INTERVIEW DE Mgr FELLAY

Mille prêtres allemands demandent le DVD de formation

à la célébration de la Messe en latin 

Le « bouquet spirituel » de la FSSPX : deux millions et demi de rosaires

à l’attention du Saint-Père

par Brian Mershon, invité dans les colonnes de The Remnant

« L’Église a besoin de revenir aux principes, à du solide. Vatican II, c’est du plastique » (Mgr Fellay)

(En exclusivité pour The Remnant)

(Mis en ligne le 15 janvier 2007 – www.RemnantNewspaper.com). – À l’issue d’une réunion plénière de la Commission pontificale Ecclesia Dei, (CPED) tenue le 12 décembre 2006, le cardinal Jorge Medina a déclaré à des reporters que la Commission avait examiné deux documents pendant une durée totale de quatre heures. Le premier était le très attendu et, paraît-il, fortement modifié motu proprio qui assouplira les restrictions imposées à la célébration du rite romain traditionnel de la Sainte Messe. Le second document, selon le cardinal Medina, était une structure canonique pour la réintégration éventuelle de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, dont quatre évêques – en compagnie de Monseigneur Marcel Lefebvre et de Mgr Antonio de Castro Mayer – avaient encouru une excommunication latae sententiae en vertu du motu proprio Ecclesia Dei Afflicta publié le 2 juillet 1988 par le pape Jean-Paul II. Le cardinal Joseph Ratzinger, aujourd’hui pape, a été au cœur des discussions avec feu Mgr Lefebvre, et il connaît intimement l’affaire, ainsi que les circonstances historiques entourant ce malheureux incident.

Depuis 2000, peu de temps après que la Fraternité Saint-Pie X eut conduit des milliers de pèlerins catholiques en pèlerinage à Rome, Mgr Fellay, son Supérieur général, avait rencontré brièvement le pape Jean-Paul II en audience privée. Après des échanges de civilités et une prière en commun avec le Saint-Père, la réunion prit fin, mais devait déboucher ensuite sur une rencontre avec trois des quatre évêques de la Fraternité. Mgr Fellay et deux autres prêtres de la Fraternité ont rencontré le pape Benoît XVI et le cardinal Castrillón Hoyos durant trente-cinq minutes. Dans l’édition de septembre 2005 de 30 Days, Mgr Fellay et le cardinal Hoyos étaient interviewés séparément pour parler de leur rencontre et de la marche à suivre pour aboutir à une éventuelle régularisation canonique. Dans son interview, le cardinal Hoyos proclamait pour la première fois que bien que la consécration de quatre évêques sans mandat papal eût été illicite et provoqué une séparation, elle n’avait pas créé un schisme formel. Le cardinal devait réitérer cette proclamation en 2005, à la télévision italienne. Ces déclarations répétées et publiques faites par le prélat du Saint-Siège chargé des relations avec les traditionalistes constituaient une réaffirmation des propos tenus par Ralf Siebengürger, alors Président d’Una Voce, qui, à l’issue d’une audience privée que le cardinal Hoyos lui avait accordée le 13 mars 2004, déclarait : « Le cardinal a souligné que Mgr Lefebvre n’avait jamais fait de sa Fraternité une structure propre pouvant être assimilée à la concrétisation d’un schisme ».

Donc, bien que la situation canonique de la FSSPX dans l’Église reste irrégulière et qu’une structure canonique formelle soit désormais en gestation, le langage de la CPED est beaucoup plus mesuré en 2007 qu’il ne l’était en 1988.

            On trouvera ci-après l’interview la plus récente accordée (en exclusivité) par Mgr Bernard Fellay, réélu en juillet 2006 Supérieur général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X pour un nouveau mandat de douze ans, ce pourquoi il a reçu du Saint-Siège une lettre de félicitations valant reconnaissance de sa réélection.

Q.        Il a été annoncé sur votre site Internet d’information que les fidèles attachés aux chapelles de la Fraternité avaient récité à l’attention du pape Benoît XVI deux millions et demi de rosaires, que vous lui avez transmis dans une lettre. Avez-vous envoyé ce bouquet spirituel et pouvez-vous nous dire quelle est la teneur de la lettre ?

