L'INFAILLIBILITÉ DE L'ÉGLISE
Contre les hérétiques et les schismatiques.
Par le Père Vincent –Toussaint BEURRIER
Orateurs sacrés, par M. l’Abbé MIGNE, T. 66, 1855, pp. 1966-1989
Super hanc petram aedificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non praevalebunt adversus eam. (Matth., XVI, 18.)
Sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle
De ce que Jésus-Christ a promis d'empêcher que les portes de l'enfer ne prévalent contre l'Église, il suit non-seulement que cette Église doit être perpétuelle, parce que sans cela les puissances Infernales ne manqueraient pas de la détruire, mais il suit encore qu'elle doit être infaillible, parce que sans cela les mêmes puissances, en la laissant subsister, la rendraient aussi inutile que si elle n'existait pas.
En effet, si ces ennemis de notre salut, ne pouvant pas renverser l'Église comme ils ont tant de fois essayé de le faire, avaient pu du moins la séduire en lui suggérant une fausse doctrine, ils en seraient venus également à leur but. Le second moyen leur eût été aussi avantageux que le premier; on peut même dire qu'il le serait encore plus, et qu'une Église qui ne serait pas infaillible nuirait beaucoup plus aux hommes qu'elle ne leur profiterait. Il vaudrait mieux, pour un disciple, n’avoir point de maitre, que d'en avoir un qui lui enseignerait l'erreur ;
il vaudrait mieux, pour un voyageur, n'avoir point de guide, que d'en avoir un qui l'égarerait. Aussi l'Église est-elle incapable, ou de nous tromper dans la foi, ou de nous égarer dans la morale. Elle nous enseigne infailliblement tout ce qui est nécessaire au salut, c'est-à-dire ce que nous devons croire et ce que nous devons pratiquer.
Nous lisons au chapitre XVII du Deutéronome, que Dieu ordonnait aux juifs, quand ils auraient quelques difficultés sur la loi, d'aller dans le lieu qu’il aurait choisi (qui fut dans la suite Jérusalem) pour y consulter les prêtres et surtout le souverain pontife de ce temps-là, afin qu'ils leur indiquassent la vérité qu'ils devaient suivre : Venies ad sacerdotes, et ad judicem qui fuerit illo tempore quoeresque ab eis, qui indicabunt tibi judicii veritatem. (Deut., XVII, 9.) De même nous voyons dans l'Evangile que Jésus-Christ ordonne aux chrétiens qui auront entre eux quelque dispute sur la foi, de s'adresser à l'Église: Dic Ecclesioe. (Matth., XXVIII,17.)
Mais il y a cette différence entre l'une et l'autre, que l'infaillibilité de la Synagogue ne devait durer que jusqu'au temps du Messie, et que, comme alors elle abandonnerait Dieu, Dieu l'abandonnerait à son tour; au lieu que l'Église doit durer toujours, et que .Jésus-Christ a promis d'être avec elle jusqu'à la consommation des siècles.
Nous n'avons donc aucun lieu de craindre de nous tromper en suivant l'Église. Elle est, comme dit saint Paul, la colonne et le soutien de la vérité : Columna et firmamentum veritatis. (1 Tim., III, 15.) Appuyons-nous sur cette colonne, et comme elle nous deviendrons inébranlables; nous serons infaillibles dans notre soumission comme elle est infaillible dans son enseignement. C'est cette infaillibilité, troisième propriété de l'Église romaine, qui va faire le sujet de cette présente conférence, après que nous aurons, selon l'usage, imploré l'assistance
du Saint-Esprit par l'entremise de la très sainte Vierge, en lui disant avec l'ange: Ave, Maria.
Saint Jérôme disait autrefois en parlant des hérétiques qu’il ne fallait pour dissiper toutes leurs que la seule autorité de l'Église : Unico possum Ecclesiae radio siccare omnes rivulos errorum. Nous pouvons dire la même chose : pour dissiper toutes les ténèbres que le schisme et l'hérésie tâchent de répandre sur la doctrine lumineuse de la religion chrétienne, nous n'avons besoin que de l'infaillible autorité de l'Église.
Nous n'avons pas toujours assez de pénétration pour découvrir la fausseté des sophismes dont se servent les partisans des différentes sectes. La plupart d'entre eux, subtils dans la dialectique, emploient, pour soutenir leurs faux dogmes, des raisonnements à perte de vue, auxquels il n'y a souvent que les plus habiles qui soient en état de répondre. Mais, sans être profond théologien, on peut leur faire à tous une réponse qui, pour être indirecte, n'en est pas moins solide; la voici.
Pour étayer votre système vous m'alléguez l'autorité de l'Écriture, et vous me citez plusieurs passages des saints Pères. Moi simple artisan, moi pauvre domestique, moi homme du peuple, je ne suis point en état de discuter ni les saintes Écritures ni les saints Pères; mais ce que je ne puis pas faire, l'Église le fait pour moi. Elle entend mieux que vous et moi les livres de l'Écriture sainte et ceux des Pères; et il faut bien que votre doctrine ne soit contenue ni dans les uns ni dans les autres, puisque l'Église la condamne. Je m'en tiens là, et je la 'condamne avec elle: Unico possum Ecclesiae radio siccare omnes rivulos errorum.
Voilà, mes frères, un moyen facile et à la portée de tout le monde, pour abréger les controverses; c'est de ne point entrer dans le fond des questions. Mais de les terminer par l'autorité de celle que Dieu nous ordonne d'écouter comme notre mère: Dic Ecclesiae. Voilà ma règle, et c’est de Dieu même que je la tiens. Mais est-il bien sûr que l'Église soit infaillible! C'est là une question qu'il faut d'autant plus éclaircir, que de celle-là dépendent une infinité d'autres. Faisons-le donc aussi exactement que le demande l'importance de la matière, Or, il faut le faire avec méthode, il ne faut que répondre à trois questions qu'on peut proposer là-dessus.
