les
Pères du saint Concile nous ont déjà
fait entendre que ce magistère est une
manière d'enseigner ; mais nous pouvons tirer d'autres
renseignements encore de
leurs paroles. Ils mettent en effet ce magistère sur le
même pied que les
définitions solennelles des papes ou des conciles universels
et lui attribuent
une pleine autorité ; car ils le donnent comme une
règle de la foi catholique.
C'est donc un mode d'enseignement employé par la souveraine
autorité de
l'Eglise enseignante, par le pape et par le corps épiscopal
: il a la même
infaillibilité et la même force obligatoire que
les définitions solennelles,
dont néanmoins il diffère. Les qualifications,
par lesquelles notre texte
caractérise soit le jugement solennel, soit le
magistère ordinaire et
universel «sive solemni
judicio
sive ordinario et universali magisterio»,
pour les distinguer l'un de l'autre, nous, montrent, en outre,
que le
magistère ordinaire n'a rien de la solennité des
décrets des conciles ou des
papes, qu'il n'est pas comme eux un événement
extraordinaire, mais qu'il
s'exerce habituellement et qu'il se manifeste par toute
l'Église. Voilà donc
quels doivent être les caractères du
magistère ordinaire ; mais voyons si ces
caractères
se retrouvent dans un mode d'enseignement employé par
l'Église : les Pères et
les théologiens ont-ils invoqué
l'autorité de ce magistère ? s'exerce-t-il,
existe-t-il parmi nous ?
Oui,
il existe. Ce
magistère ordinaire n'est autre chose, en effet, que celui
dont l'Église tout
entière nous offre continuellement le spectacle, quand nous
la voyons parler
sans cesse par la bouche du pape et de tous les
évêques catholiques, se mettre
par tout l'univers à la disposition et à la
portée de tous les hommes, des
infidèles et des chrétiens, des ignorants et des
doctes, leur apprendre à
régler d'après la
révélation divine non seulement leur foi, mais
encore leurs
sentiments, leur culte et toute leur conduite. Ce mode d'enseignement,
qui
s'exerce aujourd'hui partout et sur toutes choses, il est facile de
montrer
qu'il s'est toujours exercé de la même
manière et qu'on a toujours reconnu son
infaillible autorité.
C'est, en effet, ce mode d'enseignement qui, par lui-même, répond le plus pleinement à la mission dont Jésus-Christ a chargé Ses apôtres ; car Il leur a ordonné de se disperser par toutes les nations, pour enseigner, tous les jours, toute Sa doctrine. Ses paroles sont formelles :
«Allez
instruire tous les
peuples et apprenez-leur à garder tout ce que Je vous ai
dit, et Moi Je serai
avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps. Euntes
docete
omnes gentes, docentes eos servare omnia quæcumque mandavi
vobis. Ecce ego
vobiscum sum
omnibus diebus usque ad consummationem sœculi».
C'est par cet enseignement que l'Église s'est établie et que la doctrine de Jésus-Christ a été manifestée au monde, avant les définitions solennelles des conciles et du Saint-Siège, et c'est la première règle de foi dont les saints Pères aient invoqué l'autorité.
C'est
l'enseignement auquel saint Ignace martyr veut que les
fidèles et les prêtres
conforment leurs croyances, quand il écrit : «Je
vous ai recommandé de garder
unanimement la doctrine de Dieu. En effet, Jésus-Christ,
notre vie inséparable,
est la doctrine de Dieu, de même que les
évêques constitués jusqu'aux
extrémités de la terre sont dans la doctrine de
Jésus-Christ. C'est pourquoi il
convient que vous vous unissiez dans la doctrine de votre
évêque et c'est ce
que vous faites... Il est donc clair qu'il faut considérer
son évêque comme le
Seigneur Lui-même...» (Epist.
ad Ephes.,
n. 3, 4 et 6).
C'est
le même enseignement dont saint Irénée
disait (Adversus hæreses,
lib. iii,
c. 3) : «Quant à la tradition des
Apôtres, manifestée par tout l'univers,
il
est facile de la trouver dans l'Église entière,
pour quiconque cherche
sincèrement la vérité. Nous n'avons
qu'à produire la liste de ceux qui ont
été
institués évêques et de leurs
successeurs jusqu'à nous... Mais comme il serait
trop long, dans ce volume, de montrer cette succession pour toutes les
Églises,
nous nous contenterons de marquer la tradition de la plus
grande et de la plus
ancienne de toutes, de celle qui est connue du monde entier, qui a
été fondée
et constituée à Rome par les glorieux
apôtres Pierre et Paul. En rapportant
cette tradition qu'elle a reçue des apôtres, cette
foi qu'elle a annoncée aux
hommes et transmise jusqu'à nous par la succession de ses
évêques, nous confondons
tous ceux qui, de quelque manière que ce soit,…
font des assemblées
illégitimes… »
Cet
enseignement enfin a été regardé comme
infaillible par tous les saints Pères et
tous les théologiens. Il suffit, pour s'en convaincre, de
parcourir les
témoignages que le cardinal Franzelin a accumulés
dans son magistral ouvrage
sur
Des conciles particuliers commencèrent à se tenir à partir du second siècle et on réunit ensuite des conciles œcuméniques qui portèrent des jugements solennels. Ces jugements furent respectés, comme l'expression authentique et certaine de la doctrine des évêques assemblés de toutes les parties de la chrétienté sous la présidence du successeur de saint Pierre ; mais ils ne firent rien perdre de son autorité à l'enseignement quotidien des évêques dispersés.
Il
en fut de même des définitions solennelles que les
Souverains Pontifes
promulguèrent dans le cours des siècles,
lorsqu'ils le jugèrent nécessaire ;
car, chose remarquable, les partisans et les adversaires de
l'infaillibilité
papale admirent toujours l'infaillibilité de
l'Église dispersée. C'est, en
effet, de l'assentiment des évêques
disséminés dans les diocèses et de
leur
accord avec le pape, que les Gallicans voulaient faire
dériver l'autorité
qu'ils étaient forcés d'accorder, en
pratique, aux définitions pontificales ;
et, si les défenseurs de la vraie doctrine soutenaient que
ces définitions sont
infaillibles par elles-mêmes, ils proclamaient en
même temps que le corps des
évêques dispersés ne peut tomber dans
l'erreur.
Du
reste, les Souverains Pontifes, aussi bien que les conciles
œcuméniques,
avaient, à maintes reprises, affirmé cette
vérité, et, peu d'années avant le
concile du Vatican, le 21 décembre 1863, Pie IX fit
écho à ces témoignages de
tous les siècles, dans une lettre qu'il écrivait
à l'archevêque de Munich, pour
rappeler les théologiens de l'Allemagne à leurs
devoirs vis-à-vis de toutes
les décisions doctrinales de l'Eglise et, en particulier,
vis-à-vis des
enseignements de son magistère ordinaire. Il
convient de nous arrêter un
instant, pour étudier ce document.
L'illustre
pontife commence par dire qu'il ne suffit pas que les
théologiens acceptent les
dogmes qui sont de foi catholique, en vertu des
décrets solennels de l'Église
; puis, développant sa pensée, il distingue entre
les vérités
révélées et
celles qui ne le sont pas. Or, il déclare que les
vérités révélées
exigent un
acte de foi divine non seulement quand elles sont enseignées
par des
définitions expresses, mais encore, quand elles le sont par
le magistère
quotidien de l'Église dispersée. Pour les points
de doctrine qui ne sont pas révélés,
ils ne feront pas l'objet d'un acte de foi divine ; mais ils pourront
devenir
obligatoires et s'imposer à l'assentiment des
théologiens, par suite de décrets
des congrégations romaines ou en vertu du
consentement commun et constant des
catholiques. Telles sont les déclarations de Pie IX dans sa
lettre à l'archevêque
de Munich.
Voici
la partie de ce document qui regarde la foi due aux
vérités révélées
que le
magistère ordinaire de l'Église
dispersée présente comme telles : «Quand
il s'agirait
de l'obligation de faire un acte de foi divine, il ne faudrait pas la
restreindre aux points expressément définis par
les décrets des conciles
œcuméniques, ou des Pontifes Romains et
du Siège Apostolique ; mais on devrait
l'étendre aussi aux points qui sont donnés comme
divinement révélés par le
magistère ordinaire de toute l'Église
dispersée sur la terre et que, par cette
raison, d'un consentement unanime et constant, les
théologiens catholiques
gardent comme appartenant à la foi[5]».
Cette
lettre de Pie IX préparait la déclaration qui
devait être faite, sept ans plus
tard, par le concile du Vatican ; car il est clair que le
magistère ordinaire de l'Église
dispersée de la lettre
pontificale est le même que le concile appelle magistère
ordinaire et universel, dans le passage que nous avons
examiné en commençant.
Aussi
les théologiens qui ont écrit, depuis quinze ans,
sur cette matière, ont-ils
rapproché ces deux textes. Ils ont aussi reconnu, dans le
magistère ordinaire
que les Pères du Vatican et le Pape Pie IX
déclarent être une règle de foi, le
même enseignement quotidien qui avait
été regardé par tous les
siècles comme
l'interprète infaillible de la tradition. Il suffira pour
s'en convaincre de
lire le P. Hurter (de Ecclesia,
n°
667) ou le cardinal Mazzella (de Ecclesia,
n° 793, et de Virtutibus infusis,
no
423, 432 et 528).
Nous pouvons donc appliquer au magistère que le concile du Vatican nomme ordinaire, ce que les anciens théologiens ont dit de l'autorité de l'Église dispersée, qu'ils regardaient comme égale à celle des conciles et du Souverain Pontife.
L'infaillibilité
de ce
magistère s'étend non seulement aux
vérités de foi catholique, comme le
définit
le concile du Vatican, non seulement aux vérités
qui, sans être de foi
catholique, appartiennent à la tradition, comme
l'enseigne Pie IX dans sa
lettre à l'archevêque de Munich, mais encore
à tous les points qui ont quelque
connexion avec la révélation. Elle
s'étend, par conséquent, aux conclusions
théologiques, aux faits dogmatiques, à la
discipline, à la canonisation des
saints.
Les
lois générales établies par une
coutume légitime ne pourront donc être en
contradiction avec la loi divine et la doctrine
révélée ; et, quand toute
l'Église, pendant les premiers siècles,
s'accordait à honorer un personnage
comme saint, le jugement qu'elle portait ainsi, du consentement au
moins tacite
du Saint-Siège, n'était pas moins infaillible que
les décrets de canonisation
que le Souverain Pontife porte aujourd'hui[6].
En
outre, puisque l'infaillibilité dans l'enseignement
n'appartient qu'au corps
épiscopal et au Pape, c'est au corps
épiscopal et au Pape que le magistère
ordinaire et universel de l'Église doit sa souveraine et
infaillible autorité.
-
Mais, demandera-t-on, quand le Pape et les évêques
font-ils bénéficier ce
magistère de leur infaillibilité ?
-
C'est, répondrai-je avec la tradition, quand, parlant d'un
accord commun, ils
imposent à toute l'Église un des points de
doctrine dont il vient d'être
question.
Ces
conclusions sont acceptées par tous les
théologiens catholiques ; elles
découlent de ce principe que le magistère
ordinaire a la même autorité que les
jugements solennels de l'Église enseignante et qu'il en
diffère seulement par
la forme qu'il revêt.
II.
MINISTRES QUI SERVENT D'ORGANES ET D'INSTRUMENTS AU
MAGISTÈRE ORDINAIRE
Nous
venons de donner un aperçu général et
encore un peu superficiel du magistère
ordinaire de l'Église ; il nous faut maintenant
l'étudier plus à fond, en
considérant successivement les principaux aspects sous
lesquels on peut l'envisager.
Et
d'abord nous allons montrer comment, non seulement le pape et les
évêques, mais
encore les ministres inférieurs de l'Église, les
simples fidèles et presque
tous les hommes prêtent leur voix à ce
magistère ordinaire et en deviennent les
instruments.
Mais
avant d'entrer dans ce sujet, il ne sera pas inutile de rappeler en
quoi
consiste la vie de l'Église ; car il faut
comprendre cette vie, pour entendre
de quelle manière tout contribue, dans l'Église
et même dans le monde, à l'exercice
du magistère ordinaire que nous étudions.
Suivant la profonde doctrine de saint Paul, l'Église est le corps mystique de Jésus-Christ, formée de membres et d'organes multiples et vivants. Dans cette Église, le Sauveur a établi un chef et un collège de pasteurs chargés de continuer l'œuvre qu'Il a commencée sur la terre et de communiquer Sa vie à Son corps mystique, sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations. Assistés pour cette œuvre par le Saint-Esprit, ces ministres du Christ sont la lumière du monde à qui ils donnent la vie surnaturelle, ils sont le sel de la terre où ils empêchent cette vie de se corrompre. Je ne dirai rien de l'exercice de leur pouvoir d'ordre, en vertu duquel ils offrent le saint Sacrifice et confèrent les sacrements ; je ne m'occuperai ici que de leur juridiction ou de la mission qu'ils ont reçue de gouverner et d'enseigner l'Église. Or, le lecteur ne l'ignore pas, c'est l'exercice de la juridiction papale et épiscopale qui garde au sein de l'Église et qui y entretient la doctrine évangélique, par un enseignement infaillible ; la morale et la perfection chrétiennes, par le maintien des lois divines et l'établissement des lois ecclésiastiques ; le culte, par les diverses formes de la liturgie.
Tous
les dons divins nous viennent donc des mains de l'épiscopat.
Si l'Église est le
corps mystique de Jésus-Christ, les
évêques unis au Pape sont comme l'âme et
la
forme substantielle qui vivifie ce Corps, par la vertu de
Jésus-Christ dont ils
tiennent la place ici-bas. C'est ce qui explique le principe, que nous
établissions tout à l'heure, que c'est au
collège épiscopal qu'appartient, en
propre et de droit divin, l'exercice du magistère ordinaire
de l'Eglise.
Mais
ce qu'ils ont en propre, les évêques qui forment
l'Église enseignante, peuvent
le communiquer, dans une certaine mesure, aux membres de
l'Église enseignée[7]
; de même que l'âme met quelque chose de sa vie
dans les organes de nos sens.
Pour
laisser les figures, Jésus-Christ ayant transmis sa mission
à des hommes vivants,
leur a donné la faculté de la remplir, en hommes
vivants, c'est-à-dire par des
actes dus à leur propre initiative. Il les assiste sans
aucun doute et assure
ainsi l'accomplissement de leur ministère ; mais cette
assistance ne leur ôte
point le choix des moyens dont ils jugent à propos
de s'aider ; elle leur
laisse même la liberté de prendre ces moyens non
seulement dans l'ordre
surnaturel, mais encore dans l'ordre naturel ; car tout est fait pour
les élus
et pour Jésus-Christ.
Et
en effet, puisque les pasteurs divinement constitués ont
fait servir, comme
nous le verrons plus loin, les données des sciences humaines
au développement
de la doctrine chrétienne, pourquoi n'auraient-ils pas
cherché des coopérateurs,
dans les membres de l'Eglise enseignée qui sont leurs
enfants ? Ils l'ont fait.
Ils se sont donné des aides, en confiant aux
prêtres et aux clercs des
fonctions ecclésiastiques ; ils acceptent des auxiliaires
qui s'offrent à eux
dans les rangs des laïques.
Jésus-Christ
les a établis Ses ministres, et ils sont pasteurs de
l'Église, en vertu d'une
institution divine. Ils se constituent un clergé et
s'y donnent des
lieutenants qui sont aussi pasteurs dans I'Eglise, mais en vertu d'une
institution ecclésiastique. Ces ministres
inférieurs reçoivent une part de
l'autorité du Pape et des évêques ;
mais, quelque large que cette part leur
soit faite, ils restent toujours des instruments du corps
épiscopal et
n'exercent pas un ministère institué
directement par Jésus-Christ. Il en
résulte qu'ils enseignent, mais au nom et en la place des
évêques, sans faire
partie de l'Église enseignante et sans posséder,
par eux-mêmes,
l'infaillibilité promise au Pontife et aux successeurs des
apôtres.
Cette
participation aux attributions du Saint-Siège et du
collège apostolique est
accordée de diverses manières et par diverses
institutions.
On
sait que ces attributions sont multiples, qu'elles sont doctrinales,
législatives, judiciaires. Or le Pape et les
évêques peuvent les communiquer
toutes, dans une mesure marquée, à une
même personne, tout en bornant pour elle
l'exercice de ces attributions à un territoire restreint.
C'est de cette
manière que l'autorité du Souverain Pontife a
été partagée entre les
patriarches et les métropolitains et que celle des
évêques de chaque diocèse
est transmise aux curés.