R.        La lettre n’a pas été publiée. Elle a été envoyée, mais n’a pas été publiée. Je ne peux donc en dire grand chose. Il va cependant de soi que lorsqu’on offre un bouquet dans une telle lettre, on ne peut guère parler d’autres recommandations que celles auxquels on pense en offrant le bouquet. Le message est donc limité, peut-on dire. Mais les intentions de cette croisade, ou de ce bouquet, sont très claires et très précises.

            Lorsqu’on parle du triomphe du Cœur Immaculé de Marie, on pense évidemment à Fatima. On a aussi en tête le combat gigantesque annoncé par la Sainte Vierge Marie, à savoir celui entre, d’un côté le démon et les forces du mal, de l’autre, l’Église, qui est le combat même dans lequel nous nous engageons. Nous croyons que Fatima a trait en particulier à ce combat titanesque, dans lequel nous situons la crise actuelle de l’Église. Et nous sommes convaincus que l’on obtiendra la victoire en faisant ce qu’a demandé la Sainte Vierge Marie.

            Donc, lorsque nous parlons de la Royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le message est très clair. Ce n’est pas seulement celui du Notre Père (« que Votre Règne arrive »), c’est aussi celui de Quas Primas. Ce dont il s’agit là, c’est du combat, de la croisade pérenne de l’Église, qui a pour devoir de répandre l’Évangile non seulement dans les âmes, mais aussi dans les sociétés naturelles de l’humanité, dans la société humaine. Nous voulons des États chrétiens. Et ce n’est pas seulement nous qui le voulons, car c’est ce que l’Église a toujours voulu.

            Voilà pourquoi nous offrons au pape un bouquet. Mais dans ce bouquet, il se trouve certaines fleurs dont chacune est porteuse d’un message précis. Et naturellement, de manière plus immédiate, il y a la Messe. Mais lorsque nous parlons de la Messe, nous n’avons pas pour unique intention d’être autorisés à la dire. Nous savons que la Messe tridentine possède en elle-même un pouvoir considérable : elle a en effet le pouvoir de restaurer l’Église, le pouvoir de tuer les virus introduits dans l’Église par Vatican II.

            C’est tout cela que nous avons voulu inclure dans ce bouquet. Une partie est dite, l’autre est non dite, mais tout y est assurément.

Q.        Il s’agit donc de la réaffirmation des éléments de la doctrine catholique perdus ou ignorés depuis quarante ans ?

R.        Oui, bien entendu.

Q.        À l’heure actuelle, certains catholiques de bonne volonté désirent peut-être assister régulièrement à des messes traditionnelles en latin, y compris celles qu’on célèbre dans vos chapelles, pour la paix et la tranquillité de leur âme comme de leur esprit, ainsi que pour échapper au chaos et à l’absurdité post-conciliaires, mais ils en sont dissuadés par l’irrégularité du statut de la Fraternité au sein de l’Église.

a.                  Pensez-vous que si le Saint-Siège lève les décrets d’excommunication, même en l’absence d’accord canonique et de régularisation préalables, les chapelles de la Fraternité risquent d’être envahies par un grand nombre de nouveaux catholiques à la recherche de paix et de tranquillité ?

b.                  A-t-on parlé de cette éventualité entre les évêques, les prêtres et les responsables  de la Fraternité ? Avez-vous un plan pour faire face à un tel phénomène s’il vient à se produire ?

R.        Certes, nous y avons pensé.

            Pour ma part, je ne pense pas que les choses se passeront ainsi. Je ne m’attends pas à une telle déferlante juste après la publication d’une plus large autorisation de célébrer la Messe.

            Pourquoi ? Parce qu’on nous considère toujours comme le diable dans le bénitier (rires)… Quoique je ne voie guère en vertu de quoi l’on peut nous représenter ainsi.

            Bien sûr, si le décret d’excommunication est retiré, une porte s’ouvrira. Mais là encore, je ne pense pas qu’on assistera à une ruée de fidèles sur la Messe traditionnelle. Avec le temps, je crois la chose possible. En fait, je ne sais pas. Mais c’est bel et bien là une possibilité à envisager. C’est pourquoi nous devons absolument être ouverts à une telle possibilité ; dans certains endroits plus que d’autres, on assistera sans doute à des faits de ce genre.