Jésus-Christ a-t-il pu donner l'infaillibilité à son Église? Jésus-Christ a-t-il dû donner l'infaillibilité à son Église? Jésus-Christ a-t-il effectivement donné l'infaillibilité à son Église? A ces trois questions trois réponses, toutes trois affirmatives, Oui, mes frères, Jésus-Christ l'a pu, Jésus-Christ l'a dû, Jésus-Christ l'a fait .Nous n'insisterons pas longtemps sur la première ; elle est trop évidente pour avoir besoin d'une ample discussion.
Jésus-Christ l'a pu. - En effet, il n’est personne parmi les chrétiens qui puisse raisonnablement douter si Jésus-Christ a eu le pouvoir de donner l'infaillibilité à son Église. Jésus-Christ, qui, en qualité de Dieu, est la toute-puissance même; Jésus-Christ, à qui, en qualité d’homme, a été donné toute puissance au ciel et sur la terre, avait certainement le pouvoir d'éclairer son Église au point de ne pas permettre qu'elle tombât jamais dans l'erreur, Je ne crois pas qu'il y ait parmi les hérétiques ou les schismatiques aucun homme qui puisse révoquer en doute une vérité si palpable. Aussi n'en est-il point, au moins que je sache, qui nous la conteste. Passons donc à la seconde question, qui demande un peu plus de détail.
Jésus-Christ l'a dû. - Jésus-Christ a-t-il dû donner l'infaillibilité à son Église? Oui, mes frères, et cela conséquemment au dessein qu'il s'est proposé dans la rédemption du genre humain. Dieu n'était pas obligé d'accorder aux hommes le bienfait de la rédemption: cette grâce étant purement gratuite, il n'avait aucune obligation de nous la faire, et nous n'y avions aucun droit. Mais, en supposant une fois l'exécution de ce mystère, et la vue que Dieu avait, en l'exécutant, de procurer le salut des hommes, il fallait nécessairement que Jésus-Christ établit son Église; ct conséquemment il fallait qu'il lui donnât ce qui lui était nécessaire, pour ne nous point tromper dans les deux objets qui sont essentiels au salut. En effet, deux choses principales y sont essentielles: croire toutes les vérités que Dieu nous enseigne, et pratiquer tous les préceptes qu'il nous impose. 0r, pour l'un et l'autre, c'est à l'Église qu’il faut nous adresser, au cas qu'il s'élève là-dessus quelque dispute entre nous : Dic Ecclesiae. Jésus-Christ a donc dû donner à son Église le privilège de nous apprendre infailliblement tout ce que nous devons croire et tout ce que nous devons observer.
Ce divin Maître, étant infiniment sage, a dû faire, en établissant son Église, ce qu'eût fait un législateur prudent en établissant un Etat quelconque. Figurez-vous, mes frères, le fondateur d'un nouvel Etat. Il commence d'abord par donner à ses sujets une forme de gouvernement, soit monarchique, soit républicain, soit tenant de l'un et de 1'autre; mais, quelque forme qu'il donne au pouvoir souverain, il faut nécessairement qu'il établisse dans l'Etat un tribunal auquel les citoyens puissent recourir dans les contestations qui s'élèveront entre eux: sans cela ses sujets tomberaient infailliblement dans une anarchie où il n'y aurait que désordre et que confusion, Quand même il aurait pourvu à la concorde qui doit régner entre les membres du corps moral qu'il veut former par les lois les plus sages, s'il n'ajoute à cette précaution celle d'établir des magistrats qui, après avoir approfondi la lettre et l'esprit des lois, puissent prononcer juridiquement et sans appel quel est celui des contendants que la loi favorise et quel est celui qu'elle condamne, chacun d'eux prétendra que la loi est pour lui, et les disputes ne finiront point.
D'après cet exposé, voyons comment Jésus-Christ a établi son Église. Tout le monde sait qu'il lui a donné la forme d'un gouvernement monarchique tempéré d'aristocratie; c'est-il-dire que le souverain pontife en est le chef et que les évêques en sont les principaux membres. C'est là ce qui constitue le corps de l’Église enseignante; c'est là le tribunal auquel il veut que nous recourions, quand il nous dit dans l'Evangile : Dic Ecclesiae. Or, si Jésus-Christ n'avait pas donné à ce tribunal le droit de décider en dernier ressort des questions qui peuvent s'élever et qui s'élèvent fréquemment parmi les chrétiens touchant la foi et la morale, il n'aurait pas suffisamment pourvu à la paix de son Église: il l'aurait laissée en proie aux contestations et aux disputes, qui n'auraient jamais pu être terminées définitivement.
Quoique ce divin Sauveur ait donné à 1'Église, dans la collection des livres canoniques, un code de lois très sages, il fallait quelque chose de plus. Pourquoi? C'est que des lois écrites, quelque sages qu’elles puissent être, ne sont, après tout, qu'une règle morte, qui, ne s'expliquant point par elle-même, peut être prise en différents sens, comme cela arrive tous les jours. Il fallait donc que Jésus-Christ, outre cette règle morte, donnât à 1'Église une règle vivante, c'est-il-dire des juges qui prononçassent sur le sens des lois, pour en fixer l'intelligence, au cas que deux partis opposés n'en voulussent pas convenir. Or cette règle vivante, ces magistrats spirituels, qui doivent faire dans l'ordre hiérarchique ce que font les magistrats séculiers dans l'ordre civil, sont le pape et les évêques, dont les décisions doivent fixer la croyance intérieure des fidèles sur tout ce qui regarde la foi et la morale, mais ils ne pourraient fixer la croyance intérieure s'ils étaient sujets à se tromper. Pourquoi? C'est que s'ils étaient sujets à se tromper, on aurait toujours lieu de craindre qu'ils ne se trompassent, et leur décision ne servirait de rien.