Il
arrive aussi que le Souverain Pontife et les
évêques ne communiquent que l'un
ou l'autre de leurs pouvoirs, par exemple celui de juger un certain
genre de
causes, mais sans borner à un territoire restreint
l'exercice de cette
juridiction partielle. C'est de cette seconde manière que le
successeur de
saint Pierre partage ses nombreuses charges entre les
congrégations romaines
dont l'autorité s'étend sur tout l'univers. On
peut, je crois, faire rentrer
aussi dans la même catégorie la mission
d'étudier et d'aider à étudier la
vraie doctrine, que les universités catholiques
reçoivent du Souverain Pontife.
Ces
diverses communications de l'autorité du
Saint-Siège et de l'épiscopat ont reçu
de la stabilité quand les besoins de l'église le
demandaient ; elles se sont
donc transformées, assez souvent, en institutions
permanentes. Le corps épiscopal
s'est ainsi donné, pour l'accomplissement de sa mission, des
instruments
organisés et vivants ; pourquoi ne dirai-je pas,
après les explications qu'on
vient de lire, qu'il s'est créé des organes qui
participent à sa vie ?
Du
reste, outre ces organes permanents, il en est de transitoires qui
doivent leur
existence éphémère à des
délégations diverses de la puissance
spirituelle.
Enfin, outre les instruments que les évêques se
créent, il s'offre à eux des
auxiliaires qui les aident à remplir leur mission,
sans sortir de la
dépendance qui leur est due et sans néanmoins
avoir reçu d'eux aucun ministère.
Tels sont les écrivains qui soumettent leurs ouvrages
à l'approbation
ecclésiastique, tels sont encore les
laïques, qui, sans être chargés
d'instruire leurs frères des vérités
de la religion, le font avec l'approbation
expresse ou légitimement
présumée des pasteurs ; tels sont les parents qui
élèvent leurs enfants dans les principes de la
foi catholique et les maîtres
qui contribuent à l'éducation
chrétienne de la jeunesse.
Tous
ces aides concourent à I'œuvre de
l'Église enseignante, tous sont les
instruments plus on moins autorisés de son
magistère quotidien. Chacun d'eux,
en effet, exprime à sa manière la doctrine de
l'Église et la multitude de ces
instruments fait qu'on entend partout comme un retentissement
de cette doctrine.
Le
magistère ordinaire et universel de l'Église,
encore qu'il soit tout entier
sous l'action du corps épiscopal, est donc formé
par le concert d'un nombre
infini de voix qui s'élèvent sans cesse d'un bout
à l'autre de l'univers. C'est
comme le bruit du vaste océan, où le murmure des
moindres flots se mêle au
fracas des grandes vagues. Mais, tandis qu'il ne sort du sein de la mer
que des
mugissements confus, toutes les voix que nous entendons dans
l'Église se font
les instruments du magistère de l'épiscopat : ce
sont comme des échos vivants
ou, suivant la belle comparaison de saint Ignace, martyr (ad
Ephes.), comme les cordes d'une lyre qui s'harmonisent sans
cesse avec la voix du Souverain Pontife et des
évêques ; car un organe
n'exerce aucune fonction que sous l'influence du principe vital et un
instrument n'agit que sous l'impulsion de celui qui l'emploie.
Les
considérations qui précèdent seraient
incomplètes, si nous n'ajoutions que
cette harmonie est garantie non seulement par les excellentes
dispositions des
prêtres et des fidèles, mais encore par les
promesses de Jésus-Christ.
En
effet le Sauveur ne s'est pas contenté d'assurer
l'infaillibilité aux
successeurs de saint Pierre et des Apôtres, il s'est encore
engagé à maintenir,
dans le sein de Son Église, une perpétuelle et
indissoluble unité et à
préserver la foi de ses membres de toute
altération. Cette Église restera donc
toujours unie au successeur de Pierre, sur lequel elle s'appuie comme
un
édifice sur ses fondations, et les efforts de l'enfer ne
pourront la détruire,
ni ébranler ses croyances. Super
hanc
petram ædificabo Ecclesiam meam et portæ inferi non
prævalebunt adversus eam.
En vertu de ces promesses renouvelées à
plusieurs reprises, la foi des fidèles
est infaillible comme l'enseignement des pasteurs, et on n'a pas
à craindre le
moindre désaccord entre cette foi et cet enseignement. Aussi
est-ce un principe
admis en théologie, que la foi de tout le peuple
chrétien est toujours conforme
à la doctrine de l'épiscopat qui est celle de
Jésus-Christ.
C'est
donc Dieu Lui-même qui
garde la foi des fidèles, en la maintenant d'accord avec
l'enseignement des premiers
pasteurs : c'est Lui qui garantit la docilité des
instruments que le magistère
ordinaire se donne et la fidélité des
échos qu'il trouve dans les membres de
l'Église qui n'appartiennent pas au collège
épiscopal.
Aussi
pour connaître les enseignements du magistère
ordinaire, n'est-il pas
nécessaire de prêter l'oreille à toutes
les voix qui lui servent d'organes ou
qui lui font écho ; il suffit qu'on se rende compte soit de
la doctrine du
corps épiscopal dispersé, soit de la foi de
l'ensemble des fidèles ; il suffit
même assez souvent de les étudier dans une de
leurs manifestations.
En
effet, dans un être vivant, tous les membres et tous les
organes s'harmonisent
si parfaitement, qu'un seul d'entre eux, quand il est important, suffit
à un
naturaliste exercé pour reconstituer tous les autres. Il en
est de même du magistère
ordinaire de l'Église.
Ainsi
la doctrine constante et universelle des saints Pères ou des
théologiens, sur
laquelle nous aurons à revenir, permet, à elle
seule, de connaître les
enseignements de ce magistère, comme Pie IX le faisait
entendre clairement dans
la lettre à l'archevêque de Munich que nous avons
déjà citée[8].
Les
paroles des martyrs relatées dans leurs actes, les
inscriptions placées sur
leurs tombeaux, les divers monuments dans lesquels la foi du peuple
chrétien
s'exprime pourront aussi manifester les croyances de
l'Église universelle.
Mais
on les trouvera plus sûrement encore dans les symboles de foi
admis par toute
la catholicité, je veux dire ceux des Apôtres, de
Nicée et de saint Athanase,
dans les professions de foi imposées à tous ceux
qui doivent exercer un ministère
ecclésiastique, enfin dans le
Catéchisme
du Concile de Trente et dans l'ensemble des
catéchismes diocésains,
rédigés
pour guider le clergé des paroisses dans l'instruction
quotidienne des fidèles.
Ce sont en effet des documents où les Apôtres et
leurs successeurs ont formulé,
pour les fidèles des règles de foi, et, pour les
pasteurs des règles d'enseignement,
à l'aide desquelles se maintient l'unité de la
doctrine. Nous verrons mieux
d'ailleurs le rôle de ces formules doctrinales, en
étudiant comment le
magistère ordinaire s'exprime.
III.
COMMENT LE MAGISTÈRE ORDINAIRE DE L'ÉGLISE
S'EXPRIME.
Si
les actes du magistère ordinaire de l'Église
forment un ensemble complexe et
varié, à raison de la multitude et de
l'autorité inégale de ceux qui lui
servent d'organes ou d'instruments, cette variété
est plus frappante quand on
considère les manières diverses dont ces organes
s'expriment. Tantôt l'Église
parle expressément, elle nous présente sa
doctrine mélangée ou non à d'autres
éléments ; tantôt elle agit ou trace la
voie que ses enfants doivent suivre, et
ses actes deviennent un enseignement implicite ; le plus
souvent même, elle se
tait et, en nous laissant parler et agir conformément
à ses enseignements antérieurs et aux
règles qu'elle
a posées,
elle exerce un
magistère tacite qui confirme les actes de son
magistère exprès et de son
magistère implicite.
Nous
allons étudier rapidement ces trois sortes d'enseignements,
en nous arrêtant
davantage au premier que nous avons appelé exprès.
Il peut être donné dans des jugements solennels ou
par le magistère ordinaire.
Les définitions solennelles ont pour but de
déterminer nettement un point de
doctrine qu'elles imposent à notre adhésion.
Aussi le dégagent-elles de tout
élément étranger et indiquent-elles
d'ordinaire à quel titre il est
obligatoire, comme on peut le voir par les canons du concile de Trente.
Quand
le magistère de l'Église dispersée
veut atteindre la même fin et qu'il s'exerce
sur des vérités complètement
élucidées, il s'exprime de la même
manière et
emprunte les formules des définitions solennelles qui ont
été portées sur la
matière, ou d'autres formules semblables ; mais le plus
souvent il n'en est
point ainsi.
Du
moment que le magistère ordinaire s'exerce partout et
toujours, qu'il parle par
la bouche du missionnaire qui annonce l'Évangile
à ceux qui ont été
élevés
dans les fausses religions, par la bouche du catéchiste qui
l'explique aux enfants
du peuple, par celle du théologien qui fait la
synthèse des vérités
révélées,
par celle de l'apologiste qui montre l'accord du christianisme
avec toutes les
sciences à mesure qu'elles se développent, du
moment qu'il s'adresse à tous les
temps, à tous les pays, à toutes les conditions,
qu'il s'accommode à toutes les
civilisations, qu'il répond à toutes les
préoccupations et à tous les besoins,
élevant l'incrédule de la connaissance du monde
sensible à la science de Dieu,
conduisant le fidèle de la connaissance des
principales vérités de la foi à
une intelligence plus haute de la création,
imprimant sa puissante empreinte
sur tout ce qui a quelque rapport avec
L'Église
gardienne de la doctrine empêche ce qui est
mêlé de se confondre. Par ses
Souverains Pontifes, par ses évêques, par ses
théologiens, par ses
prédicateurs, elle fait discerner le sacré du
profane, ce qui est de foi et ce
qui est certain de ce qui est opinion, ce qui est obligatoire de ce qui
est
libre ; mais ce discernement n'est pas toujours fait
nettement, ni toujours
facile à faire ; car, dans l'exposition d'une
vérité, combien de fois n'est-il
pas impossible de marquer la séparation entre ce qui est le
fond et ce qui
n'est que l'enveloppe, entre ce qui est le principe et ce qui n'en est
qu'une
application.
On
trouve, du reste, dans les enseignements de l'Église des
éléments d'origine
humaine qui forment corps avec la doctrine divine.
Le
magistère infaillible est, en effet, un organisme vivant,
divinement constitué
pour se développer au milieu de toutes les civilisations et
qui a reçu la
puissance de s'incorporer tout ce qui est vrai et juste. De
même que les
évêques se créent, dans les
prêtres choisis du milieu du peuple, des organes
qui facilitent l'accomplissement de leur mission, de même,
par l'action libre
de ceux qui enseignent et sous l'assistance du Saint-Esprit, la science
sacrée
s'assimile les matériaux qui lui sont fournis par
les sciences profanes et en
forme comme les canaux dans lesquels circule la sève de la
doctrine révélée.
C'est ainsi que la plante crée et renouvelle les
différents tissus qui la constituent.
Il
suffit de rappeler ici que les conclusions théologiques sont
déduites des
dogmes divins, à l'aide de principes de raison, et
qu'elles se développent,
comme autant de branches et de rameaux nés du tronc de
On
ne peut nous faire saisir aucune doctrine sans le secours du langage
dans
lequel il faut en quelque sorte l'incarner, et le langage qu'on nous
parlera
devra être composé
d'éléments d'autant plus conformes à
nos conceptions
habituelles, qu'on voudra mettre à la portée
d'intelligences bornées des
vérités qui sont davantage au-dessus d'elles.
Aussi
Dieu semble-t-il s'attribuer, dans l'Ancien Testament, le corps et les
passions
des hommes, afin de faire comprendre aux Israélites
Sa
conduite et Ses
sentiments. De même, quand il fallut exprimer, dans le
Nouveau
Testament, des
mystères qui dépassent de si haut les conceptions
humaines, l'apôtre saint Paul
se créa un langage fait d'images et de comparaisons qui
pussent
faire entrer
ces pensées divines dans l'esprit des plus humbles
chrétiens. Le magistère ordinaire
ne pouvait agir autrement. Dans l'Eglise, ceux qui enseignent la
doctrine
révélée d'une façon
scientifique ne
craignent pas d'employer des théories et
des méthodes qui ont été
perfectionnées par
les philosophes, pendant que les catéchistes,
les prédicateurs et les auteurs qui ne s'adressent pas aux
savants la mettent,
à l'exemple de Jésus-Christ, sous forme de
paraboles.
Saint Thomas aurait-il pu
nous laisser une aussi admirable synthèse de la
théologie, s'il n'eût connu la
philosophie d'Aristote et n'y eût trouvé une foule
de
cadres et de vues
générales qui semblaient attendre qu'on les
appliquât à l'exposé de la
doctrine chrétienne ? Saint François de Sales
n'a-t-il
pas pris à la science de
son temps ces comparaisons charmantes qui font comprendre et
aimer
la vie
dévote aux hommes du monde ?
Le
magistère ordinaire diversifie donc ses enseignements
presque à l'infini, afin
de s'accommoder à tous nos besoins. Mais comment
l'unité de la doctrine
chrétienne se conserve-t-elle, dans une telle
variété et au milieu de tant
d'éléments qui tendent à
l'altérer ? C'est ce qui nous reste à chercher.
On
peut répondre, sans doute, que cette unité est la
conséquence de
l'infaillibilité promise à l'Église et
à ceux qui la gouvernent ; mais, puisque
cette infaillibilité est sauvegardée par
l'assistance du Saint-Esprit et non
par des miracles ou des révélations sans cesse
renouvelés, puisque cette
assistance laisse à leur libre action tous les moyens que le
magistère
ordinaire possède pour élaborer et promulguer ses
enseignements, il y a lieu
d'examiner quels sont les principes d'uniformité qui, dans
l'exercice de ce
magistère, contrebalancent les causes de
diversité qui nous frappaient tout à
l'heure.
Si
nous considérions le grand nombre de personnes qui exercent
le ministère de la
parole nous montrerions que l'harmonie est maintenue entre elles par
l'autorité
de l'Épiscopat et par celle du Souverain Pontife ; c'est, du
reste, un point
auquel nous avons déjà touché et sur
lequel nous nous proposons de revenir aux
§§ V et VI, mais ici c'est du
développement et de la forme des enseignements
du magistère ordinaire que nous nous occupons.
Après avoir remarqué ce qui rend
ces enseignements si variés et si mobiles, nous allons donc
étudier, au même
point de vue, ce qu'ils contiennent d'uniforme et de constant.
Ce
qu'ils renferment partout et toujours, c'est évidemment ce
que l'Église
universelle regarde comme obligatoire, qu'il s'agisse du fond des
doctrines ou
des formules qui les expriment. Or, ce que l'Église
universelle regarde comme
obligatoire a été proposé
comme tel dès les temps apostoliques ou dans le
cours des siècles suivants. On comprend que les
prescriptions des apôtres
soient respectées dans les Églises qu'ils ont
établies et dans toutes celles
qui en sont sorties ; on comprend également qu'on s'incline
partout devant les
décisions expresses des conciles
œcuméniques et des Souverains Pontifes ;
mais
ce que nous avons à rechercher c'est comment le
magistère ordinaire a pu mettre
en circulation, introduire dans toutes les Églises
et rendre obligatoires des
croyances auxquelles jusque-là on était libre de
se rallier. Cette recherche
offre d'autant plus d'intérêt que la plupart des
définitions solennelles ont
été préparées par la
même action mystérieuse, qui, avant le jugement du
Saint-Siège ou du Concile, avait fait accepter par toute
l'Eglise les doctrines
ou les formules qui y sont promulguées.
Nous
avons vu les divergences qui tendent à se produire, soit
entre les formules
nombreuses dans lesquelles on essaye de faire entrer les
doctrines qui ne sont
pas encore entièrement élucidées ni,
à plus forte raison, définies, soit entre
les multiples expositions des doctrines les mieux éclaircies
; mais ce que nous
n'avons pas remarqué c'est qu'il y a, en même
temps, entre elles comme une
lutte pour la vie, par l'effet de laquelle les formules
défectueuses et les
expositions imparfaites disparaissent, pour laisser peu à
peu le terrain aux
formules exactes et aux expositions heureuses.
Il
est facile d'étudier, dans les écrits des
premiers siècles, la manière dont
certaines formules sur
Il n'est pas difficile de voir que cette lutte pour la vie se produit non seulement entre les formules courtes et précises qui composent nos symboles de foi et nos catéchismes, mais encore entre les ouvrages de longue haleine. Les traités où l'Église ne trouve pas sa doctrine exposée avec exactitude, clarté et netteté disparaissent ou ne sont pas employés ; au contraire, les écrits remarquables restent, se répandent dans toutes les mains, et les pasteurs y reconnaissent l'expression fidèle des enseignements du christianisme.
C'est
ainsi que les saints Pères et les Docteurs de
l'Église sont devenus les témoins
et les organes immortels de ces enseignements. Que faut-il en effet,
d'après
les théologiens, pour mériter le titre de Père
de I'Eglise et jouir de l'autorité
doctrinale
qui y est attachée ?
