Etudes sur Dieu, l’Eglise, le Pape et sur le surnaturel et les sacrements

M l’abbé J-B. AUBRY

Docteur en théologie

Paris Desclée, de Brouwer&Cie 1887, pp. 332-344

CHAPITRE XVIII

Le Pape et les prérogatives pontificales.

I

PRIMAUTÉ ET INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE

I.  De même que la construction d’un édifice commence par la base, de même la notion de l’Église commence par celle du pape, qui est précisément établi par N.-S., le fondement de l’Eglise. La notion de l’autorité sur laquelle a été fondée toute la constitution de l’Église étant ainsi posée, celle de toute la constitution de l’Église en découlera facile­ment ainsi que toute la hiérarchie. Il est remarquable, du reste, que quand N.-S. a commencé à établir l’Église et a déterminé sa forme et sa constitution, il a commencé par déterminer le pouvoir de saint Pierre et par poser la primauté. Ainsi, on identifiera, ici encore, comme il le faut faire tou­jours autant que possible, l’ordre logique avec l’ordre histo­rique; car l’histoire de l’établissement de l’Église procède en ceci précisément comme la constitution même de son corps.

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II.  De même que, parmi les moyens intrinsèques divine­ment établis pour produire la grâce, et confiés à l’Église de Jésus-Christ comme des vases précieux qui renferment les richesses spirituelles amassées par la Rédemption, l’Eucha­ristie est le centre, la source, le foyer de toutes grâces, le cratère du volcan de la grâce, vu que l’Eucharistie est le mémorial vrai, réel, et la reproduction de la Rédemption, le vase des mérites de Jésus-Christ, et que par elle doit pas­ser et d’elle venir toute grâce achetée par la Rédemption et conférée par les autres sacrements; de même, dans l’Église, au milieu de toute l’organisation des ministères apostoli­ques, établis pour conférer la grâce avec vertu propre de la produire, parce que l’Église entière est porteur de la grâce, pleine de la grâce, imprégnée de la grâce, débordante de la grâce, comme le gâteau des abeilles est rempli et débor­dant de miel, de même, dis-je, au milieu de cette organisation, le pape étant la source de tout ordre et de toute juri­diction, commandant tout pouvoir ecclésiastique et tout acte au nom duquel se confère la grâce, le pape est la sour­ce de toute grâce, le porteur du sang de Jésus-Christ et des mérites de la Rédemption, le maître de ses trésors - con­stituit eum Dominum domus suae et principem omnis posses­sionis suae[1] - le pape est chargé, enrichi, orné, débordant des mérites de Jésus-Christ qui coulent de lui sur le monde; il est le cratère du volcan du surnaturel, il est l’Eucharistie du ministère ecclésiastique[2].

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III.  Bossuet veut que le pape soit chef de l’Église, mais cependant qu’il soit tenu, comme tous les sujets dont il est le chef, aux lois dont il est le législateur[3] ... Sans doute, le pape n’agira jamais et ne peut agir sans lois; mais, comme tout législateur, il a bien le pouvoir de dispenser de la loi ou d’en modifier les applications. Il ne le fera, prudemment il ne doit le faire, que pour de bonnes raisons; mais comme il est le chef, c’est à lui de juger de ces raisons, et il ne doit à personne le compte de ce qu’il ordonne; il est la loi vivante, et la loi écrite qui est une lettre morte n’a de valeur que ce qu’il lui en donne[4].

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IV. L’infaillibilité est tellement inhérente à la primauté de juridiction et découle d’elle si nécessairement, que même les autorités humaines, qui ne revendiquent pas pour elles-mêmes et à qui personne n’attribue en principe l’infaillibi­lité, mais qui ont seulement la primauté sur un certain groupe d’hommes,en pratique sont obligées de se l’attribuer, c’est-à-dire de se conduire comme si elles l’avaient, de supposer qu’elles l’ont, et d’exiger qu’on la leur attribue, c’est­-à-dire qu’on leur obéisse et qu’on adhère à leur parole comme à l’expression suprême, irréformable et adéquate du bien et de la vérité; les sujets agissent dans la même sup­position, et tout le monde regarde comme révolutionnaire celui qui suppose l’erreur possible dans la parole ou le com­mandement du prince. Cette remarque a été faite par Joseph de Maistre en bien des endroits de ses ouvrages; Bossuet lui-même s’en est servi[5].