II fallait donc que Jésus-Christ leur donnât cette infaillibilité qui les mît et qui nous mit comme eux à l'abri de toute erreur : eux, à l'abri de toute erreur dans leur enseignement ; nous, à l'abri de toute erreur dans notre soumission. Si Jésus-Christ eût agi autrement, il ne se fût pas comporté en législateur sage. Il a donc dû, conséquemment au dessein qu'il avait de sauver les hommes, accorder l’'infaillibilité il son Église et c'est ma seconde proposition. J'en ai avancé une troisième, qui demande beaucoup plus de développement, et qui consiste à dire que Jésus-Christ a donné l'infaillibilité à son Église.
Jésus-Christ l'a fait. - D'abord il est sûr que la preuve de la seconde proposition établit essentiellement celle de la troisième, et qu'on pourrait s'en tenir là : car enfin, si Jésus Christ a dû donner l'infaillibilité à son Église, il suit évidemment qu'il l'a fait, puisqu'on ne saurait dire sans blasphème qu'il ait manqué de faire ce qu'il devait. Cependant, comme cet article, malgré son évidence, nous est tous les jours contesté par les novateurs, entrons dans le détail des preuves qui en établissent la certitude,
Quand nous n'aurions, pour démontrer cette vérité, d’autres preuves que les paroles de mon texte, il n'en faudrait pas davantage. En effet, qu'entend Notre-Seigneur lorsqu’il nous dit que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre son Église? Ne promet-il là précisément que de la protéger contre les puissances infernales qui s'efforceraient de la détruire? II lui fait, à la vérité, cette promesse, et c'est là le fondement de sa perpétuité; mais il lui promet de plus de la défendre contre les embûches que lui tendrait l'esprit de mensonge en tâchant de la séduire; et c'est là le fondement de son infaillibilité. S'il n'avait promis que le premier sans promettre le second, il n'aurait pas réussi dans son dessein, qui était de faire de son Église une ferme colonne et un appui inébranlable de la vérité: Columna et firmamentum veritatis.
Mais nous en avons une preuve encore plus détaillée dans l’endroit de l’Evangile où Jésus-Christ, près de monter au ciel, ordonne à ses apôtres de se répandre dans tout l’univers, et d'y enseigner toutes les nations. Après leur avoir donné cet ordre, il ajoute: Voilà que je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle:
Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi. (Matth., XXIII, 20.) C'est là sans doute une promesse bien formelle que fait Notre-Seigneur d'assister son Église jusqu'à la fin du monde. Mais ce texte demande une plus ample explication; la voici:
Ce divin sauveur, après avoir commandé à ses apôtres de prêcher l’Évangile a toutes les nations, est censé prévenir une difficulté qu'ils auraient pu lui faire. Seigneur, auraient- ils pu dire, vous nous ordonnez d'aller enseigner votre doctrine à tous les peuples.
Nous l'avons fait au peuple de la Palestine pendant que vous avez été avec nous: soutenus par votre divine présence, nous nous sommes acquittés de notre ministère; mais quand vous nous aurez quittés pour monter au ciel, que deviendrons-nous? Ne craignez point, leur répond Jésus-Christ; voilà que je suis avec vous; Ecce ego vobiscum sumo. Et non-seulement j'y suis dans le moment présent, mais j'y serai tous les jours: omnibus diebus. J'y serai non-seulement pendant un temps, mais j'y serai toujours. Or, comme vous ne devez pas toujours vivre, et que vous aurez des successeurs qui s'acquitteront après vous, jusqu'à la fin du monde, des fonctions dont je vous ai chargés, je serai avec eux aussi bien qu'avec vous jusqu'à la consommation du siècle: usque ad consummationem saeculi.
De ce texte il suit évidemment que l’Église a reçu de Jésus-Christ le don de l'infaillibilité. Pourquoi? C'est que si elle pouvait se tromper dans ses décisions, Jésus-Christ, qui est la vérité même, ne serait pas avec elle tous les jours, puisqu'il la laisserait quelquefois donner dans le mensonge. Il suit encore que l’Église du XVIIIe siècle est aussi infaillible que celle du premier. Pourquoi? C'est que si elle ne l'était plus aujourd’hui, Jésus Christ ne serait pas avec elle jusqu’à la consommation du siècle, comme il le lui a promis.
Et remarquez l'expression singulière qu'emploie Jésus - Christ en faisant cette admirable promesse. On serait tenté de croire que ce divin Sauveur aurait dû dire à ses apôtres: Je serai avec vous. Non, il leur dit: Je suis avec vous: Vobiscum sum.
Pourquoi s’exprime-t-il ainsi ? C’est que là il parle en Dieu. A l’égard de Dieu il n’y a ni passé ni avenir ; tout est présent. Il leur montre donc toute la suite des siècles comme un instant qu'il a sous les yeux, en se servant du terme démonstratif voilà, terme qui marque une chose actuellement présente. Voilà que je suis avec vous jusqu'à la consommation du siècle: Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem saeculi.
Jésus-Christ est donc tous les jours avec son Église, et il sera avec elle jusqu'à la fin du monde. Il était avec saint Pierre et avec tous les membres du collège apostolique; il est avec le souverain pontife qui règne aujourd'hui, et avec tous les évêques qui lui sont unis de communion; il sera avec tous ses successeurs, et avec le corps épiscopal dont ils seront les chefs. Les derniers ne pourront pas plus se tromper que les premiers dans les décisions qui regarderont la foi et la morale; sans cela Jésus-Christ n'exécuterait pas sa promesse. Donc l'Église a toujours été, est actuellement et sera toujours infaillible dans ses jugements. Saint Pierre en était bien convaincu, de cette infaillibilité, lorsque dans le premier concile tenu à Jérusalem il dit, après avoir consulté les autres apôtres: Il a semblé bon au Saint-Esprit et à nous : Visum est Spiritui sancto et nobis. (Act., XV, 28.) C'est en effet le Saint-Esprit qui préside aux conciles généraux, où les évêques, réunis avec le souverain pontife leur chef, prononcent un jugement définitif sur les matières de religion qui sont portées à leur tribunal. Et on peut dire à juste titre à tous ceux qui s’obstinent à rejeter leurs décisions ce que saint Etienne disait aux juifs: Vous résistez toujours au Saint-Esprit: Vos semper Spiritui sancto resistitis. (Act., VII, 51.)
