IL EST évident à la lecture de ce docUment que

la secte conciliaire ne peut-être l’Eglise catholique.

tout s’y oppose.

A propos d'un texte essentiel du Cardinal Journet

Il nous faut absolument savoir où se trouve l'Eglise, car hors de l'Eglise, il n'y a point de salut. L'Eglise est, où les sacrements institués par Notre Seigneur sont inchangés et, où le dépôt de la foi est fidèlement transmis depuis les Apôtres jusqu'à aujourd'hui.

Une grave question se pose à propos du sacre des nouveaux évêques conciliaires. Sont-ils véritablement évêques ? On peut en douter, comme le prouve l'étude de Coomaraswamy qui rejoint celles citées par le Cardinal Journet.

Or, la véritable Eglise de Jésus-Christ, nous dit Journet, est sacramentelle. "Ce sont les sept sacrements qui constituent l'Eglise" dit saint Thomas d'Aquin. Celui qui arrive à invalider les sacrements détruit l'Eglise plus efficacement que par tous les assassinats. L'Eglise de Jésus-Christ n'est pas où les sacrements sont invalides.

Le changement de tous les sacrements par la secte conciliaire atteint jusqu'au sacrement de l'ordre dans l'épiscopat. Les formes sacramentelles ont été modifiées sans en excepter aucune. Pourquoi ?

D'aucuns nous affirment : " Ne vous inquiétez pas, c'est la même chose". Si "c'est la même chose", pourquoi avoir changé chacune des sept formes sacramentelles ? Pourquoi interdiction d'utiliser les anciens sacrements ? Pourquoi persécution de ceux qui restent fidèles ?

La chaîne ininterrompue des sacres et ordinations valides et légitimes remontant aux Apôtres constitue l'apostolicité de l'Eglise. Si une interruption rompt cette chaîne séculaire, c'est que l'on est en présence d'une institution non assistée par le Saint Esprit, une nouvelle église schismatique.

Mais, au moment où deux Églises se séparent, chacune prétend être l'Eglise du Christ, et chacune finira par accuser l'autre d'être responsable de la rupture. La véritable rupture se reconnaîtra à deux signes : la dissidence et l'innovation. L'Eglise du Christ est où se trouve l'antiquité.

Qu'une autre institution, apparemment identique, reprenne la place : il pourra sembler que rien n'est modifié ; en réalité, tout sera bouleversé, et cela ne tardera pas à paraître.

Le siège de Pierre n'est pas occupé par un successeur de Pierre, un Vicaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il est occupé par un usurpateur.

La fidélité au siège n'est requise que s'il y a fidélité à la doctrine apostolique et aux sacrements institués par Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Le texte du Cardinal est clair et ne peut engendrer d'équivoque.

Ainsi est condamné la secte conciliaire. Ainsi sont condamnés ceux qui vivent en communion avec cette secte, ainsi blasphèment ceux qui osent confondre les papes conciliaires avec de vrais successeurs de Pierre.

Nous ne voulons pas leur condamnation. Nous voulons leur conversion.

Alors, où est l'Eglise ?

Elle est éclipsée. La très Sainte Vierge Marie a tout dit à La Salette..

Et le propre de l'éclipse est de ne pas durer.

Après l'épreuve, nous retrouverons bientôt la véritable Eglise, encore plus belle et plus sainte.

Veillons et prions.

Cardinal CHARLES JOURNET

L'EGLISE DU VERBE INCARNE

ESSAI DE THÉOLOGIE SPÉCULATIVE. T. 1 LA HIÉRARCHIE APOSTOLIQUE[1]

CH. X : L'APOSTOLICITÉ, PROPRIÉTÉ ET NOTE DE LA VÉRITABLE ÉGLISE

I. L'APOSTOLICITÉ CONSIDÉRÉE COMME PROPRIÉTÉ

1. "Église apostolique", nom de plénitude

Romaine est l'un des noms de l'Église plénière. Néanmoins, ce n'est pas son nom complet.

Parce qu'elle est orientée dans le vrai, tant spéculatif que pratique, par une vertu qui descend des cieux en passant à travers le Cœur de Jésus puis à travers le pouvoir juridictionnel ou pastoral, lequel, tout entier, réside premièrement - ce qui ne veut pas dire exclusivement[2] - dans le personnage permanent de Pierre, en qui l'épiscopat universel, le pouvoir pastoral universel, est désormais attaché à l'épiscopat romain, la vraie Église sera romaine.

Parce qu'elle peut, en vertu du pouvoir sacramentel d'ordre, continuer de faire ce que fit Jésus-Christ au soir de la Cène, et s'unir ainsi, d'une manière valide et liturgique, au sacrifice de la croix, perpétuellement offert de l'Orient à l'Occident sous une forme non sanglante ; et parce qu'elle peut, par les sacrements, faire descendre des cieux, jusque dans le fond des âmes, la grâce, racine de la foi et de la charité, la vraie Église sera sacramentelle.

Église romaine, Église sacramentelle, ce sont de beaux noms partiels. Ils désignent la véritable Église par les deux pouvoirs divins sans lesquels elle n'aurait su se propager ni ne saurait se maintenir. Si l'on cherche maintenant un nom de plénitude, capable de désigner, par sa cause efficiente et conservatrice, la véritable Église, on dira - qu'elle est apostolique.

2. Médiation apostolique et succession apostolique

Confesser que la véritable Église est apostolique, c'est confesser qu'elle dépend, comme la chaleur dépend du feu, d'une vertu spirituelle qui réside dans la Trinité sainte, qui descend ensuite, par étages, d'abord dans l'humanité du Christ, puis dans le double pouvoir sacramentel et juridictionnel du corps apostolique, enfin jusqu'au peuple chrétien. Où se trouve cette médiation, cette chaîne, se trouve la véritable Église, composée, nous aurons à le dire, de justes qui seront sauvés et de pécheurs qui seront damnés. Où manque cette médiation, cette chaîne, manque la véritable Église : c'est-à-dire non pas toujours l'appartenance ontologique initiale, déjà salutaire, mais en tout cas l'appartenance ontologique consommée à la véritable Église. Nul anneau de la chaîne ne peut être supprimé ou même changé : la Déité est éternelle, Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et pour tous les siècles (Hébr., xiii, 8), et jusqu'à la fin du temps il assistera le corps apostolique (Mt., fin). Un Dieu éternel, un Christ immortel, un corps apostolique indéfectible, enfin les nations fidèles, voilà l'ordre évangélique.

Mais comment le corps apostolique sera-t-il indéfectible, sinon grâce à une succession ininterrompue ? Qu'il y ait faille, et, qu'ensuite une autre institution, apparemment identique, reprenne la place : il pourra sembler que rien n'est modifié ; en réalité, tout sera bouleversé, et cela d'ailleurs ne tardera pas à paraître. Certes, dans une pareille hypothèse, ni Dieu, ni le Christ n'auraient été mis en question seulement, l'institution qui prétendrait remplacer le corps apostolique et qu'une rupture en séparerait, étant une institution nouvelle, ne saurait être l'institution indéfectible fondée dans le monde par Jésus ; en conséquence, elle n'hériterait d'aucun des mystérieux privilèges attachés par Jésus au vrai corps apostolique ; elle n'aurait qu'une similitude du pouvoir d'ordre, qu'une similitude du pouvoir de juridiction, et qu'une apparence de pérennité. De ce point de vue, la nécessité de la succession ininterrompue du corps apostolique, apostolicae successionis praerogativa[3], se perçoit avec évidence. Sans elle en effet, le dernier anneau de la chaîne à laquelle est suspendue l'Église se briserait, l'apostolicité divine de l'Église s'effondrerait[4].

En conséquence, dire que l'apostolicité est une propriété de l'Église, cela signifiera que l'Église résulte du corps apostolique comme de sa cause propre immédiate - ce qui s'entend de l'immédiation de suppôt -, sa cause propre ultérieure étant d'abord l'humanité du Christ, puis enfin la Trinité. L'apostolicité marque ainsi la dépendance de l'Église par rapport à ses causes divines, et surtout par rapport à la plus prochaine de ces causes. Elle rappelle la manière dont l'Église a été répandue et dont elle est sans cesse enfantée dans le monde. Disons qu'elle lui convient ratione causatitatis, secundum perseitatem quarti modi.

3. La vertu d'apostolicité

On pourrait convenir sans doute de désigner par apostolicité la force qui donne naissance à l'Église.

On définirait alors l'apostolicité : la vertu surnaturelle (aspect formel) qui, pour former l'Église (cause finale) parmi les hommes (cause matérielle), descend de Dieu (cause efficiente première), puis du Christ (cause instrumentale conjointe à la divinité), puis d'un corps apostolique conservé par une succession ininterrompue (cause instrumentale séparée de la divinité : les mots "cause instrumentale" étant pris ici au sens large, car, à parler rigoureusement, c'est le seul pouvoir sacramentel, non le pouvoir juridictionnel, qui est instrumental au sens strict).

La définition par la "cause instrumentale séparée" associe, on le remarquera, trois notions nécessaires à l'apostolicité : d'abord, tenir celle d'une médiation par laquelle Dieu continue de soutenir Son Église, et dont les chaînons sont le Christ, puis le corps apostolique ; ensuite celle d'un corps, la médiation étant confiée non pas à des individus surgissant isolément, mais à un groupe constitué organiquement et capable de ce fait de garder une personnalité continue quand ses membres sont enlevés par la mort ; enfin, celle d'une succession ininterrompue de ce corps apostolique[5]. Pourquoi ? Il en faut chercher la raison dans le fait que le dernier chaînon qui doit transmettre aux hommes la vertu apostolique, à savoir le corps apostolique ou hiérarchique, a été établi par le Christ même, pour durer jusqu'à la fin du temps : composée dans la ligne de l'ordre d'évêques, de prêtres, de ministres, et dans la ligne de la juridiction d'un pontificat suprême et d'un épiscopat subordonné, la hiérarchie est une institution médiate, organique et permanente. Aussi la vertu formatrice et conservatrice de l'Église, la vertu apostolique, ne passera pleinement que là où l'ordonnance première du corps apostolique n'a été ni altérée ni interrompue. Ailleurs, elle sera empêchée, en tout ou en partie, et l'Église ou bien ne sera pas, ou bien sera mutilée.

4. La propriété d'apostolicité, considérée dans I'Eglise croyante

Mais on peut certes entendre par apostolicité une propriété de l'Église.

On définira alors l'apostolicité, la propriété qui convient à l'Eglise du fait qu'elle résulte d'une vertu surnaturelle, reçue de Dieu par le Christ et par le corps apostolique conservé d'une manière ininterrompue, le corps apostolique signifiant la hiérarchie que le Christ a disposée suivant le pouvoir d'ordre en évêques, en prêtres, en ministres, et suivant le pouvoir de juridiction en pontificat suprême et en épiscopat subordonné, en sorte que, partout où le corps apostolique est mutilé ou absent, la propriété d'apostolicité est mutilée ou absente.

Telle est, nous semble-t-il, la notion évangélique la plus compréhensive de l'apostolicité comme propriété de l'Église[6].

5. La propriété d'apostolicité, considérée dans l'Église à la fois croyante et enseignante

C'est l'Église telle qu'elle se trouve chez tous les fidèles, l'Eglise croyante et aimante, appelée parfois l'Eglise enseignée, qui dépend du corps apostolique comme de sa cause propre. Mais on peut enfler davantage le sens du mot Église, pour lui faire signifier à la fois la communauté des fidèles et les pouvoirs hiérarchiques, à la fois l'Eglise enseignée et l'Église enseignante. De ce fait, les pouvoirs hiérarchiques, considérés jusqu'alors comme extérieurs à l'Église, passeront à l'intérieur d'elle-même : étant par essence spirituels, - bien que manifestés au dehors en raison de l'appareil sensible dont ils s'entourent -, ils relèveront directement de l'âme créée de l'Église, tandis que les inégalités visibles qu'ils entraînent relèveront du corps de l'Église. Il faudra donc ranger du côté de l'âme de l'Église

1° les pouvoirs sacramentels du baptême, de la confirmation et encore de l'ordre ;

2° le pouvoir juridictionnel lui-même avec la droite orientation qu'il imprime en tous ceux qui l'écoutent avec foi et obéissance ;

3° la grâce sacramentelle.