Or, quand il s’agit de l’autorité du pape, laquelle est, en vertu de la primauté de juridiction, la plus haute autorité qui soit sur terre, les mêmes raisons militent en sa faveur mais avec une tout autre portée. Comme cette autorité est divine, non seulement il faut qu’elle agisse envers ses sujets comme si elle l’était, mais il faut qu’elle le soit; car les institutions divines sont toujours complètes, sans lacune, sans défaillance, et ne fonctionnent jamais par mensonge, ne sont jamais basées sur des hypothèses factices; mais il faut que cette autorité soit infaillible.

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V. Les témoignages de S. Jérôme en faveur soit de la primauté, soit de l’infaillibilité du pape, ont de sa part une valeur particulière fondée sur sa situation.

Émigré de l’Occident en Orient, et placé au milieu de ces chrétientés orientales toutes dévorées par l’hérésie dont il parle très souvent, dans ses ouvrages et ses Epîtres; ayant l’expérience de l’Occident et de l’Orient pour y avoir vécu longtemps et y conserver des relations nombreuses et illustres qui toutes ont pour objet la doctrine et les intérêts catholiques; il voyait bien la nécessité de cette primauté du pape, et comme quoi elle était la seule lumière, la seule ressource des Églises éloignées. Combattu par tous les hérétiques, il sentait lui-même, par la force des choses, le besoin d’un point d’appui, d’une défense, d’un oracle sûr à consulter. En relation avec de grands esprits du monde entier, même et surtout avec l’Occident et avec Rome, il savait l’opinion des Églises particulières à ce sujet, en même temps qu’il constatait aussi leurs besoins et voyait que ce qui faisait la force des Églises occidentales, c’était leur union avec Rome. L’époque où il vivait, et qui était une époque de terribles perturbations politiques et doctrinales, lui révélait la même nécessité. Enfin, sa science profonde des traditions ecclésiastiques, son érudition étonnante, don­nent à son témoignage un grand prix.

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VI.  Non seulement le pape a la primauté dans l’Église; mais sa primauté est la source de toute autorité, de toute juridiction, de toute puissance ecclésiastique, de tout sacer­doce dans l’Église, de la forme même de l’Église et de toute grâce qui se distribue dans l’Église; et son privilège con­tient et engendre toutes les prérogatives de l’Église.

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VII.  Ce qui donne de la force au mot de S. Cyprien sur la primauté de l’Église Romaine et sur le recours au pape dans les choses ecclésiastiques - ad hanc propter potiorem principalitatem necesse est convenire omnem Ecclesiam, omnes undique fideles - c’est que S. Cyprien, précisément, était consulté de toute l’Église sur toutes sortes de questions, à cause de sa science et de sa grande influence.

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VIII.  Le pape étant le centre de l’unité, et non seulement cela, mais le cœur de l’Église et la source de la vie chrétienne; à mesure et en proportion qu’on se sépare ou s’éloigne de lui, en théorie ou en pratique, le malaise intérieur et surnaturel se trahit par une diminution de vie, d’œuvres, de fécon­dité ; et l’enseignement[6] est ordinairement, de toutes les parties du corps de l’Église, ou d’une église, la première où cette diminution s’accuse, car c’est par là que commence nécessairement le mal, et même, pour entrer, il faut qu’il aille passer par là.

Rome est centre de lumière par l’enseignement qu’elle distribue, et centre de grâce par la juridiction et le ministère qui découlent d’elle.

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IX. O miracle! La papauté n’est pas morte des attaques incessantes déchaînées contre elle. N’a-t-on pas même vu la popularité renaissante du Saint-Siège, toute fondée sur l’affir­mation héroïque des principes les plus opposés aux idées modernes? Et avec quelle émotion, depuis le commence­ment de ce siècle, le monde entier, catholiques, dissidents, incrédules, ont accueilli les moindres paroles tombées des lèvres du pape, les uns pour s’en faire des oracles, les autres pour y chercher l’aliment de leurs colères et le prétexte de leurs accusations.

