Des sentiments que les catholiques doivent avoir pour N. S. P. le Pape

Le P. Faber les a admirablement exposés dans le sermon qu'il prêcha dans l'église de l'Oratoire de Londres le jour où furent inaugurées les prières pour le Pape Pie IX qui furent ordonnées à l'occasion de l'invasion des États Pontificaux.

Le saint religieux commença par dire que Notre-Seigneur a voulu perpétuer Sa présence parmi nous non par le divin sacrement de l'autel, mais par les pauvres et par les enfants en qui Il a voulu Se personnifier

Puis il dit : "C'est par la même raison que Jésus nous a laissé le Pape. Le Souverain Pontife est la troisième présence visible de Jésus parmi nous, présence d'un ordre plus élevé, d'un sens plus profond, d'une importance plus immédiate, d'une nature plus exacte que Sa présence dans les pauvres et dans les enfants.

Le Pape est le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre ; il jouit parmi les monarques de la terre de tous les droits et de toute la prééminence souveraine de la sainte Humanité de Jésus. Aucune couronne ne peut être au-dessus de la sienne : de droit divin, il ne peut être le sujet de personne. Toute tentative de l'assujettir est une violence et une persécution. Il est roi en vertu même de son ministère, car il est de tous les rois le plus rapproché du Roi des rois. Il est l'ombre visible qui part du Chef invisible de I'Eglise dans le Saint-Sacrement. Son ministère est une institution qui émane des mêmes profondeurs du Cœur sacré de Jésus. C'est une manifestation du même amour, un développement du même principe. Avec quel soin, avec quel respect, avec quelle fidélité ne devons-nous pas correspondre à cette grâce si magnifique, à cet amour merveilleux que notre aimable Sauveur nous montre dans le choix et dans l'institution de Son Vicaire sur la terre !

La conclusion à tirer de cela est de la plus haute importance : c'est que la dévotion au Pape forme une partie essentielle de la piété chrétienne. Ce n'est pas là un sujet étranger à la vie spirituelle, comme si la Papauté n'avait rapport qu'au gouvernement de l'Église et n'était qu'une institution relative à sa vie extérieure, un ministère divinement approprié au gouvernement ecclésiastique. C'est à la fois une doctrine et une dévotion, c'est une partie intégrante du plan de Notre-Seigneur. Jésus se trouve dans le Pape d'une manière encore plus haute que dans les pauvres et dans les enfants. Ce qui est fait au Pape est fait à Jésus Lui-même. Tout ce qu'il y a de royal, tout ce qu'il y a de sacerdotal dans Notre-Seigneur se trouve rassemblé dans la personne de Son Vicaire, pour recevoir nos hommages et notre vénération. On pourrait aussi bien essayer d'être bon Chrétien sans la dévotion à la sainte Vierge que sans la dévotion au Pape, et par la même raison dans les deux cas. La Mère de Jésus-Christ et Son Vicaire font également partie de Son Évangile.

Je vous prie d'avoir à cœur cette vérité, surtout au temps actuel. Sans aucun doute, de grandes conséquences résulteraient, pour le bien de la religion, de la claire vue de cette vérité que la dévotion au Pape est une partie essentielle de la piété chrétienne.