Q.        Qu’entendez-vous par « certains endroits » ? Voulez-vous parler de certains pays ?

R.        Il me semble que dans certains pays, dans certaines villes, on ne verra pas cela se produire avant longtemps, et par longtemps, j’entends plusieurs années. On assistera dès le début à une très vive réaction des progressistes, qui essayeront d’enrayer le processus.

            Puis, petit à petit, la situation décantera : les fidèles viendront à la Messe traditionnelle, que certains prêtres conciliaires se seront mis à célébrer, et l’on pourra dès lors faire une comparaison entre la nouvelle messe et l’ancienne. Or, il va de soi que la nouvelle messe ne pourra le supporter.

            Mais je ne vois pas cela se produire dans l’immédiat. Je vois plutôt là un processus, car il y faudra du temps. Il va de soi que nous avons un plan, mais je ne pense pas qu’il soit réaliste d’en envisager la réalisation immédiate.

Q.        Comment la Fraternité s’est-elle préparée à aider les nombreux prêtres qui pourraient souhaiter apprendre à célébrer la Sainte Messe dans le rite romain traditionnel une fois le motu proprio promulgué ? Combien, selon vous, y a-t-il dans les autres régions du monde de prêtres qui désirent célébrer le rite traditionnel ?

R.        Il est évident qu’une attente considérable existe à cet égard, mais elle est très difficile à quantifier en nombre de prêtres aspirants. En Allemagne, pays qui semble si progressiste, nous avons été impressionnés par le nombre de prêtres ayant demandé à recevoir le DVD [NdlR : il s’agit du DVD de formation réalisé à l’intention des prêtres pour leur apprendre à célébrer le rite romain traditionnel.] Nous avons enregistré plus de mille demandes, alors que la sortie de ce DVD n’avait été annoncée qu’au tiers des prêtres allemands.

            Cela montre que même dans ces pays, l’attente est grande. Je suis certain que c’est particulièrement le cas chez les jeunes prêtres. Tout est donc possible, mais tout dépendra de ce qui se trouvera, ou ne se trouvera pas, dans ce fameux motu proprio. Or, je ne peux en dire plus à ce sujet, car j’ignore le contenu du texte en question.

            Il y a une attente. Et la seule évocation de la publication éventuelle d’un motu proprio ne fait que rendre cette attente plus fébrile. Je suis sûr que partout, l’on s’intéressera alors à la Messe traditionnelle. De même, il y aura certainement beaucoup de prêtres qui se rapprocheront de nous, davantage qu’il n’y en a déjà. Ce texte ouvrira des portes, cela ne fait aucun doute.

Q.        Dans une interview accordée le 11 décembre au quotidien français Nice-Matin, vous avez déclaré que la Fraternité Saint-Pie X avait déjà prié plusieurs fois le Saint-Siège – y compris par écrit – d’abroger les décrets d’excommunication. Le cardinal Hoyos vous a-t-il demandé d’en adresser la requête officielle au Saint-Père ? En vous disant quelque chose du genre « Tout ce que le pape attend de vous, c’est votre lettre » ? 

R.        Depuis 2000, nous maintenons deux conditions préalables. Nous avons dit au Saint-Siège que nous n’avions guère confiance en lui, et nous lui avons donc demandé d’accomplir certains gestes pour accroître notre confiance. L’un de ces gestes est la levée des décrets d’excommunication, et cette condition a été exposée par écrit de façon répétée.

            J’ai demandé plusieurs fois au Saint-Siège et au pape – même avant l’audience que le Saint-Père m’a accordée le 29 août 2005 – d’accomplir ces gestes. C’est pourquoi j’ai dit, lors d’une interview, que je n’écrirais pas une lettre de plus, car on m’avait posé la question à trois reprises – je crois – entre août et octobre 2005. Cette revendication, nous l’avons toujours soutenue.

            Et l’on ne m’a pas dit textuellement : « Tout ce que le pape attend de vous, c’est votre lettre ». Cela, c’est faux. On m’a dit plutôt, en substance : « Écrivez votre lettre, et nous verrons ensuite… », ou quelque chose de ce genre. Et j’ai répondu à peu près : « Je n’ai pas besoin d’écrire une lettre, puisque cette requête, je vous l’ai déjà adressée plusieurs fois ». Voyez-vous ?