Que les protestants, ou quelques autres hérétiques que ce puisse être, ne viennent donc pas nous dire que le pape et les évêques ne sont que des hommes, et que des hommes sont toujours sujets à l'erreur. Nous leur répondrons que le pape et les évêques sont des hommes, mais spécialement assisté, de l'Esprit de Dieu, des hommes à qui, Jésus-Christ à promis de ne les point laisser tomber dans l'erreur, et par conséquent des hommes dont la doctrine est irréfragable, et dont le jugement en matière de religion est infaillible.
Malgré cela les hérétiques condamnés par les conciles généraux, et surtout les protestants condamnés par le concile de Trente, ont continué de soutenir leurs faux dogmes.
L'un d'entre ceux-ci, c'est le ministre Jurieu, prétend justifier la révolte de ses pères et la sienne contre cette sainte assemblée par le raisonnement suivant: Chaque évêque en particulier, dit-il, est très-faillible, et les papistes en conviennent, Or, si chaque évêque, pris à part, est faillible, comment la collection des évêques réunis cessera-t-elle de l'être?
On pourrait se contenter de lui répondre que, quoiqu'un seul soldat ne puisse pas prendre une ville d'assaut, il ne s'ensuit pas qu'une armée de vingt mille hommes ne puisse pas le faire (159); mais voici là-dessus une autre réponse, que nous donnons d’autant plus volontiers qu’elle est du célèbre M. Bossuet contre Jurieu lui-même.
Nous lisons dans l'Ancien Testament, lui disait-il, que Dieu commandait quelquefois à son peuple d'attaquer ses ennemis, et qu'il lui promettait la victoire. En conséquence de cette promesse, l'armée d'Israël était invincible; on ne pouvait douter qu'elle ne gagnât la bataille. Mais quoique le corps de l'armée fût invincible, chaque membre en particulier ne l'était pas. Il pouvait arriver, et arrivait quelquefois, que non-seulement des soldats, mais quelques-uns des principaux chefs, fussent blessés ou tués par les ennemis. Il en est de même de l'Église. Elle
est, selon l'expression de l'Écriture, une armée rangée en bataille. Elle a à combattre contre les puissances infernales. Dans ses combats elle est invincible, c'est-à-dire qu'elle est infaillible dans ses décisions. Dieu 1ui en a fait la promesse. Mais cette promesse ne regarde que le corps de l'Église en général, et non pas chaque membre en particulier. Que quelques évêques tombent dans l'erreur, comme cela est arrivé plus d'une fois, cette chute ne préjudicie point à l'infaillibilité du corps épiscopal.
Les protestants essayent encore de justifier leur révolte contre le concile de Trente, en accusant les évêques de ce concile d'avoir été juge et partie dans la même cause. Mais s'il ne faut que prendre un juge à partie pour invalider sa sentence, quel sera le citoyen qu'on pourra condamner? Je suppose qu'un particulier s'avise de disputer à un tribunal le pouvoir qu'il a reçu du souverain de juger les causes en dernier ressort. Cette prétention empêchera-t-elle que ce tribunal ne le condamne? Ce particulier aura-t-il bonne grâce de soutenir que cette cour souveraine étant dans sa partie, elle n'a pas droit d'être son juge?
Telle est la position des protestants vis-à-vis de l'Église. Jésus-Christ a donné à cette Église le pouvoir de décider, sans appel, des matières de foi. Parce qu'il plaît aux protestants de lui disputer ce pouvoir, s'ensuit-il qu'elle n'ait pas droit d'en faire usage? Non, sans doute; et ce droit imprescriptible, elle le conservera toujours, malgré la chimérique prétention de ses ennemis qui le lui contestent. Ils ont donc tort de prétendre que les évêques soient leurs juges et leurs parties. Qui sont les parties contre lesquelles les protestants disputent ? Ce sont les simples fidèles ; mais les évêques sont ceux que Jésus-Christ a établis pour juges entre les uns et les autres: Dic Ecclesiae.
Si cette raison, que les évêques sont les parties des hérétiques qu'ils condamnent était valable, il n'y aurait pas, dans l'Église, une seule hérésie qui eût été légitimement condamnée, puisque tous les hérétiques pourraient regarder les évêques comme leurs parties. Les ariens, par exemple, furent condamnés au premier concile général tenu à Nicée, et les protestants conviennent avec nous que cette condamnation fut très-juste. Mais les ariens auraient pu dire contre les trois cent dix-huit Pères de Nicée, qu'ils étaient leurs juges et leurs parties, comme les protestants le disent aujourd'hui contre les évêques assemblés à Trente. Si ceux-là eurent droit de condamner les premiers, pourquoi ceux-ci n'auraient-ils pas eu droit de condamner les seconds? La cause des uns et des autres est exactement la même.
Et ce qui montre encore plus invinciblement la frivolité de cc prétexte, c'est la conduite que les protestants ont tenue dans leur fameux synode de Dordrecht (en 1618), à l'égard de ceux qu'ils ont regardés comme hérétiques. Les arminiens, calvinistes mitigés, enseignèrent une doctrine que les gomaristes calvinistes rigides regardèrent comme opposée aux principes de la réforme. Ceux-ci s'assemblèrent en synode contre les premiers, et les condamnèrent comme hérétiques. Les arminiens eurent beau dire que leurs parties étaient leurs juges, on n'eut aucun égard à leurs clameurs, et on les condamna irrémissiblement (160). N'est-ce pas là faire eux-mêmes cc qu'ils ont reproché à l'Église d'avoir fait? Vous l'avez permis, ô mon Dieu ! Pour montrer à nos frères séparés, dans leur propre conduite, l'injustice de leur prétention. Daignez-vous en servir, Seigneur, pour leur faire ouvrir les yeux sur le tort qu'ils ont eu d'abandonner votre Église.