Si le Pape est la visible présence de Jésus, unissant en lui la juridiction spirituelle et temporelle qui appartient à l'humanité sainte du Sauveur, et si la dévotion au Pape est un élément indispensable de toute sainteté chrétienne, de telle sorte que sans elle il ne peut y avoir de solide piété, il nous importe beaucoup de voir quelles sont nos dispositions à l'égard du Vicaire de Jésus-Christ, et d'examiner si nos sentiments habituels sont tels que le demande Notre-Seigneur. Je désire ne parler de ce sujet qu'au point de vue de la piété, parce que je considère ce point de vue comme très important. Ma position et mon ministère, aussi bien que mes goûts et mes sentiments, me commandent cette façon d'envisager la question. Lorsque I'Eglise est en paix, on conçoit que les catholiques ne comprennent pas comme ils le devraient de quelle nécessité est la dévotion au Pape et combien elle est essentielle à la piété chrétienne. Ils peuvent penser que leur affaire est de se rendre à l'église, de fréquenter les sacrements et d'accomplir exactement leurs exercices spirituels particuliers ; il peut leur sembler qu'ils n'ont rien à voir à ce qu'ils regardent comme du ressort exclusif du gouvernement ecclésiastique. C'est là sans doute une fâcheuse erreur en tout temps, et, en tout temps, l'âme doit en souffrir, parce qu'elle la prive de grâces plus élevées et l'empêche d'avancer dans la perfection. C'est un caractère invariable des saints, à toutes les époques, d'avoir une vive et sensible dévotion envers le Saint-Siège. Mais lorsque nous vivons dans des temps de troubles et d'afflictions pour le Souverain Pontife, nous devons aussitôt comprendre avec quelle rapidité décline la piété pratique, par une suite nécessaire de vues fausses au sujet de la Papauté ou d'une conduite lâche à l'égard du Pape. On est alors étonné de découvrir combien sont intimement unies une noble fidélité au Pape et notre générosité à l'égard de Dieu, aussi bien que les libéralités de Dieu à notre égard. Il faut que nous partagions, il faut que nous regardions comme un devoir de notre piété particulière de partager chaudement les sympathies de I'Eglise pour son Chef visible, ou bien Dieu ne nous montrera plus de sympathie. A chaque époque, comme à chaque vocation, la grâce n'est donnée qu'à certaines conditions. Durant les époques où Dieu permet que Son Eglise soit attaquée, dans la personne de son Chef visible, l'œuvre du Saint-Siège doit être regardée comme une condition implicite de tout progrès dans la grâce.

Sur quels motifs doit donc être fondée notre dévotion au Pape ?

Premièrement et avant tout, sur ce fait qu'il est le Vicaire de Jésus-Christ. Son ministère a pour but l'accomplissement même des desseins qui ont amené sur la terre la présence visible de Notre-Seigneur. Sa juridiction s'étend sur nous comme celle même du Sauveur.

La grandeur redoutable du ministère pontifical est un autre motif de notre dévotion au Pape. Qui peut envisager sans trembler une si terrible responsabilité ? Des millions de consciences dépendent de lui, des milliers de causes attendent sa décision. Les intérêts qu'il doit régler sont d'une importance supérieure à tous les autres, puisque ce sont les intérêts éternels des âmes. Une seule journée du gouvernement de l'Eglise renferme plus de conséquences graves qu'une année du gouvernement des plus puissants empires de la terre. Comme le Souverain Pontife a besoin de s'appuyer sur Dieu pendant ces longues journées ! Avec quelle anxiété il doit attendre les continuelles inspirations du Saint-Esprit pour distinguer la vérité au milieu du bruit de tant de contradictions ou dans l'obscurité de telles distances ! La colombe qui murmurait tout bas à l'oreille de saint Grégoire n'est-elle pas le symbole de la Papauté ? Parmi ces gigantesques travaux, de tous les travaux de la terre les plus ingrats peut-être et les moins appréciés, combien touchante est la faiblesse du Souverain Pontife, comme l'état de faiblesse de son bien-aimé Maître ! Sa puissance est dans la patience, sa majesté dans la longanimité. Il est la victime de toutes les insolences, de toutes les perversités qui viennent de haut. Il est, en toute vérité, le serviteur des serviteurs de Dieu. Les hommes peuvent le charger d'injures, de même qu'ils ont craché au visage du Maître ; ils peuvent l'humilier et l'outrager avec leurs soldats comme Hérode le fit à l'égard du Sauveur ; ils peuvent sacrifier ses droits aux exigences momentanées de leur propre lâcheté, de même que Pilate sacrifia autrefois Notre-Seigneur. Il peut y avoir dans les gouvernements des lâchetés dont aucune autre lâcheté humaine ne saurait atteindre la profondeur, et c'est spécialement à souffrir de ces bassesses qu'est destiné le Vicaire de Jésus-Christ. Des hommes qui ont sur la tête des couronnes d'or portent envie à cette tête couronnée d'épines ; ils murmurent contre cette douloureuse souveraineté, pour laquelle il est prêt à donner sa vie, parce qu'elle lui a été confiée par son Maître et qu'elle n'est pas sa propriété. A chaque génération qui se succède, Jésus, dans la personne de Son Vicaire, Se retrouve devant de nouveaux Pilates et de nouveaux Hérodes. Le Vatican est moins un palais qu'un Calvaire. Qui pourrait considérer cette touchante grandeur de la faiblesse et la comprendre en chrétien sans être ému jusqu'aux larmes ?