            Je ne veux pas laisser entendre qu’on soit en présence d’un chien qui court après sa queue. Ce n’est pas exactement cela. On m’a posé, en quelque sorte, la question suivante : « Que demandez-vous ? De quoi s’agit-il ? » Et nous avons demandé, à titre de condition préalable, la levée des décrets d’excommunication.

Q.        Dans cette même interview accordée à Nice-Matin, vous avez dit que bien qu’il n’y ait pas eu de rencontre formelle depuis celle que vous aviez eue avec le Saint-Père en août 2005, la Fraternité Saint-Pie X et le Saint-Siège avaient échangé des lettres entre-temps.

a.                  Pourriez-vous livrer à nos lecteurs la teneur de ces lettres ?

b.                  Y avait-il dans ces lettres une discussion théologique sur les interprétations magistérielles officielles de la liberté religieuse, de l’œcuménisme et (ou) de la collégialité ?

R.        Il n’y a eu que deux faits. Nous avons rencontré le Saint-Père le 29 août [NdlR : pendant trente-cinq minutes] et le cardinal Castrillón Hoyos le 15 novembre [NdlR : pendant quatre heures]. C’est tout. Ce sont les seules rencontres que j’aie eues à Rome.

            Il n’y a pas eu autant de lettres que cela. En fait, laissez-moi réfléchir… Il y a eu une lettre du cardinal Castrillón Hoyos, puis – évidemment – des félicitations pour mon élection [NdlR : il s’agit de la réélection de Mgr Fellay comme Supérieur général en juillet 2006]. Je ne sais si vous voulez ou non compter cela aussi. Il n’y a rien eu d’autre. J’ai ensuite répondu à cette lettre du cardinal Hoyos. Elle [NdlR : la lettre écrite par Mgr Fellay] disait plutôt quelque chose comme « Pourquoi ne répondez-vous pas ? Pourquoi ne bougez-vous pas ? ».

            On n’en est pas encore à un dialogue en profondeur. Il y a des ouvertures. Il y a des invitations à aller de l’avant et à poursuivre. Et nous avons donc dit : « Commencez par satisfaire à nos conditions préalables ». Telles sont les choses que nous demandons depuis 2000.

            Cela ne va pas très loin, mais je crois qu’avec le temps, cela crée un climat qui rendra sans doute possibles ces événements [NdlR : les discussions théologiques].

            Je pense que nous ne sommes peut-être pas loin de voir Rome satisfaire à nos deux conditions préalables. Quand ? Cela pourrait arriver dans deux ou cinq ans. Cela pourrait aussi arriver demain. Je ne sais pas. Je n’en ai aucune idée.

Q.        L’institut traditionaliste du Bon Pasteur, érigé dernièrement en France, a pour mandat spécifique de procéder à une réflexion théologique approfondie et à la critique de certaines parties des documents du deuxième concile du Vatican qu’il jugeait très peu clairs, voire incompatibles avec la doctrine pérenne de l’Église.

a.                  Voyez-vous là un signe positif ?

b.                  N’est-ce pas très semblable à ce que la Fraternité Saint-Pie X demande au Saint-Siège ?

c.                  Pourquoi est-ce le cas, ou pourquoi ne l’est-ce pas ?

R.        Mon sentiment est que c’est… Je ne voudrais pas dire une plaisanterie, mais c’en est presque une, en fait. Je ne sache pas que le Bon Pasteur ait reçu quelque mandat spécifique que ce soit. Pas le moins du monde. Ce ne sont que des mots. Les choses ne vont pas plus loin. Cela ne m’impressionne pas.

            J’ai envie de dire : d’accord, nous accomplissons peut-être là un pas en avant, mais guère plus. Il ne faut pas rêver.

            En premier lieu, je suis certain qu’il n’y a aucun mandat spécifique. Rome ne donnerait jamais une telle importance à cinq individus, alors que tel serait le cas si le Bon Pasteur avait effectivement reçu ce mandat spécifique.

            Que ce mandat existe, c’est ce qu’ils disent. C’est assurément ce qu’ils prétendent. Mais comme je l’ai dit, je ne crois pas que ce soit le cas. Je pense que cela ne va pas très loin.