Quatre
conditions : une grande sainteté, une haute
antiquité, une doctrine éminente et
la sanction de l'Église.
Or,
ce sont précisément les conditions qui devaient
donner l'immortalité et
l'autorité aux écrits des saints
Pères, dans ce concours toujours ouvert dont
nous parlions tout à l'heure. En effet, ce qui est requis,
pour survivre à la
multitude des ouvrages qui disparaissent et tombent dans l'oubli, c'est
une
doctrine pure, exposée d'une manière
supérieure et qui reçoive l'assentiment
de l'Église. Or, les saints Pères avaient une
science théologique éminente,
c'est-à-dire le moyen de reconnaître la foi de
l'Église et de la présenter dans
toute sa pureté et sous son vrai jour ; ils avaient la
sainteté, par conséquent
un attachement inviolable aux vérités
révélées et une profonde horreur pour
tout ce qui en aurait terni la pureté ; plusieurs ont subi
le martyre plutôt
que de renier la foi, tous auraient mieux aimé mourir que
d'en altérer
l'intégrité. A ces avantages, ils ont joint celui
de leur antiquité : ils ont
vécu au temps où le dogme commençait
à se développer et ils se sont
appliqués à
l'exposer avec exactitude et à le défendre contre
les hérésies, plutôt qu'à
dérouler, comme les théologiens l'ont
fait depuis lors, la chaîne des
conséquences qu'il renferme. C'est pour cela que, dans sa
lutte contre les grandes
hérésies, l'Église tout
entière s'est rangée derrière les
Athanase, les Hilaire
et les Augustin, comme derrière les
représentants de l'orthodoxie ; c'est pour
cela qu'elle n'a cessé de faire usage de leurs
écrits et de professer une
entière confiance en leur orthodoxie par la bouche de ses
Souverains Pontifes,
de ses évêques et de ses théologiens.
Les
Docteurs de l'Église qui ont vécu depuis le
douzième siècle, ceux surtout dont
la doctrine a été plus spécialement
recommandée par les successeurs de saint
Pierre et qui jouissent d'une grande autorité dans les
écoles catholiques,
comme saint Thomas d'Aquin, peuvent être assimilés
aux
saints Pères ; car s'ils
n'ont pas ce titre, c'est seulement à cause de
l'époque
où ils sont nés. Ils
sont venus après les saints Pères : ils ont
vécu
au temps où la philosophie humaine,
davantage étudiée, offrait ses cadres
à
l'exposition de la vérité
révélée ;
mais ils se sont attachés à ne rien
enseigner qui ne
fût conforme à la
tradition, et, en cherchant les moyens d'exposer la doctrine catholique
avec
plus d'enchaînement et de précision, ils
ont
sauvegardé la pureté de cette
doctrine et distingué les dogmes de foi et les
vérités certaines des opinions
livrées aux discussions des hommes.
Enfin,
nos grands théologiens participent à
l'autorité des saints Pères et des
Docteurs de l'Église, dans la mesure où ils se
rapprochent d'eux par leur
attachement à la tradition, par leur doctrine et par la
confiance qu'ils
inspirent aux pasteurs et aux fidèles.
Le
soin avec lequel tous ces écrivains
vénérables ont exposé la foi de
l'Église et
l'approbation qu'ils ont reçue d'elle font que leurs
écrits doivent être
regardés comme exprimant les enseignements de son
magistère ordinaire.
Néanmoins, il y a lieu de remarquer que ce n'est pas
à chacune de leurs
affirmations prise isolément, mais plutôt
à l'ensemble de leur enseignement,
que cette autorité est accordée.
Il
en résulte qu'une proposition isolée
empruntée à un saint Père n'est point
considérée comme l'enseignement certain du
magistère ordinaire, si elle ne se
retrouve dans le plus grand nombre des autres Pères ou des
théologiens.
Mais
quand un point de doctrine est admis unanimement, ou à peu
près, par l'ensemble
des Pères de l'Église ou des
théologiens
autorisés, c'est un signe indubitable
qu'il fait partie des vérités
révélées, enseignées par le
magistère ordinaire.
En effet s'il en était autrement, comment aurait-il obtenu,
pendant une si
longue suite de siècles, l'assentiment de tous les
témoins autorisés de ce
magistère, de préférence à
tant d'opinions
qui ont disparu ou qui n'ont obtenu
que l'adhésion de quelques auteurs ? Comment aurait-il
été présenté par eux
tous, non pas comme une assertion plus ou moins bien
prouvée,
mais comme un
point de doctrine, c'est-à-dire comme un point
enseigné
par l'Église ? Aussi
doit-on regarder comme doctrine certaine et accepter comme exacte toute
formule
dogmatique qui a pour elle cet accord constant et unanime.
On
pourrait citer un grand nombre de déclarations où
le Souverain Pontife et les
Conciles reconnaissent cette autorité sans appel et par
conséquent infaillible
des saints Pères[9]
ou
des théologiens[10].
Il
suffit de rappeler les prescriptions du Concile de Trente et de celui
du
Vatican, qui imposent d'interpréter l'Ecriture sainte
«dans les matières de foi
et de mœurs qui appartiennent à
l'édification de la doctrine chrétienne
d'après
le consentement unanime des Pères», et qui
n'attribuent pas à ce consentement
une moindre autorité qu'aux jugements de l'Église
elle-même[11],
ainsi que la lettre du 21 Déc. 1863, où Pie IX
dit qu'on est obligé de croire
ce que les théologiens catholiques enseignent unanimement et
constamment comme
appartenant à la foi[12].
On
voit qu'à côté des causes de
divergences et de variations, le magistère
ordinaire possède des moyens pour maintenir
l'unité et la pureté de ses
enseignements exprès. On s'explique donc qu'avec
l'assistance du Saint-Esprit,
l'Église ne soit pas moins infaillible dans son
magistère quotidien que dans
ses jugements solennels.
Mais
ce magistère, qui s'exerce par l'enseignement
exprès des vérités
révélées et
des doctrines qui s'y rattachent, s'exprime encore, d'une
manière infaillible,
quoique implicite, par la discipline et le culte de l'Église
et par la conduite
des pasteurs et des fidèles. C'est une
vérité admise par tous les théologiens
et qu'il est inutile de démontrer en ce moment.
Pour nous en rendre compte, il
faut nous souvenir que la
doctrine, le culte et la discipline de l'Église sont comme
les divers organes
d'un même corps et qu'ils se prêtent un aide
mutuel, sous l'action du Souverain
Pontife et du collège épiscopal. De
même que, dans le corps humain, le sang,
les muscles, les os, les nerfs remplissent des fonctions qui se
supposent
réciproquement et se complètent, de sorte que le
sang ne pourrait se former ni
circuler sans le concours des muscles, des nerfs et des os, et que les
muscles,
les nerfs et les os dépériraient bien vite si le
sang discontinuait de les
nourrir ; ainsi, dans le corps mystique de Jésus-Christ, la
doctrine et la foi
se gardent, grâce à la morale, à la
discipline et au culte, sans lesquels les
enseignements révélés cesseraient vite
d'être prêchés, crus et
respectés, et
réciproquement la morale, la discipline et le culte ont,
pour première règle,
la doctrine révélée. Aussi aucun de
ces organismes ne peut-il être en
souffrance, sans que tous les autres en subissent le contrecoup, et,
pour
sauvegarder l'infaillibilité du magistère
apostolique, il faut que l'assistance
du Saint-Esprit s'étende à la
législation ecclésiastique. En
conséquence, la
doctrine chrétienne se manifeste par la discipline et la
liturgie, en même
temps que par les enseignements exprès de
l'Église.
C'est,
sans doute, à cause de la connexion étroite de
tous ces organismes qui donnent
naissance aux diverses attributions de l'autorité
ecclésiastique, que
Jésus-Christ n'a pas divisé ces attributions
entre les chefs de Son Église,
comme on partage aujourd'hui les attributions du pouvoir civil entre
plusieurs
personnes dont les unes ont le pouvoir législatif, les
autres le pouvoir
judiciaire ou le pouvoir administratif. Il a donné toutes
les fonctions de
l'autorité ecclésiastique à tous les
membres du corps épiscopal. Le Souverain
Pontife et les évêques sont à la fois
prêtres, docteurs, législateurs et juges,
et leurs actes de prêtres, de législateurs et de
juges nous manifestent la
doctrine que nous devons croire, moins explicitement
peut-être, mais non moins
réellement que ceux où ils remplissent
principalement leur ministère de
docteurs.
Il
y a plus. Tous ceux
qui ont reçu un ministère du pape ou des
évêques deviennent les instruments de
leur magistère. Nous avons déjà vu
comment l'autorité du corps épiscopal est
communiquée et se partage entre des ministres
inférieurs. Une partie de ces
ministres d'institution ecclésiastique participent,
disions-nous, à toutes les
attributions de la puissance pontificale ; mais les autres n'en
reçoivent qu'un
département ; le pape, entouré de ses diverses
congrégations de cardinaux,
ressemble au chef d'Etat moderne entouré de son ministre de
la justice, de son
ministre de la guerre et de ses autres ministres. Or, alors
même que les
auxiliaires du pape ou ceux des évêques ne sont
pas chargés de l'enseignement,
comme ils agissent dans la dépendance du Souverain Pontife
ou des évêques qui
sont en même temps docteurs et
législateurs, tout ce qu'ils font entre, pour
sa part, dans l'exercice du magistère implicite. Le
magistère quotidien du Souverain
Pontife agit donc, d'une certaine manière , non seulement
par les décisions
doctrinales de
Toutes
les fonctions de la vie surnaturelle qui s'exercent dans le corps
mystique de
Jésus-Christ, sous l'action du gouvernement des
pasteurs légitimes, deviennent
donc des manifestations permanentes de la doctrine du Sauveur.
Aussi
l'Église est-elle sainte : malgré les fautes
personnelles de ses enfants et
même de ses pasteurs, sa conduite à travers les
âges est un enseignement
semblable à celui des exemples de Jésus-Christ ;
car le Sauveur vit toujours
dans le corps mystique dont Il est la tête.
Cet
enseignement est sous nos yeux, dans toutes les œuvres de
l'Église, dans sa
discipline, sa liturgie, ses institutions, ses ordres religieux, ses
temples et
ses monuments, dans les dévotions et les pratiques de
charité, de zèle ou de
piété de ses enfants, dans son histoire, dans la
vie des saints qu'elle place
sur ses autels, dans la vie des plus humbles chrétiens qui
sont dociles à sa
voix, dans la civilisation, les mœurs, la langue, les arts
des peuples dont
elle a fait l'éducation.
On
voit que chaque génération ajoute quelque chose
à la chaîne ininterrompue des
enseignements exprès ou implicites qui manifestent
la doctrine de l'Église.
Ainsi s'augmentent sans cesse les documents d'origines diverses qui
expriment
cette doctrine. C'est un capital placé aux mains de
l'Église et qu'elle accroît
sans relâche par les enseignements exprès de ses
jugements solennels et de son
magistère ordinaire, aussi bien que par les lois qu'elle
porte, et par la conduite
qu'elle tient. Ce capital est formé principalement du canon
des saintes
Écritures, des définitions doctrinales, des lois
disciplinaires, des règles de
la liturgie, aussi bien que des ouvrages des Pères, des
théologiens et des autres
écrivains ecclésiastiques ; mais c'est sous la
garde du magistère ordinaire de
l'Église que ce trésor de famille est
placé. Elle le conserve avec un soin
jaloux, empêchant que personne ne remette en question les
points décidés ou
définis. Elle modifie sa discipline selon les temps et les
besoins, mais ne
permet pas qu'on mette en doute la légitimité des
lois générales qu'elle a
portées. Elle fait respecter tous ces monuments
vénérables et veille à ce qu'il
n'en périsse aucune partie. C'est aussi l'Église
qui les interprète
continuellement par la bouche des Souverains Pontifes, des
évêques et de tous
ceux à qui ils ont donné ce ministère.
Il
faut donc ajouter à ce que nous avons dit des enseignements
exprès et des
enseignements implicites du magistère ordinaire qu'il peut,
à chaque instant,
renouveler tous ces enseignements et, en outre, tous ceux qui sont
exprimés
dans nos livres saints et dans les définitions des papes ou
des conciles.
Mais
voici une observation sur laquelle j'appelle l'attention du lecteur. Le
magistère ordinaire de l'ÉgIise fait fructifier
ces trésors et les offre à ses
enfants, non seulement quand il interprète la doctrine
renfermée dans ces
monuments des âges passés, mais encore quand il
est silencieux à leur sujet, et
il s'exerce ainsi d'une façon tacite.
L'Église,
en effet, a remis, à plusieurs reprises, ces monuments aux
mains des pasteurs
et des fidèles, comme des témoins authentiques de
sa doctrine. Or, comme l'Église est
infaillible
et qu'elle
ne peut
revenir sur ses décisions, tous ces
documents s'imposent sans cesse
à notre foi, de la même manière qu'une
loi une fois portée et promulguée par le
législateur s'impose pour toujours à
l'obéissance de ceux qui lui sont soumis.
On
admet, du reste, qu'en vertu des promesses de Jésus-Christ,
l'enseignement de
l'Église s'étend perpétuellement
à toutes
les vérités
révélées. Or, comment
cela peut-il se faire, sinon par ce magistère qui nous
impose
tacitement toutes
les doctrines qu'elle a une fois enseignées et qui se
trouvent
exprimées dans
les divers monuments quelle nous présente sans cesse comme
les
règles de notre
croyance et de notre conduite ? Le magistère ordinaire
s'exerce
donc par cet enseignement
tacite.
Les
enseignements exprès de l'Église ne se
comprendront même, le plus souvent,
qu'autant qu'elle nous les offrira comme encadrés dans
l'enseignement tacite
dont je viens d'expliquer la nature. En effet, prenons-y garde, les
jugements
doctrinaux portés depuis quatre siècles, sur
l'Immaculée Conception, sur la
grâce, sur les divers points niés par les
protestants, ces jugements, dis-je,
auraient-ils été compris, dans la forme
où l'Église les a exprimés, s'ils
avaient été promulgués au
dixième siècle, avant les travaux des
scolastiques,
ou au troisième siècle, avant ceux des
Pères de l'Église ? Non ! le dogme
n'aurait pas été assez
développé pour qu'on se rendît compte
du sens et de la
portée de la plupart de ces définitions. Si nous
saisissons ce sens et cette
portée, c'est parce que nous envisageons ces
définitions dans l'ensemble de la
doctrine catholique. L'Église nous propose donc certains
points de cette
doctrine d'une manière tacite, par le fait même
qu'elle nous en propose
d'autres d'une façon expresse ; les enseignements formels de
l'Église
renferment, si l'on veut, comme une promulgation tacite et nouvelle des
définitions et des affirmations antérieures qui
ont amené ces enseignements à
prendre leur forme actuelle.
On
peut donc, en se plaçant à ce point de vue,
considérer les documents doctrinaux
que l'Église tient en sa garde et propose à notre
croyance comme des organes de
son magistère ordinaire. Ces organes, elle se les forme par
la force vitale qui
lui est propre, ou plutôt elle les fait sortir comme autant
de rameaux de la
doctrine qu'elle a reçue des apôtres et elle les
étend sans cesse dans toutes
les directions. En effet, suivant la belle comparaison de saint Paul,
l'Église
est un corps animé qui vit et grandit ; or, elle vit et
grandit non seulement
par la multiplication de ses membres qui sont les
chrétiens, mais encore par
le développement des formules et des monuments qui
renferment sa doctrine. Les
pasteurs et les Docteurs sont venus, après les
apôtres, pour travailler à ce
développement, dedit pastores et
doctores
in ædificationem corporis Christi, et ils ont
ajouté des monuments
théologiques nouveaux à ceux que les
apôtres nous avaient laissés. Cet
accroissement se fait suivant un plan continu et selon la direction
donnée dès
l'origine, comme dans les êtres vivants. Chaque
génération ajoute, en effet,
quelque chose aux développements que la théologie
avait reçus des générations
passées, et les anciens monuments de la tradition sont comme
le tronc et les
branches mères d'où vient la sève qui
produit les monuments nouveaux. Comme,
d'autre part, la jeunesse de l'Église est
éternelle et que sa doctrine est
infaillible, la mort ni la corruption ne viennent jamais
détruire les rameaux
ni les tissus une fois formés. C'est ainsi que, chaque
année, une sève
vigoureuse façonne, dans le chêne
séculaire de la forêt, de nouvelles couches
ligneuses, qu'elle pousse de nouvelles branches et qu'elle se
crée, pour
l'avenir, de nouveaux canaux.