II

POURQUOI ROME EST LE SIÈGE DE LA PAPAUTÉ

I.  Parmi les caractères propres et distinctifs de ces peuples occidentaux, au milieu desquels Dieu installa son Église enseignante, et surtout la chaire véridique du grand et su­prême docteur du monde, saint Pierre, il est facile de discerner les caractères intellectuels et moraux qui ont été la raison du choix de l’Europe, et particulièrement de Rome, pour siège de l’Église, qui ont sans doute décidé N. S. à établir le St Siège au milieu de ces peuples ou, pour mieux dire, qu’il leur avait donnés pour les préparer et les rendre aptes à ce dessein de sa Providence surnaturelle sur eux.

L’Europe et Rome n’avaient pas échappé plus que les autres peuples aux erreurs du paganisme; peut-être même l’idolâtrie avait régné dans l’Empire Romain plus complète­ment et plus exclusivement que partout ailleurs. Mais, au milieu de ces erreurs, la lumière naturelle, les principes ra­tionnels, ce que Cicéron appelle les idées éternelles et im­muables, s’étaient toujours et inviolablement conservés chez les peuples occidentaux par la force spontanée du bon sens de ces peuples; tandis que chez tous les autres, en Asie, dans l’Extrême-Orient, aux Indes, ces principes avaient fini par s’oblitérer et s’étaient trouvés obstrués non seulement par l’erreur païenne, mais par une foule de superstitions qui avaient obscurci toute lumière rationnelle. En sorte que chez les Occidentaux seuls il est toujours resté une philo­sophie et des idées naturelles droites. Comparez les philo­sophes occidentaux, surtout ceux de Rome, avec les Orien­taux, et vous verrez cette supériorité apparaître avec éclat.

Or, je dis que ce caractère intellectuel de bon sens et de rectitude, cette persistance, cette fermeté de la lumière de la raison, chez les Occidentaux et surtout à Rome, fut une des grandes causes pour lesquelles Dieu y installa son Église, ou, ce qui revient au même, un des grands privilèges par lesquels Dieu prépara ces peuples au rôle qu’il leur destinait, et les rendit aptes à recevoir parmi eux l’arche sainte du Testament nouveau, l’Église catholique, le siège suprême de la papauté, le cœur de la hiérarchie sacrée. Ce fut la prépa­ration évangélique, et l’histoire comparée des religions et des philosophies antiques montre avec surabondance que cette préparation n’eut lieu qu’en Europe avec ce caractère providentiel et ces signes évidemment surnaturels d’une mission particulière réservée à ces peuples [7].

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II. Comme ce ne fut pas par hasard, mais par un dessein profond et motivé de Dieu, que le centre de l’Église et la grande autorité pontificale furent fixés à Rome, le peuple romain fut destiné, dès l’origine, et préparé d’avance à l’exé­cution de ce projet divin. Il s’y prépara lui-même d’une ma­nière inconsciente, et tous les actes qui remplissent son histoire avant Jésus-Christ ne sont que des épisodes de cette préparation. Quiconque, au fond de l’Histoire romaine, n’a pas vu ce mouvement imperceptible et caché mais profond et irrésistible d’où procèdent tous les autres; celui-là n’a pas compris le Summum caput, le fin mot de l’Histoire romaine.

Il y a plus. Bien que le peuple romain ignorait et le but où Dieu le conduisait et sa propre coopération au travail de la Providence pour préparer le règne du Messie et l’Église, cependant il y avait dans son sein une pensée, une pensée vague et indécise mais puissante, un instinct profond de ce dessein providentiel auquel il travaillait, tellement que l’évé­nement une fois accompli et connu, le peuple romain aurait pu se dire: Je ne savais pas ce qui se préparait, mais je sentais bien qu’il se préparait quelque chose; je ne savais pas ceci, mais je le sentais ; par principe réflexe je travaillais contre, mais par instinct je préparais pour. Il semble même que, par moments, par échappées, la lumière se fait dans l’intelligence même du peuple, et que ce qui n’était d’ordi­naire qu’un instinct vague, devint une notion précise, une espérance claire, une tendance déterminée et formulée. Au milieu du chaos littéraire, philosophique, intellectuel de l’Empire romain, pendant les siècles qui précèdent Jésus­ Christ et surtout dans les dernières années, on a recueilli une foule de paroles qui semblent échappées à des Ames tourmentées par un esprit prophétique et qui contiennent un sens prophétique. Les grands écrivains surtout, qui sont les plus voyants et qui semblent porter en eux l’intelligence, les idées et les sentiments du peuple entier, disent parfois des choses qu’on croirait inspirées et qui, à tout le moins, offrent, avec l’événement survenu un peu plus tard, une remarquable coïncidence, et trahissent, dans la société ro­maine, une préoccupation profonde. Il est remarquab1e que les trois écrivains où ces sortes de paroles se rencontrent le plus et sont le plus claires, sont les trois princes des Lettres romaines, Tacite le prince des historiens, Cicéron le prince des orateurs, et Virgile le prince des poètes. On voit bien que l’Empire romain était et se sentait particulièrement intéressé à la venue du Messie[8].