En d'autres mots, les pouvoirs d'ordre et de juridiction, conférés d'abord aux apôtres et transmis jusqu'à nous sans interruption, sont un élément constitutif et permanent de l'âme créée de l'Église. L'âme créée de l'Église, par une nécessité structurelle, est donc hiérarchisée ou apostolique. De ce point de vue, l'Église sera appelée apostolique, non plus, comme précédemment, parce qu'elle dépend du corps apostolique comme d'une cause extrinsèque ; elle est apostolique parce qu'elle renferme en ses flancs le corps apostolique, parce qu'elle porte à l'intérieur d'elle-même les pouvoirs divins d'ordre et de juridiction reçus des apôtres par voie de succession ininterrompue. C'est en vertu de son essence qu'elle est apostolique ou hiérarchique. L'apostolicité lui convient non plus ratione causalitatis, mais ratione formae, secundum perseitatem secundi modi. L'apostolicité pourrait alors se définir la propriété, qui convient à l'Église du fait que, résultant d'une vertu surnaturelle venue de Dieu par le Christ, elle possède en elle le pouvoir hiérarchique d'ordre et de juridiction, conservé depuis le temps des apôtres par transmission ininterrompue.

6. L'apostolicité comme objet de foi

Qu'on la définisse par rapport à l'Église telle qu'on la trouve communément chez tous les fidèles, ou par rapport à l'Église comprenant en elle à la fois le peuple fidèle et les pouvoirs hiérarchiques, l'apostolicité est une propriété mystérieuse. Ce n'est pas la raison, ni l'histoire, c'est la foi qui nous enseigne que, partie du sein même de la Trinité, une vertu divine passe à travers la sainte âme du Christ, puis à travers les pouvoirs hiérarchiques, pour dispenser au monde le salut surnaturel et rassembler le peuple de Dieu.

Ces pouvoirs hiérarchiques ou apostoliques, de qui l'Église tiendra son caractère hiérarchique ou apostolique - soit qu'on pense à l'Église croyante et aimante issue de la hiérarchie, soit, qu'on transporte la hiérarchie au sein de l'Église pour qu'elle devienne une partie constitutive de son essence - ne sont-ils pas en eux-mêmes de purs mystères, objets de foi, non d'évidence ? Sans doute, nous pouvons vérifier historiquement la continuité ininterrompue, de génération en génération, de certains enseignements doctrinaux, comme sont les dogmes, et de certains rites extérieurs, comme sont le sacrifice et les sacrements. Mais croire que ces enseignements sont, en termes analogiques sans doute, l'expression infaillible des mystères cachés dans le Cœur de Dieu, croire que ces rites communiquent le pouvoir de perpétuer l'unique sacrifice rédempteur et de sanctifier les âmes, serait-ce possible sans la vertu divine de la foi ? Si les pouvoirs hiérarchiques ou apostoliques se transmettent par des rites visibles qui peuvent laisser leur empreinte dans le sable de l'histoire, ils demeurent néanmoins intrinsèquement hors des prises de l'investigation historique, rationnelle ou psychologique ; et le caractère hiérarchique ou apostolique, affectant nécessairement la véritable Église, ne sera pas moins mystérieux que ne l'est la véritable Église. Nous croyons l'apostolicité comme nous croyons l'Église, credo... apostolicam Ecclesiam.

Il. L'APOSTOLICITÉ CONSIDÉRÉE COMME SIGNE DE LA VÉRITABLE ÉGLISE

I. REMARQUES PRÉLIMINAIRES

1. Les propriétés sont mystérieuses, les notes miraculeuses

Prise dans son principe, l'apostolicité est donc mystérieuse et objet de foi divine ; mais prise dans ses manifestations, elle devient un signe révélateur de la véritable Église. Un peu à la manière dont la vie, la mort ou la résurrection du Sauveur sont, prises sous un aspect, de purs mystères et, prises dans leur accompagnement sensible, dans leur enveloppe extérieure, des signes miraculeux.

Il faudra parler de la même façon de l'unité, de la catholicité et de la sainteté de l'Église : elles sont, dans leur principe, des mystères et, par leurs contrecoups sur les choses visibles, des miracles. SI l'on admet, en effet, que l'âme de l'Église est tout entière invisible, mystérieuse, objet de la seule connaissance de foi, mais que cette âme en vivifiant le corps social de l'Église, le transforme, l'illumine, le soulève au-dessus de tous les autres organismes sociaux, de manière à le désigner comme un miracle social permanent, l'on devra dire pareillement que les propriétés de l'Église, qui affectent tout d'abord son âme, sont, dans leur principe, invisibles, mystérieuses, mais que, dans la mesure où elles se communiquent à son corps, elles commencent à paraître visiblement, à être objet de constatation, et à devenir comme autant de signes divins. L'unité, la sainteté, la catholicité, l'apostolicité représentent ainsi des propriétés qui demeurent sous un aspect, invisibles, mystérieuses, mais qui, en se reflétant dans le corps de l'Église, deviennent visibles et se présentent comme des miracles. Lorsqu'on traitera d'un point de vue apologétique de ces propriétés, l'on sera conduit à faire abstraction de leurs racines profondes, mystérieuses, pour ne considérer que leur manifestation visible dans le corps de l'Église et leur éclat miraculeux. C'est alors quelles prendront, d'une manière stricte, le nom de signes ou de notes de la véritable Église. Le concept de propriété nous apparaît donc comme plus compréhensif, et le concept de note comme plus restreint[7].

2. La connexion métaphysique de toutes les propriétés et de toutes les notes

Disons-le tout de suite : les propriétés essentielles ne peuvent pas être séparées de l'essence ; elles s'en distinguent conceptuellement, mais elles s'identifient réellement avec elle. Où se trouve l'apostolicité se trouveront donc l'unité, la catholicité, la sainteté, et réciproquement.

Il en est de même des notes, qui ne sont autre chose que les propriétés "dans la mesure où celles-ci sont apparentes et connues extérieurement"[8]. Une seule note suffit à manifester la véritable Église ; mais où l'on trouve cette note l'on trouvera aussi toutes les autres[9]. Il est possible cependant de les considérer à part ; car, si elles sont identiques dans la réalité, elles sont distinctes conceptuellement. Elles sont des aspects multiples d'une même réalité, trop riche pour être captée par un seul concept.

3. La place des propriétés et des notes dans le traité de l'Eglise

Si les choses sont telles, on voit quelle place il faut assigner, dans le traité de l'Église, à l'étude des propriétés et des notes. Elle apparaît comme un corollaire de l'étude des quatre grandes causes de l'Église : l'apostolicité se rattachant à la cause efficiente ; l'unité et la catholicité, à la cause formelle et à la cause matérielle ; la sainteté, à la cause finale.

Il sera toujours loisible, évidemment, de détacher du traité de l'Église chacune des notes, pour l'étudier à part, d'une façon plus minutieuse, et pour faire ressortir davantage l'aspect par lequel elle rencontrera les préoccupations d'une époque.

4. Les notes peuvent-elles apparaître imparfaitement dans les églises dissidentes ?

Dans la mesure où les Églises dissidentes détiennent encore des éléments chrétiens, dans la mesure où elles ont emporté avec elles des fragments de la véritable Église, on pourra retrouver en elles, à l'état dégradé quelque chose de sa nature et par conséquent quelque chose de son rayonnement.

Nous croyons donc à la possibilité d'une certaine présence atténuée et altérée des notes jusque dans les Églises dissidentes. Loin de prouver l'inefficacité des notes à manifester la véritable Eglise, cette présence imparfaite atteste, au contraire, l'existence d'un reste de la véritable Église au sein même des sectes qui l'ont quittée. Elle permet de retrouver, jusque sous leurs décombres, quelque chose de la splendeur du dessin primitif.

 Les apologistes catholiques ont souvent reconnu la présence de signes d'origine chrétienne dans les Églises séparées. Ils leur ont parfois donné le nom de "notes négatives", c'est-à-dire de notes accompagnant la véritable Église, mais insuffisantes à la révéler. Disons plutôt qu'il s'agit de notes dégradées ou mutilées. Par comparaison avec les notes considérées dans leur état de perfection et d'intégrité, elles témoignent à la fois de la présence d'éléments chrétiens dans les Églises dissidentes, et des altérations qu'ils y ont subies.

Nous dirons par exemple que les Églises orientales, où s'effectue validement la transmission du pouvoir d'ordre possèdent une apostolicité partielle et mutilée.

5. L'apostolicité comme note

Considérons donc l'apostolicité comme note. Il importe beaucoup de le faire remarquer, elle peut devenir un signe de la véritable Église pour deux sortes de chercheurs :

a) pour ceux qui croient déjà que Jésus et les apôtres ont donné au monde la religion définitive ; la preuve par l'apostolicité présuppose alors, chez le chercheur, l'acceptation d'une donnée de foi ; en ce sens, l'apostolicité est un signe mixte, relevant en partie de la foi et en partie de la raison ; c'est à ce titre qu'elle intervient dans l'argumentation, célèbre dès l'origine du christianisme, que Tertullien appellera la prescription ;

b) pour ceux qui n'acceptent encore aucune donnée de foi : elle est alors un signe pur, relevant uniquement de la raison.

Il. L'APOSTOLICITÉ COMME SIGNE MIXTE, OU L'ARGUMENT DE PRESCRIPTION

La considération, de l'apostolicité comme signe mixte, ou de l'argument de prescription, est nommée, par certains apologistes, la via historica[10]. Mais à notre avis, cette appellation, qui parait annoncer un argument purement historique, et qui néglige d'attirer l'attention sur le caractère mixte de l'argument de prescription, ne peut qu'engendrer des malentendus. Aussi la laisserons-nous de côté.

1. La continuité, signe certain de vérité

Si l'on admet que Jésus et les apôtres ont apporté au monde la religion définitive venue du ciel, de deux choses l'une :

ou bien cette religion sera continuée dans le monde par une suite sans défaillance et, dès lors, conservera intact son caractère surnaturel et divin ;

ou bien cette religion sera interrompue, et ce qui lui succédera sera dû à l'initiative humaine et ne pourra venir que d'en bas.

LA CONTINUITÉ EST UN SIGNE CERTAIN DE VÉRITÉ, LA RUPTURE UN SIGNE CERTAIN DE FAUSSETÉ.

2. Deux signes de la rupture

a) DISSIDENCE, (QUOD UBIQUE),

b) INNOVATION, (QUOD SEMPER)

Or la rupture peut être prouvée positivement de deux manières : par la dissidence ou par l'innovation.

a) D'abord par la dissidence, la séparation, le schisme. Mais, au moment où deux Églises se séparent, chacune prétend être l'Église du Christ, et chacune finira par accuser l'autre de dissidence. Y a-t-il une marque permettant de reconnaître où est l'Église du Christ, et où l'Église dissidente ?

Les anciens répondaient : l'Église du Christ est où se trouve l'universalité. "La secte de Donat, écrit saint Augustin, est en Afrique, les eunomiens ne sont pas en Afrique ; mais la Catholica s'y trouve comme la secte de Donat. Les eunomiens sont en Orient, la secte de Donat n'y est pas ; mais la Catholica s'y trouve comme les eunomiens. Elle est comme une vigne qui, en croissant, s'étend partout ; pour eux ils sont comme des sarments inutiles, retranchés par le sécateur du vigneron en raison de leur stérilité, afin que la vigne soit taillée, non amputée. A l'endroit où les sarments ont été coupés, ils sont restés"[11]. Et encore : "Les hérétiques, les uns ici, les autres là, certains ailleurs, se heurtent contre l'unité catholique partout répandue. Car, tandis que l'Église, qu'ils ont quittée est partout, ils n'ont pas réussi, eux, à être partout, et ils s'écrient, selon qu'il a été prophétisé à leur sujet : Voici, le Christ est ici, ou : Il est là"[12]. La route à suivre nous est montrée par les "décisions de l'Église universelle", l' "autorité concordante de l'Église universelle", l' "autorité de la terre entière, universi orbis auctoritas", l' "accord de l'Église universelle"[13]. A son tour, saint Vincent de Lérins rappellera qu'il faut s'en tenir à ce qui est cru partout et par tous, quod ubique, quod ab omnibus : "Nous suivrons l'universalité, si nous confessons comme uniquement vraie la foi que confesse l'Église entière répandue dans l'univers"[14].