Le
magistère ordinaire
s'étend donc à toute la doctrine
chrétienne, il l'exprime par des
enseignements exprès, parmi lesquels les écrits
des Saints Pères et des
théologiens ont un rôle très
considérable ; il la manifeste aussi par des
enseignements implicites qui résultent principalement de la
discipline et de la
liturgie ; il l'affirme enfin par une proposition tacite de tout ce qui
a été
cru depuis le temps des apôtres et de tout ce qui est
renfermé dans l'Écriture
sainte et les monuments de la tradition.
IV.
OBLIGATIONS QUE LE MAGISTÈRE ORDINAIRE IMPOSE, EN
MATIÈRE DE DOCTRINE.
Nous
avons vu que le magistère ordinaire garde et
développe la doctrine chrétienne.
Il en résulte que la question que nous abordons peut
s'entendre de deux
manières.
On
peut se demander en effet :
1°
si la proposition du magistère ordinaire suffit
pour qu'une doctrine s'impose à notre adhésion ;
2°
si cette proposition a la force de rendre obligatoire
même un point librement controversé
jusque-là.
Ces
deux questions méritent d'être
examinées séparément.
La
première est d'ailleurs résolue très
nettement par les textes que nous avons
étudiés plus haut, en particulier par le Concile
du Vatican et par la lettre de
Pie IX à l'archevêque de Munich. Ces documents
montrent, en effet, que le magistère
ordinaire et universel jouit de la même
infaillibilité et de la même autorité
que les définitions solennelles.
Mais, de même que les
définitions ne sont infaillibles
qu'autant quelles ont été portées
par le Pape ou par un concile
œcuménique, pour proposer souverainement
à toute l'Eglise un point de
doctrine qu'elle doit
accepter, ainsi l'infaillibilité
n'est assurée au magistère ordinaire, qu'autant
qu'il enseigne une vérité,
comme proposée à la
croyance de l'Église par le Pape ou le corps
épiscopal dispersé, agissant en
vertu de leur pleine autorité.
Les
signes auxquels on
reconnaît une
doctrine enseignée infailliblement par le
magistère ordinaire et universel doivent
donc montrer que cette doctrine est proposée à la
croyance de l'Église par la
souveraine autorité du Pontife Romain ou du corps
épiscopal. On peut,
d'ailleurs, tirer cette conclusion du fait qu'une doctrine est crue et
regardée
comme obligatoire par l'ensemble des fidèles,
puisque leur foi est toujours
l'écho de l'enseignement des pasteurs. Encore que le
magistère ordinaire
s'étende à toute la doctrine de I'Eglise, il peut
arriver, du reste, qu'une
vérité obligatoire ne soit pas
enseignée expressément par la
majorité des
évêques, ni crue expressément par la
majorité des fidèles. Il est, en effet,
des points de doctrine certains et imposés comme tels,
même par des jugements
solennels, et qui sont au-dessus de la portée du
plus grand nombre des
laïques. Aussi serait-ce à tort qu'on chercherait
à se rendre compte de la foi
de l'Église sur ces points par la foi du peuple. Autant
vaudrait, dit, Melchior
Cano (De Locis theol., I. IV, c. VI,
ad 14), demander à un aveugle qu'il voie les couleurs. On ne
pourra non plus
s'en rendre compte par l'enseignement exprès que le corps
épiscopal formule
chaque jour, puisque cet enseignement s'adresse principalement au
peuple et
que, par suite, il porte le plus souvent sur les seules
vérités qui sont à sa
portée.
Est-ce
à dire que les matières dont l'intelligence exige
des études particulières
ne sont pas l'objet de l'enseignement
quotidien ? Ce serait tomber dans une grave
erreur que de le penser ; car ce magistère
s'étend à toute la doctrine de
l'Église, ainsi que nous l'avons remarqué
à plusieurs reprises. Le corps
épiscopal enseigne infailliblement et le peuple
fidèle accepte tous les points
obligatoires de la doctrine chrétienne ; mais les
principales vérités de la
foi, celles dont la connaissance est facile à tous, sont
enseignées
expressément par les évêques, pendant
que les vérités qui ne sont guère
comprises en dehors des écoles de théologie font
principalement l'objet de leur
enseignement tacite. En effet, si ces vérités
étudiées dans les écoles ont
été
l'objet de définitions solennelles, c'est du pape ou des
évêques, qui ont
porté, autrefois, ces définitions, et de leurs
successeurs qui continuent à les
affirmer tacitement, que l'enseignement de la théologie tire
son autorité. S'il
s'agit, au, contraire, de vérités sur lesquelles
le Pape ni les évêques ne se
sont jamais prononcés et qui, néanmoins,
sont certaines en vertu de l'accord
unanime des saints Pères ou des théologiens,
c'est encore des déclarations
réitérées du Pape, des conciles et de
l'épiscopat dispersé, que cet accord
unanime tire son autorité. Du reste, le peuple
chrétien, en acceptant tout ce
que l'Église enseigne, croit implicitement tout ce que le
collège des évêques
enseigne tacitement.
Il
résulte de ces observations que, si nous avons
rangé les saints Pères et les
théologiens parmi les instruments du magistère
exprès, quand nous étudions
comment ce magistère s'exprime, il convient plutôt
de les placer parmi les organes
du magistère tacite, quand on étudie leur
autorité. C'est ce que nous ferons
ici.
Nous
avons indiqué les principales manifestations de
l'enseignement exprès, de
l'enseignement implicite et de l'enseignement tacite du
magistère ordinaire.
Il nous suffira donc de montrer rapidement à quels signes on peut reconnaître
qu'ils expriment une doctrine imposée à
l'Église par le Souverain Pontife ou par le corps
épiscopal. Quand ces signes seront
réalisés, on sera en face d'un enseignement
infaillible auquel c'est une obligation
d'adhérer. Cette obligation pourra,
du reste, s'imposer sous peine
d'hérésie, d'erreur, de
témérité ou
d'impiété, suivant les
divers
cas.
Les
enseignements exprès du magistère quotidien se
trouvent surtout dans
les symboles,
dans les
professions de foi et dans les catéchismes.
Nous avons établi que les symboles et les professions de foi employés par I'Eglise universelle sont l'expression infaillible de son enseignement quotidien ; il suffit d'ajouter que tous les points qui y sont affirmés s'imposent, comme de foi catholique, et, par conséquent, sous peine d'hérésie. Tel est, en effet, le sentiment des pasteurs et des fidèles.
Le
catéchisme du Concile de Trente et les
catéchismes diocésains,
considérés dans
leur ensemble, expriment la doctrine des Souverains Pontifes
et des évêques
qui les ont fait rédiger ; ils manifestent, en
même temps, la croyance des fidèles,
puisqu'ils en sont la règle immédiate.
Comme ces catéchismes ont pour but d'exposer non ce qui est opinion, mais ce qui est la foi de tous, il faut regarder comme proposés à notre foi la plupart des points qu'ils s'accordent à enseigner sans restriction. On y trouve néanmoins l'affirmation de quelques opinions qui, tout en étant les plus probables, sont discutées par les théologiens. Les rédacteurs se sont arrêtés à ces affirmations, parce qu'il fallait bien choisir un sentiment, parce qu'ils ne pouvaient mettre les simples fidèles au courant d'une controverse au-dessus de leur portée, enfin parce qu'ils voulaient être brefs et éviter les longs développements.
Les
enseignements implicites et infaillibles du magistère
ordinaire nous sont
fournis par les pratiques
universelles de l'Église, par les liturgies,
dans ce qu'elles ont de
commun, et par les lois générales de
l'Église. Tous les actes
conformes à ces pratiques, à ces liturgies ou
à ces lois sont sanctionnés par
les dépositaires de l'infaillibilité ; ils ne
peuvent, par conséquent, être
mauvais, ni nous détourner du salut. Chaque fois donc, que
ces actes supposent
manifestement la vérité d'une doctrine,
il y a proposition implicite de cette
doctrine par l'Église. L'adoration de l'Eucharistie serait
un acte d'idolâtrie,
si Jésus-Christ n'était pas présent
dans l'hostie ; or, partout les fidèles
adorent l'Eucharistie que les prêtres et les
évêques offrent à leur adoration
; donc, par cette conduite, l'Église enseigne implicitement
le dogme de la présence
réelle, et cet enseignement est infaillible.
Si
la liaison d'un dogme avec une pratique universelle était
réelle, mais non
manifeste, on pourrait en conclure que ce dogme est vrai et qu'il est
renfermé
dans la tradition, mais non qu'il est proposé actuellement
à la foi explicite
des fidèles. Ainsi la fête de
Enfin,
s'il n'y a pas de liaison nécessaire entre la
légitimité d'une pratique et une
doctrine donnée, il est clair qu'on ne pourra pas invoquer
cette pratique comme
un signe indubitable que la doctrine est imposée par
l'Église. En voici un
exemple. Le culte rendu au Sacré-Cœur de
Notre-Seigneur se justifie et
s'explique sans qu'il soit besoin d'admettre que c'est le
cœur qui est l'organe
des passions dans l'homme ; aussi, en adorant le
Sacré-Cœur, l'Église
n'impose-t-elle aucune opinion sur cette dernière
question.
Les
usages universels de l'Église qui ont un but
marqué, comme les rites des
sacrements et du Saint Sacrifice, manifestent,
d'une autre manière, la foi infaillible
de l'Église. Celle-ci ne les emploie,
en effet, que parce qu'elle
croit à leur efficacité.
Il faut admettre, par exemple, que l'Église regarde la matière
et la forme
usitées dans l'administration
des divers sacrements comme capables d'en produire les effets,
et
qu'elle ne se trompe pas sur ce point.
Le
magistère tacite s'exprime, avons-nous dit, par tous les
documents dont
l'Église garde le dépôt et qu'elle ne
cesse de nous présenter revêtus de
l'autorité qu'elle leur a reconnue ou
conférée dans le courant des siècles.
C'est
cette proposition continue et silencieuse qui impose
perpétuellement à notre
acceptation les définitions solennelles et les diverses
manifestations de la
tradition. Mais les écrits des saints Pères et
des théologiens tirent plus
spécialement leur valeur de ce magistère tacite.
Nous
avons vu, en effet, que l'Église regarde comme certains tous
les points de
doctrine que les saints Pères ou les théologiens
sont unanimes à proclamer. Ces
points sont donc proposés, au moins tacitement, à
la foi des fidèles par les
dépositaires du magistère ordinaire ; ils sont,
par conséquent, infailliblement
vrais.
Cet
accord unanime des saints Pères ou des
théologiens suppose deux conditions.
-
La première, c'est qu'ils adhèrent à
la vérité en cause, parce qu'ils la regardent
comme enseignée par l'Église,
c'est-à-dire comme révélée
ou se rattachant à la
révélation. On l'exprime, d'ordinaire, en disant
qu'il faut que les saints
Pères où les théologiens parlent non
comme docteurs
privés, mais comme témoins de la tradition.
-
La seconde condition, c'est que cette vérité soit
enseignée par l'unanimitémorale
des saints Pères ou des théologiens,
c'est-à-dire par la plupart de
ceux qui ont eu à s'en occuper. D'ailleurs, s'il s'agissait
d'une question qui
n'a été élucidée
qu'à partir
d'une époque donnée, les saints Pères
ou les
théologiens qui ont vécu après cette
époque
entreraient seuls en ligne de
compte.
On
voit que ces deux conditions sont de telle nature, qu'elles doivent
s'apprécier
moralement. Aussi n'est-il pas toujours aisé de
décider si elles sont
remplies. Quand elles le sont certainement, où se trouve en
face d'un
enseignement qui appartient à la foi et auquel on est tenu
d'adhérer. Quand il
est évident qu'elles ne le sont pas, les opinions restent
libres. Néanmoins,
il y a obligation de respecter ou même d'admettre, sous peine
de témérité, un
enseignement des saints Pères ou des théologiens
qui se rapproche sensiblement
de l'accord unanime.
Ce
serait une tâche longue et difficile de fixer les limites
auxquelles commencent
ces diverses obligations. Je me contenterai de présenter ici
quelques
observations qui pourront aider à reconnaître si
les deux conditions qui
viennent d'être indiquées sont remplies.
Inutile
de dire que les saints Pères et les théologiens
n'ont pas d'autorité
particulière dans les questions
étrangères à la
révélation ou dans tout ce
qu'ils mélangent d'assertions purement profanes à
l'exposition de la doctrine
chrétienne. Aussi n'était-on pas tenu d'adopter
la théorie des quatre éléments,
alors que tous les Pères et les théologiens
l'admettaient. Il n'y a pas lieu,
non plus, de ranger au nombre des dogmes proposés
à notre foi les doctrines
religieuses que les saints Pères et les
théologiens considèrent comme n'étant
pas indiscutables, même dans le cas peu vraisemblable
où ils partageraient tous
sur ces doctrines la même opinion. Un tel accord serait en
effet le résultat de
leurs raisonnements et de leurs manières personnelles de
voir, plutôt que
l'effet de l'enseignement de l'Église. Comme, du reste, la
pensée des saints
Pères n'est pas toujours nettement indiquée, on
pourra quelquefois se demander
si un sentiment qu'ils s'accordent à embrasser est une
opinion libre dans
laquelle ils se rencontrent, ou une doctrine obligatoire. Voici ce que
dit
Melchior Cano à ce sujet : «Dans les questions qui
n'appartiennent pas du tout
à la foi (soit qu'elles touchent, soit qu'elles ne
touchent pas à la
religion), l'autorité de tous les saints Pères
est un argument probable, non
une preuve certaine[13]».
Mais Franzelin[14]
critique cette assertion. Ce principe ne doit pas, à son
avis, s'appliquer aux
matières qui touchent à la religion.
«Si l'on était certain, d'autre part,
dit-il, qu'une doctrine n'appartient pas à la foi, il
faudrait bien admettre
que les Pères qui l'ont admise unanimement exprimaient une
simple opinion ;
mais, comme ce qui est en cause est de savoir si cette
doctrine appartient à
la foi, il faut en juger par la manière dont les
pères la présentent, plutôt
que par l'opinion qu'on se serait formée à
l'avance sur la question». Cette
remarque de Franzelin paraît juste et elle doit servir de
règle.
Néanmoins,
il y a lieu, je crois, d'y ajouter une observation. Si les
Pères semblaient
affirmer unanimement une doctrine religieuse que l'Eglise a
laissé discuter
librement dans les siècles suivants, il faudrait penser que
les affirmations
des saints Pères exprimaient de simples opinions, et
qu'elles ne remplissaient
pas la première condition exigée pour
l'unanimité morale dans l'enseignement ;
car un dogme qui a été proposé
à la foi des fidèles ne peut jamais se
transformer ensuite en une opinion libre.
Quant
au nombre des saints Pères ou des théologiens
nécessaire pour former
l'unanimité morale, il est impossible à
déterminer ; mais il faudra qu'il soit
plus considérable, quand quelques théologiens
ordinairement orthodoxes auront
combattu expressément la doctrine enseignée par
leurs contemporains et par ceux
qui ont vécu avant eux. Si les
théologiens qui combattent cette doctrine sont
en assez grand nombre, ou d'une autorité
considérable, ce sera même une raison
suffisante pour nier que cette doctrine soit commune et obligatoire. En
effet,
pour qu'une vérité soit proposée
à notre foi par l'Eglise, il ne suffit pas
qu'elle se trouve réellement dans la tradition, il faut
encore qu'on le voie
clairement ; or, du moment que des théologiens graves et
orthodoxes ne le
voient pas, c'est un signe que le devoir d'accepter cette
vérité n'est pas
manifeste, et qu'elle n'est pas affirmée par
l'unanimité morale des auteurs.
Néanmoins,
il ne faudrait pas tirer cette conséquence de
négations qui auraient leur
source dans les préjugés ou dans l'ignorance.
En
1863, Pie IX rappela à certains théologiens
allemands que l'on doit donner sa
foi et son adhésion, non seulement aux
vérités imposées comme de foi par des
jugements solennels de l'Église, mais encore à
tous les points qu'elle déclare
certains et obligatoires par son magistère ordinaire et
universel.
Or,
n'aurait-on pas eu tort d'invoquer le sentiment de ces
théologiens, qui ne
regardaient comme certaines et obligatoires que les
vérités de foi catholique,
pour soutenir qu'aucune autre vérité ne pouvait
revendiquer en sa faveur l'enseignement
commun des théologiens. On sait, du reste, que les
écrivains d'Allemagne
n'étaient pas seuls dans ce sentiment; car bien des
livres publiés, même de
nos jours, sur les questions religieuses, admettent ou laissent penser
qu'il suffit
de rejeter tout ce qui est hérétique, pour
n'avoir rien à se reprocher du côté
de la foi.
Quelques
théologiens peuvent d'ailleurs être
portés à diminuer le nombre des
vérités
obligatoires par une tendance où le désir
d'ouvrir plus largement les portes de
l'Église aux aveugles qui se tiennent
éloignés d'elle a la plus grande part. En
face des hérétiques, des rationalistes et des
infidèles, les défenseurs de la
vérité se sont en effet, de tout temps, mais
aujourd'hui plus que jamais,
laissé dominer par des préoccupations
différentes qui les ont fait marcher dans
deux directions opposées.