III

LE PAPE HONORIUS[9] ET L’INFAILI.IBILITÉ PONTIFICALE

I. La conduite du pape Honorius et la condamnation portée par le concile de Constantinople ont provoqué une objection très spécieuse contre l’infaillibilité du pape. Voici les éléments de cette objection:

1° Si l’on considère en elle-même la conduite d’Honorius, on voit ce pape accorder aux monothélites Sergius et Cyrus des lettres par lesquelles, selon leur désir, il impose silence à ceux qui enseignent les deux volontés et blâme la lettre synodale de Sophrone, lettre qui est approuvée par le troi­sième concile de Constantinople (sixième œcuménique) et qui enseigne les deux volontés. Honorius lui-même dit positivement: Unam voluntatem fatemur D. N. J. C.

2° Si l’on considère la condamnation portée par le Con­cile de Constantinople, on voit qu’en six endroits de ses actes ce Concile condamne Honorius parce que, dans sa lettre, il s’écarte de la doctrine des Pères, il embrasse la doctrine de Sergius, il travaille au même but que les écrits des hérétiques; parce que le démon s’est servi de lui comme des autres, pour semer l’erreur, parce qu’il a enseigné une seule volonté et une seule opération. Enfin, le Concile énu­mère les noms des hérétiques, y ajoute celui d’Honorius et dit: Omnibus hœreticis anathema qui praedicaverunt.

II. Voici les éléments d’une réponse à cette objection.

1°  Si l’on étudie les faits sans parti pris, il apparaît c1airement qu’il n’y a pas d’erreur dans l’écrit du pape Hono­rius. Car Sergius rapporte au pape la querelle qui s’est éle­vée entre Cyrus et Sophronius sur les deux volontés; or, de son écrit il résulte que Cyrus enseigne une seule volonté, et que lui, Sergius, approuve cette doctrine en ce sens qu’il n’y a pas en Jésus-Christ deux volontés contraires. Le pape ne peut qu’approuver ce sens, et il l’approuve. Sergius ajoute que la discussion roule sur une équivoque, et veut qu’il soit défendu de parler de deux volontés con­traires. Honorius approuve ce parti et l’impose à Sophro­nius, en condamnant sa lettre comme trop acrimonieuse, et en lui interdisant la formule: (Il y a en Jésus-Christ deux volontés.) La raison de cette interdiction apparaît dans les termes mêmes de la lettre d’Honorius: c’est que cette for­mule est dangereuse et équivoque, et que si on parle des deux volontés, il est facile d’entendre deux volontés contraires.

Comme Mgr Dechamps le montre victorieusement, dans sa première lettre au P. Gratry, Honorius, dans sa lettre, enseigne la chose exprimée par le mot: deux opérations. Il rejette le mot de une ou de deux opérations, parce que le premier prête à l’eutychianisme, le second au nestorianisme, et que ce mot est une nouveauté; en sorte - cela est clair dans sa lettre - que sa faute s’est réduite à rejeter une for­mule nouvelle quoique bonne. Honorius croyait ainsi mettre fin à la querelle et apaiser le différend, c’est en cela seule­ment qu’il s’est trompé de fait. Bellarmin a donné la liste des anciens auteurs qui s’abstiennent d’appeler Honorius hérétique et de ceux qui l’appellent catholique[10]. D’ai11eurs, la lettre d’Honorius ne fut pas un fait dogmatique[11]. Enfin ajoutons que beaucoup d’auteurs, même contraires à l’in­faillibilité du pape, par exemple Tournely, Noël Alexandre, voulant prouver les deux opérations, expliquent la conduite d’Honorius dans le sens catholique.