Q.        Mais, votre Excellence, n’y a-t-il pas là un changement par rapport à ce qu’on voyait il y a quinze ou vingt ans, lorsqu’un catholique n’avait même pas le droit de critiquer le moindre aspect du « Décret sur la communication sociale dans l’Église », par exemple, ou tout autre document théologique moins important du deuxième concile du Vatican sans se faire traiter d’hérétique ?

            Il semble que de la part du Saint-Siège, du moins, l’ouverture à certains critiques théologiques constructives des documents du deuxième concile du Vatican représente un important changement par rapport au climat qui régnait il y a quinze ou vingt ans.

R.        Nous évoluons dans une invraisemblable pagaille qui fait penser à de la salade russe (je ne sais si cette expression a cours en anglais). On met dans le plat toutes sortes d’ingrédients, et l’on trouve soudain en plein milieu un texte disant en substance : « C’est bon, vous pouvez formuler certaines remarques ponctuelles sur le Concile ». Qu’est-ce que cela signifie vraiment ? Quels en seront les effets ? À cet égard, je suis très, très dubitatif, car ce n’est pas ainsi que les choses se passeront.

            Je dois dire que je n’attends guère de résultats des discussions doctrinales. Ce que j’attends d’elles lorsqu’elles auront lieu, c’est qu’elles nous permettent de poser la question suivante : « Pouvons-nous, tels des haut-parleurs, faire rentrer dans l’Église des idées d’autrefois grâce auxquelles nos contemporains pourront se remettre à penser ? » Des idées tout simplement oubliées.

            Mais je ne vois guère comment essayer de convaincre des gens qui considèrent bel et bien le deuxième concile du Vatican comme plus important que celui de Nicée. Et nous ne pouvons pas faire grand chose non plus pour ceux qui ont des antécédents philosophiques très éloignés de la scolastique. Ce serait, dirai-je, un rêve d’y parvenir, car ces réflexions théologiques seraient assez épineuses.

            L’Église a besoin de revenir aux principes, à du solide, Vatican II, c’est du plastique. Ce n’est pas solide. C’est ambigu. C’est inconsistant. Même le fait de discuter de ce concile n’apportera pas grand chose de positif. Il faut en revenir à du solide. Si les discussions nous amènent jusqu’à ce point, ce sera parfait. Mais si elles doivent prendre pour fondement Vatican II, autant y renoncer.

Q.        Vous avez donné plus récemment, le 16 décembre à Martínez, Buenos Aires (Argentine), une homélie au cours de laquelle vous avez déclaré catégoriquement que le pape avait déjà signé le motu proprio libéralisant le rite romain traditionnel.

a.                  Êtes-vous certain de cela ? Pouvez-vous nous donner des précisions ?

b.                  Dans l’affirmative, ce motu proprio a-t-il été signé avant la réunion plénière de la Commission pontificale Ecclesia Dei du 12 décembre, et si oui, que pensez-vous qu’il s’est produit depuis ?

R.        Je ne sais strictement rien à ce sujet. Cela peut certes sembler curieux, mais c’est ainsi. Je n’ai absolument aucune idée de ce qu’on nous prépare, bien que je sache que quelque chose se prépare.

            Nous leur avons dit : « Écoutez, pas encore ». Nous devons commencer par discuter, mais il semble qu’en face, on veuille court-circuiter cette étape. C’est pourquoi la question de savoir ce qui va se passer à l’avenir doit être assortie d’un grand point d’interrogation. Ils semblent pressés, alors que nous ne le sommes pas.

            Cherchent-ils à provoquer quelque chose dans la mouvance de la Fraternité ? Je l’ignore vraiment. Je me borne à regarder les faits. Je ne sais ce qu’il y aura dans ce motu proprio, ni quand il sera publié. Nous aviserons donc en fonction des circonstances. Nous sommes dans le brouillard, et nous essayons de distinguer la route à suivre.

            J’étais certain auparavant, il est vrai, que ce texte avait été signé. Or, le fait qu’il a été remis en chantier en dit long sur la puissance des évêques français. C’est tout ce que je puis dire, car je n’en sais vraiment rien de plus. Mais en effet, j’étais sûr que le document avait été signé.