« Mais, dira peut-être ici quelqu'un, si l'Église est infaillible, cette infaillibilité n'est-elle point réservée au temps où elle est assemblée en concile? Quand elle est dispersée, et que les évêques sont chacun dans leur siège, a-t-elle encore la même prérogative?» C'est là, mes frères, une question qu'on n'agitait point autrefois. Sans distinguer ces deux états de l'Église en concile ou hors de concile, de l'Église assemblée ou dispersée, on convenait qu'elle était infaillible dans toutes les circonstances; et ce n'est guère que vers les commencements du siècle où nous vivons, qu'on s'est avisé de mettre en problème ce qu'on avait jusque là regardé comme incontestable. Examinons donc, puisqu'il le faut, une question qui n'en devrait pas faire une, et voyons si les fondements que nous trouvons dans l'Évangile par rapport à l'infaillibilité de l'Église, doivent se restreindre au temps où elle est assemblée en concile œcuménique.
L'Église dispersée est infaillible. - Je l'ouvre, ce saint Évangile, et j'y vois que Notre-Seigneur, près de monter au ciel, promet d'être toujours avec ses apôtres, c'est-à-dire et avec eux dans leur propre personne, et avec eux dans celle de leurs successeurs: Ecce ego vobiscum sum. Mais j'y vois de plus, qu'il promet d'être avec eux tous les jours : omnibus diebus. Or, si ce divin Sauveur n'était avec son Église que quand elle est réunie dans un concile œcuménique, il ne serait pas avec elle tous les jours, puisque les conciles œcuméniques ne sont pas tous les jours assemblés. Le premier concile général s'est tenu à Nicée en 325; Jésus-Christ n'avait-il pas été avec son Église avant cette époque? Le dernier concile général s'est tenu à Trente pendant dix-huit ans, et s'est terminé en 1563; Jésus-Christ n'a-t-il plus été avec son Église depuis ce temps-là? Il n'est point de vrai catholique qui n’ait jamais eu là-dessus le moindre doute. L'infaillibilité de l'Église n'est donc point restreinte à la circonstance d'un concile général: c'est pour tous les jours, c'est jusqu'à la consommation du siècle, que ce divin Sauveur a promis d'assister son Église et d'être avec elle: Omnibus diebus usque ad consummationem saeculi.
Sans cela, le Fils de Dieu n'eût pas suffisamment pourvu aux besoins de cette Église. En effet, il y a des temps où il est impossible d'assembler des conciles généraux. Dans les temps de guerre, par exemple, un roi ne souffrirait pas que les évêques de son royaume se trouvassent dans une ville de la domination d'un autre roi, son ennemi. Or, ces guerres peuvent durer plusieurs années; il ne serait pas même impossible qu'elles durassent un demi-siècle. l.'Église sera donc, pendant tout ce temps-là, destituée de l'assistance de Jésus-Christ ! Que penser d'un principe d'où suit une si fausse conséquence? Non, mes frères, la promesse que ce divin maître a faite à son Église n'est point restreinte au temps des conciles généraux.
Il est vrai qu'il y a des circonstances où ces conciles généraux sont extrêmement utiles, soit pour condamner plus solennellement des articles contestés, soit pour prendre de concert les moyens les plus propres à réprimer l'erreur, soit pour d'autres raisons que l'Église elle-même juge convenables; mais qu'ils soient absolument nécessaires pour condamner de nouvelles hérésies; mais que sans cela leur condamnation soit illégale; mais que jusqu'à ce temps là les hérétiques puissent suspendre leur soumission, et qu'on n'ait pas droit de les y contraindre, c'est ce que saint Augustin juge entièrement faux. Il est donc sûr que l’Église, soit lorsqu'elle est assemblée en concile, soit lorsqu'elle est dispersée dans les différents diocèses, est toujours essentiellement infaillible.
On peut même dire que s'il y avait du plus ou du moins dans l'infaillibilité, l’Église dispersée serait plus infaillible que l’Église assemblée. Pourquoi? C'est que l'Église assemblée n'est que la représentation de l'Église dispersée, comme on le voit dans le concile de Trente, où l'on trouve cette clause: Haec synodus repraesentans Ecclesiam universalem. Or si l’Église représentante est infaillible, il semble qu'à plus forte raison l’Église représentée doit l'être, De tout cela il suit que l'Église dispersée est aussi infaillible que l'Église assemblée; et il suit encore, par une ultérieure conséquence, que d'appeler de la première à la seconde, c'est un appel illusoire. En effet, un acte d'appel, pour être légitime, doit être interjeté d'un tribunal inférieur à un tribunal supérieur. On appelle d'un bailliage à un présidial, et d'un présidial à un parlement ; mais on n'appelle pas d'un parlement au même parlement. On ne doit donc pas appeler de l’Église dispersée à l’Église assemblée; ce serait appeler de l’Église à l’Église; ce serait introduire une juridiction de la seconde sur la première ; ce qui ne se peut pas, puisque l’une et l'autre sont la même Église et ont une même autorité.
Aussi n'est-ce point par respect pour l'autorité du concile que les hérétiques en appellent à ce tribunal. La conduite qu’ils ont tenue là-dessus dans tous les temps, en fait la preuve. Par exemple, les protestants, condamnés par le souverain pontife et par les évêques, en appelèrent au futur concile, à l'exemple de Luther. Le concile s'est tenu: il les a condamnés. S’y sont-ils soumis? Non; et on ne s'y attendait pas. Il est évident que leur appel n'avait d'autre but que d'autoriser leur rébellion.
Quand Luther appela de la bulle de Léon X au concile général, on aurait pu lui dire, aussi bien qu'à tous ceux qui l'ont imité dans la suite, ce que saint Augustin disait aux Pélagiens, qui avaient appelé des décrets du pape Zozime au futur concile. Ils en appellent au concile, disait ce saint docteur, comme s'il était toujours besoin de concile pour condamner les hérésies. Mais les pélagiens, n'ayant pas pu pervertir le monde, ont voulu du moins le mettre en mouvement : Cum orbem pervertere non potuerint, vertere saltem voluerunt. Quelle nécessité y a-t-il, continue saint Augustin, d'obliger tous les évêques, dont la présence est si nécessaire à leurs diocèses, d'abandonner leur troupeau, pour condamner une hérésie qui est aussi palpable que l'est celle des pélagiens? Rome a parlé, disait-il encore, la cause est finie: plaise à Dieu que l'erreur finisse de même Roma locuta est; causa finita est : utinam finiatur error!