Ce n'est pas, certes, que l'on pensât que le nombre pût décider, par lui-même, de la question de vérité, et sur- tout d'une telle vérité. Mais on savait que le Christ avait envoyé les Onze à "toutes les nations" (Mt., fin), qu'ils devaient être ses témoins "à Jérusalem, dans toute la Judée, dans la Samarie et jusqu'aux extrémités de la terre" (Act., i, 8), que Paul avait reçu "la charge d'apôtre parmi toutes les nations pour qu'elles obéissent par la foi" (Rom., i, 5), que les sept Églises auxquelles écrit saint Jean symbolisaient l'Église universelle[15]. On savait aussi que, tandis que l'Église vraie est faite par Dieu pour tous les peuples, les autres Églises, dans la mesure où elles s'écartent d'elle, sont faites par les hommes pour répondre aux aspirations égarées d'un lieu, d'un temps ou d'une culture en sorte que l'Église divine comptera toujours dans l'ensemble et à tenir compte de la durée, plus de fidèles que chacune des Églises dissidentes. On croyait toutefois qu'il n'était pas d'emblée impossible qu'à tel moment la défection fût plus nombreuse que la fidélité ; saint Augustin rappelle qu'au concile de Rimini "la foi de beaucoup fut trompée par l'astuce de quelques-uns", bien que "la liberté de la foi catholique" ait prévalu peu après[16] ; et, à propos du même concile, saint Vincent de Lérins oppose l'attitude de "la presque totalité de l'univers", infectée par le venin de l'arianisme, à celle "de vrais disciples et des vrais adorateurs du Christ" qui préférèrent la foi antique aux perfides innovations[17].

Que conclure ? L'universalité géographique et numérique, le quod ubique, quod ab omnibus sera parfois un critère qui suffira pleinement à désigner la véritable Église et à la distinguer du schisme : quatorze siècles après saint Vincent de Lérins, Newman racontera, dans les pages inoubliables de l'Apologia pro vita sua, le bouleversement qui se produisit dans son âme lorsque, dans la situation où les donatistes d'Afrique et les monophysites d'Orient étaient jadis par rapport à la grande Église, il crut reconnaître avec évidence la situation même où se trouvait en son temps l'Église d'Angleterre.

Toutefois, parce que la véritable Église est mystérieuse dans son essence et dans son mode de diffusion, il arrivera, en d'autres circonstances qui risquent de devenir de plus en plus fréquentes aujourd'hui, où les erreurs comme les vérités peuvent en un clin d'œil faire le tour du globe et pénétrer dans tous les milieux, que le critère de l'universalité pourra demeurer ambigu et aura besoin d'être doublé par un autre critère, celui par exemple de la fidélité à la foi des ancêtres.

Ou plutôt, il aura besoin d'être défini d'une manière plus précise. L'universalité qui importe ici, en effet, est celle, selon le mot de saint Vincent de Lérins, "des vrais disciples et des vrais adorateurs du Christ", ou, selon l'image évangélique, des vraies brebis du Christ. N'y aura-t-il pas un signe pour les reconnaître, pour discerner les vrais fidèles des faux. Oui, sans doute, s'il est vrai que le Christ a confié ses brebis à Pierre, s'il l'a établi sur Son Église, s'il lui a donné ordre de confirmer dans la foi ses frères. Les vrais fidèles seront parmi les fidèles réunis autour de Pierre ; la véritable universalité, celle dont Pierre est le centre ; où sera Pierre, sera l'Eglise[18]. Le critère de l'universalité atteindra dès lors à la rigueur absolue que le Progrès de nos temps rendait souhaitable. Ainsi donc, l'argument par l'universalité prise comme signe d'apostolicité recevra son achèvement à la faveur d'un recours aux prophéties évangéliques concernant Pierre ; le quod ubique, quod ab omnibus est précisé par le quod, ab Ecclesia romana. De cette première manière, la via apostolicitatis débouche dans la via primatus. Et l'on peut en voir comme un signe dans le fait que saint Augustin, qui avait si souvent opposé aux hérétiques l'universalité de la vraie foi, invoquera lui-même expressément l'autorité de Rome, à l'exemple de saint Ambroise, contre les pélagiens : les résolutions des conciles de Carthage et de Milève, dit-il, "ont été transmises au siège apostolique. De là aussi sont venues les décisions. La cause est finie. Plaise à Dieu que l'erreur finisse un jour"[19].

b) La rupture peut encore être prouvée par l'innovation qui fait passer les choses divines pour humaines ou les choses humaines pour divines, selon qu'elle retranche ou ajoute au dépôt révélé. Ce qui a été apporté divinement au monde une fois pour toutes doit être, en effet, conservé sans retranchements ni adjonctions : la révélation suprême, donnée par le Christ et les apôtres, ne saurait être transformée ; les institutions définitives, venues du Christ et des apôtres, ne sauraient être remplacées.

L'Église du Christ est où se trouve l'antiquité.

Les donatistes prétendaient que l'Église, dans la communion de laquelle était resté saint Cyprien, n'était catholique que parce qu'elle comptait certainement, en son sein, des chrétiens qui, tout comme eux, devaient tenir pour nul le baptême conféré par les hérétiques et croire à la nécessité de rebaptiser les convertis. "Quoi donc, réplique saint Augustin, avant Agrippinus qui a inauguré cette nouvelle sorte d'usage contraire à la coutume, l'Église n'existait-elle pas ? Et après Agrippinus, tandis qu'on était revenu - sinon Cyprien n'aurait pas dû songer à réunir un nouveau concile - à la coutume primitive et partout observée suivant laquelle le baptême du Christ reste baptême du Christ, même quand on prouverait qu'il a été donné chez les hérétiques ou les schismatiques, l'Église n'existait-elle plus ? Si en ce temps-là l'Église existait, si l'héritage ininterrompu du Christ, loin d'avoir péri, se répandait au milieu des nations, nous avons donc une raison très sûre de persévérer dans une coutume qui unissait ensemble les bons et les mauvais. Et si, au contraire, l'Église n'existait plus du fait qu'on y avait reçu, sans les rebaptiser, des hérétiques sacrilèges et que telle était la coutume générale, alors à quoi rattacher Donat ? De quelle terre a-t-il germé, de quelle mer a-t-il surgi, de quel ciel est-il tombé ? Pour nous, nous l'avons dit, nous restons en sécurité dans la communion de l'Église où se fait aujourd'hui universellement ce qui se faisait universellement avant Agrippinus, puis entre Agrippinus et Cyprien"[20].

Saint Vincent de Lérins, lui aussi, en appelle là ce qui a été cru toujours, quod semper : "Nous suivons l'antiquité, ajoute-t-il, si nous ne nous écartons en aucun point des sentiments manifestement partagés par nos saints aïeux et par nos pères[21]" ; et il loue ceux, qui, au concile de Rimini, "préférèrent la foi antique à de perfides innovations et se préservèrent ainsi de la contagion du fléau"[22].

Mais comment entendre le quod semper ? Tout d'abord signifierait-il qu'avec la substance divine du christianisme il faille conserver immuablement les formes accidentelles sous lesquelles il est d'abord apparu, et que, par respect du passé, il faille sacrifier l'avenir, ou signifie-t-il, au contraire, que l'éternel étant sauf et la substance divine du christianisme conservée, l'avenir puisse librement succéder au passé ? De plus, signifierait-il que la volonté de l'Esprit Saint était que l'Église primitive reçût le dépôt, révélé par le Christ et les apôtres, comme une doctrine d'emblée complètement explicitée et incapable d'aucun développement ultérieur, ou signifie-t-il, au contraire, que la volonté de l'Esprit Saint était que l'Église primitive reçût le dépôt, révélé par le Christ et les apôtres, comme un principe d'une fécondité illimitée, appelé à développer peu à peu ses conséquences au cours des âges, selon ce qui est suggéré dans l'Évangile : "Tout scribe initié à la doctrine du royaume des cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes" (Mt., xiii, 52), et ne faut-il pas dire, avec Newman, et c'était aussi la conviction de Soloviev[23], que l'idée du développement est la seule précisément qui permette de saisir tout l'enchaînement de la pensée chrétiennes[24] ? A ces questions, les anciens ont répondu.

Saint Augustin assurait que "c'est au moment où ils sont mis en question par l'ardente inquiétude des hérétiques et où il est nécessaire d'en prendre la défense, que de nombreux points de la foi catholique sont examinés avec plus de soin, saisis avec plus de clarté, prêchés avec plus de zèle, en sorte que chaque question posée par un adversaire devient une occasion de s'instruire"[25]. Il expliquait que "souvent les conciles pléniers eux-mêmes sont améliorés par d'autres conciles pléniers, lorsque, à la faveur des événements, l'on ouvre ce qui était fermé et l'on connaît ce qui était caché, aperitur, quod clausum erat et cognoscitur quod latebat"[26].

Même doctrine chez Vincent de Lérins. Tout de suite après avoir rappelé les paroles pleines de sollicitude que Paul adresse à Timothée, c'est-à-dire, à l'Église universelle "O Timothée ! garde le dépôt, évitant les profanes nouveautés de paroles", il poursuit, dans un chapitre célèbre de son Commonitorium : "Mais on objecte peut-être : - La religion n'est donc susceptible d'aucun progrès dans l'église du Christ ? - Certes, il faut qu'il y en ait un, et considérable ! Qui serait assez ennemi de l'humanité, assez hostile à Dieu pour essayer de s'y opposer ? Mais sous cette réserve, que ce progrès constitue vraiment pour la foi un progrès et non une altération, profectus non permutatio : le propre du progrès étant que chaque chose s'accroît en demeurant elle-même, le propre de l'altération qu'une chose se transforme en une autre. Donc, que croissent et que progressent largement l'intelligence, la science, la sagesse, tant celle des individus que celle de la collectivité, tant celle d'un seul homme que celle de l'Église tout entière, selon les âges et selon les siècles ! - mais à condition que ce soit exactement selon leur nature particulière, c'est-à-dire dans le même dogme, dans le même sens, dans la même pensée"[27].

La règle de l'antiquité exclut l'altération, non le progrès. Et souvent sans doute il est aisé de reconnaître ce qui est altération, innovation. transformation. Mais en d'autres circonstances, que le progrès des temps rendra, semble-t-il, toujours plus fréquentes, le doute pourra surgir. Alors, la règle de l'antiquité aura besoin d'être doublée par celle de l'universalité ; et, de fait, ces deux règles sont employées solidairement par Augustin et par Vincent de Lérins[28].

Ou plutôt la règle de l'antiquité aura besoin, à son tour, d'être précisée. Ce n'est pas la conservation de n'importe quel dépôt, ni la continuité par elle-même, qui est preuve de vérité, mais la conservation du dépôt divin, la transmission ininterrompue des pouvoirs confiés aux apôtres, la permanence de la vraie doctrine. Qu'est-ce à dire ? La continuité qui est signe de vérité sera celle de l'Église, contre qui les portes de l'enfer ne sauraient prévaloir et des Églises qui seront en communion avec elle. De ce fait, l'argument par l'antiquité prise comme marque, d'apostolicité reçoit sa pleine rigueur, mais c'est par un recours aux prophéties concernant Pierre, le quod semper est précisé par le quod ab Ecclesia romana. Une fois encore, la via apostolicitatis débouche dans la via primatus. Aussi, ayant à donner un exemple de la preuve par l'antiquité, saint Vincent de Lérins l'emprunte "de préférence, au siège apostolique, afin que tous voient plus clair que le jour avec quelle vigueur, quel zèle, quels efforts, les bienheureux successeurs des bienheureux apôtres ont défendu l'intégrité de la religion traditionnelles, et il rapporte les célèbres paroles du pape Étienne, contre ceux qui proposaient de rebaptiser les hérétiques : "Qu'on n'innove rien, mais qu'on observe la tradition"[29]. Avant lui, saint Ambroise disait des novations : "Ils n'ont pas l'héritage de Pierre, ceux qui n'ont pas le siège de Pierre, déchiré, par leur division impie"[30].