Q.        Après la réunion plénière du 12 décembre, le cardinal Medina a déclaré que la Commission avait passé quatre heures à examiner deux documents. L’un était le motu proprio libéralisant la Messe traditionnelle. L’autre, selon le cardinal, était un cadre juridique pour la réintégration de la Fraternité Saint-Pie X. 

a.                  La Fraternité Saint-Pie X a-t-elle pris une part active à l’examen de la teneur ou de la structure de base et de la teneur de ce cadre juridique ?

b.                  Dans l’affirmative, pouvez-vous partager avec nos lecteurs une partie du contenu du cadre juridique proposé ? Sera-t-il analogue à un ordinariat militaire ou à une administration apostolique ?

R.        Non. Au Vatican, on ne nous a jamais communiqué un quelconque projet pour notre future structure. La seule chose qu’on nous ait dite, en 2003, c’est qu’elle se situerait entre une administration apostolique, une prélature personnelle et un ordinariat militaire. On nous a dit qu’on n’avait pas de nom pour cela. C’est tout ce que nous en savons. Nous ne savons donc pas grand chose, et depuis lors, nous n’avons jamais eu la moindre discussion concrète sur cette question.

Q.        Mais là encore, dans votre homélie du 16 décembre en Argentine, vous avez dit qu’« il y avait quelque chose d’autre, une autre chose » en plus du motu proprio qu’on avait examiné et qu’on allait peut-être publier.

            Pensez vous que cette « autre chose » pourrait être la levée des décrets d’excommunication frappant les évêques de la Fraternité Saint-Pie X ?

R.        Je le répète, nous parlons là de l’avenir, au sujet duquel il m’est impossible de deviner quoi que ce soit, et dont je ne peux donc guère parler. Tout est ouvert. Comme je ne cesse de le dire depuis des mois, la seule conduite à tenir dans toute cette affaire est de ne croire à une telle éventualité que lorsqu’elle se réalisera.

            Concernant les excommunications, on nous en a parlé l’an dernier (en mars 2006) devant les cardinaux ; je crois donc qu’il s’agit d’une question ouverte, mais je n’ai pas d’idée à ce sujet. Il m’est arrivé de penser que je pourrais deviner, mais ensuite, POUF ! (rires). À présent, je n’en suis plus certain.

Q.        Certains catholiques ont cru discerner des divergences et des manques de concordance entre les messages émanant de vous, de Mgr Williamson et de l’abbé Régis de Cacqueray, Supérieur du district de France de la FSSPX, au sujet de la récente visite du pape à la Mosquée bleue. Ces messages traduisent-ils une divergence qui porterait spécifiquement sur la manière de traiter avec le Saint-Siège ?

R.        Si l’on reste à la surface des choses et sur un plan dialectique, on peut toujours percevoir des divergences et des manques de concordance qui n’existent pas en réalité. Le reste est affaire de prudence.

Q.        Après la rencontre initiale que vous-même et deux autres évêques de la Fraternité aviez eue avec le cardinal Hoyos, vous auriez déclaré que celui-ci avait demandé à la Fraternité de poursuivre son combat contre le modernisme dans l’Église.

            Prévoyez-vous toujours que cela constituera la mission et le mandat primordiaux de la Fraternité, en admettant que les excommunications soient finalement levées et qu’intervienne une régularisation canonique pleine et entière ?

R.        Je ne pense pas que l’Église veuille nous donner un tel mandat. L’Église ne veut pas considérer les choses en termes de « combat » ou de « lutte », mais plutôt en termes d’« unité ». C’est pourquoi je ne pense pas que l’on nous dise jamais : « Allez et combattez le modernisme. Allez et combattez le libéralisme ».

            Je pense même que le pape se rangerait dans l’autre camp. On s’en rend compte très clairement, par exemple, pour ce qui est des relations entre l’Église et l’État. Je n’attends donc pas cela de lui. Nous ne percevons pas la situation en termes de Divine Providence. Ce que nous voyons, en revanche, c’est que nous menons un très grand combat.

            Mais peut-on dire qu’il y aura là un mandat venant du Saint-Siège ? Non, je ne vois pas les choses se passer ainsi.