Ces paroles du docteur de la grâce sont devenues si célèbres dans l'Église, qu'on les y regarde comme une espèce d'axiome, qui, de la plume de ce grand saint a passé dans celles de tous les écrivains qui ont traité ces matières: ils disent tous, d'après lui: Roma locuta est; causa finita est. On pourrait s'en tenir là vis-à-vis des hérétiques, et surtout vis-à-vis de ceux qui, comme les protestants, s'autorisent du nom de saint Augustin: Car c'est l'ordinaire des hétérodoxes qui sont venus après ce saint docteur, de s'autoriser du crédit qu'il a dans l'Église. A les entendre, il n’y a qu’eux seuls qui puissent se flatter du glorieux titre de vrais disciples de saint Augustin. Oh ! Messieurs, pourrait-on leur dire, si vous êtes les disciples de saint Augustin, écouter les leçons de votre maitre. En voici une qui pourrait vous tenir lieu de toutes les autres. Je ne croirais pas à l'Évangile, disait ce saint évêque, si l'autorité de l’Église ne m’y engageait: Non crederem evangelio, nisi me Ecclesiae catholicae commoveret auctoritas
Mais non: ces prétendus disciples de saint Augustin ne se déclarent pour lui que quand ils s'imaginent le trouver favorable à leur système; et dès qu'ils voient évidemment qu'il leur est contraire, ils l'abandonnent, ils le traitent de petit génie, d'homme superstitieux, qui a donné aveuglément dans une crédulité populaire, C'est ce que les protestants ont dit, sur tout à l'égard de ce que saint Augustin a écrit sur le purgatoire. Or ce que nous disons de sa doctrine
sur le purgatoire, nous pourrions le dire de celle qu'il a tenue sur la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes, sur la possibilité d'accomplir les commandements de Dieu, sur la résistance qu'on peut apporter à la grâce intérieure et sur un grand nombre d'autres articles au sujet desquels les protestants sont directement opposés à saint Augustin .
Sur ces matières et sur bien d'autres, les novateurs, allèguent des textes du saint évêque, à qui ils font dire tout ce que bon leur semble : ils ajoutent à ses paroles et en retranchent ce qui leur plaît ; ils détachent de leur place les passages, qui joints à ce qui précède et ce qui suit, signifieraient toute autre chose que ce qu'ils leur font signifier. Par ce moyen ils font illusion aux simples fidèles qui, pénétrés de respect comme ils doivent l'être pour l'autorité du saint docteur, sont tentés de lui attribuer des sentiments qu'il n'eut jamais, Et voici le raisonnement qu'on fait là-dessus pour les séduire,
On paraît supposer l’infaillibilité de l'Église, et on dit: 1l est sûr que l'Église a approuvé la doctrine de saint Augustin : or notre doctrine est la même que celle de saint Augustin; donc l'Église a approuvé notre doctrine.
Comment un simple fidèle répondra-t-il à ce paralogisme? Il n'a point les ouvrages de saint Augustin, Quand il les aurait, il ne trouverait pas le temps de les lire; et quand il en trouverait le temps, ordinairement il ne serait pas assez habile pour les entendre. Que faire donc pour éviter le piège qu'on lui tend? Rien n'est si facile. Sans confrontation des passages, sans dispute sur les différents sens qu'on doit leur donner, il n'a qu'à se servir des armes de son ennemi pour le combattre, en lui disant: Il est sûr que l'Église a approuvé la doctrine de saint Augustin. Or la même Église à condamné votre doctrine; donc votre doctrine n'est pas la doctrine de saint Augustin. Cc moyen, court, facile, et à la portée de tout le monde, revient à ce que disait autrefois saint Jérôme, que pour dessécher 1es ruisseaux de toutes les erreurs il ne faut que le seul rayon de l'infaillibilité de l'Église: Unico possum radio Ecclesiae siccare omnes rivulos errorum.
On trouve des écrivains modernes qui, contraints d’avouer l'infaillibilité de l'Église, (car comment ne pas convenir de ce qui est si formellement exprimé dans l'évangile?) la restreignent à l'entière unanimité des évêques, et prétendent que quand parmi ces prélats il y en a quelques-uns qui ne pensent pas comme les autres sur la matière contestée, ce petit nombre suffit pour empêcher que la décision de la majeur partie du corps épiscopal ne soit censée faire un jugement irréformable de l'Église.
Mais si cette prétention était valable, il s'ensuivrait qu'il n'y aurait presque point d'hérésie qui eût été légitimement condamnée par l'Église. En effet, il n'est presque point d’hérésie qui n’ait eu des évêques pour partisans. Dans le concile de Nicée il y avait cinq ou six évêques ariens: vers le temps du synode de Diospolis on comptait dix-huit évêques pélagiens: à la fameuse conférence de Carthage il se trouvait plus de deux cents évêques donatistes. Cela n'a pas empêché qu'on n'ait regardé tous ces hérétiques comme légitimement condamnés: et saint
Augustin disait à ces derniers, qui s'autorisaient de ce grand nombre d'évêques qu'ils avaient pour eux: Quid sunt hoec contra tot millia episcoporum (161) ?
L'unanimité parfaite du corps épiscopal n'est donc pas absolument essentielle pour former un jugement de l'Église; l'unanimité morale est suffisante: et il en est de même de tous les autres tribunaux. Si, dans un parlement, on exigeait l'unanimité physique des suffrages, il n'y aurait presque point de procès terminés, parce qu'il est extrêmement rare que tous les juges soient exactement de même avis sur la même cause.