En résumé, les deux signes qui servent à déceler la rupture d'avec la religion chrétienne, à savoir la dissidence et l'innovation, achèvent peu à peu de s'expliciter et de se préciser dans un signe unique, plus immédiatement saisissable, la séparation d'avec l'Église romaine. La communion avec Pierre, voilà le critère le plus net et le plus rigoureux de l'apostolicité véritable. Cependant, même avant d'avoir conduit l'argument de l'apostolicité à son ultime degré d'explication, avant d'avoir précisé parfaitement les notions d'universalité et d'antiquité qu'il met en cause, on a pu l'employer avec succès, pour reconnaître l'Église fondée par le Christ et les apôtres : de bonne heure, en effet, les Pères l'ont invoqué ; et au siècle dernier, c'est plusieurs années avant d'avoir admis le primat de l'Église romaine, que Newman se prit à faire remarquer que privée d'universalité l'Église anglicane offrait le caractère d'une secte.

En présentant les choses comme nous venons de le faire, il devient possible de donner raison à la fois au P. de la Brière, qui veut définir les notes de l'Église indépendamment de la romanité, en vue de se servir d'elles pour amener les croyants du dehors jusqu'à l'Église romaine[31] ; et au P. de Guibert, qui estime que la romanité donne seule aux autres notes leur plein achèvement[32].

3. Témoignages qui en appellent à la continuité de la doctrine ou de la hiérarchie

Il est intéressant d'étudier l'usage que les premiers apologistes ont fait de la preuve par l'apostolicité. Ils l'ont regardée comme un moyen permettant de découvrir en même temps où étaient la doctrine divine et la hiérarchie divine. Ils ont en quelque sorte fondu ensemble la question de la continuité de la doctrine (apastolicites doctrinae) et la question de la continuité de la hiérarchie (apostolicitas hierarchiae). Et il est vrai que ces deux questions sont en réalité étroitement connexes, bien que l'esprit puisse les distinguer l'une de l'autre. Produisons quelques textes dont les premiers attirent l'attention plutôt sur la continuité de la doctrine, les seconds plutôt sur la continuité de la hiérarchie.

a) S'il existe une vérité non faite par les hommes mais apportée au monde par le Christ et les apôtres, seule une transmission fidèle a pu la conduire jusqu'à nous ; et partout où il y a innovation, où l'expérience religieuse d'un nouveau prophète change la nature de la doctrine jusque-là reçue par tous les chrétiens, où au nom même de l'Écriture l'on tente de donner à l'Écriture un sens tout différent, il faudra dire : voici la substitution, à la doctrine révélée une fois pour toutes par le Christ et ses apôtres, d'une doctrine réinventée par les hommes. On voit pourquoi la continuité est signe de vérité. C'est la règle qu'on suivra dès le début.

"Je n'allais pas à ceux qui rapportent des préceptes étrangers, dit Papias, vers 130, mais à ceux qui rapportaient les préceptes donnés à la foi par le Seigneur et provenant de la Vérité même... je ne croyais pas que ce qu'on tire des livres pût profiter autant que ce qui vient d'une voix qui vit et qui demeure"[33].

Même témoignage à la fin du second siècle chez Clément d'Alexandrie : "Comme un homme qui deviendrait animal - ainsi les victimes des philtres de Circé - celui-là cesse d'être homme de Dieu et fidèle au Seigneur qui répudie la tradition ecclésiastique et qui embrasse les opinions des hérésies humaines"[34].

Aux multiples hérésies de son époque, qu'il ne refusera pas d'ailleurs d'examiner ensuite dans le détail, Tertullien commence par opposer ce qu'il appelle la "prescription", c'est-à-dire une fin de non-recevoir, du fait qu'elles ont abandonné la règle authentique de la vérité venue du Christ et transmise jusqu'à nous. "Si Jésus-Christ, notre Dieu, dit-il, dans le De praescriptione haereticorum. a envoyé les apôtres prêcher, il ne faut point accueillir d'autres prêcheurs que ceux qu'Il a institués : nul, en effet, ne connaît le Père, si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils l'a révélé, et il n'apparaît pas que le Fils l'ait révélé à d'autres qu'aux apôtres, qu'Il envoya prêcher les choses qu'Il leur avait révélées. Mais que prêchaient-ils, et quelles choses leur avait-Il révélées ? Pour le savoir, il faut recourir à la prescription et s'adresser aux Églises que les apôtres ont eux-mêmes fondées et qu'ils ont instruites tant de vive voix, comme on dit, que plus tard par lettres. Il est donc clair que toute doctrine qui est d'accord avec celle des Églises apostoliques, matrices et sources de la foi, doit être considérée comme vraie et comme contenant ce que les Églises reçurent des apôtres, les apôtres du Christ, le Christ de Dieu. Et il nous reste à montrer que le Credo que nous avions résumé plus haut est de tradition apostolique, et que par le fait même les autres doctrines viennent du mensonge. Nous communions avec les Églises apostoliques, notre doctrine n'est pas autre que la leur, voilà le signe de la vérité"[35]. Tertullien, on le voit, relève que la doctrine apostolique a pour signe d'être crue par l'ensemble des Églises apostoliques. Il précise encore qu'elle a toujours été crue :

"L'ordre du temps manifeste que cela est divin et vrai qui est transmis des l'origine ; que cela est étranger et faux qui est ajouté postérieurement. Voilà la prescription qui confond toutes les hérésies apparues dans la suite des temps ; elles ne peuvent avoir aucune assurance intérieure pour revendiquer la vérité"[36].

b) La doctrine apostolique, c'est la doctrine enseignée par les Églises apostoliques, c'est-à-dire par les Églises rattachées aux apôtres, qui en sont les fondateurs soit immédiats soit du mains médiats, par une succession ininterrompue. S'il est vrai que les apôtres ont reçu du Christ-Dieu des pouvoirs hiérarchiques qui doivent se transmettre de génération en génération, notamment le pouvoir de conserver et de prêcher au monde sans altération la doctrine révélée, il est clair que partout où la succession apostolique est réalisée, la doctrine apostolique est présente.

Mais il était encore plus facile de convaincre, aux premiers âges, et, faisant constater la continuité historique de la hiérarchie qu'en montrant la continuité organique de la doctrine. Et c'est pourquoi les premiers apologistes s'attacheront à prouver la seconde par la première. "S'il est des doctrines qui prétendent remonter à l'époque des apôtres, dit Tertullien, et descendre d'eux parce qu'elles auraient existé de leur temps, nous dirons : qu'elles prouvent l'origine de leurs Églises ; qu'elles montrent la suite de leurs évêques de telle manière que le premier évêque ait été installé et précédé par l'un des apôtres ou par l'un des hommes apostoliques qui persévérèrent dans la communion des apôtres. C'est ainsi en effet que les Églises apostoliques présentent leurs fastes : l'Église de Smyrne nous montre saint Polycarpe établi par saint Jean ; l'Église de Rome, saint Clément, ordonné par saint Pierre[37]". Et encore : "Parcours les Églises apostoliques, où les chaires mêmes des apôtres, restées en place, continuent de présider ; où leurs lettres authentiques font résonner leur voix et revivre les traits de chacun d'eux. Es-tu proche de l'Achaîe, tu as Corinthe. N'es-tu pas loin de la Macédoine, tu as Philippe. Peux-tu gagner l'Asie, tu as Éphèse. Touches-tu à l'Italie, tu as Rome à l'autorité de qui nous recourons, nous aussi. Heureuse Église ! à qui les apôtres ont donné avec leur sang la pleine doctrine, où saint Pierre subit un supplice semblable à celui du Seigneur, où saint Paul est couronné de la mort de saint Jean Baptiste ; où l'apôtre saint Jean, après avoir été plongé indemne dans l'huile bouillante est condamné à être relégué dans une île. Voyons ce qu'elle a appris, ce qu'elle a enseigné, ce qu'elle certifie en même temps que les Églises d'Afrique"[38].

Un peu auparavant, aux gnostiques qui s'emparaient du texte de saint Paul : "Nous parlons de la sagesse entre les parfaits" (I Cor. ii, 6), pour prétendre que les apôtres, en plus de la doctrine commune consignée dans l'Ecriture, enseignaient aux parfaits une sagesse ésotérique[39], saint Irénée (mort en 202) répondait que les apôtres auraient instruit avant tout de cette sagesse ceux qu'ils plaçaient à la tête des Églises et allaient devenir leurs successeurs. Quelle est donc la tradition des apôtres ? Pour tous ceux qui veulent voir la vérité, il sera facile de s'en rendre compte. Elle est manifestée dans le monde entier, elle est reconnaissable dans chaque Église. Et ni les évêques institués par les apôtres, ni leurs successeurs jusqu'à nous n'ont rien connu qui ressemblât au délire des gnostiques. Nous pourrions les énumérer. "Mais comme il serait trop long de rapporter ici la succession de toutes les Églises, nous montrerons, à propos de l'Église très grande, très antique, connue de tous, fondée et constituée à Rome par les glorieux apôtres saint Pierre et saint Paul, que la tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle a annoncée aux hommes sont parvenues jusqu'à nous par des successions régulières d'évêques, et ce sera la confusion de tous ceux qui, de quelque manière que ce soit par propre complaisance, par vaine gloire, par aveuglement, par erreur, se groupent en sectes. Car c'est avec l'Église romaine, en raison de sa prééminence supérieure, que doit être d'accord toute l'Église, c'est-à-dire tous les fidèles qui sont dans l'univers, et c'est en elle que tous ces fidèles ont conservé la tradition qui vient des apôtres"[40]. Après avoir donné les noms des douze évêques de Rome par lesquels, selon ses expressions, "la tradition apostolique dans l'Église et la prédication de la vérité sont parvenues jusqu'à nous" saint Irénée passe à l'Église de Smyrne dont, au temps de sa première jeunesse, il a connu le vieil évêque, saint Polycarpe, établi par les apôtres eux-mêmes, puis à l'Église d'Éphèse fondée par saint Paul et où saint Jean résida. "Après de telles preuves, il n'y a pas à chercher chez les autres la vérité qu'il est facile de recevoir de l'Église, puisque les apôtres, comme un riche dans une cassette, ont déposé en elle la plénitude de tout ce qui touche à la vérité, afin que quiconque le voudra puise en elle le breuvage de vie"[41].

Pourquoi donc alléguer plusieurs Églises ? Est-ce que toute Église fondée par les apôtres n'est pas assurée de l'infaillibilité ? Non. Même apostolique, une Église pourra s'effondrer comme l'Église de Jérusalem. Elle pourra se pervertir ; n'est-ce pas l'ange de l'Église d'Éphèse, fondée par saint Paul, qui est menacé par le Seigneur : "J'ai contre toi que tu as diminué ton premier amour. Souviens-toi donc d'où tu es tombé et convertis-toi, et reviens à tes premières œuvres. Sinon, Je viendrai à toi, et Je changerai de place ton flambeau, à moins que tu ne te repentes" (Apoc., ii, 4-5). Ce n'est pas à chaque Église particulière, en effet. C'est à l'Église universelle que les promesses divines ont été faites. La preuve d'antiquité doit être complétés par celle d'universalité. On le sait dès le principe. Et dès le principe aussi, pour savoir de quel côté se trouve l'universalité, on commence avec un sûr instinct, les textes de saint Irénée et de Tertullien que nous venons de citer en sont un signe, à se tourner vers Rome, vers l'Église des apôtres saint Pierre et saint Paul.

4. La preuve de la succession apostolique considérée comme restreinte au pouvoir d'ordre seul, ou comme étendue a la juridiction

Bientôt l'on verra le schisme et l'hérésie s'installer momentanément dans les Églises d'Antioche, de Constantinople, d'Alexandrie, en Afrique, etc. Puis le grand schisme séparera l'Orient de l'Occident. Ce que l'on comprend alors, c'est que la hiérarchie divine peut, en certains lieux, se déchirer en deux. Elle demeure entière sans doute et indivisée au sein de la véritable Église. Mais, dans l'Église qui fait schisme, elle ne se survit plus que par une moitié d'elle-même. Le pouvoir juridictionnel ou pastoral y est de soi interrompu ; et cependant le pouvoir d'ordre peut s'y perpétuer validement.

Dès lors, la preuve de la succession apostolique pourra recevoir deux applications distinctes. On pourra donner aux mots de succession apostolique un sens nouveau, plus restreint. Et on pourra leur conserver le sens plus compréhensif que nous connaissons déjà.

a) Dans le premier cas, l'argument de l'apostolicité permettra de reconnaître, avec une exactitude pour ainsi dire matérielle, la présence ou l'absence, dans une Église, du pouvoir d'ordre et du culte chrétien. Partout où sa transmission s'est faite sans interruption le pouvoir d'ordre continue d'exister et le culte est célébré validement. L'apostolicité est, sur un point, sauvegardée. Mais c'est une apostolicité partielle, mutilée[42], puisque l'apostolicité de juridiction fait défaut[43]. En outre, cette apostolicité partielle est constamment menacée, car la croyance aux sacrements et à l'eucharistie, n'étant plus protégée contre les attaques nouvelles de l'erreur par l'infaillible magistère du souverain pontife, risque de céder et d'entraîner dans sa ruine jusqu'au pouvoir d'ordre[44].