2°  Pour ce qui est du concile de Constantinople ; celui-ci, à plusieurs reprises, a condamné Honorius non pour avoir approuvé dogmatiquement une erreur, ce qui constituerait pour lui une chute dogmatique et pour nous une preuve de la faillibilité du pape; mais pour la faiblesse et l’imprudence de sa conduite. Les expressions dans lesquelles sont formu­lées ces condamnations, quelque fortes qu’elles paraissent, ne disent pas autre chose.

L’expression d’hérétique donnée par le Concile de Con­stantinople dans sa dix-huitième session, semble plus diffi­cile à concilier avec l’orthodoxie personnelle d’Honorius. Or, sans parler de ceux qui, avec Baronius, voient dans ce pas­sage une addition postérieurement faite aux actes du Con­cile et dépourvue d’authenticité, on peut accorder que le pape Honorius, même dans ce passage, a été condamné par le Concile, mais non pas comme coupable d’erreur dogma­tique. Il ne faut pas dire seulement: le Concile est une règle de foi définie, donc s’il condamne Honorius comme hérétique, quoi qu’il paraisse à l’examen privé des lettres d’Ho­norius, il faut à cause de sa condamnation le regarder comme hérétique. Tel est le raisonnement du P. Gratry. Mais il faut y ajouter: on doit le regarder comme hérétique dans le sens qu’a attaché à ce mot et à cette condamnation le Concile. Or, pour en juger, c’est prendre une très bonne norme que de se reporter aux lettres mêmes de ce pape.

Dans la phrase du Concile, l’épithète d’hérétique n’est pas immédiatement accolée au nom d’Honorius; mais elle en est séparée par un point. Le Concile énumère les noms de tous ceux qui ont été coupables dans les affaires des mono­thélites ; à ces noms il ajoute celui d’Honorius, et la phrase finit là. C’est seulement dans la phrase suivante qu’il est dit: Omnibus hoereticis anathema. Cette forme de phrase permet d’excepter Honorius non pas de la condamnation portée par le Concile, mais de l’anathème et de la qualifica­tion d’hérétique qui n’est d’ailleurs appliquée ici à personne en particulier.

Quand même l’épithète d’hérétique devrait être rapportée au nom d’Honorius en même temps qu’à celui des autres, pour en conclure contre l’infaillibilité du pape, il faudrait encore prouver que ce mot n’est pas pris, comme il l’est sou­vent dans l’antiquité chrétienne, dans un sens moins strict que celui qu’on y attache aujourd’hui, et qu’il ne signifie pas fauteur d’hérésie ou protecteur des hérétiques par malice, faiblesse ou imprudence. Ainsi, dans le cas présent, la qua­lification d’hérétique, si elle est donnée à Honorius, signifie que ce pontife a été condamné comme coupable non pas d’avoir erré lui-même dans la foi, mais d’avoir, de fait, en­couragé l’erreur par sa négligence, au lieu de l’éteindre dès l’origine, comme il convenait. Cette réponse est celle de Perrone et de Rorbacher[12] . C’est ainsi que Léon II enten­dait la chose, quand, expliquant la condamnation portée contre Honorius, il écrivait à l’empereur Constantin[13].

Toutefois saint Liguori avoue qu’Honorius a fait une faute, en négligeant d’éteindre la flamme naissante de l’hérésie - ­Flammam hoeretici dogmatis non, ut decuit apostolicam aucto­riatem, incipientem extinxit, sed negligendo confovit. Et même, selon une opinion autorisée, les Pères du Concile auraient voulu le condamner comme hérétique; mais ce dessein venait d’une erreur de fait qui aurait induit les Pères à croire à tort qu’Honorius avait erré (comme docteur privé, bien entendu), erreur explicable d’ailleurs, puisqu’à cette date le Concile n’était plus œcuménique[14].