Les uns cherchent, avant tout,
à prémunir les fidèles contre
les séductions de l'erreur et à sauvegarder
l'intégrité de la foi ; aussi
multiplieraient-ils volontiers le nombre des points que
l'Église a condamnés.
D'autres sont vivement
préoccupés du désir de faire accepter
la doctrine catholique par ceux qui la rejettent ; aussi, par une
tendance
contraire, voudraient-ils en faire disparaître tous les
points que les
incrédules ont peine à admettre, et
réduire les dogmes à une sorte de minimum.
Les besoins apparents et momentanés de l'apologétique portent aussi des écrivains fort dévoués à la religion à retrancher plusieurs vérités du catalogue de celles qui ont été proposées à notre foi par le magistère infaillible de l'Église. Ce sont des soldats qui, pour nous défendre, brûlent nos armes et nos trésors, dans la crainte que l'ennemi ne s'en serve contre nous. Il faut avoir suivi les péripéties de l'apologétique contemporaine, mise sans cesse en demeure de s'expliquer sur mille questions inattendues et mal connues, pour s'expliquer cette tendance, qui s'est manifestée dans notre siècle.
La
conclusion à tirer de ces observations, c'est qu'aujourd'hui
surtout, il y a
lieu d'examiner les raisons qui font nier à certains auteurs
qu'une doctrine
soit obligatoire, lorsqu'on doit appliquer la règle
générale que je posais :
savoir, que la négation de théologiens graves et
orthodoxes suffit à montrer
qu'une doctrine n'a pas été proposée
à notre foi par l'Église. Cette règle
est
vraie, mais quand il s'agit de vrais théologiens qui
connaissent bien les
règles de la foi et veulent les suivre.
Quand
une doctrine n'a point d'adversaires graves et autorisés,
les affirmations
d'une partie notable des saints Pères ou des
théologiens démontrent
suffisamment qu'elle a pour elle le consentement unanime de
l'Église. On sera
même en droit de supposer ce consentement unanime si quelques
auteurs qui ont
spécialement étudié la
matière, ou bien si des docteurs de l'Eglise d'un
mérite
exceptionnel, comme saint Augustin ou saint Thomas d'Aquin, insistent
sur
l'obligation d'admettre une vérité et la donnent
comme manifestement enseignée
par l'Eglise. On doit penser, en effet, que des docteurs d'une
si grande
autorité ne se méprennent pas sur des points
clairs et importants et que leur
sentiment est partagé par tous les auteurs orthodoxes. Du
reste, chaque fois
que le magistère ordinaire s'exerce dans les conditions que
nous avons
indiquées, ses enseignements, qu'ils soient
exprès, implicites ou tacites,
possèdent par eux-mêmes une autorité
égale à celle des définitions
solennelles.
Il
nous reste à examiner une autre question. Parmi les
vérités qui s'imposent à
notre adhésion, il en est qui, dès les origines
du Christianisme, ont été
proposées d'une manière explicite à la
foi des fidèles ; il en est d'autres qui
sont obligatoires, parce que, depuis lors, elles ont
été l'objet d'un jugement
solennel de l'Église. Le magistère ordinaire doit
imposer toutes ces vérités à
notre adhésion, car en cela il ne fait qu'affirmer une
obligation existante.
Mais ce magistère peut-il, par sa propre force, nous
créer de nouvelles
obligations en matière de doctrine, rendre certain un point
qui jusque-là était
douteux, ou bien rendre de foi catholique une
vérité qui était seulement
certaine ? Voilà la question qui se pose à nous.
Une
chose me frappe tout d'abord : c'est qu'en plusieurs circonstances solennelles,
l'Église s'est
conduite, comme si elle était incapable de
créer aucun dogme catholique
nouveau, autrement que par une définition
solennelle.
Je n'en citerai que deux exemples.
Les
Pères du Concile de Trente avaient
préparé un décret qui condamnait,
comme
hérétiques, ceux qui affirmeraient que les
mariages consommés sont dissous par
l'adultère. Alors les ambassadeurs de Venise firent observer
que ce décret
frapperait le sentiment soutenu par les Grecs et le rendrait
hérétique. Le
Concile céda à ces représentations et
formula ainsi sa définition : «Si quelqu'un dit que l'Église se trompe
en
enseignant, suivant la doctrine de l'Évangile et des
Apôtres, que le lien du
mariage ne peut être dissous à cause de
l'adultère de l'un des époux,... qu'il
soit anathème. Si quis dixerit
Ecclesiam errare, cum docuit et docet, juxta
evangelicam et apostolicam doctrinam, propter adulterium alterius
conjugum matrimonii
vinculum non posse dissolvi,... anathema sit».
(Conc. Trident. sess. 24, con. 7. - Cfr. Pallavicini, Histoire
du Concile de Trente, liv. XXII, chap. IV, n. 27-30). Ce décret
condamnait les luthériens, en définissant, comme de foi
catholique, que l'Église ne se
trompe pas dans son enseignement ; mais il
n'atteignait pas
directement les Grecs, puisqu'il ne définissait pas que
l'enseignement de
l'Église était de foi catholique. (Perrone. De
Immaculato B. V. Conc., part. II, cap. 7 ; - de
Matrimonio n. 134 et 148.)
Remarquons
qu'il s'agit ici d'un point de doctrine qui semble
immédiatement révélé,
puisque le Concile affirme sa conformité avec
l'Évangile et l'enseignement des
apôtres. Or, cela posé, ne nous trouvons-nous pas
en face du magistère ordinaire
et universel, qui enseigne un point de doctrine comme
révélé et qui ne fait pas
qu'il soit de foi catholique ? La conduite des Pères de
Trente ne
suppose-t-elle pas que la définition solennelle d'un Pape ou
d'un Concile est
nécessaire pour rendre une doctrine
hérétique ? En effet, la définition
directe de l'indissolubilité du mariage, que les
Pères ont abandonnée, dans la
crainte de ranger les Grecs au nombre des
hérétiques, exprimait uniquement ce
que les mêmes Pères regardent et
représentent comme l'enseignement ordinaire et
universel de l'Église. Si donc ils affirment, d'une part,
les enseignements du
magistère ordinaire de l'Église, sans craindre de
rendre les Grecs hérétiques,
et si, d'autre part, ils ne veulent pas formuler les mêmes
enseignements, dans
un décret conciliaire, pour n'en pas faire un dogme de foi
catholique,
n'est-ce pas que, dans leur pensée au moins, la proposition
d'une vérité par le
magistère ordinaire et universel de l'ÉgIise ne
suffit pas pour qu'elle
devienne de foi catholique et qu'il faut, pour cela, une définition
solennelle ?
J'emprunte
mon second exemple à l'histoire contemporaine.
L'Église universelle
n'admettait-elle pas unanimement l'Immaculée Conception de
En
présence de cet enseignement moralement unanime, comment
pouvait-on regarder
une définition solennelle, comme nécessaire pour
faire de l'Immaculée Conception
un dogme de foi catholique ? N'était-ce pas, en quelque
sorte, mettre en doute
l'autorité du magistère ordinaire et universel de
l'Église ? Si le Pape et les
évêques avaient cru ce
magistère capable de placer le privilège
de Marie au
nombre de ces dogmes, tout en désirant, pour la gloire de la
sainte Vierge, une
définition solennelle qui constaterait la foi de
l'Église, et sans partager le
sentiment, de quelques théologiens[18],
à qui «il paraissait
superflu de définir
une doctrine que personne ne contestait, que tout le monde professait»,
n'auraient-ils pas pensé, du moins, que la
définition de Pie lX n'était pas
nécessaire ?
J'aurais pu multiplier ces exemples ; car, le plus souvent, avant de promulguer des définitions sur les points qui jusque-là n'avaient pas été de foi catholique, les Souverains Pontifes et les Pères des conciles ont constaté que leur jugement solennel serait conforme à l'enseignement du magistère universel de l'Église. Mais les faits qui ont été rapportés suffisent pour faire saisir la difficulté que nous allons chercher à résoudre.
Remarquons
d'abord que, dans les exemples qui viennent d'être
cités, il s'agit de
définitions de foi catholique et non de décrets
qui condamneraient une
doctrine, en lui appliquant une note inférieure à
celle d'hérétique.
Je
prie aussi le lecteur d'observer qu'aucune doctrine ne peut être
déclarée de foi catholique, si
elle n'est révélée et si elle ne se
trouve dans la tradition. On
comprend donc que, pour connaître cette tradition
gardée tout entière par le
magistère ordinaire, les Souverains Pontifes consultent
l'Église dispersée,
avant de promulguer leurs jugements solennels[19].
Maintenant, le magistère ordinaire de cette Église dispersée pourrait-il, sans l'intervention d'aucun jugement solennel, transformer en dogme de foi une vérité révélée qui précédemment était regardée comme libre, ou rendre certain un point qui était douteux ? C'est ce que nous devons examiner.
Il ne faut pas oublier que le Concile
du Vatican range le magistère ordinaire
sur le même pied que les jugements solennels, sans faire
aucune distinction
entre les vérités qui en sont l'objet. Les
théologiens font de même[20].
C'est donc que le magistère ordinaire possède une
autorité suffisante pour
rendre de foi catholique une vérité qui
était seulement de foi divine.
Nous avons vu, en outre, comment il développe les dogmes chrétiens, y élucide ce qui était obscur et en tire des conclusions auparavant inaperçues. Aussi pourrions-nous citer de nombreux points de doctrine, autrefois librement discutés, qui sont devenus certains et se sont imposés à l'assentiment de toute l'Église, et cela, sans l'intervention d'aucun jugement solennel. Le magistère ordinaire peut donc, par ses propres ressources, rendre certain et obligatoire un sentiment qui était rangé parmi les opinions libres.
Seulement,
quand il s'agit d'augmenter le catalogue des dogmes de foi
catholique, l'Église
procède avec une extrême réserve. Ces
dogmes s'imposent, en effet, à la
croyance de tous les chrétiens, sous peine
d'hérésie. Aussi, pour qu'une
vérité
soit regardée comme un dogme de foi catholique, faut-il que
la proposition en
ait été faite, avec une netteté, une
certitude et une intention d'obliger
manifestes, et ne doit-on qualifier d'hérétiques
que les propositions qui
contredisent formellement et directement les dogmes ainsi
proposés. Or, comme
une définition solennelle fournit à
l'Église les moyens les plus propres à
marquer énergiquement ses intentions et à
formuler nettement sa doctrine, ce
sont les
définitions
solennelles, et non le magistère
ordinaire, qui, en fait, ont
toujours été employées
pour condamner comme hérétiques
les propositions auxquelles
jusque-là on avait épargné cette
qualification. Aussi admet-on généralement que
le sentiment commun des Pères ou des théologiens
peut rendre une doctrine
certaine, mais qu'il ne la rend pas de foi catholique, si elle
ne l'est déjà.
«Il
est évident, dit le cardinal Franzelin (de
divina Traditione,
2' édit., p. 159) en expliquant quand une assertion doit
être traitée d'hérétique, il
est
évident que c'est au Souverain Pontife et au
Concile œcuménique qu'il appartient de
définir les
vérités révélées
qui n'ont
pas été jusque-là l'objet d'une
proposition
suffisante». Et plus loin (ibid.,
p. 161) : «Les théologiens pensent
généralement qu'on ne peut regarder une
vérité (à laquelle on donne la note de
certaine)
comme de foi catholique, avant
qu'il n'intervienne une définition de
l'Église». Le
cardinal Mazzella, après
avoir dit qu'on applique la censure de proche de
l'hérésie, proxima
hæresi, aux propositions qui
contredisent une doctrine qui s'impose indubitablement, mais
non comme de foi
catholique, en vertu du consentement et de l'enseignement à
peu près unanime,
poursuit (de Virtut. infusis, n.
533)
: « D'autres théologiens comprennent cette censure
différemment. Ils disent, en
effet, que, si une doctrine était donnée comme
appartenant certainement à la
foi par tous les Pères et les théologiens, cela
suffirait pour qu'elle fît
partie de la foi divine ; mais, qu'en l'absence d'une
définition de l'Église,
elle n'appartiendrait pas encore à la foi catholique. Cette
doctrine pourrait
recevoir la note de proche de la foi, car elle serait proche de la foi
catholique. La proposition opposée pourrait,
réciproquement, être appelée
proche de l'hérésie. Elle serait, en effet, aussi
près que possible de tomber
sous une définition solennelle ; car elle remplirait toutes
les conditions
requises pour être déclarée
hérétique». Le cardinal
Mazzella remarque, en
outre, que les théologiens qui ne rangeraient pas cette
proposition parmi
celles qui sont proches de l'hérésie la
regarderaient comme erronée. C'est donc
que tous les théologiens s'accordent à
reconnaître qu'elle ne serait pas
hérétique. Ce qui suppose qu'un enseignement,
même unanime, ne peut rendre
hérétique une proposition, qui ne
l'était pas auparavant.
Telle
paraît être aussi l'opinion de de Lugo (de
Fide, disp. XX, n. 67), quoique je ne trouve de doctrine bien
arrêtée sur
ce point, ni dans cet auteur dont le traité de
Le
magistère ordinaire est donc infaillible dans toutes ses
affirmations ; mais il
n'a proposé jusqu'ici et il ne peut guère[22]
proposer d'autres dogmes de foi catholique que ceux qui sont tels
depuis le
temps des apôtres ou qui le sont devenus en vertu d'un
jugement solennel. Sans
doute, il éclaircit les vérités
révélées, il les développe
et en tire des
conclusions, il montre même qu'on doit qualifier
d'erronées des propositions
dont auparavant la fausseté n'était pas manifeste
; mais il ne semble pas avoir
jamais rendu hérétiques des assertions qui ne
l'étaient point. Cela posé, il
est facile de nous expliquer la conduite que
l'Église a tenue dans les
circonstances dont nous avons parlé plus haut.
La doctrine de l'indissolubilité du mariage, en cas d'adultère, n'a jamais été un dogme de foi catholique ; et c'est pourquoi le Concile de Trente a évité de porter une définition qui l'ait rangée parmi les dogmes de foi et qui aurait condamné le sentiment des Grecs comme hérétique. Néanmoins, il a défini l'infaillibilité du magistère ordinaire qui donne cette vérité comme conforme à la révélation ; et ainsi, il n'a pas décidé si cette vérité est une doctrine révélée ou une conclusion théologique et il n'a condamné comme hérétiques que les protestants qui accusaient d'erreur l'enseignement du magistère ordinaire de l'Église.
Pour
ce qui regarde l'Immaculée Conception, elle était
admise dans toute l'Église,
avant la définition de Pie IX.
Néanmoins, aucun théologien ne regardait
alors
cette vérité comme un dogme de foi catholique ;
mais on considérait le sentiment
unanime des catholiques comme une croyance pieuse. Cette croyance
s'était
accentuée et le dogme s'était
élucidé peu à peu par l'action
combinée du
magistère ordinaire de l'Église et des
décrets, dans lesquels les Souverains
Pontifes avaient, à plusieurs reprises,
réprimé et réduit au silence les
adversaires de l'Immaculée Conception, puis
confirmé les défenseurs de cette
vérité dans leur sentiment.
Nous
ne pourrions mettre sous les yeux du lecteur aucun exemple plus
remarquable de
la manière dont les jugements solennels et le
magistère ordinaire se prêtent un
mutuel concours pour augmenter la clarté et la certitude
d'une doctrine d'abord
enveloppée de quelques ténèbres. Une
question s'impose à l'attention des
chrétiens ; deux solutions contraires sont en
présence, et la lutte est on ne
peut plus vive. Par l'influence du magistère ordinaire, les
preuves du
sentiment véritable paraissent de plus en plus
convaincantes et conquièrent
des adhérents ; la dévotion à
Arrêtons-nous
et concluons que le magistère ordinaire peut
élucider un sentiment d'abord
obscur, douteux et libre et le rendre certain et obligatoire, au point
que la
proposition contraire méritera toutes les notes
inférieures à celles
d'hérésie
; mais que, jusqu'ici, il ne parait pas avoir transformé
aucune doctrine, même
certaine, en dogme de foi, et qu'il lui serait difficile de le faire.
V.
AUTORITÉ DOCTRINALE DE
Il
est temps que notre attention se porte sur l'élément
principal du magistère ordinaire, sur
celui qui en fait une règle infaillible et
obligatoire de notre foi et de nos
sentiments, je veux dire sur l'autorité
qui y préside.
Cette
autorité est celle
du Pape et du collège épiscopal uni au Pape.
C'est
à ce chef, c'est à ce corps que toutes les
promesses d'infaillibilité sont
faites et que tous les pouvoirs sur l'Église sont
donnés.