Partout au contraire où la transmission a été interrompue il faudra conclure à l'absence du pouvoir d'ordre, à l'invalidité du sacrifice eucharistique et des sacrements, sauf pour ce qui regarde le baptême et le mariage. De nos jours encore, une interruption de cette nature est relativement facile à vérifier , c'est ainsi que les ordinations de l'Église d'Angleterre ont été déclarées invalides, parce que la consécration sacerdotale et en conséquence la consécration épiscopale ayant été pendant cent ans défectueuses, l'amendement introduit plus tard par les anglicans restait sans effet, toute solution de continuité étant ici irrémédiable[45].

b) Dans le second cas, en lui conservant toute son extension, la preuve de la succession apostolique permettra de reconnaître où se trouve aujourd'hui la plénitude de la hiérarchie et l'Église véritable. Il faudra descendre alors le cours de l'histoire en s'attachant à suivre pas à pas non plus simplement une Église particulière ou un tel groupe d'églises particulières, mais la seule Église toujours orthodoxe, la seule Église, contre laquelle les portes de l'enfer ne vaudront jamais, la seule Église assistée pour s'étendre à toutes les nations et durer jusqu'à la fin des siècles. C'est l'Église visible universelle. Comment la reconnaître ?

Parfois son évidence frappera tous les yeux.

Mais dans les grandes tempêtes, quand le schisme vient partager en deux les fidèles de l'univers, où la chercherons-nous ? Aurons-nous un signe certain pour la discerner ? La révélation divine ne nous a-t-elle rien dit à ce propos? Nous savons que ce mot d'universel doit être pris avec un sens qualitatif, qu'il désigne les vraies brebis du Christ, répandues dans le monde entier. Le Christ, siégeant à la droite de Dieu, les dirige du haut du ciel. Mais sur la terre, qui doit les paître, les gouverner en Son nom, les réunir en une seule Église ? C'est à Pierre que les promesses ont été faites. Aux Actes des Apôtres, écrits pour manifester que l'Esprit Saint est Lui-même le principe de toute l'Église, que trouvons-nous dès les premières pages ? Un fait tout nouveau nous surprend : l'autorité de saint Pierre sur l'Église. Les apôtres se disperseront. Saint Pierre quittera Jérusalem. Bientôt après, nous voyons les premières Églises chrétiennes, toutes dociles encore sous l'impulsion qu'elles ont reçue, commencer de lever les yeux sur l'Église fondée à Rome par les apôtres saint Pierre et saint Paul. Le pouvoir de régir l'Église universelle réside en elle. Il aura avec le temps à déployer ses virtualités. Le sens des paroles de Jésus à saint Pierre deviendra plus manifeste. L'Église universelle, l'Église apostolique apparaîtra toujours plus explicitement comme l'Église de Pierre.

5. Le modernisme et l'argument de prescription

L'argument de prescription tient aux entrailles du christianisme. L'hérésie n'a point osé d'abord en rejeter le principe; elle s'est efforcée plutôt d'en contester dans le détail les applications qui la démasquaient. Aujourd'hui, le modernisme tente de le faire sauter définitivement mais il doit sacrifier du même coup la substance du christianisme.

Il ne faut pas croire, nous dit-il, que Dieu ait révélé, par le Christ et les apôtres, une vérité définitive que l'intelligence devrait recevoir, et qu'il faudrait conserver intacte jusqu'à la fin des temps. Mais il faut croire que Dieu - dans la mesure où il est possible de parler de Dieu - a ému l'âme du Christ et des apôtres, lesquels ont essayé, après coup, de formuler leur expérience en notations conceptuelles plus ou moins heureuses mais qui, à aucun titre, ne doivent être considérées comme de "droit divin" ou comme normatives pour les générations postérieures. L'apostolicité véritable ne consiste donc pas dans la transmission inaltérée d'une doctrine, elle consiste au contraire pour chacun de nous à refaire l'expérience du divin que firent si excellemment le Christ et les apôtres et à la traduire peut-être à notre tour dans une synthèse conceptuelle nouvelle et adaptée au monde toujours changeant. L'apostolicité aura donc pour marques plutôt l'innovation que la tradition, plutôt la mobilité doctrinale que la constance d'un credo. Et pourquoi, en effet, nous obstiner à penser en fonction d'un passé qui n'avait ni la richesse de notre expérience ni notre sens de l'histoire ? Ne faut-il pas redire, ici encore : "Les vrais anciens, c'est nous" ? Quant à l'apostolicité de hiérarchie, elle devra s'entendre tout comme l'apostolicité de doctrine. Elle ne devra pas être cherchée dans la transmission ininterrompue de pouvoirs surnaturels. Elle consistera dans le zèle chrétien, qui portera à former, au fur et à mesure des besoins, les organisations extérieures rendues nécessaires par le changement des temps.

Cette conception a été énoncée aux congrès protestants de Stockholm et de Lausanne. Elle ne laisse évidemment rien subsister de l'argument de prescription, mais elle renverse en même temps tout l'édifice chrétien. Ce qu'elle nous présente sous le nom de christianisme diffère essentiellement de ce que les siècles passés ont appelé de ce nom. Elle est donc désavouée par l'histoire avec tout l'éclat désirable.

Serait-elle conforme à l'Écriture, à la manière dont la révélation chrétienne s'est définie elle-même ? Certes, la charité qui a paru dans le Christ et les apôtres est le modèle de la charité qui devra paraître dans les chrétiens futurs, et ceux-ci devront ouvrir leurs âmes aux grâces divines dont le Christ et les apôtres ont été comblés : "Je vous y exhorte donc, devenez mes imitateurs", dira saint Paul (I Cor., iv, 16), "Devenez mes imitateurs, à la façon dont je le suis moi-même du Christ" (xi, 1). Mais le Christ, étant Dieu, et les apôtres, étant au principe de l'Église, ont possédé des grâces privilégiées qui ne seront jamais communiquées aux chrétiens futurs. Le Verbe de Dieu a été envoyé visiblement, au jour de l'Annonciation, pour s'unir à la nature humaine du Christ ; et I'Esprit Saint a été envoyé visiblement, au jour de la Pentecôte, pour éclairer pleinement le cœur des apôtres. La première mission visible a pour terme le Christ, qui est la tète, la seconde, l'Eglise, qui est son corps. C'est alors que la religion de l'Incarnation a été fondée et que la révélation définitive a été donnée au monde. Il est vain, d'après l'Écriture, d'attendre de l'esprit de prophétie une autre religion que celle qui fut alors fondée, une autre révélation que celle qui fut alors donnée. Jusqu'à la fin du monde, le Seigneur assistera les siens pour qu'ils enseignent toutes les nations, leur apprenant à garder tout ce qu'Il leur avait commandé. Saint Paul lui-même transmettra ce qu'il a reçu, et il défendra qu'on attende le salut d'une nouvelle manifestation de l'esprit de prophétie : "Quand même nous, ou un ange du ciel vous annoncerait un autre évangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème" (Gal., i, 8) ; "O Timothée ! garde le dépôt" (I Tim., vi, 20), "garde le bon dépôt" (Il Tim., i, 14).

Faudrait-il donc sacrifier le principe même du christianisme tel qu'il apparaît dans l'Écriture, et tel que vingt siècles d'histoire l'ont compris ? Au nom de quelle autorité réclame-t-on de nous un abandon si considérable ? Au nom d'une philosophie impuissante à expliquer que l'affirmation humaine est capable d'absolu, parce qu'elle méconnaît la nature spirituelle de l'homme et la vie propre de l'intelligence, et dans laquelle nous ne pouvons voir qu'une forme de sensualisme.

Ill. L'APOSTOLICITÉ COMME SIGNE PUR, OU LE MIRACLE DE LA CONSTANCE DE L'ÉGLISE

Même aux yeux de ceux qui ne connaissent pas encore sa fondation divine par le Christ et les apôtres, la vraie religion offre un signe, dont le progrès du temps ne cessera d'accuser le relief et qui témoigne que c'est une vertu divine et mystérieuse qui la soutient dans le monde. Nous voulons parler de sa miraculeuse constance[46].

"L'Église, dit saint Thomas dans son Exposé sur le symbole des apôtres, a quatre marques : elle est une, elle est sainte, elle est catholique ou universelle, elle est forte et ferme, fortes et firma". Sa solidité, qui lui vient des fondements sur lesquels elle repose, à savoir le Christ et les apôtres, apparaît au dehors du fait que ni les persécutions, ni les erreurs, ni l'assaut des démons ne l'ont renversée[47]. Le concile du Vatican a consacré cette doctrine lorsqu'il a rappelé que l'Église en raison de sa sainteté, de son unité catholique et de sa constance invaincue, invictam stabilitatem, est elle-même un grand et perpétuel motif de crédibilité et un témoignage irréfragable de sa mission divine[48].

Nous traduisons stabilitas par constance plutôt que par stabilité. Le mot français stabilité, à l'idée de permanence, ajoute souvent celle d'immobilité. Or, si l'Église est permanente, elle n'est pas immobile. Elle est vivante. Sa hiérarchie, en demeurant substantiellement identique, revêtira suivant le besoin des temps, des modalités qui l'inclineront dans le sens d'une plus grande ou d'une moins grande concentration, d'une plus grande ou d'une moins grande complexité, etc. Le culte sacrificiel et sacramentel, dont les éléments substantiels sont permanents, pourra s'incarner dans des liturgies différentes. La doctrine elle aussi progressera par voie d'explicitation, en sorte que l'on pourra parler d'évolution (homogène) du dogme catholique. Saint Vincent de Lérins lui-même, qui, au début de son Commonitorium, formule la règle célèbre que : "dans l'Eglise catholique, il faut veiller soigneusement à s'en tenir à ce qui a été cru partout, toujours, et par tous", sait bien qu'il doit y avoir, dans l'Église du Christ, un progrès considérable de la religion, pourvu qu'on distingue le progrès de l'altération, "le propre du progrès étant que chaque chose s'accroît en demeurant elle-même ; le propre de l'altération, qu'une chose se transforme en une autre" ; et il apporte l'exemple de l'homme qui demeure identique à lui-même en passant de l'enfance à l'adolescence[49]. Enfin la communion ecclésiastique, tout en conservant fidèlement son même type essentiel, subira de nombreuses variations accidentelles suivant la différence des temps, des peuples, des cultures. Pour désigner à la fois la permanence et le progrès, nous parlerons donc de la constance de l'Église.

Considérons successivement, d'une façon rapide la constance de la hiérarchie, la constance de la doctrine, la constance de la communion.

1. Constance de la hiérarchie

L'Église offre d'abord le spectacle d'un corps hiérarchique organisé, composé du pape et des évêques, qui, en se prévalant d'une mission inouïe, gouverne depuis vingt siècles, par une succession ininterrompue, une société toujours croissante qui survit à des bouleversements culturels comme ceux qu'ont provoqués sa pénétration dans l'empire romain, l'invasion barbare, la découverte de nouveaux continents, l'avènement du monde moderne. Dans son Histoire du pape Innocent lII, qu'il composa quand il était encore pasteur protestant à Schaffhouse, Frédéric Hurter a relevé, du point de vue de l'histoire pure, et non pas, nous dit-il, du point de vue de la dogmatique ni de la polémique, la singulière constance de la papauté : "En portant nos regards en arrière et en avant sur la suite des siècles, en voyant comment l'institution de la papauté a survécu à toutes les institutions de l'Europe, comment elle a vu naître et périr tous les États, comment, dans la métamorphose infinie des choses humaines, elle a seule conservé invariablement le même esprit, devons-nous nous étonner si beaucoup d'hommes la regardent comme le rocher dont la tête immobile s'élève au-dessus des vagues mugissantes du cours des siècles"[50] ? A toute époque, cependant, de grands hommes, de ceux qu'on a appelés les "prophètes d'en bas", se sont levés pour prédire la fin de la hiérarchie, la fin de la papauté, la fin de l'Eglise. Ce n'était pas la fin de l'Église ; ce n'était que la fin d'un monde, la fin d'une chrétienté.