Dans les trois lettres de St Léon II la première aux évê­ques d’Espagne, la deuxième au roi Erwig, la troisième, la principale et celle par laquelle il confirme le VIe Concile, à l’Empereur de Constantinople et aux évêques d’Orient, le Souverain-Pontife, tout en nommant et en blâmant Hono­rius, distingue entre Sergius et Cyrus, qu’il accuse de crime contre la foi, et Honorius qu’il accuse seulement d’avoir négligé le devoir de sa charge et manqué à éteindre l’hérésie. Cette dernière lettre surtout est la pièce la plus importante du Concile qu’elle confirme, non pas qu’elle le modifie, mais parce qu’elle règle la valeur des autres lettres et détermine le sens du Concile. Or le texte grec de cette lettre porte: Anathematizamus inventores novi illius erroris: scilicet Theo­dorom... necnon et Honorium qui hanc apostolicam Ecclesiam non conatus est doctrina apostoliecae traditionis puram tueri, sed profana illa proditione maculari immaculatam permisit. Et voici les changements perfides que des traducteurs y ont apportés: 1° au lieu de permisit ils ont mis conatus est, en retranchant la phrase précédente où il était; 2° au lieu de maculari ils ont mis subvertere qui est plus grave; 3° près de immaculatam qui se rapporte à hanc Ecclesiam ils ont intercalé fidem.

Agathon, dans une lettre à ses légats qui fut lue à la qua­trième session du VIe Concile, à laquelle tous les Pères sauf un adhérèrent dans la sixième session, dit que la foi s’est toujours conservée pure parmi les successeurs de St Pierre jusqu’à lui; il répète la même chose dans une lettre à l’Em­pereur ; d’où il faut conclure que le pape Honorius ne sau­rait être accusé d’erreur dogmatique. Le même témoignage nous est donné par une foule de témoins autorisés de cette grande controverse...

IV

LE POUVOIR TEMPOREL DU PAPE

Que fera, que doit faire le Saint-Siège, si la situation actuelle se prolonge, à Rome et en Europe?

Le P. Curci a été renvoyé de la Compagnie de Jésus pour avoir soutenu une thèse qui se résume à peu près à ceci: « Après Pie IX et de guerre las, le Saint-Siège pren­dra enfin le parti de terminer par un arrangement fondé sur des concessions, la situation actuelle qui est anormale et incapable de durer, car elle est violente, forcée et d’attente provisoire. Puisque personne de ceux qui peuvent aider le Saint-Siège à recouvrer son ancienne situation, ne veut s’y prêter; puisque même le retour à cette ancienne situation paraît impossible avec la manière d’être actuelle et future de l’Europe, il faudra bien se prêter à un arrangement fondé sur les concessions, et, au moyen de ces concessions, obtenir une nouvelle situation aussi digne de l’Église, mais établie sur d’autres bases. »

La thèse du P. Curci est hardie, et je crois facilement que son idée est dans beaucoup d’esprits, même non libéraux, du moins par ailleurs. Mais je m’en suis toujours défié, et s’il advient de cette affaire une déclaration expresse du pape faisant savoir aux catholiques que cette opinion va contre les principes, je n’en serai nullement étonné.

Il faut l’avouer d’ailleurs, la théorie du P. Curci a déjà contre elle deux puissants arguments: 1°  la conduite prati­que du Saint-Siège qui tient bon et qui, expliquant sa ma­nière d’agir dans ses documents, revendique l’ancienne si­tuation, et annonce l’intention bien arrêtée de ne pas céder et de ne s’arranger que d’une restitution; 2°  le sentiment catholique.

Il y a surtout une partie de la théorie du P. Curci qui m’a choqué et que je trouve libérale, utopistique et absurde; c’est celle où, ne se bornant pas à demander et à annoncer un arrangement, il en règle les bases, et propose lui-même un plan de reconstruction du pouvoir temporel, entrant dans le détail, supposant un roi d’Italie parfait catholique et d’ac­cord avec le Pape, faisant de la puissance séculière et de ses agents comme les fonctionnaires de l’Église au département des affaires civiles, etc.

Voilà qui me semble dangereux, ridicule, et ne m’inspire aucune sympathie.