Tout
est dans la dépendance et sous la surveillance de cette
autorité souveraine ;
tous les éléments dont nous avons
parlé n'entrent dans le magistère ordinaire
et universel que par son action ; ils en sont les organes ou
plutôt les instruments
et en reçoivent toute leur vertu, comme la branche
reçoit sa vie et sa
nourriture du tronc de l'arbre, aussi longtemps qu'elle y
reste attachée.
Occupons-nous
d'abord du collège épiscopal dispersé,
à qui les théologiens semblent
attribuer, d'ordinaire, l'infaillibilité du
magistère quotidien ; nous
parlerons plus tard du Souverain Pontife, qui est le chef des
évêques.
Nous
avons déjà dit que Jésus-Christ a
promis aux successeurs des apôtres qu'ils
seraient toujours les gardiens et les prédicateurs
fidèles de sa doctrine.
C'est pourquoi tous les évêques sont les organes
du magistère ordinaire, en vertu
de l'institution du Sauveur, et la foi de chaque Église
particulière a pour
règle la doctrine de son évêque[23].
C'est pourquoi aussi, durant tous les siècles, il y aura des
évêques soumis au
Pape et unis entre eux pour enseigner, d'un accord commun, les
vérités
révélées. Néanmoins, bien
que le corps de l'épiscopat ne puisse jamais
périr ni
se tromper, chaque évêque,
considéré isolément, peut tomber dans
l'erreur et
même se séparer de ses frères par le
schisme ou l'hérésie.
Qu'il
est donc important,
au milieu des luttes et des divisions qui ont quelquefois
partagé l'Eglise, de reconnaître le vrai
corps de l'épiscopat, dépositaire infaillible de
la vérité.
Le
signe principal, le seul signe toujours certain, auquel on puisse le
reconnaître, c'est sa communion avec le
Souverain
Pontife. Saint Pierre a
été constitué par
Jésus-Christ le chef
perpétuel du collège apostolique ; c'est aux
successeurs des apôtres soumis au
successeur de saint Pierre que l'infaillibilité appartient.
Cette
infaillibilité les empêchera, du reste, de se
séparer du successeur de Pierre,
comme elle les empêchera d'abandonner la
vérité.
Mais
les évêques qui resteront unis au Pape et seront
infaillibles dans
l'enseignement de la vérité formeront-ils
toujours la majorité de l'épiscopat
? Peut-on les discerner sûrement à ce signe qu'ils
seront le grand nombre ?
Sur
ce point, les théologiens les plus autorisés sont
en désaccord.
Plusieurs,
comme Brugère (de Ecclesia.
n. 55).
Bonal (de Ecclesia, n. 193),
Palmieri
(de Romano Pontifice, n. 583 et
584),
Muzzarelli (Religion et philosophie,
n. 95), Ballerini (de potestate Summorum
Pontiflcum, cap. II, § 2) pensent que la
majorité des évêques ne peut se
tromper. D'après cette opinion, quand la majorité
des évêques, agissant comme
juges de la foi, s'accorde à enseigner un point de doctrine,
il serait
impossible que ce point ne fût pas conforme à
l'enseignement du Pape et à la
vérité.
Melchior
Cano (de locis theologicis, lib. V,
cap. V) soutient, au contraire, que la majeure partie de
l'épiscopat peut se
prononcer sur une doctrine qu'elle veut imposer à
l'Église, sans que le pape
enseigne cette doctrine. C'est aussi le sentiment de
Benoît XIV (de Synodo,
lib. XIII, cap. II, n. 3).
D'après cette opinion, l'enseignement du plus grand nombre des
évêques pourrait être
erroné.
D'ailleurs,
en dehors des Gallicans, tous les théologiens,
même ceux qui n'admettent pas
que la majorité de l'épiscopat puisse se
tromper, estiment que le Pape garde
toute l'indépendance de son jugement, alors même
que le plus grand nombre des
évêques se seraient prononcés.
Avant
de trancher la question, qu'il me soit permis de la poser dans d'autres
termes.
Quand
on parle de la majorité de l'épiscopat on a
assurément en vue l'épiscopat
catholique ; or, il n'y a de catholique que l'épiscopat uni
au Pape. On peut
donc soutenir, avec quelques partisans de la première
opinion, que la
catholicité de I'Eglise exige qu'elle ait dans son sein la
majorité des évêques
d'ordre, c'est-à-dire de ceux qui ont reçu la
consécration épiscopale, comme
elle doit réunir la majorité des
chrétiens baptisés. Mais voici un point qu'il
ne faut pas oublier. La catholicité de l'Eglise
(outre l'extension par tout le
monde connu) lui assure, sans doute, un nombre de fidèles
notablement plus
considérable que celui des adhérents d'aucune
secte séparée ; mais cette catholicité
nous appartiendrait toujours, alors même que le
nombre des catholiques serait
inférieur à celui de tous les
hérétiques et de tous les schismatiques
réunis.
Or, n'en doit-il pas être de même pour ceux qui ont
reçu la consécration épiscopale ? Par
conséquent, encore que cela ne soit
jamais arrivé, il n'y aurait pas lieu de se scandaliser, si
les évêques
catholiques se trouvaient moins nombreux que les
évêques d'ordre répandus dans
toutes les sectes hétérodoxes prises ensemble,
puisque ces sectes sont séparées
les unes des autres et ne forment pas corps entre elles. Du reste, il
est
clair, à ce qu'il me semble, que ce n'est pas aux
évêques schismatiques ou
hérétiques que le Sauveur a promis
l'infaillibilité[24],
tout comme ce n'est pas aux sectes fausses qu'il promettait les
privilèges qui
doivent distinguer la véritable Église. Aussi ne
sont-ce pas, je crois, les
évêques qui ont le caractère
épiscopal ; ce sont les évêques catholiques
qui possèdent la juridiction épiscopale
et le pouvoir d'enseigner, qu'il faut
compter, pour déterminer la majorité de
l'épiscopat dont il est ici question.
C'est, en effet, à cause du pouvoir d'enseigner
reçu avec la juridiction, que
les évêques entrent, comme membres, dans
l'Église enseignante.
Étudions
donc notre question pour ce qui regarde les
évêques qui ont juridiction dans
l'Église catholique. Je ne veux pas aborder le
problème de l'origine de la
juridiction des évêques, ni examiner si c'est
Jésus-Christ lui-même ou le Pape
qui la leur donne immédiatement ; cela
m'entraînerait trop loin. D'ailleurs,
quoi qu'il en soit de cette question, c'est un point admis aujourd'hui
par tous
les théologiens, que le Souverain Pontife peut restreindre
la juridiction des
évêques et poser des bornes, dans lesquelles il
faut qu'ils restent, pour que
les actes de leur ministère soient valides. C'est ainsi que
le Saint-Siège
s'est réservé l'absolution de certains
péchés ; c'est ainsi qu'il s'est
réservé
bien d'autres causes, pour lesquelles les
évêques sont, par suite, sans
juridiction. Quand il s'agit de matières disciplinaires,
cette doctrine est
admise par tous les auteurs. Or, il me semble que, si elle est vraie
pour ce
qui regarde ces matières, elle ne l'est pas moins pour ce
qui touche au
magistère et au pouvoir d'enseigner, puisque le
magistère dérive de la
juridiction. Par conséquent, le Souverain Pontife peut poser
des bornes au
pouvoir d'enseigner que les évêques
reçoivent. Il peut, à plus forte raison, marquer
les bornes qui existent de droit divin. Les actes d'un
évêque qui, dans
l'exercice de son autorité doctrinale, sortirait
des bornes fixées par
Jésus-Christ ou par le Souverain Pontife, seraient donc invalides,
comme seraient invalides
les actes d'un évêque qui, sans
délégation, donnerait l'absolution de
péchés
réservés au Pape ou dispenserait
d'empêchements de mariage pour lesquels il
faut recourir à Rome.
On
sait, d'autre part, que les causes qui regardent la foi sont
réservées au
Saint-Siège et qu'aucun évêque n'a le
pouvoir d'imposer ou de condamner une
doctrine, sinon dans la mesure où elle est
imposée ou condamnée par l'Église[25].
Cette réserve consacre ce que le Sauveur Lui-même
a établi. D'ailleurs, quand
même ce serait une restriction apportée par le
Pape à l'autorité doctrinale des
évêques, notre démonstration garderait
sa valeur, aussi longtemps que cette restriction
serait maintenue. Mais, comme cette réserve est de droit
divin, elle existera
toujours, et le Pape ne peut la lever, dans une certaine mesure, qu'en
communiquant une part de sa propre autorité à
ceux en faveur de qui il le fait.
Aussi, alors même qu'il a convoqué un concile
œcuménique, la défense de rien
imposer en matière de doctrine, qui ne soit
imposé par l'Église, subsiste et
s'impose non seulement à chaque évêque,
mais encore à tous les évêques
réunis ;
car, même dans un concile, ils ne peuvent rien
définir qu'avec le Pape. Il en
résulte que le jugement du concile sur la foi n'est
porté définitivement,
qu'après la confirmation du Pontife Romain, et que celui-ci
peut toujours
donner ou refuser cette confirmation. Mais c'est sortir de notre sujet
que de
traiter la question pour le cas du concile
général, puisque c'est du magistère
ordinaire de l'Eglise dispersée que nous nous occupons et
que, les évêques
dispersés agissant isolément, il est clair qu'ils
n'ont jamais eu le pouvoir
d'imposer aucune doctrine, que dans la mesure où elle
était imposée par
l'Église universelle ou par le Pape.
S'il
arrivait donc qu'un évêque proposât aux
fidèles comme obligatoire un point qui
ne le serait pas, il n'agirait point en vertu de la juridiction et du
pouvoir
d'enseigner qu'il a reçu, il n'agirait point en successeur
des apôtres ; car il
outrepasserait ses pouvoirs. Du reste, ce qui serait vrai d'un
évêque le
serait de tous, puisque nous les supposons dispersés.
Comme,
d'ailleurs, l'assistance du Saint-Esprit n'est assurée aux
successeurs des
apôtres que pour l'exercice de l'autorité qu'ils
ont reçue ; s'ils
outrepassaient leur droits, pourraient-ils compter sur cette assistance
?
Comment l'infaillibilité promise au corps
épiscopal s'étendrait-elle à un
enseignement qui ne serait pas dans les attributions de celui qui le
donnerait
! Si l'on voulait qu'un tel enseignement fût infaillible, ne
faudrait-il pas
admettre que le pouvoir que Jésus-Christ a
accordé aux prêtres de remettre les
péchés, garantit la validité de toutes
les absolutions qu'il leur plairait de
donner, même de celles qu'ils accorderaient pour des cas
réservés au Pape sur lesquels
leur juridiction ne s'étend point ?
Mais,
dira-t-on, les promesses de Jésus-Christ au corps
épiscopal ne nous
garantissent-elles pas que les évêques
n'outrepasseront point leur pouvoir
d'enseigner, comme elles nous garantissent que le Souverain Pontife ne
portera
point de définitions sur ce qui est étranger
à sa juridiction ? Cela paraît
bien, en effet, avoir été promis au corps
épiscopal fidèle; et c'est pourquoi
il semble impossible que la majorité des
évêques catholiques, non seulement
enseigne l'erreur, mais encore prenne le pas sur le Souverain Pontife,
pour
imposer des doctrines qu'il n'imposerait pas.
Si
donc il s'agit d'un point qui n'ait pas été
jusque-là obligatoire, qui n'ait
été imposé ni par le Souverain
Pontife, ni par un concile œcuménique, la
majorité de l'épiscopat ne pourra enseigner ce
point comme obligatoire pour
tous les fidèles, qu'autant que cet enseignement sera devenu
aussi celui du
Pape. Il pourra arriver que, dans leur opinion personnelle, la
majorité ou même
l'unanimité des évêques regardent ce
point comme vrai, et comme certainement
révélé, sans que le
Saint-Siège l'impose encore à notre assentiment ;
mais,
dans l'exercice de leur autorité épiscopale, ils
enseigneront toujours ce
point, comme le Saint-Siège l'enseigne, et ils ne
condamneront jamais la
doctrine opposée, que dans la mesure où le
Saint-Siège la condamne. C'est ce
qu'on put remarquer, lors de la définition de
l'Immaculée Conception. Tous les
évêques du monde catholique regardaient ce
privilège de la sainte Vierge comme
vrai, la plupart pensaient qu'il était formellement
révélé, ils désiraient le
voir défini ; mais, tant que Pie IX n'eut pas
porté sa définition, ils ne le
proposèrent point comme un dogme de foi catholique.
S'il
arrivait donc jamais qu'une doctrine fût imposée
à la croyance des fidèles par
la plupart des membres du corps épiscopal, pendant que le
Pontife Romain
garderait le silence, ce silence pourrait être
considéré comme une approbation.
La doctrine en question ferait donc l'objet de l'enseignement ordinaire
du
Souverain Pontife, que nous appellerons (§ VI) tacite. Il
faudrait penser aussi
que les évêques ont vu une approbation dans le
silence de Rome et que c'est
pour ce motif qu'ils se sont crus en droit d'imposer cette doctrine aux
fidèles.
Envisageons
maintenant le
cas où le Saint-Siège impose une
vérité discutée
jusque-là à la foi
ou à l'assentiment de l'Église.
Aussitôt la majorité de l'épiscopat
enseignera
cette vérité comme obligatoire. C'est la
conséquence des promesses de
Jésus-Christ
au corps épiscopal, et la tradition a ainsi
interprété ces promesses,
puisqu'elle a toujours regardé l'enseignement des
évêques catholiques comme
une règle certaine de foi.
N'oublions
pas néanmoins que les décisions doctrinales de
l'Église n'obligent pas
tous les fidèles à adhérer
explicitement au point
particulier qui en est l'objet. Aussi ne retrouverons-nous pas
l'enseignement
explicite de toutes les vérités obligatoires dans
la bouche de la majorité des
évêques. Il pourra peut-être
même arriver que, par crainte d'inconvénients plus
graves ou par négligence, les évêques
tolèrent autour d'eux l'enseignement de
doctrines fausses, surtout si elles ne touchent pas au fond
même de la foi.
Enfin il n'est pas non plus impossible que les
évêques eux-mêmes se trompent
dans leur manière personnelle de voir. En tout cela, en
effet, il n'y aurait
aucun acte épiscopal qui contredirait les
enseignements du Souverain Pontife.
Mais ce qui n'arrivera jamais, c'est que, dans des actes, où
ils parlent comme
successeurs des apôtres, la majorité des
évêques enseignent une doctrine qui
ne soit pas conforme à tous les sentiments qui ont
été imposés par le
Saint-Siège, comme de foi ou comme obligatoires à
un autre titre.
Ce
résultat sera obtenu grâce à
l'assistance du Saint-Esprit promise par
Jésus-Christ à Son Église. Comme cette
assistance ne dispense pas de l'emploi
des moyens humains qui peuvent maintenir les
évêques dans l'unité de la foi et
dans la communion avec le Souverain Pontife, le moyen principal qui a
toujours
été employé dans l'Église
pour atteindre ce but, c'est le choix par le
Saint-Siège ou ceux qui le représentent,
d'évêques qui fassent profession d'une
foi
entièrement
pure et d'un grand amour pour l'unité.
Il
est donc impossible
que la majorité des évêques ayant
juridiction dans l'Église, c'est-à-dire des
évêques catholiques,
enseigne un sentiment que le Souverain Pontife n'enseignerait pas soit
expressément, soit au moins tacitement. Il est impossible,
par conséquent, qu'elle
tombe dans l'erreur et se sépare du Saint-Siège.
Si Dieu permettait d'ailleurs
que quelques évêques s'égarassent dans
telle doctrine, ce serait, d'ordinaire,
parce qu'ils n'auraient pas cherché, avant toutes
choses, à suivre les
enseignements et les prescriptions de l'Église et du Pontife
Romain et qu'ils
se seraient ainsi rapprochés des
évêques schismatiques ou
hérétiques[26],
qui ont reçu la consécration
épiscopale, mais qui sont dépourvus de toute
juridiction, de tout pouvoir d'enseigner, et, par
conséquent, de toute participation
à l'assistance promise au collège des
évêques.
Toute doctrine enseignée comme obligatoire par la majorité, et surtout par l'unanimité des évêques catholiques, est donc obligatoire pour toute l'Église dans la mesure où ils l'affirment ; car on peut être assuré qu'ils la proposent à la croyance des fidèles, en union avec le Souverain Pontife, et que, par conséquent, cette doctrine est enseignée infailliblement par le corps épiscopal tout entier, c'est-à-dire par le Pape et les évêques unis au Pape.
On peut donc reconnaître le corps épiscopal non seulement, ce qui est hors de doute, à son union au Souverain Pontife, mais encore, semble-t-il, au nombre d'évêques catholiques qui s'accordent dans l'exercice de leur magistère. Ces deux signes, en effet, paraissent devoir toujours se réunir.