Il faut bien convenir qu'une telle constance dépasse les forces de la prudence humaine. On devrait, pour le manifester, serrer de près et suivre dans le détail l'opposition que Pascal, par exemple, institue entre les sociétés humaines et l'Église : "Les États périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité. Mais jamais la religion n'a souffert cela et n'en a usé. Aussi il faut ces accommodements, ou des miracles. Il n'est pas étrange qu'on se conserve en ployant, et ce n'est pas proprement se maintenir ; et encore périssent-ils enfin entièrement : il n'y en a point qui ait duré mille ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue, et inflexible, cela est divin"[51].

Des accommodements ou des miracles, Frommel n'hésitait pas : "L'idéal politique qui domine une période donnée décide de la forme selon laquelle se réalise l'unité religieuse. De ce principe général, nous déduirons que les Églises de l'avenir accompliront la catholicité chrétienne conformément à l'idéal politique de leur temps[52]. Tel est, en effet, le parti de la sagesse du siècle. Mais la perpétuité du corps apostolique, qui se prolongera jusqu'à la consommation du siècle, représente, déjà de nos jours, un défi suffisant aux lois du temps pour que le caractère miraculeux en soit perceptible.

2. Constance de la doctrine

Dans le même temps, voici les effets peut-être plus admirables encore de ce régime apostolique. Le premier est la constance d'une doctrine tant spéculative que pratique dont les principes ont été formulés en une fois tout au début du christianisme, et qui se trouve capable, sans jamais se renier, de donner aux brûlants problèmes que pose la vie des réponses hautes, compréhensives, applicables.

La persistance d'une telle doctrine, son adoption par des hommes de toutes les générations et de toutes les conditions ne s'expliquent pas par quelque inclination spontanée ou fatale de la nature humaine, comme s'explique par exemple l'idolâtrie, considérée soit dans ses formes particularisées : l'animisme, le fétichisme, etc., soit dans ses formes généralisées : telles les diverses variétés du panthéisme. Il s'agit en effet d'une doctrine dont le moindre effet est de restituer d'un seul coup dans la lumière toutes les plus hautes vérités rationnelles que l'humanité avait laissées s'obscurcir : Dieu à la fois souverainement distinct du monde et merveilleusement présent au monde, l'homme servant la société comme individu mais régnant sur la société par son âme immortelle, etc., et dont le suprême effet est de proposer en même temps des énoncés mystérieux, dépassant absolument la portée de l'intelligence humaine, ne contredisant pourtant jamais véritablement la raison, et se tenant de plus dans la pure ligne de ses velléités spéculatives, car la croyance aux mystères de la Trinité, de l'Incarnation, de la grâce, des sacrements, de la vision béatifique, même du péché et de la damnation, se révèle à l'examen comme une croyance qui est non pas contre la raison, mais au-dessus de la raison, bien que selon la raison, c'est-à-dire dans le sens de ce qui, en respectant ses lois essentielles et constitutives, l'élève plus haut qu'elle-même ; dans le sens de ce qui, loin de la détruire, l'exalte et la complète, comme le montrent ce qu'on appelle, en théologie spéculative, les raisons de convenance.

Cette doctrine se conserve identique à elle-même, non point certes comme une chose morte, un trésor minéral, mais comme une vérité vivante, définitive, qui pourtant n'a jamais fini de déployer au jour la richesse de son contenu, donnant ainsi au monde le spectacle d'une continuité doctrinale absolument sans exemple, laquelle n'est pleinement connue que des âmes illuminées par la foi, car elle épelle une "sagesse cachée" faite de choses, que l'œil de l'homme n'a pas vues, ni son oreille entendues ni son cœur devinées et portant sur un objet si haut qu'il dépasse infiniment le point où peuvent prétendre les forces et les exigences d'un intellect créé, - laquelle pourtant éclate déjà aux esprits qui, sans être encore fortifiés par la lumière de foi, sont capables néanmoins d'apprécier ce miracle d'une doctrine riche mais cohérente, vivante mais stable et toujours une, vertigineuse et mesurée, "folle et sage"[53]. Vérité toujours ancienne et toujours nouvelle qui, redécouvrant aujourd'hui les catacombes ou revenant après une absence de dix siècles sur la terre d'Afrique y trouve le témoignage sensible de sa miraculeuse constance.

Ouvrant le premier concile de l'Afrique chrétienne ressuscitée, le cardinal Lavigerie pourra dire : "Tout a passé sur notre terre africaine : les générations, les empires. L'Église exilée de ces rivages, s'est trouvée mêlée, dans le monde entier, au mouvement des esprits, aux révolutions, aux migrations, aux idées diverses des peuples. Elle revient aujourd'hui établir parmi nous sa pacifique demeure et, en creusant le sol profond des siècles, elle y retrouve, dans les monuments qu'elle y laissa, la preuve éclatante de sa fidélité à garder les vérités dont elle est la dépositaire"[54].

3. Constance de la communion sociale

Le second effet du régime apostolique est la constance de la communion, c'est-à-dire, l'ininterruption d'un lien social rassemblant spirituellement des hommes qu'essaieront pourtant de diviser, à l'intérieur, des causes permanentes de schisme et d'hérésie ; prétextes futiles et prétextes spécieux, erreurs inconscientes et erreurs opiniâtres, passions individuelles et passions nationales, indignités prétendues et surtout, il faut bien le dire, indignités manifestes de trop de gens d'Église et de trop de chrétiens eux-mêmes, des hommes que menaceront, à l'extérieur, des causes permanentes de désagrégation : violence de la persécution ou séduction de l'esprit du monde.

Malgré ces attaques du dedans et du dehors, l'Eglise a gardé la forme première de son unité, la forme organique: ni elle ne l'a reniée pour la thèse d'une Église dont toute la perpétuité serait invisible ; ni elle ne l'a échangée pour la forme fédérative d'unité que proposent aujourd'hui les Églises dissidentes. Pascal a souligné à plusieurs reprises le caractère surprenant de cette perpétuité : "On a vu naître tant de schismes et d'hérésies, renverser tant d'États, tant de changements en toutes choses ; et cette Église, qui adore Celui qui a toujours été adoré, a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c'est que cette religion, qui a toujours duré, a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d'une destruction universelle et toutes les fois qu'elle a été en cet état, Dieu l'a relevée par des coups extraordinaires de Sa puissance. C'est ce qui est étonnant, et qu'elle s'est maintenue sans fléchir ni ployer sous la volonté des tyrans"[55]. Il ajoute : "On a beau dire. Il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d'étonnant. - C'est parce que vous y êtes né, dira-t-on. - Tant s'en faut, je me roidis contre, pour cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne mais, quoique j'y sois né, je ne laisse pas de la trouver ainsi"

Notre but est ici, non pas de développer, mais seulement d'esquisser l'argument tiré de la constance de l'Église[56]. Un exposé complet relèverait plus de l'apologétique que du traité de l'Église. Il ne pourrait recevoir une forme technique que lorsque les lois générales du développement des sociétés civiles d'une part, des sociétés religieuses antérieures et postérieures au Christianisme d'autre part, pénétrées plus profondément et soumises à des études comparatives, laisseraient voir dans le détail la transcendance de l'Église du Christ.

Il conviendrait de reprendre à cet effet, sur une base plus large, les études comparées de sociologie naturelle et surnaturelle que le P. Schwalm avait commencées avec trop de confiance sans doute, dans les thèses de l' "École de la Science Sociale" mais dont il avait senti si vivement la nécessité et deviné la fécondité[57].

Mais, si désirables et si profitables qu'elles soient, les études techniques ne sont pas nécessaires pour faire naître une conviction invincible de la transcendance de l'Église, nous ne disons pas chez l'homme qui croit déjà qu'elle est l'Église du Verbe Incarné - nous tournerions dans un cercle ; et Hurler, Newman, Soloviev n'étaient pas encore catholiques quand ils admiraient la permanence de la papauté - ; nous disons chez l'historien accessible aux réalités spirituelles, dont le jugement en matière d'histoire ecclésiastique ne sera pas prévenu, par exemple, par la thèse protestante de l'invisibilité de l'Église divine, et qui cherchera la raison cachée, d'une part de la mobilité des sociétés, d'autre part de la constance de l'Église. Gagné par le spectacle d'une si merveilleuse constance, c'est avec des yeux nouveaux que cet historien relira, dans les Actes des Apôtres, le jugement de Gamaliel sur l'Église naissante :

"Si ce dessein ou cette œuvre vient des hommes, elle se détruira d'elle-même ; mais si elle vient de Dieu, vous ne sauriez la détruire. Puissiez-vous n'avoir pas lutté contre Dieu". (v, 38-39).

IL EST évident à la lecture de ces docUments que

la secte conciliaire ne peut-être l’église catholique.

tout s’y oppose.



[1] Desclée de Brouwer, 1941.

[2] "Si Pierre et ses successeurs ont une juridiction pleine et suprême, ils ne sont pas seul à avoir juridiction". LÉON XIII, Encyclique Satis cognitum, 29 juin 1896.

[3] Pie IX, Denz., n° 1686.

[4] A la succession et à la médiation correspondent respectivement la continuité et l'instrumentalité.

[5] BOSSUET n'exprime que la troisième de ces notions dans son Second catéchisme de Meaux :

«Pourquoi dit-on que l'Église est apostolique ? Parce que les évêques ou principaux pasteurs ont succédé sans interruption aux apôtres.

Qu'appelez-vous sans interruption ? En s'ordonnant et consacrant successivement les uns les autres, depuis le temps des apôtres jusqu'à nous sans aucune interruption, etc».

Il faudrait ajouter un autre trait à l'apostolicité : elle est connaturelle par rapport à l'Église.

[6] Il va de soi qu'on pourra donner au mot apostolicité un sens historique plus limité. C'est ainsi qu'Érik PETERSON, insistant après saint Paul, sur les connexions de l'Église et de la Synagogue, remarque qu' «être apôtre signifie non seulement : être envoyé aux Gentils, mais toujours : être envoyé des juifs aux Gentils», et que l'Église à laquelle nous appartenons est apostolique parce qu'elle est «l'Eglise de ces apôtres qui sont partis des juifs pour aller aux Gentils». Die Kirche aus Juden und Heiden, Salzbourg, 1933, pp. 16 et 18 ; traduction française, pp. 6 et 8.

[7] Plusieurs estiment au contraire que le concept de note inclut le concept de propriété, auquel il ajouterait la visibilité. Si nous préférons nous exprimer autrement, c'est pour rappeler que l'Église, étant par nature à la fois mystérieuse et visible, ses propriétés essentielles sont, elles aussi, à la fois mystérieuses et visibles. Les théologiens catholiques qui, au temps de la Réforme, se sont appliqués à décrire les notes révélatrices de la véritable Église, ont donc eu, nous semble-t-il, non pas à enrichir le concept de propriété, mais à isoler son aspect visible, pour en souligner davantage l'importance.

[8] "Proprietates ipsae dicuntur notae in ordine ad nos, quatenus nempe proprietates illae extrinsecus patentes et cognitae, nobis notificant veram Christi Ecclesiam". Th,-M. ZIGLIARA 0. P., Propaedeutica ad sacram theologiam, Rome, 1903, p. 404,

[9] "La vraie Église de Jésus-Christ, en vertu d'une autorité divine, est constituée et manifestée par la quadruple note que nous affirmons croire dans le Symbole, et chacune de ces notes est tellement jointe aux autres qu'elle ne peut pas en être séparée ; de sorte que l'Église qui, vraiment, est et s'appelle catholique, doit resplendir en même temps des prérogatives de l'unité, de la sainteté et de la succession apostolique". Encyclique du Saint-Office, 16 septembre 1864, Denz., n° 1686.

[10] Voici comment cette dernière est décrite par Gustave THILS : "Les apologistes s'attachent à montrer, par l'examen des documents anciens, que l'Église catholique est bien cette Église chrétienne de toujours, qui apparaît dans l'histoire comme une société une, visible, permanente, hiérarchiquement et monarchiquement organisée ; la via primatus n'est qu'une simplification de cette première voie puisque, négligeant les autres genres de continuité historique, elle se contente, pour établir la vérité de l'Église romaine, de prouver que, son chef est le seul qui puisse se dire légitimement le successeur de Pierre". Les notes de l'Eglise dans l'apologétique catholique depuis la Réforme, Gembloux, 1937, p. X. Verra-t-on ainsi suffisamment où est le nerf de l'argument de prescription ?