Q.        Est-il vrai, pourtant, que le cardinal Hoyos l’a dit dans le passé aux évêques de la Fraternité ?

R.        Oui, assurément. Mais qu’entendent-ils au juste par là ? C’est bien le problème, qui est celui de la perception de la crise tout entière. Nous voyons à celle-ci des racines qui plongent très profond, alors qu’eux ne l’appréhendent que superficiellement.

            Ils recherchent à coup sûr notre aide et nos services, mais leur perception de la profondeur du problème est entièrement différente de la nôtre.

Q.        Si le Saint-Siège remplit les deux conditions préalables, la Fraternité Saint-Pie X étant reconnue par lui comme complètement et parfaitement en communion avec l’Église :

a.                  Comment pensez-vous que la grande majorité des évêques réagiront dans le monde ?

b.                  Pensez-vous qu’il se produirait un schisme ? Un vrai, cette fois, et « à gauche » ?

R.        Si je me situe sur un plan purement humain, je pense qu’il y aura une réaction et qu’elle ne sera pas bonne. Sera-t-elle violente ? Sera-t-elle puissante ? Je pense que quelques-uns réagiront violemment. Mais la majorité se montrera passive.

            La réaction sera-t-elle assez forte pour provoquer un schisme ? Sans doute que non. Du moins pas ouvertement. Peut-être pas plus que ce n’est déjà le cas à l’heure actuelle.

            Le grand risque, je crois, est que les textes publiés par le pape aient le même effet que tous ceux publiés au cours des dix à quinze dernières années, c’est-à-dire un effet nul. Tel est le grand danger inhérent à l’inertie actuelle de l’Église. Ils ont leurs méthodes et leur vision, et je ne sais si le pape est capable, ou même désireux de modifier cette vision. C’est pourquoi je pense que cela prendra du temps.

            Je ne crois pas qu’il se produira un changement immédiat dans l’Église, même si nos conditions préalables sont remplies. Je vois cela comme la croissance d’une graine. Elle a d’abord besoin de pousser. Les premières années, il lui faut le faire doucement et en silence comme toute graine appelée à sortir de terre. C’est ainsi que je vois les choses. Certains évêques accompagneront le mouvement, mais la plupart se borneront à feindre l’ignorance comme ils le font déjà.

Q.        À long terme, pensez-vous qu’il puisse y avoir, dans les rangs des prêtres traditionalistes, un « œcuménisme » théologique servant de levain dans la pâte de l’Église ?

R.        Non. Pour quelle raison ? Parce que la grande majorité du mouvement Ecclesia Dei  tient à la Messe, mais non à la doctrine. Ils ont déjà ingéré le poison. C’est pourquoi je ne m’attends pas à l’apparition d’un vaste œcuménisme traditionaliste.

Q.        Pourquoi ? Est-ce parce que vous pensez que leur formation n’est pas assez thomiste ?

R.        Ils partent du principe que Vatican II est une bonne chose. Ne faisant pas les distinctions nécessaires au sujet du magistère, ils avalent Vatican II et les idées de Vatican II, du moins quant aux principes.

            Maintenant, peut-être qu’en pratique, c’est moins évident, parce qu’ils tiennent à être traditionnels. N’empêche qu’en principe, ils ont accepté toutes ces choses. Et c’est là que réside la grande différence entre Ecclesia Dei et la Fraternité.

Q.        En manière de conclusion, avez-vous quelque chose à ajouter ou à clarifier, pour le profit de nos lecteurs catholiques,  au sujet de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X?

R.        L’Église est surnaturelle. Elle se trouve entre les mains de Dieu, qui la conduit même au plus fort de cette crise. Si nous employons les moyens qu’Il veut nous voir employer, nous obtiendrons des résultats, et ces moyens sont surnaturels.

            Nous devons être fermes dans la foi. Nous devons nous montrer entiers dans notre Foi comme dans notre confession et notre profession de la Foi, ainsi que dans le domaine moral et sous tous les aspects de notre religion. La victoire est au bout, et nous devons être du bon côté.

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Brian Mershon est titulaire d’une maîtrise de théologie et licencié en journalisme éditorial. Il a collaboré à plusieurs publications catholiques et laïques, y compris sur l’Internet.