VI. PART QUE
LE SOUVERAIN PONTIFE PREND PERSONNELLEMENT
A L'EXERCICE
DU MAGISTÈRE Ordinaire
D'après les Gallicans, les définitions du Souverain Pontife ne seraient irréformables qu'après qu'elles auraient été sanctionnées par le consentement des évêques, et ce serait de cette sanction qu'elles tireraient leur infaillibilité. Le Concile du Vatican a condamné cette doctrine comme hérétique[27] : il est de foi aujourd'hui que les définitions du Souverain Pontife sont infaillibles par elles-mêmes. Le magistère du successeur de saint Pierre est donc infaillible, par lui-même, chaque fois qu'il impose à toute l'Église une doctrine qui se rapporte à la foi ou aux mœurs.
Or,
il y a lieu de se demander si cette infaillibilité
personnelle n'est donnée au
Pape que dans ses jugements solennels, sur la foi, ou si
Jésus-Christ ne l'a
pas promise aussi au magistère ordinaire et
quotidien du successeur de
saint Pierre.
Nous
avons vu que le corps épiscopal est infaillible dans le
magistère quotidien
qu'il exerce avec le Pape et que, par conséquent, le Pape,
chef du corps
épiscopal, est infaillible dans le magistère
qu'il exerce avec le corps des
évêques dispersés. Il est inutile de
revenir sur ce point. Mais ne peut-on
distinguer le magistère ordinaire de l'épiscopat
uni au Pape et le magistère
ordinaire personnel du Souverain Pontife, comme on distingue les
jugements
solennels des conciles et ceux des Papes ? Je le crois. Aussi vais-je
avancer
une proposition que je n'ai lue jusqu'ici, en termes exprès,
dans aucun
ouvrage, mais qui me paraît conforme à la doctrine
de tous les auteurs qui ont
soutenu l'infaillibilité du Pape, savoir que le Pape
exerce personnellement son magistère
infaillible non seulement par des jugements solennels, mais encore par
un
magistère ordinaire qui s'étend
perpétuellement à toutes les
vérités
obligatoires pour toute l'Eglise.
Je
ne puis appuyer cette assertion sur des autorités, il faut
donc l'appuyer sur
des raisons.
Le Souverain Pontife, comme je l'ai remarqué, communique une partie de ses attributions à un grand nombre d'organes qui lui servent d'instruments. C'est ainsi qu'il fait participer les Patriarches et les Métropolitains, les universités catholiques et surtout les congrégations romaines, à son ministère de docteur suprême. Quelques théologiens soutiennent que les décisions doctrinales des congrégations romaines, approuvées par le Souverain Pontife, sont infaillibles. Les partisans de cette opinion pourraient regarder l'infaillibilité qu'ils accordent à ces décisions comme une preuve que l'exercice du magistère ordinaire du Souverain Pontife est infaillible ; car ces décisions ne sont pas des jugements solennels. Mais le sentiment qui admet l'infaillibilité des congrégations ne me paraît pas fondé. Il me semble, en effet, que le Souverain Pontife peut exercer par des délégués les fonctions qui lui appartiennent, en propre, de droit divin ; mais qu'il n'est pas en son pouvoir de communiquer son infaillibilité ; qu'il peut nous obliger à nous soumettre, même intérieurement, aux décisions doctrinales des congrégations, mais qu'il ne peut attacher l'infaillibilité à ces décisions, à moins de les promulguer en son nom et d'en faire des définitions pontificales. Tel est le sentiment du cardinal Franzelin (de divina Traditione, th.XII, corol. II, p. 128) qui a étudié la question à fond. Bien que les décrets des congrégations romaines soient des actes par lesquels le Saint Siège exerce une partie de son magistère ordinaire, on ne peut donc attribuer à ces décrets l'infaillibilité continuelle, promise par le Sauveur à saint Pierre.
Mais,
chaque jour, le Vicaire de
Jésus-Christ n'exerce-t-il pas personnellement le
magistère ordinaire, sous
toutes ses formes ? Ne l'exerce-t-il pas par l'enseignement
exprès de la
doctrine, par l'enseignement
implicite qui s'exprime dans la discipline
et la liturgie, enfin par
l'enseignement que nous avons appelé tacite et par le
maintien de toutes les règles
qui s'imposent à la foi et à
l'adhésion de l'Église ? Je vais essayer de le
démontrer.
On
peut considérer, comme types des jugements solennels, les
définitions revêtues
de toutes les formes propres à exprimer nettement soit la
vérité qui en fait
l'objet, soit l'intention que le Pape a de l'imposer à la
foi ou à l'assentiment
de toute l'Eglise. Telle fut, par exemple, la définition de
l'Immaculée Conception.
On
trouvera, au contraire, l'exercice du magistère ordinaire
dans une foule
d'actes où ces formes ne sont pas
gardées. Nous en avons des exemples dans les
entretiens que le Pape a avec les évêques qui
viennent faire leur visite ad limina
Apostolorum, lorsque ces
entretiens portent sur la doctrine à enseigner. Nous en
pouvons voir d'autres
dans les considérants des définitions
solennelles. En effet, comme le remarque
le cardinal Franzelin (de Traditione,
p. 148), ces considérants ne sont pas des jugements
solennels, mais ce sont des
assertions qui ne peuvent être mises en doute, sans une
grande témérité.
Ajoutons qu'ils expriment la doctrine
courante, c'est-à-dire l'enseignement quotidien et
ordinaire du
Saint-Siège.
Or, il est une foule d'actes pontificaux qui se rapprochent plus ou moins, les uns des jugements solennels, les autres de l'enseignement quotidien, et, si l'on en dressait une liste complète, il serait impossible de marquer, dans cette liste, le point où le magistère ordinaire commence et celui où cessent les jugements solennels. En effet, comme les caractères de ces jugements sont multiples, beaucoup d'actes pontificaux ne sont revêtus que d'une partie de ces caractères. Faut-il, par exemple, ranger parmi les jugements solennels ou parmi les actes du magistère quotidien les diverses lettres apostoliques qui ne sont pas adressées à tous les évêques du monde, les allocutions consistoriales et celles que le Souverain Pontife prononce dans certaines audiences publiques ? Je n'essayerai pas de le déterminer. Ce qui est certain, c'est que ces actes ne remplissent pas toutes les conditions extérieures et, si je puis ainsi dire, de forme qui caractérisent les définitions solennelles que j'ai prises pour type. Ils tiennent donc, dans une certaine mesure, au magistère ordinaire et quotidien ; car, je prie le lecteur de s'en souvenir, ce n'est pas le fond et l'autorité des enseignements, mais leur forme et la manière dont ils se présentent, qui font toute la différence entre les jugements solennels et le magistère ordinaire.
N'oublions
pas non plus que Pie IX a fait publier un document
célèbre qui, on s'accorde à
le reconnaître[28],
n'est pas revêtu des conditions exigées
par les canonistes pour les lois
authentiques. Le Syllabus,
en effet, n'a pas été écrit par Pie IX
lui-même.
C'est un résumé des principales erreurs de notre
temps, signalées dans les
allocutions consistoriales, les encycliques et les autres lettres
apostoliques
de ce Pape, qu'il ordonna d'envoyer, avec son encyclique Quanta
cura, à tous les évêques y du
monde, afin, disait le
cardinal Antonelli, que ces derniers eussent sous les yeux toutes ces
erreurs
condamnées. Remarquons le caractère de ce
document. Pie IX avait enseigné la
doctrine du Saint-Siège dans des lettres qui
n'avaient pas été adressées
à
tous les évêques, ni affichées de la
manière usitée pour la promulgation des
lois ; il l'avait enseignée dans des allocutions qui
n'avaient été connues du
monde catholique que par l'intermédiaire de la presse; il
était revenu, à
plusieurs reprises, sur ces enseignements ; dans tous ces actes, il
exerçait
manifestement le magistère ordinaire que nous avons
appelé exprès. Mais il
craignit que ces enseignements
réitérés ne restassent
ignorés d'une partie de
l'épiscopat, et, pour les faire connaître par tout
l'univers catholique, il en
fit dresser[29]
un
résumé qui servit de règle doctrinale
aux évêques dispersés. Il aurait pu
proposer ce résumé à
l'Église dans une définition solennelle ; il
préféra le
faire envoyer à tous les évêques avec
son encyclique Quanta cura. Le Syllabus
est donc un document où le Pape a exercé son magistère ordinaire, en
s'adressant à toute l'Église, en vertu de
sa souveraine autorité.
Mais,
demandera-t-on, ces actes du magistère quotidien du Pape
peuvent-ils être infaillibles
? Oui ; car nous y
trouvons des doctrines que le magistère
ordinaire impose, par ces actes mêmes, à la foi ou
à l'assentiment de tous les
catholiques. C'est ce que Pie IX a
déclaré, en affirmant qu'il avait condamné
les principales erreurs de
notre époque, dans plusieurs encycliques, aussi
bien que dans des allocutions
consistoriales et d'autres lettres apostoliques qui avaient
été publiées[30]
; car condamner une erreur, c'est défendre d'y
adhérer, et, quand le Pape porte
une telle défense en vertu de sa suprême
autorité, il le fait infailliblement,
de quelque forme que son acte soif revêtu.
Pour
ce qui regarde en particulier le Syllabus,
Pie IX ne l'a pas imposé formellement par un jugement
solennel ; mais exerçant
son magistère ordinaire, il a manifesté que sa
volonté était qu'il servît de
règle à l'enseignement quotidien des
évêques, qu'il fût, par
conséquent,
accepté par toute l'Église comme renfermant la
doctrine du Saint-Siège. D'autre
part, les évêques du monde entier ont
donné leur adhésion à ce document. Le Syllabus
est donc infaillible. Aussi beaucoup de
théologiens l'ont-ils rangé parmi
les définitions ex
cathedra.
Si
l'on applique, en effet, le nom de définition ex
cathedra à tous les actes du Souverain Pontife qui
remplissent
les conditions dans lesquelles le Concile du Vatican déclare
que le successeur
de saint Pierre est infaillible, il faut placer les actes dont nous
venons de
parler parmi ces définitions ; mais, en ce cas, il y a lieu
de distinguer deux
sortes de
définitions ex cathedra
: celles qui
sont portées par des décrets solennels et celles
qui sont portées par le
magistère quotidien du Souverain Pontife.
C'est, entre autres
motifs, pour avoir confondu les décrets solennels,
portés suivant les règles
que le droit Canon exige pour une loi, avec les définitions ex cathedra, où les conditions
posées
par le Concile du Vatican sont remplies, que des auteurs
très respectables ont
nié l'infaillibilité du Syllabus[31].
Est-il
nécessaire d'ajouter qu'il n'y a pas lieu de rejeter
l'infaillibilité du
Syllabus et des enseignements du magistère ordinaire qui lui
ressembleraient,
parce que la censure méritée par chacune des
propositions condamnées n'y est
pas indiquée et que, pour mieux comprendre le sens
de ces propositions, il est
bon de recourir aux allocutions et aux lettres dont elles sont
extraites et
auxquelles le Syllabus
lui-même
renvoie ? Non ; car tous les théologiens admettent
l'infaillibilité des
condamnations in globo,
où une série
d'affirmations sont solennellement censurées, sans que la
censure applicable à
chacune d'elles soit déterminée, et, d'autre
part, nous avons vu plus haut que
tous les enseignements de l'Église se tiennent et servent
à s'interpréter
mutuellement ; or, il faut appliquer ces règles aux
enseignements du magistère
ordinaire, aussi bien qu'aux jugements solennels.
Le
magistère ordinaire de l'Église s'exerce non
seulement par des enseignements
exprès, mais encore par l'enseignement que nous
avons appelé implicite,
c'est-à-dire par la discipline et la liturgie qui peuvent
nous manifester certaines vérités
dogmatiques ou morales. C'est pourquoi il est
certain que l'Église
est infaillible
dans les lois générales qu'elle
porte. Or, que l'on parcoure les
Décrétales et tous les recueils de lois
ecclésiastiques, on verra que la plupart
de ces lois sont l'œuvre des Papes. Le Souverain Pontife
exerce donc encore son
magistère ordinaire personnellement, lorsqu'il remplit son
ministère de
législateur de l'Église universelle.
Enfin,
nous avons vu que l'enseignement de l'Église
dispersée existe perpétuellement,
sous une forme tacite, par le maintien
permanent
de toutes les règles doctrinales et disciplinaires
que les âges passés
ont promulguées. Or, ce rôle de gardien muet de la
doctrine appartient encore,
plus qu'à personne, au successeur de saint Pierre,
chargé de confirmer ses
frères dans la foi. Comme Vicaire de Jésus-Christ
et docteur suprême de tous
les chrétiens, il fait rayonner, par tout l'univers, les
lumières de
l'Évangile, et veille à ce qu'elles ne
s'obscurcissent dans aucune Église
particulière. C'est pour remplir ce rôle, par tout
le monde catholique, qu'il
s'est donné des organes
dans les
patriarches et les métropolitains qui
président, à sa place, les conciles
particuliers, dont les décrets doivent, du reste,
être soumis à son
approbation, dans les Universités qui sont sous sa
dépendance immédiate, dans
les congrégations romaines qui siègent autour de
sa chaire apostolique, pour en
recevoir les inspirations et répondre aux consultations de
tout l'univers. Par
tous ces organes, Pierre, immobile au milieu de la
catholicité, garde partout
le dépôt de la foi et frappe les erreurs et les
hérésies dès leur naissance,
laissant agir les instruments de son autorité, tant qu'ils
suffisent à leur
mission, intervenant lui-même quand il en est besoin. Il
tolère quelquefois le
mal en quelques membres du corps mystique de Jésus-Christ,
comme un médecin qui
laisse au temps le soin de guérir certaines maladies ; mais si une
doctrine se répandait par toute
l'Église et s'imposait comme liée
à la foi, Pierre parlerait pour la condamner
ou pour l'adopter, avant qu'elle eût fait de rapides
progrès ; ou bien, s'il se
taisait, son silence devrait être regardé comme un
assentiment qui, d'après les
règles de la tradition, imposerait cette doctrine
à la croyance de tous.
Nous avons vu, en effet, que les Souverains Pontifes nous
proposent le
sentiment unanime des théologiens et des fidèles,
comme une règle à laquelle
nous devons conformer notre foi. Il en résulte que c'est par
leur autorité que
ce sentiment unanime est obligatoire, alors même qu'il se
produit sans aucune
intervention du Saint-Siège ; tout comme, en
matière de discipline, la coutume
revêtue des conditions marquées par le
droit, a force de loi non à cause du
peuple qui l'introduit, mais à cause du
législateur qui la tolère et qui l'admet
tacitement. Ainsi s'explique l'infaillibilité que nous avons
attribuée au
consentement unanime des saints Pères et des
théologiens. Elle vient du
magistère ordinaire de I'Eglise enseignante, et
spécialement du magistère du
Souverain Pontife qui approuve leurs enseignements formellement ou
tacitement.
Après
avoir vu comment le magistère ordinaire du Pape nous propose
la doctrine
chrétienne d'une manière tantôt
expresse, tantôt implicite et tantôt
tacite,
il convient, peut-être, de nous poser une question
à laquelle, du reste, nous
avons touché tout à l'heure. La définition du Concile du
Vatican sur l'infaillibilité du
Souverain Pontife s'applique-t-elle aux actes où s'exerce
l'enseignement
quotidien du pape que nous venons
d'étudier ?
Ma
réponse sera brève.
La
définition du saint Concile ne porte pas directement sur
l'objet de
l'infaillibilité pontificale. Ce qui est de foi, en vertu de
cette définition,
c'est que le Pape possède l'infaillibilité,
promise par Jésus-Christ à Son
Église, et que, par conséquent, les
jugements du Souverain Pontife sur la
doctrine sont infaillibles par eux-mêmes et non par
l'assentiment de l'Église
dispersée. Il résulte, du reste, de cette
définition que, dans les matières où
il était de foi que l'Église est infaillible, il
est de foi que le Pape l'est ;
que dans les matières où il était
seulement certain que I'Eglise est
infaillible, comme par exemple pour la canonisation des saints,
l'infaillibilité du Souverain Pontife est simplement
certaine.
Néanmoins
il faut remarquer que, sans avoir pour but de déterminer
l'objet de
l'infaillibilité papale, le Concile du Vatican a
cependant restreint
la portée
directe de son décret au cas où le Pape parle ex cathedra, c'est-à-dire au
cas où il enseigne formellement une
doctrine. On ne peut donc appliquer ce
décret au magistère implicite
que le Pape exerce par les lois disciplinaires, ni à plus
forte raison à son
magistère tacite. On peut seulement établir
l'infaillibilité du Vicaire de
Jésus-Christ, dans ce magistère implicite et dans
ce magistère tacite, par une
conclusion théologique, fondée sur les principes
qui justifient la définition
du concile. Mais rien n'empêche les conditions d'une
définition ex cathedra
de se réaliser dans certains
enseignements exprès du magistère ordinaire. On se
tromperait donc, en pensant que les Pères
du Vatican n'ont voulu parler que des jugements solennels du Souverain
Pontife.