Ainsi, quand un parti condamné par l'Église compterait quelques évêques parmi ses défenseurs, cela ne prendrait rien sur la légitimité de la condamnation. Le privilège de l'infaillibilité est attaché au corps épiscopal or ce corps est censé se trouver où se trouvent le chef et la majeure partie des membres.
On peut même ajouter à ce que nous venons de dire, que quand bien même la majeure partie du corps de l'Église enseignante n'aurait pas consenti formellement à un décret dogmatique, il suffirait que ce décret émané du chef et approuvé par une partie considérable des évêques, ne fût point contredit par les autres prélats du monde chrétien.
La raison en est que, comme dit un grand pape, l'Église ne peut ni enseigner expressément l'erreur par ses paroles, ni l'approuver par son silence; et c'est même une maxime de droit, que de ne point s'opposer à une chose qu'on connaît, c'est être censé y consentir: Qui tacet, consentire videtur.
La vérité de cette maxime sur la matière présente a été reconnue par un auteur dont le témoignage est d'autant moins suspect, qu'il n'a pas toujours agi en conséquence. Cet écrivain, dont les écrits dans la foi ont fait beaucoup de bruit, disait plusieurs années avant sa défection, en parlant de la dispute qui s'était élevée entre quelques semi-pélagiens de nos Gaules (162) et les zélés défenseurs de la doctrine de saint Augustin dans l'Afrique: Le reste de l'Église se contenta de voir entrer en lice les Africains et les Gaulois ... Ce consentement tacite, quand il n'y aurait rien de plus, fait une décision qu'il n'est pas permis de ne pas suivre (163). Nous prenons acte là-dessus, et nous disons volontiers avec lui, que quand une décision a été portée par la plupart des évêques du lieu où la dispute a commencé, n'y eût-il, de la part des autres évêques du monde, d'autre accession au décret qu'un consentement tacite, cela seul est suffisant pour former une décision qu'il n'est pas permis de ne pas suivre, Mais à plus forte raison, quand au consentement des évêques du lieu se joint une acceptation formelle de ceux des pays étrangers, on ne peut, sans attaquer ouvertement l'infaillibilité du corps épiscopal, refuser de s'y soumettre.
Je dis l'infaillibilité du corps épiscopal, parce que c'est à cet ordre respectable, exclusivement à tout autre, que ce privilège est attaché. Qu'on ne vienne donc pas opposer au sentiment de la majeure partie des évêques sur un objet de dogme, celui d'un grand nombre de prêtres et de religieux qui pourraient penser différemment. Quelque respect que l'on doive à ceux-ci quand ils sont unis aux prélats, on ne leur en doit plus dès qu'ils leur sont contraires. Pourquoi? C'est que ce ne sont ni les prêtres ni les religieux, mais les évêques seuls, qui doivent être nos maîtres dans la foi: ce sont eux, et eux seuls que le Saint-Esprit a établis pour gouverner l'Église de Dieu: Spiritus sanctus posuit episcopos regere Ecclesiam Dei. (Act., XX, 28.)
C'est ce qui montre ]a fausseté du subterfuge de quelques hétérodoxes qui, quand on leur a reproché par le passé qu'ils avaient très-peu d'évêques pour eux, et qu'on leur reproche à présent qu'ils n'en ont plus aucun, répondent que s'ils n'ont pas d'évêques, ils ont un grand nombre de pieux ecclésiastiques du second ordre, et de savants cénobites, dont les lumières et les vertus peuvent leur servir de guide dans la route qu'ils ont prise.
A cela je dis: Des lumières et des vertus tant qu'il vous plaira; mais si les unes et les autres ne sont point accompagnées de soumission à l'Église, elles ne pourront conduire qu'à l'égarement (164) Or on n'a point de soumission à l'Église quand on contredit le corps des évêques, Ce sont là nos seuls guides dans la voie du salut, nos seuls pasteurs dans les objets de la religion; et si le clergé du second ordre fait la fonction de pasteurs à l'égard des fidèles, ce n'est qu'avec subordination aux principaux chefs du troupeau: il n'est à leur égard que dans le rang des simples brebis.
Non, mes frères, cc n'est point aux prêtres que le Saint-Esprit a donné la charge de nous conduire dans la foi; c'est aux évêques : Spiritus sanctus posuit episcopos. Il est vrai que ceux-ci consultent assez souvent les premiers dans leurs décisions, et qu'ils trouvent en plusieurs d'entre eux des lumières que la prudence ne leur permet pas de négliger: aussi ne manquent-ils guère d'y avoir recours dans l'occasion: mais ces consultations volontaires des pasteurs en chef ne donnent point aux pasteurs subalternes la qualité de juges en matière de dogme,
Il en est à peu près du tribunal auguste établi par Jésus-Christ dans son Église, comme de ceux des cours souveraines établies par les rois dans leurs Etats. Dans ces tribunaux séculiers, les magistrats qui les composent ont assez souvent recours aux lumières des habiles jurisconsultes qui, après avoir pâli sur les lois, en ont approfondi la lettre et l’esprit : ils les interrogent et prennent leurs avis, surtout dans les matières importantes et difficiles : mais, outre qu’ils ne sont pas obligés de le faire, quand ils le font ils sont toujours libres de suivre leur avis ou de ne le suivre pas; et lors même qu'ils le suivent, ce n'est point l'autorité du jurisconsulte, mais celle du magistrat, qui fait loi. L'avocat ne devient point juge; c'est celui-ci seul à qui le souverain a confié son autorité; lui seul en peut faire usage.