Jean-Adam MOEHLER insistera, au contraire, avec profondeur sur le fait que ce qu'il appelle la Tradition - et il entend par là l'ensemble de la doctrine et de la foi vivantes de l'Église - n'a pas à prouver ses titres : "Elle présuppose la vérité dont chacun devra se pénétrer. Elle a pour but d'écarter ceux qui voudraient proposer comme chrétiennes des conclusions étrangères à l'enseignement de l'Église. C'est pourquoi les Pères de l'Église caractérisaient ces tentatives par le reproche de nouveauté".

Quand le chrétien, dit-il encore, refuse d'accepter une doctrine nouvelle, c'est d'abord parce qu'elle contredit sa conscience de croyant et, du même coup la conscience de toute la communauté croyante dans laquelle il est né à la foi. En face de l'hérésie "le chrétien n'est pas seul, il a à ses côtés la croyance ininterrompue de l'Eglise entière, comme base historique de son sentiment. Ceux qui ne sont pas intégrés dans la foi traditionnelle ininterrompue ne peuvent invoquer l'argument de prescription". L'unité dans l'Église, Paris, 1938, § 12, p. 37, et § 13, p. 41.

[11] Sermo XLVI, cap. viii, n° 18.

[12] Contra Cresconium, lib. III, cap. lxvii, n° 77.

[13] De baptismo contra donatistas, lib. II, cap. i, n° 2 ; cap. iv, n° 5 ; lib. VII, cap. liii, n° 102

[14] Commonitorium, ii 5 et 6 ; trad. P. de Labriolle.

[15] S. Augustin, Epist. XLIX, n° 2.

[16] Contra Maximinum, lib. II, cap. xiv, n° 3.

[17] Commonitorium, IV, 3

[18] "C'est à Pierre que le Christ a dit : Tu es Pierre, et sur cette Pierre j'édifierai Mon Église. Où donc est Pierre, là est l'église : où est l'Église, nulle mort, mais la vie éternelle. C'est pourquoi il a ajouté : Et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle ; et Je te donnerai les clefs du royaume des cieux. Bienheureux Pierre, contre qui la porte des enfers n'a point prévalu, pour qui la porte du ciel ne s'est point fermée, mais qui, au contraire, a détruit les vestibules de l'enfer, ouvert les cieux ! Placé sur la terre, il ouvre le ciel, ferme l'enfer". Saint Ambroise, Enarr. ln Psalm. XL., n° 30; P. L., t. XIV, col. 1082.

[19] Sermo CXXXI, n° 10.

[20] De baptismo contra donatistas, lib. III, cap. ii, n° 3.

[21] Commonitorium, II, 6.

[22] Ibid., IV, 3.

[23] Combien serait déraisonnable celui qui, ne voyant dans la semence ni tronc, ni branches, ni feuilles, ni fleurs, voudrait en conclure qu'on ne fait qu'appliquer toutes ces parties, plus tard, artificiellement et du dehors, que cela ne pousse pas par la force même de la semence, et qui pour cela, nierait tout l'arbre qui doit apparaître dans l'avenir, n'admettant pour toujours que l'existence de la semence seule. Tout aussi déraisonnable est celui qui nie les formes plus complexes, c'est-à-dire plus manifestes que revêt la grâce divine dans l'Église et veut absolument revenir à la forme de la communauté chrétienne primitive. Vladimir SOLOVIEV, Les Fondements spirituels de la vie, trad. R. P. Georges Tzebricow, Bruxelles, 1932, p. 189.

[24] Si les hérésies nourrissent l'ambition de ramener le christianisme à ses origines, c'est qu'elles n'entendent pas cette loi profonde de la vie. Elles procèdent mécaniquement. Pour elles, dit MOEHLER, "le christianisme est considéré comme une affaire ayant toujours été complètement achevée, définitive et immuable. Avec cela on entretient l'illusion de pouvoir retrouver un christianisme biblique, évangélique, si celui-ci avait pu disparaître pendant une centaine ou un millier d'années. Que dirait-on de celui qui, perdant la raison pendant des années, mais qui cependant aurait, de temps à autre, des souvenirs d'enfance, accuserait les autres de déviations et voudrait les faire retourner avec lui à l'état d'enfance ?» L'unité dans l'Eglise, trad. A. de Lilienfeld, Paris, 1938, § 18. p. 61

[25] De civitate Dei, lib. XVI, cap. ii.

[26] De baptismo contra donatistas, lib. lI,cap. III, n° 4.

[27] xxiii, 1-3.

[28] Par exemple au chapitre XXVII, 3-5, du Commonitotium où, résumant sa doctrine, il recommande aux enfants de l'Église de suivre "l'universalité, l'antiquité, le consentement général. Si parfois la partie se révolte contre le tout, la nouveauté contre l'ancienneté, l'opinion particulière d'un seul ou de quelques-uns contre l'opinion unanime de tous les catholiques ou de la grande majorité, qu'ils préfèrent à la corruption de la partie l'intégrité de l'universalité ; dans cette même universalité, qu'ils mettent la religion antique au-dessus de la nouveauté profane ; et dans cette antiquité même qu'ils fassent passer avant la témérité d'un seul homme, ou du très petit nombre, d'abord les décrets généraux d'un concile universel, s'il en existe un ; et, s'il n'en existe pas, qu'ils suivent ce qui s'en rapproche davantage, à savoir les opinions concordantes de nombreux et éminents docteurs. En nous conformant à cette règle, Dieu aidant, avec fidélité, prudence et zèle, nous prendrons sur le fait sans grande difficulté toutes les erreurs pernicieuses des hérétiques qui surgissent".

Vincent fait remarquer, au chapitre XXX, qu'il a suffi, lors du concile d'Éphèse, de montrer l'accord de dix des Pères ou docteurs principaux de I'Eglise pour attester la foi de l'Église.

[29] Ibid., iv, 2 et 6. Vincent réserve aux papes le titre de papa, accordé jusqu'alors à tous les évêques.

[30] De poenitentia lib. I, cap. vii, n° 33 ; P. L., t. XVI, col. 476.

[31] Dict. apol. de la foi cath., article Église, col. 1278-1279.

[32] Les quatre notes, ou du moins les trois premières, postulent la note de romanité pour exister non pas matériellement mais formellement. Seule, en effet, la communion avec l'évêque romain, successeur de Pierre, donne le vrai principe de l'unité, empêche que l'Église ne se morcelle en diverses Églises nationales, et, surtout, communique à toute l'Église l'apostolicité de succession.. De Christi Ecclesia, 1926, p. 111.

Gustave THILS se contente d'opposer les deux points de vue, Les notes de l'Église dans l'apologétique catholique depuis la Réforme, p. 295. Un peu plus haut, le même auteur, frappé de la manière dont le P. de Guibert approche de l'apostolicité la primauté romaine, croit pouvoir en conclure "que la preuve par l'apostolicité est relativement inutile, et qu'il vaut mieux se contenter de la via primatus. ibid, p 286. Cf aussi p. 204. Nous ne partageons pas cette manière de voir.

[33] Apud Eusebium, Hist. Eccle, lib. III. cap. xxxix ; P. G., t. XX, col. 297.

[34] Stromat., lib. VII, cap. xvi ; P. G., t. IX, col. 544.

[35] xxi.

[36] xxvi, 3-4.

[37] De praescriptione, xxxii, 1-2.

[38] Ibid., xxxvi-xxxvii, 1.

[39] Existe-t-il une "sagesse" ésotérique pour les "parfaits" ? C'est la question que le P. ALLO étudie minutieusement dans son Commentaire sur la Première épître aux Corinthiens, Paris, 1935, pp. 87-115, et qu'il résout en disant que, selon saint Paul, "les parfaits vivent sur les mêmes vérités que le commun des croyants ; de la doctrine évangélique tout ésotérisme est absent, et n'aurait pu jamais constituer aux yeux des apôtres qu'une gnose qui bouffit" (I Cor., viii, 1).

[40] Contra haereses, lib. III, cap. iii ; P. G., t. VII, col. 848.

[41] ibid.. col. 855.

[42] Il y aurait une grave erreur, fait remarquer BILLOT, à vouloir restreindre la question de la succession apostolique à la seule question de la validité des ordinations. De Ecclesia Christi, Rome, 1921, p. 345. On peut appeler apostolicité apparente une continuité purement matérielle, comme celle qui est offerte par l'Église anglicane ou l'Église suédoise, où des évêques invalidement consacrés prennent la place d'évêques authentiques ; apostolicité partielle ou mutilée, celle qui résulte de la transmission valide du pouvoir d'ordre seul, telle qu'on peut la trouver dans les Églises gréco-russes ; apostolicité plénière, celle qui résulte de la transmission du pouvoir d'ordre et du pouvoir de juridiction. L'apostolicité apparente est purement extérieure ; l'apostolicité partielle peut s'appeler matérielle; l'apostolicité plénière peut s'appeler formelle. Mais si les théologiens sont d'accord sur les choses, ils n'emploient pas toujours de la même manière les mots "matériel" et "formel". Nous avons reconnu la présence d'une juridiction partielle dans les Églises dissidentes orientales.

[43] S'il est vrai que la juridiction spirituelle sur les choses spéculatives et pratiques, que la puissance pastorale réside non pas certes à titre exclusif mais à titre total et premier dans le pasteur suprême des brebis chrétiennes, elle cesse en principe d'exister dans un épiscopat qui rompt avec lui : "les évêques perdraient le droit et le pouvoir de gouverner s'ils se séparaient sciemment de Pierre et de ses successeurs". Léon XIII, encyclique Satis cognitum. Cependant, en fait et à titre emprunté, les Églises dissidentes conservant le pouvoir d'ordre, telles les Églises gréco-russes, peuvent posséder, par une concession soit expresse soit tacite du souverain pontife, une juridiction partielle mais véritable. Tout cela, qui a été dit, ne doit pas être oublié ici.

[44] Comme signe d'un affaissement toujours possible, dans l'Église gréco-russe, de la croyance traditionnelle, on pourrait rappeler que la croyance à l'Immaculée Conception s'est conservée pacifiquement dans l'Église grecque jusque vers la fin du XVè siècle, et qu'elle s'efface à partir du XVIè siècle, sous l'influence non pas unique mais indéniable du protestantisme. Cf. Martin JUGIE, Immaculée Conception dans l'Église grecque après le concile dÉphèse, Dict. de théol. cath., col. 956 et 963.

De même les livres "deutérocanoniques" de l'Ancien Testament furent reçus comme inspirés depuis Photius jusqu'au XVIllè siècle ; à partir de cette date, ils furent rejetés ouvertement par l'Église russe, puis par un bon nombre de théologiens grecs. Cf. Martin JUGIE, Theologia dogmatica christianorum orientalium, Paris, 1926, t. 1, pp. 654-661.

Telle est, hors de l'Église catholique, la pente naturelle. Le constater, ce n'est pas cependant méconnaître "la sainteté russe, la sainteté de saint Serge et de saint Séraphi, de saint Nikhon et de saint Métrophane", ce n'est pas nier la sainteté de tant de chrétiens russes immolés aujourd'hui en témoignage de la foi. Car, en même temps que le poids qui a séparé de l'unité les Églises, continue de les entraîner toujours davantage, la force ascensionnelle de l'Esprit, traversant tous les obstacles et trouvant un point d'appui, dans l'immense héritage que ces Églises ont gardé de l'Église unique, vient pousser non seulement des âmes individuelles mais des sociétés entières d'âmes, qu'elles l'ignorent ou qu'elles le devinent confusément, vers la plénitude de la vérité catholique.

[45] LÉON XIII, lettre Apostolicae curae, sur les ordinations anglicanes, septembre 1896.