Puisque
nous nous occupons de l'objet du magistère ordinaire du
Vicaire de
Jésus-Christ, il y a lieu de faire observer que cet objet
sera absolument le
même que celui du magistère ordinaire de tout le corps épiscopal. Ce corps ne
peut en effet se séparer de sa tête et
nous avons montré que la doctrine des successeurs des
apôtres sera conforme à
celle de leur chef. Il en résulte que le Pape et les
évêques n'auront jamais
qu'un enseignement. Nous pourrons donc demander cet enseignement soit
au
Souverain Pontife, soit au collège épiscopal,
puisque ce collège est
infaillible aussi bien que son chef. Quelquefois il sera plus facile de
juger
de l'enseignement des évêques par celui du Pape,
car il est plus facile de
saisir la pensée d'un seul homme, que la pensée
de plusieurs. D'autres fois, au
contraire, il sera plus aisé de connaître
l'enseignement de l'Église par les
évêques dispersés que par le Pape. En
effet, dans le cas où l'intention, que le
Pape a d'obliger, paraîtrait douteuse, on pourrait la
connaître par l'examen de
la conduite de la majorité des évêques
et des fidèles ; attendu que
l'enseignement des pasteurs et la croyance du peuple
chrétien seront toujours
conformes aux règles posées par le
Saint-Siège.
Du moment que la doctrine du corps épiscopal ne peut être en désaccord avec celle du successeur de saint Pierre, du moment que le corps épiscopal est formé des évêques qui sont unis au Souverain Pontife et qui agissent dans sa dépendance, on comprend que, jusqu'ici, le magistère ordinaire ait été surtout étudié dans le corps épiscopal. En effet, l'autorité infaillible du souverain Pontife étant mise en discussion avant le Concile du Vatican, il était alors naturel d'envisager le magistère ordinaire de l'Église dans l'ensemble des évêques dispersés et unis au Pape, plutôt que dans le Pape considéré séparément.
Mais,
aujourd'hui que les erreurs du Gallicanisme sont condamnées,
il convient,
semble-t-il, d'ouvrir d'autres voies et d'étudier le
magistère quotidien, non
seulement dans l'Église universelle et dans le
collège épiscopal, mais encore
dans le Pontife Romain qui est le chef de l'Église et le
prince de ses pasteurs.
CONCLUSIONS
Nous
avons vu que le magistère ordinaire est un mode
d'enseignement infaillible,
distinct des jugements solennels et employé par
l'Église enseignante, dans sa
vie de chaque jour, avec la même autorité qu'elle
revendique pour ses jugements
solennels.
Examinant
ensuite ce magistère plus à fond, nous avons
reconnu qu'il s'exerce partout et
toujours, à l'aide de nombreux ministres auxquels
le pouvoir d'enseigner,
donné au Pape et au corps épiscopal par
Jésus-Christ, est délégué
ou laissé
dans des mesures diverses.
Nous
avons dit qu'il s'exprime de mille manières. Il s'exerce, en
effet, soit par
l'enseignement exprès de
la doctrine
chrétienne, soit par un enseignement implicite
qui se manifeste surtout dans la discipline ecclésiastique
et dans la liturgie,
soit enfin par un enseignement tacite
qui embrasse et met à notre disposition les
écrits des saints Pères, les
traités des théologiens et, en
général, tous les documents où la
révélation est
renfermée et où elle se développe sous
l'influence incessante de la vie de
l'Église.
Nous
avons aussi étudié les obligations
que le magistère quotidien nous
impose.
Nous avons déterminé dans quels cas son
autorité est égale à celle des
jugements solennels. Nous avons vu qu'il garde et qu'il ne cesse
d'accroître le
trésor des vérités auxquelles
nous sommes obligés d'adhérer ; qu'il
éclaircit
ce qui était obscur ; qu'il rend certain et
obligatoire ce qui était douteux
et libre, bien que jusqu'ici il n'ait pas été
jusqu'à créer de nouveaux dogmes
de foi catholique ; car il faut, pour cela, une proposition faite avec
une
insistance et une netteté qui ne se rencontrent
guère que dans les jugements
solennels.
Nous
avons aussi considéré ce magistère
dans les membres de l'Église enseignante.
Nous avons dit que le corps épiscopal qui a reçu
l'infaillibilité doctrinale,
est formé du pape et des évêques qui
possèdent une juridiction dans l'Eglise
catholique ; que la majorité de ces
évêques sera toujours dans la
vérité et
qu'elle suivra continuellement le Souverain Pontife dans l'enseignement
authentique de la doctrine de Jésus-Christ, sans jamais
prendre le pas sur lui.
Enfin, nous sommes entrés dans une voie nouvelle que la définition du Concile du Vatican semblait nous ouvrir ; nous avons suivi le successeur de Pierre exerçant personnellement le magistère ordinaire par des enseignements tantôt exprès, tantôt implicites et tantôt tacites ; nous avons établi que l'infaillibilité papale s'étend aux diverses formes de ce magistère ordinaire aussi bien qu'aux définitions solennelles. Nous avons reconnu, en finissant, que le magistère des évêques dispersés est le même, quant à son objet, que celui des Pontifes Romains ; mais c'est ce dernier qui est, à chaque instant, la règle suprême de tout enseignement et de toute croyance, dans l'Église de Jésus-Christ.
TABLE DES
MATIÈRES
Introduction. I.
Idée générale du magistère
ordinaire et universel de l'Église. Il.
Ministres qui servent d'organes et d'instruments au
magistère ordinaire. III.
Comment le magistère ordinaire de l'Église
s'exprime. IV.
Obligations que le magistère ordinaire impose, en
matière de doctrine. V.
Autorité doctrinale de la majorité des
évêques dispersés. VI.
Part que le Souverain Pontife prend personnellement à
l'exercice du magistère ordinaire. Conclusions. |
1 1 4 6 11 17 20 24 |
IL EST évident
à
tout
s’y oppose.
[1] J.-M. A. Vacant est plus connu,
comme étant un des
auteurs du Dictionnaire de
Théologie
Catholique (DTC) de Vacant et Mangenot.
[2] Le fond du
présent travail est une dissertation envoyée au
concours théologique que M.
l'abbé J.-B. Jaugey, directeur de
[3] «On doit
croire, de foi divine et catholique, toutes les
vérités qui se trouvent
contenues dans la parole de Dieu écrite ou traditionnelle et
que l'Église
propose à notre foi comme divinement
révélées, qu'elle fasse cette
proposition
par un jugement solennel ou par son magistère
ordinaire et universel (Const. Dei Filius,
c. 3 de Fide)».
[4] Je n'entends
pas parler, dans cette étude, des
révélations privées qui ne s'adressent
point
à tous les hommes ; mais seulement de
[5] Etiamsi
ageretur de illa subjectione quæ fidei divinæ actu
est præstanda, limitanda
tamen non eset ad ea quæ expressis
œcumenicorum conciliorum aut Romanorum
Pontificum, hujusque Apostolicæ Sedis decretis definita sunt,
sed ad ea quoque
extendenda quæ ordinario totius Ecclesiæ
per orbem dispersæ magisterio tanquam
divinitus revelata traduntur, ideoque universali et constanti consensu
a
catholicis theologis ad fidem pertinere retinentur
(Litteræ apost. 21 déc. 1863, ad archiep.
Monacensem ; ap.
Denzinger, n. 1536).
J'ai suivi
l'interprétation de Hurter (Compend.
de
Ecclesia, n. 382) et de la plupart des théologiens
qui ne pensent pas qu'il
faille ranger les conclusions théologiques parmi les points
dont Pie IX dit
qu'on doit les croire par un acte de foi divine. Autre est le
sentiment du
savant cardinal Franzelin (de Tradit.
p. 449) ; mais son interprétation ne me paraît pas
conforme au texte
pontifical. D'ailleurs elle n'est opposée en rien,
à ce qui est dit du
magistère ordinaire dans cette étude.
[6] Benedictus
XIV, de serv. Dei beatificat. et B.
canonizat. lib. I, c. 39, n. 3.
[7] Les
théologiens donnent le nom d'Eglise enseignante au pape et
aux évêques,
successeurs des apôtres, et le nom d'Eglise
enseignée à l'ensemble des autres
membres de l'Église.
[8] Quæ
ordinario
totius Ecclesiæ per orbem dispersæ magisterio
tanquam divinitus revelata
traduntur, ideoque, universali et constanti consensu a catholicis
theologis ad
fidem pertinere retinentur (Litter. Apost.
21 dec.
1863, ad archiep. Monac. Denzinger, n. 1536).
[9] Voir
Denzinger, Enchiridion
definitionum, n. 218, 219, 220, 22l, 243, 245, 272, 283.
[10] Voir
Denzinger, ibid, n. 505, 1439, 1442, 1508, 1511,
1532.
[11] Voir le P.
Corluy, de l'lnterprétation de
[12]
Après avoir dit que l'acte de foi divine, ne doit pas
être restreint aux
vérités définies par des jugements
solennels, il ajoute : «Sed ad ea quoque extendenda quæ ordinario
totius Ecclesiæ per orbem
dispersæ magisterio tanquam divinitus revelata
traduntur, ideoque universali
et constanti consensu a catholicis theologis ad fidem pertinere
retinentur».
Denzinger, n. 1536.
[13] Cano, de
locis theologicis, lib. VII, c. 2, n.
2, 3 ; c. 3, n. 1, 9.
[14] Franzelin, de
traditione, p. 181.
[15] In
eam ætatem
incidimus, in qua piaculum videretur vel dubitando affirmare originalem
quam
diximus noxam ad sanctissimam Dei Matrem, eamdemque integerrimam
Virginem vel
punctum temporis adæhsisse. Qua in re, tanta catholicos inter
viget consensio
ut nemo fere hoc decus eximium virgini non deferat libentissime, non
omni qua
potest opera prædicet, non omni obsequiorum genere testetur.
Quamobrem illurn
abundure, et non immerito, diceres qui sibi hoc Virginis decus
asserendum et
vindicandum proponeret. Quid enim hoc rei esset nisi actum agere et
ligna, ut
fert adagiurn, in silvam conferre ? At enimvero alio plane mea
hæc pertinet
disquisitio. Quorsum autem ? Eo nimirum ut argurnenta afferam
atque expendam
quæ ferendæ dogmaticæ de immaculato
conceptu sententiæ vel officere videntur
vel suffragari. (Perrone, De
lmmaculato B.V. Mariæ conceptu, an dogmatico decreto definiri
possit,
disquisitio theologica, 1848. Prœmium.)
[16]Encyclique Ubi
primurn du 2 février 1849.
[17] Non solum
singularem suam et proprii cujusque cleri, populique fidelis erga
Immaculatam
Beatissimæ Virginis conceptum
pietatem, mentemque. denuo confirmarunt,
verum etiam communi veluti voto a nobis expostularant ut Immaculata
ipsius Virginis
conceptio supremo nostro judicio et auctoritate definiretur.
(Bulla Ineffabilis, 8
déc. 1854).
[18]
Voir
Mgr Matou (L'immaculée conception
de
[19] Romani
Pontifices, prout temporum et rerum conditio suadebat, nunc convocatis
œcumenicis conciliis aut explorata Ecclesiæ per
orbem dispersæ sententia, nunc
per synodos particulares, nunc aliis quæ divina suppeditabat
Providentia,
adhibitis auxiliis, ea tenenda definiverunt quæ sacris
Scripturis et
Apostolicis traditionibus consentanea, Deo adjutore, cognoverant. Neque
enim Petri
successoribus spiritus sanctus promissus est ut, eo revelante,
novam doctrinam
patefacerent, sed ut, eo assistente, traditam per Apostolos
revelationem seu
fidei depositum sancte custodirent et fideliter exponerent (Constit.
Pastor æternus, cap. IV).
[20] Hurter, Theologiæ compend. n. 667 ; - Mazzella, De Virtutibus infusis, n. 528.
[21] Namque,
etiamsi ageretur de illa subjectione quæ
fideidivinæ actu est præstanda,
limitanta tamen non esset ad ea quæ expressis... decretis
definita sunt ; sed
ad ea quoque extendenda quæ ordinario totius
Ecelesiæ per orbem dispersæ
magisterio tanquam divinitus revelata traduntur, ideoque universali et
constanti consensu a catholicis theologis ad fidem pertinere retinentur (Litter.
ad episc. Monac.,
21 dec. 1863. - Ap. Denzinger, n. 1536). Le lecteur remarquera que parmi
les
vérités
révélées, qui sont toutes l'objet du
magistère ordinaire, Pie IX ne
s'occupe ici que de celles qui n'ont pas été
définies solennellement.
[22] S'il le
faisait, ce serait par des actes du Saint-Siège,
plutôt que par l'accord
spontané des théologiens.
[23] Voir dans les
ouvrages de droit Canon quels sont les droits et les obligations de
l'évêque,
comme docteur et gardien de la foi dans son diocèse.
[24] Cfr. Vincent,
de Ecclesia, n. 205, III. Nous
pourrions nous contenter de cette observation, si l'enseignement de
l'épiscopat
ne portait que sur les vérités de foi catholique,
et qu'on
ne put les altérer
sans tomber dans l'hérésie ; mais il
s'agit, en outre, de savoir si l'épiscopat catholique peut
enseigner des propositions
fausses, téméraires ou dangereuses, ou
même s'il peut professer, de bonne foi
et par ignorance, des doctrines hérétiques en
elles-mêmes, ce qui ne le
rendrait ni formellement hérétique, ni
schismatique.
[25] Voir Benoit
XIV, de Synodo, lib. VI, c. IlI, n.
7
et lib. VII, c. XI ; - Bouix, de Episcopo,
lib. V, c. VI ; Craisson, Manuale,
n.
954 ; et tous les canonistes.
[26] Ce qui est
dit ici est vrai en général : ce n'est, en effet,
que, par exception, que des
évêques hérétiques gardent
une plus ou moins grande part de juridiction dans
l'Église. - On sait les discussions dont, pendant plusieurs
siècles, la juridiction
des évêques grecs schismatiques a
été l'objet. Voir le P. Thomas de
Jésus, de Unione schismaticorum,
c.
[27] Ecône tombe dans la
même hérésie
gallicane : les
définitions des
Papes conciliaires ne sont irréformables
qu’après qu’elles aient
été
sanctionnées par le consentement
d’Ecône.
[28] Voir
Mazzella, de Ecclesia, II. 1652,
note
"Novimus, dit-il, Syllabum
non
præ se ferre formas seu formalitates adhiberi solitas in
constitutionibus
dogmaticis edendis".
[29] Peut-être
quelqu'un objectera-t-il que, le Syllabus
ayant été dressé par un autre que le
Pape, on doit lui refuser l'infaillibilité,
aussi bien qu'aux décisions doctrinales des
congrégations romaines. Mais qu'on
veuille bien remarquer que le Syllabus
exprime d'une façon certaine les enseignements du Pape,
pendant que les décrets
des congrégations expriment les décisions des
congrégations elles-mêmes et non
celles du Souverain Pontife. Le Syllabus
est, au contraire, l'expression de la doctrine du Pape, dans
son magistère
ordinaire, et non l'expression de la doctrine de celui qui l'a
rédigé.
[30] Cum
videremus... nunquam satis lugenda damna quæ in christianum
populum ex tot
erroribus redundant, pro Apostolici nostri ministerii officio,
illustria
prædecessorum nostrorum vestigia sectantes, nostram extulimus
vocem, ac
pluribus in vulgus editis encyclicis epistolis et allocutionibus in
consistorio
habitis, aliisque apostolicis litteris præcipuos
tristissimæ nostræ ætatis
errores damnavimus (Encyc. Quanta cura, 8 déc. 1864).
[31] Le cardinal
Mazzella dit de ceux qui soutiennent ce sentiment, qu'ils sont
"viros aliquot, paucos tamen haud mediocris ingenii" (de
Ecclesia, p. 822). Il fait allusion à
Mgr Fessier qu'il nomme. J'ignore s'il a en vue d'autres personnages
distingués
par leur science ; mais j'ai sous les yeux des notes prises
à Rome, en 1883-84,
aux conférences d'un canoniste
célèbre, et où l'on soutient que le Syllabus n'est pas une
définition
infaillible, parce que c'est une collection privée,
semblable au décret de
Gratien et qui n'a pas été promulguée
par le Pape lui-même, suivant les règles
du droit. Je ne sais si la doctrine du conférencier a
été bien rendue par
l'étudiant qui rédigeait ces notes ; mais les
notes ont le tort de supposer
que, pour être infaillibles, les enseignements pontificaux
doivent être tous
édités dans la forme exigée pour
l'authenticité des lois.