Lorsque nous sommes malades, une pensée fâcheuse se glisse quelquefois dans notre cœur : nous pensons que Notre-Seigneur n'a pas sanctifié cette croix en la portant Lui-même. Mais n'a-t-Il pas supporté et béni toutes les peines corporelles dans les innombrables souffrances et dans les mystérieuses cruautés de la Passion ? Cependant Il n'a pas souffert les incommodités de la vieillesse, le poids des années n'a jamais plissé Son beau visage, la lumière de Ses yeux ne s'est jamais obscurcie, la ferme virilité de Sa voix ne s'est jamais affaiblie ; il ne convenait pas que l'honorable décadence de l'âge s'approchât de Lui. Mais Il veut bien être vieux dans les Pontifes qui Le représentent ; la plupart de Ses Vicaires sont courbés par les ans. Je vois là un nouvel exemple de Son amour, une autre manière de pourvoir à la diversité de notre amour pour Lui. Personne, en Judée, ne put L'honorer de cet amour particulier qui fait la gloire de l'homme de bien arrivé à la vieillesse. L'hommage rendu aux vieillards est une des plus belles générosités de la jeunesse ; mais la jeunesse de Judée n'a pu jouir du bonheur de témoigner cette sorte de respect à Jésus en Le servant. Maintenant, au contraire, dans la personne de Son Vicaire, dont la sollicitude est rendue mille fois plus touchante et la faiblesse plus attendrissante à cause de son âge, nous pouvons nous approcher de Jésus avec de nouveaux ministères d'amour. Une nouvelle manière de L'aimer est offerte à l'ardeur et à la tendresse de notre affection. Dans ce fait, dans ce conflit d'un vieillard désarmé avec les grandeurs, avec les privilèges, avec la fausse sagesse des jeunes et orgueilleuses générations qui s'élèvent, il y a certainement une nouvelle source de notre dévotion au Pape.

Rien ne peut être plus vénérable aux yeux de la foi que la manière dont le Pape représente Dieu. C'est comme si le ciel était toujours ouvert au-dessus de sa tête et que la lumière en descendît sur lui, et qu'il vit, comme Étienne, Jésus assis à la droite du Père, pendant que le monde grince des dents contre lui avec une haine, avec une rage surhumaine qui doit souvent l'étonner lui-même. Mais, aux yeux de l'incrédule, la Papauté, comme toutes les choses divines, n'est qu'un spectacle pitoyable et honteux, qui ne peut provoquer que la colère et le mépris. Ce mépris même doit devenir l'objet de notre dévotion, parce que nous devons nous attacher à en faire une réparation constante. Nous devons honorer le Vicaire de Jésus-Christ avec une foi pleine d'amour et un respect plein de confiance et de simplicité. Nous ne devons nous permettre aucune pensée irrévérencieuse, aucun lâche soupçon, aucune incertitude pusillanime sur ce qui concerne sa souveraineté, soit spirituelle, soit temporelle, car sa royauté temporelle elle-même est une partie de notre religion. Nous ne devons pas nous permettre l'irrespectueuse déloyauté de distinguer en lui et dans son ministère, entre ce que nous pouvons considérer comme humain et ce que nous pouvons reconnaître comme divin. Nous devons le défendre avec toute la constance, avec toute l'énergie, avec tout le dévouement, avec toute l'étendue que l'amour sait employer pour défendre les choses sacrées pour lui. Nous devons l'aider de prières désintéressées ; nous devons le servir avec une soumission entière, cordiale, joyeuse, et surtout dans ces abominables jours d'accusations et de blasphèmes, avec la plus éclatante, la plus chevaleresque et la plus intrépide fidélité. Il s'agit des intérêts de Jésus-Christ, nous ne devons ni perdre de temps, ni nous tromper de drapeau.