Le Saint-Siège, au commencement du Pontificat de Pie IX, avait essayé de l’élément laïque dans son administration temporelle, et s’en est repenti; je ne crois pas qu’il y revienne et qu’il doive y revenir; et ce n’est pas en ceci, il me semble, que consistera l’arrangement, s’il se produit[15].

Etudes sur Dieu, l’Eglise, le Pape et sur le surnaturel et les sacrements, M l’abbé J-B. AUBRY, Docteur en théologie, Paris Desclée, de Brouwer&Cie 1887, pp. 332-344



[1] Ps., X, 21.

[2] Note de Virgo-Maria : Le pape étant  « l’Eucharistie du ministère ecclésiastique », l’un des buts de Satan, qui a demandé à Notre Seigneur d’avoir plus de temps et plus de puissance (Léon XIII…) pour tenter d’annihiler la Sainte Eglise Catholique et Romaine, fut de détruire ce cratère du volcan surnaturelle, en le remplaçant après une centaine d’année par des usurpateurs, coupant de facto, après la suppression en 1968 du sacrement de l’ordre épiscopal et donc de la prêtrise, le canal de la Sainte Eucharistie. Ce qui ne signifie pas que l’Eglise n’existe plus, puisqu’il reste des évêques, des prêtres et des fidèles totalement catholique, et que le Corps Mystique de l’Eglise avec Notre Seigneur à sa tête ne pouvant être atteint, la Sainte Eglise, vivant sa Passion comme Notre Seigneur, reste toujours une, sainte, catholique et apostolique. Il ne faut pas oublier que le chef de l’Eglise est Notre Seigneur Jésus Christ, et que le pape n’en est que le vicaire, son  représentant visible. Mais lors de la vacance du siège apostolique, N.S.J.C. en est toujours le chef. Cette vacance totale du vicaire peut durer des jours, des mois (…) des années, voire des dizaines d’années (cas du schisme d’Occident qui dura près de 39 ans (et même près de 70 ans si l’on compte les antipapes), période pendant laquelle aucun fidèle ne sût vraiment qui était le vrai pape pendant toute cette période ! On se souviendra de Saint Vincent Férier et de Sainte Catherine de Sienne qui avait chacun leur pape !)

[3] Disc. sur l’unité de l’Église, 2e  point.

[4] Cf. Thomassin, Discipline de l’Eglise, t. V, p. 205. - Liv. II, ch. 68, n. 6. -De Maistre, Du Pape, l. I, ch. XIII et XVI.

[5] De Maistre, Du pape, 1. I, c. 16. - Bossuet, Politique tirée de l’Écriture sainte.

[6] Note de Virgo-Maria : L’exemple le plus frappant étant depuis une quarantaine d’année le niveau de dégradation terrible du catéchisme aux enfants ! Ainsi l’interdiction (!) de l’utilisation du catéchisme du Concile de Trente par les évêques est une preuve supplémentaire de l’impossibilité que ces évêques soient en communion avec l’Eglise de toujours.

[7] Cf. Œuvres complètes, tom. III. Éludes sur le Christianisme, etc., passim, surtout Liv. 1 et Liv. II. Œuvres complètes de J.-B Aubry

[8] Cf. Œuvres complètes, tom. III. Études sur le Christianisme, etc., passim, surtout Liv. I et Liv. II.

[9] Note de Virgo-Maria : les ennemis de l’Eglise cite Honorius, mais aussi Saint Libère, Jean XXII et d’autres. IL EST IMPOSSIBLE QU’UN PAPE PUISSE SE TROMPER. Sinon cela reviendrait à dire que Notre Seigneur nous a menti, ce qui est un blasphème !

[10]   De Rom. Pontif. 1. IV, c. XI.- Gerbet, Esquisse de Rome chrétienne, t. I, c. V.

[11]   Revue des Sciences ecclés., novemb. 1869, p. 449

[12]   Perrone, t. II, p. 339 - Rorbacher, Hist. ecclés., t. X, p. 380.

[13] Apud Franzelin, p: 519­

[14] Cf. Études des Jésuites, 4e série, t. VI, pp. 145. 148.

[15] Les événements ont, ici encore, donné raison aux idées du P. Aubry ; car le Saint-Siège a condamné la théorie du P. Curci, et ne cesse de protester contre l’usurpation piémontaise.