Trente ans auparavant, dans l'Apologia pro vita sua, note E, Ce que je pense aujourd'hui de l'Église anglicane, NEWMAN écrivait : "quant à sa prétention de succession apostolique remontant au temps des apôtres, il se peut qu'elle la possède. Si jamais le saint siège décide qu'il en est ainsi, je le croirai, parce qu'un jugement supérieur au mien en aura décidé ainsi ; mais (...) les arguments fondés sur l'antiquité ne correspondent pas du tout à l'importance des faits visibles", c'est-à-dire à la manière dont le baptême et l'eucharistie sont administrés dans l'Église anglicane, et dont la succession apostolique y est trop souvent niée. Cf. la note de Nédoncelle, dans la traduction Bloud et Gay, Paris, 1939, p, 362.

Le cas de l'Eglise suédoise, qui se glorifie "de la continuité qui la distingue parmi les Églises de la Réforme", n'a pas, comme celui de l'Église anglicane, fait l'objet d'une décision canonique de Rome. Il a été étudié très attentivement par le R. P. L.-M. DEWAILLY, dans. la Revue des sciences philosophiques et théologiques, juillet 1938, pp. 386-426 :

L'Église suédoise d'état a-t-elle gardé la succession apostolique ? On peut ramener à trois les conclusions de l'auteur :

1° il y a toujours eu en Suède, au moins extérieurement, des évêques succédant à d'autres évêques ; mais on ne parait pas se demander à quoi pourrait correspondre dans la réalité, cette succession épiscopale sans rupture, qu'on prend seulement pour symbole de la permanence essentielle de l'Église de Suède sous deux organisations différentes;

2° au fond, il s'agit d'une succession purement apparente. Ces évêques n'étaient pas de vrais évêques. La transmission du pouvoir d'ordre s'est brisée avec la Réforme. D'abord, en effet, on peut mettre en doute la validité de l'ordination du premier archevêque protestant d'Upsal, Laurentius Petri : "A peine revenu de Wittenberg et en pleine ferveur luthérienne, avait-il l'intention de recevoir l'épiscopat tel que le conçoit l'Église ? Nous sommes loin d'en être assurés, et le contraire est beaucoup plus vraisemblable". Surtout, l'étude du rituel suédois conduit à des conclusions plus nettes. Sous l'influence luthérienne, la prêtrise et l'épiscopat ont été vidés de leur substance : "Pour notre part, nous ne voyons pas le moyen d'éviter cette conclusion que la chaîne a été brisée. La rupture, quel que soit le sens qu'on lui donne, est évidente : les prêtres et les évêques ne sont plus ce qu'étaient leurs devanciers. Ce ne sont plus les mêmes pouvoirs transmis que dans l'Église catholique suédoise d'avant la Réforme..." ;

3° évidemment, le pouvoir juridictionnel régulier de ces évêques ne peut venir authentiquement du Christ.

[46] Nous entrons ici dans ce que certains apologistes appellent, d'une expression elle-même discutable, la via empirica, laquelle a passé, grâce à son promoteur le cardinal Dechamps dans une des constitutions du concile du Vatican. "Abandonnant toute confrontation de l'Église romaine actuelle avec l'antiquité, dans le dessein, avoué d'ailleurs, d'échapper aux difficultés que soulève l'interprétation des documents historiques, elle fait valoir que l'Église elle-même constitue un miracle moral, qui est comme le sceau divin qui authentique sa transcendance". Gustave THILS, Les notes de l'Église.... p. x. Il y a autre chose que de l'empirisme dans cette constatation du miracle moral de l'Église.

[47] L'apostolicité et la stabilité de l'Église sont étroitement rapprochées par saint Thomas dans son Exposé sur le Symbole des Apôtres (Opera omnia, édit. Vivès, t. XXVII, pp. 223-224) : "Il y a, dit-il, quatre conditions de la sainte Église ; elle est une, elle est sainte, elle est catholique, c'est-à-dire universelle, elle est forte et ferme fortis et firma) (...) Quant à ce dernier point, il faut savoir que l'Église de Dieu est stable, firma.

A. Une maison est stable si d'abord elle a de bons fondements. Or l'Église a pour fondement principal le Christ : personne ne peut poser un autre fondement que Celui qui est déjà posé, savoir Jésus-Christ (I Cor., iii, 11) ; et pour fondement secondaire les apôtres et leur enseignement : la muraille de la ville a douze pierres fondamentales sur lesquelles sont douze noms, ceux des douze apôtres de l'Agneau (Apoc., xxi, 14). C'est pourquoi l'Église est appelée apostolique (...).

B. Une maison apparaît stable lorsque, ébranlée, elle ne s'écroule pas. Or l'Église n'a été détruite par rien :

a) ni par les persécuteurs ; elle s'est même accrue dans les persécutions tandis que ceux qui la condamnaient et ceux qu'elle condamnait se sont évanouis : "celui qui tombera sur cette pierre se brisera, et celui sur qui elle tombera sera écrasé" (Mt., XXI, 44) ;

b) ni par les erreurs ; plus il y a eu d'erreurs, plus la vérité a éclaté : de même que Jannès et Jambrès s'opposèrent à Moïse, ceux-ci s'opposent à la vérité ; "ils sont viciés d'esprit et corrompus dans la foi, mais ils ne progresseront plus, car leur folie, comme celle de ces deux hommes, deviendra manifeste à tous" (II Tim., iii, 8 et 9) ;

c) ni par l'assaut des démons ; l'Église est une tour de refuge qui lutte contre le diable : "le nom du Seigneur est une tour fortifiée" (Prov., xviii, 10). C'est pourquoi le diable s'acharne à la détruire, mais sans prévaloir ; car le Seigneur a dit : "Les portes de l'enter ne prévaudront point contre elle" (Mt., xvi, 18), marquant bien que l'on combattra contre elle, mais sans la vaincre.

De là vient que l'Église de Pierre, seule, dans laquelle toute l'Italie est entrée, par la prédication des disciples, a toujours été stable dans la foi. Et quand ailleurs la foi disparaît et s'altère, elle reste dans l'Église de Pierre vivace et pure d'erreurs, ce qui n'a rien d'étonnant pour qui sait que le Seigneur a dit à Pierre (Luc, xxii, 32) : "J'ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille point". Nous pensons que saint Thomas parle, dans ce texte, de l'apostolicité à la fois comme propriété et comme note.

Stanislas FRANKL, Doctrina Hosii de notis Ecclesiae in luce saeculi XVI considerata, Rome, 1934, p. 7, croit, après Dublanchy, que saint Thomas ne songe ici qu'aux propriétés de l'Église. Le même auteur regarde le concept de note comme plus compréhensif que celui de propriété : "Animadvertendum est denique notam semper proprietatis conceptum complecti, sed minime e contrario". Ibid., p. 4.

Nous préférons dire l'inverse. De son côté, Gustave THILS écrit que la doctrine des marques de l'Église est "inconnue des apologistes du moyen âge", Les notes de l'Eglise.... p. 344 ; cf. p. xiii.

[48] Denz., n° 1794.

[49] xxiii, 4-9.

[50] Geschichte Papst lnnocenz des Dritten, Hambourg, 1834, t 1, p.79, trad. Bruxelles, 1839, t 1, p 83. Un peu plus haut, Hurter, toujours, dit-il, en faisant abstraction des formules dogmatiques, voit dans la papauté médiévale "une puissance spirituelle dont l'origine, le développement, l'accroissement et l'influence est le phénomène le plus extraordinaire de l'histoire du monde". T 1, p 56 ; trad., t 1, p 60.

[51] Pensées, édit. Brunschvicg, p. 606. - La remarque de Pascal porte sur ce qui, dans l'Église, est d'institution divine. Il va de soi que ce qui est d'institution ecclésiastique varie. En outre, l'Église pourra, pour des raisons prudentielles dont elle reste juge, ne pas exercer à certaines époques, exercer à d'autres époques des pouvoirs qu'elle possède de droit divin, par exemple le pouvoir d'absoudre de certains péchés réservés.

[52] Gaston FROMMEL, Études religieuses et sociales, Saint-Blaise, 1907, p. 298. - De même plus loin : "Si, d'une part, il est historiquement acquis - et cela ressort de ce que nous venons de dire - que l'Eglise tire constamment de l'idéal politique ambiant sa constitution effective et la manière de réaliser son unité principielle ; si, d'autre part, il est vrai que l'idéal politique est aujourd'hui celui de la démocratie, et que la démocratie est la forme inéluctable, réalisable et définitive des gouvernements futurs, nous concluons que la constitution ecclésiastique qui est appelée à réaliser la catholicité chrétienne des Églises réformées évangéliques de l'avenir - car il ne s'agit que de celles-là - doit être cherchée dans l'idéal démocratique. Et, pour le dire tout de suite, l'équivalent ecclésiastique de la démocratie politique peut être défini un congrégationalisme fédéré". p. 308.

[53] Au principe de ce développement miraculeux de la doctrine chrétienne, on constate le miracle du monothéisme demeurant inaltéré lorsqu'a été révélée la pluralité des personnes divines. Cf. Jules LEBRETON, S. J., Les origines du dogme de la Trinité, Paris, 1919, par exemple pp. 342 et 346.

[54] Œuvres du cardinal Lavigerie, Paris, 1884, t. 1, p. 94.

[55] Pensées, édit. Brunschvicg, p. 606.

[56] En faisant dépendre de la constance du régime la constance de la doctrine et la constance de la communion, nous reprenons une indication suggérée, à propos de l'unité, soit par le concile du Vatican : "Dans l'Église, maison du Dieu vivant, les fidèles sont retenus par le lien d'une même foi et d'une même charité" (Denz., n° 1821), soit par l'encyclique Satis cognitum, 29 juin 1896 : "A l'unité de l'Église, société de fidèles, sont requises l'unité de la foi, et l'unité de communion résultant de l'unité de régime, Sicut ad unitatem Ecclosiae, quatenus est coetus fidelium, necessafio unitas fidei requrtitur, ita ad ipsius unitatem, quatenus est divinitus constituta societas, requiritur jure divino unitas regiminis, quae unitatem communionis efficit et complectitur".

[57] Après avoir constaté, avec les disciples de Le Play, que "les patrons et les gouvernements favorisent un culte dans la mesure où il leur parait utilisable comme auxiliaires et le jugent "au coefficient de ses résultats sur le bien-être temporel, fin immédiate de la société civile", et que "la question du pot-au-feu domine trop nécessairement la société naturelle pour que Dieu s'en soit remis à ses soins de mener les hommes à leur fin dernière, le P. SCHWALM pense qu' "il appartiendrait aux théologiens" de remonter aux causes de ce fait "et de nous montrer sur les données nouvelles et précises de la science, comme quoi l'Église catholique est un miracle social". Revue thomiste, 1893, p. 655.

L'année suivante, il écrit dans la même revue : "L'Église est un organisme vivant : ses matériaux changent, le milieu de sa vie change ; donc elle change elle-même, ne serait-ce que pour s'assimiler ces matériaux et s'adapter à ces différences de milieu. Mais est-ce là toute la vérité ? Les changements de l'Église n'ont-ils pas des caractères spéciaux, des caractères uniques, absolument incommunicables ? (...) Que, devient alors la prétention de ramener l'évolution de l'Église à un simple cas particulier des lois naturelles ? La vérité est qu'on ne peut pas l'y ramener (...). Une institution qui se propage, s'établit, s'acclimate partout, sans jamais se fractionner ni s'altérer, n'est, à coup sûr, le simple produit naturel d'aucun milieu. Elle évolue, mais suivant une loi complètement opposée à la loi commune de l'évolution des races et de leurs institutions. Toute race, toute institution se transforme et devient autre, dès que les conditions de sa vie ont changé (...). Sortez, au contraire, l'Église catholique de la vieille Europe, ouvrez-lui le Nouveau Monde, elle s'adapte à ce milieu nouveau et s'en assimile les forces vives sans jamais cesser d'être elle-même. l'Eglise évolue donc, mais suivant une loi qui n'est pas naturelle. Voilà pourquoi, en théologie, nous regardons le fait historique et social de la constance de l'Église, ou encore de sa catholicité comme une note, c'est-à-dire un signe visible et un effet propre de sa constitution surnaturelle". Ibid., 1894, pp. 176-178.

Dans ses Leçons de philosophie sociale, publiées après sa mort, il explique que, bien qu'elle soit en elle-même un objet de foi, la subsistance surnaturelle de l'Église "se manifeste par des signes hautement probables" et apparaît comme "souverainement vraisemblable" au regard de la pure raison, lorsqu'elle se livre à l'étude comparée de l'Église et des autres sociétés civiles et religieuses. Paris, 1910. t. 1 pp. 118-126.