Ici l'application n'est pas difficile à faire. Les évêques, qui sont les seuls juges dans les matières qui regardent la foi et la morale, consultent les prêtres quand ils le veulent; et ils le veulent assez communément, parce qu'ils sont sûrs de trouver dans plusieurs d'entre eux des lumières qui peuvent leur être fort utiles pour se décider dans les questions les plus embarrassantes du dogme ou de la morale: mais, outre qu'ils n'ont aucune obligation de recourir à eux, ils sont absolument les maîtres de se conformer aux avis qu'ils en reçoivent, ou de les rejeter; et lors même qu'ils s'y conforment, ce sont toujours eux seuls qui parlent l'arrêt définitif, parce que ce n'est qu'à eux seuls que Jésus-Christ a confié le privilège d'être infaillibles dans leurs jugements; ce n'est qu'à eux qu'il a dit dans la personne des apôtres : Allez, enseignez toutes les nations; voilà que je suis avec tous jusqu'à la consommation du siècle,
On doit conclure de ce que nous venons de dire des prêtres à l’égard des décisions de foi, que tout cela doit s'entendre, à bien plus forte raison, des simples laïques, quelque vertueux ct quelque savants qu'ils puissent être. Non, mes frères, quoi 'qu'en disent quelques écrivains modernes (165) les laïques éclairés, n'entrent pour rien dans l'enseignement de la doctrine. Puisqu'i1s sont enfants de l'Église, et que les évêques en sont les pères, ils doivent obéir à leurs ordres: puisqu'ils ne sont que brebis dans le troupeau de Jésus-Christ, et que les évêques en sont les pasteurs, ils doivent se laisser conduire à leur voix: puisqu'ils ne sont que disciples dans l'école de Jésus-Christ, et que les évêques en sont les maîtres, ils doivent se rendre dociles à écouter leurs leçons; leçons qui ne leur enseigneront jamais l'erreur, parce que ces maîtres qu'ils ont reçus de Jésus-Christ, ont eux-mêmes reçu de ce divin Sauveur le droit de montrer infailliblement aux fidèles tout ce qui doit procurer leur salut.
Trois choses sont absolument essentielles au salut. Il faut croire fermement toutes les vérités que Dieu a trouvé hon de révéler aux hommes. Il faut faire exactement tout ce que Dieu nous a commandé de pratiquer. II faut, et adorer Dieu de !a manière qu'il veut qu'on l'adore, et le prier de la manière qu'il veut qu'on le prie. Or c'est l'Église qui nous prescrit tout ce qui regarde ces trois objets. Il faut croire; infaillibilité dans le dogme. Il faut faire; infaillibilité dans la morale. Il faut adorer et prier; infaillibilité dans le cu1te. En croyant ce qu'elle nous enseigne sur tout cela, nous ne devons pas craindre de nous tromper; au lieu qu'en suivant tout autre guide, il y a toujours lieu d'appréhender qu'il ne nous égare.
En effet, mes très-chers frères, qu'avons-nous à craindre en croyant de point en point tout ce que l'Église nous enseigne, et en pratiquant avec exactitude tout ce qu'elle nous ordonne? Si, par impossible, elle pouvait nous tromper, nous pourrions, au jour du jugement, nous disculper de nos erreurs, en disant à Jésus-Christ au sujet de son Église, ce que disait un pieux docteur au sujet de la religion: Seigneur, si je me suis trompé, c'est vous qui m'avez séduit: Domine, si error est, a te deceptus sumo (Richard DE SAINT-VICTOR.) Vous m'avez ordonné d'écouter votre Église, je l'ai fait : j'ai cru ponctuellement ce qu'elle m'a enseigné, j'ai pratiqué fidèlement ce qu'elle m'a recommandé; j'ai adoré, j'ai prié de la manière qu'elle a jugé à propos de me le prescrire. Voudriez vous, ô mon Dieu me condamner pour avoir exécuté vos ordres'? Ah ! Seigneur, vous êtes trop juste et trop bon pour que je puisse appréhender de vous rien de semblable.
Mais il n'en sera pas de même de ceux qui auront été ou indociles aux instructions de l’Église, ou réfractaires à ses commandement. Que répondront-ils au souverain juge quand il leur reprochera leur désobéissance? Allègueront- ils l'autorité de ceux qui les auront écartés de la voie du salut? Lui diront-ils: Seigneur, des hommes que nous regardions comme remplis de lumières et de vertus, nous ont prescrit la route où nous avons marché? Ce juge suprême ne manquerait pas de leur répondre : Etaient-ce là les maîtres que je vous avais dit d'écouter? Etaient-ce là les guides que je vous avais dit de suivre? Ces hommes de mensonge vous montraient un chemin, vos vrais pasteurs vous en prescrivaient un autre; auxquels, des premiers ou des seconds, deviez-vous donner la préférence?
Ah ! Mes chers auditeurs, nous nous y trouverons tous un jour, devant le redoutable tribunal de ce souverain juge, auquel il faudra que nous rendions compte et de notre croyance et de nos rnoeurs. Que voudrions nous avoir fait si, dans le moment où je vous parle, il nous citait à paraître devant lui, et qu'il nous interrogeât sur notre obéissance à l'Église? 0 vous, s'il en était ici quelqu'un, qui hésitez depuis si longtemps aux décisions de cette Église sainte, et qui vous faites gloire de votre résistance, ouvrez les yeux sur le danger évident que vous courez de vous perdre : il y va de votre bonheur ou de votre malheur éternel. Ah ! Mes chers frères, je vous en conjure par le sang précieux que Jésus-Christ a versé pour vous, et par le désir que vous devez avoir de votre salut, rentrez dans l'obéissance que l'on doit à une Église hors de laquelle on ne peut espérer de l'obtenir.
Pour vous, chrétiens fidèles, qui vous faites gloire de votre docilité à écouter les leçons de celte Église votre mère, bénissez Dieu de ce qu'il vous a donné en elle une colonne de vérité sur laquelle vous n'avez qu'à vous appuyer pour être inébranlables dans la foi, et n'avoir rien à craindre de la séduction, Membres vivants de ce corps auguste dont Jésus-Christ est le chef, persuadez- vous bien que pendant que vous continuerez d'être unis par une foi vive et par une charité parfaite à l'Église militante en ce monde, vous aurez droit d'espérer d'être un jour partie de l'Église triomphante dans le ciel, où nous conduisent le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ainsi soit-il.