Il y a eu des époques, dans les épreuves de I'Eglise, où la barque de Pierre a paru s'enfoncer dans les sombres profondeurs de la mer. Il y a des pages de l'histoire qui nous enlèvent la respiration quand nous les lisons, et qui arrêtent les battements de notre cœur, quoique nous sachions bien que la page suivante nous racontera quelque nouveau triomphe après ces humiliations. Nous sommes à une de ces tristes époques : c'est un temps pénible à supporter ; mais, ni l'indignation n'accomplit les œuvres de la justice de Dieu, ni l'amertume ne nous donne accès auprès de Lui. Il y a, au contraire, une force puissante dans l'affliction du fidèle ; c'est une force que le monde redouterait, s'il pouvait seulement la discerner ou la comprendre. Le silence de l'Église attire les regards mêmes des anges qui la contemplent dans l'attente des événements futurs. Nous devons aussi attendre dans la patiente tranquillité de la prière. Les blasphèmes de l'incrédulité peuvent réveiller notre foi, les hésitations des enfants de l'Église peuvent tourmenter nos cœurs ; mais que notre douleur ne mêle pas d'amertume à sa sainteté. Fixons nos regards sur Jésus, et accomplissons le double devoir que Son amour nous impose aujourd'hui. Je dis le double devoir, car il y a des jours où Dieu attend la profession ouverte de notre foi et l'intrépide déclaration de notre fidélité ; il y a des jours aussi où le sentiment de notre faiblesse extérieure nous pousse à nous appuyer plus que jamais sur la prière intérieure, et c'est là notre second devoir. La profession ouverte de notre foi serait de peu de prix sans la prière intérieure, mais je pense que la prière intérieure serait presque aussi inutile sans cette profession ouverte de notre part. Beaucoup de vertus grandissent en secret ; la fidélité ne peut prospérer qu'aux rayons du soleil et sur les collines.

Grâce à l'ineffable permission de la miséricorde de Jésus, nous allons élever sur son trône sacramentel le Chef invisible de l'Église afin de pouvoir secourir notre Chef visible, Son Vicaire bien-aimé et sacré, notre bien-aimé et vénérable Père. Je n'ai pas besoin de vous dire ce que vous avez à demander, ni comment vous devez prier ; mais j'ai une pensée qui m'a souvent préoccupé, et que je veux vous communiquer en terminant : J'ai la confiance invincible que ceux là seront bien accueillis dans le ciel, qui auront particulièrement aimé sur la terre le Pape qui a défini le dogme de l'Immaculée Conception.

Semaine Religieuse de Cambrai, 6 juillet 1912.

Il est évident qu'il faut lire ce texte en pensant que le P. Faber enseigne à une époque bienheureuse où l'Eglise est en ordre. Il est évident qu'à notre époque d'église conciliaire non-catholique, de telles pensées si surnaturelles, ne s'appliquent pas aux "papes" usurpateurs, vrais Antéchrists. Elles sont même, dans ce cas, objet d'accusation. Ce texte doit être pour nous la référence de ce que nous croyons et de ce que nous devons demander dans nos prières.