RÉPONSE

AUX DERNIÈRES OBJECTIONS

CONTRE

 LA DÉFINITION DE L’INFAILLIBILITÉ

DU PONTIFE ROMAIN

LE MANS. IMPR. LEGUICHEUX-GALLIENNI


RÉPONSE

AUX DERNIÈRES OBJECTIONS

CONTRE

LA DÉFINITION DE L’INFAILLIBILITÉ

DU PONTIFE ROMAIN

PAR


LE R. P. DOM PROSPER GUÉRANGER

ABBE DE SOLESMES

PARIS

VICTOR PALMÉ, LIBRAIRE-ÉDITEUR

45, RUE DE GRENELLE SAINT-GERMAIN, d5


BRUXELLES R. GOÊMAÉRE, ÉDITEUR
Rue de la Montagne.

LYON
P. N. JOSSERAND, ÉDITEUR
3, place Bellecour, 3.

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LIBRAIRIE DE LA PROPAGANDE
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BURNS, OATES ET C
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17, Portman Street, 17.


RÉPONSE

AUX DERNIÈRES OBJECTIONS

CONTRE

LA DÉFINITION DE L’INFAILLIBILITÉ

DU PONTIFE ROMAIN

Il semblait que la cause de l’infaillibilité papale avait été suffisamment instruite par les débats contradictoires qui ont eu lieu depuis la publication du livre Mgr de Sura. L’apparition toute récente de plusieurs mémoires destinés aux membres du Concile et rédigés dans un sens opposé à la définition, montre l’importance que leurs au­teurs attachent au sentiment qu’ils ont embrassé ; mais il est douteux que ce renfort de la dernière heure décide la victoire en faveur d’un sentiment opposé à l’enseignement presque universel des théologiens, et à la pratique infaillible de l’Église.

Monseigneur l’évêque de Rottenbourg a entrepris une dernière campagne sur la question d’Honorius. Il est permis de penser que cette dissertation qui fait plus ou moins d’honneur à l’érudition de l’auteur demeurera sans influence sur la décision doctrinale. Dans la question de savoir si saint Pierre a reçu pour lui-même et pour ses successeurs le privilège de l’inerrance dans l’enseignement officiel de la foi, il importe peu qu’Honorius, dans des lettres privées où il enseigne avec une pleine ortho­doxie les deux opérations, divine et humaine, en Jésus-Christ, ait tenté plus ou moins maladroitement d’assoupir une erreur qu’il aurait dû poursuivre avec énergie. Il importe peu que la condamnation d’Honorius comme hérétique se trouve dans les actes du VIe Concile, lorsque nous faisons profession de ne reconnaître la valeur oecu­ménique des décrets d’un Concile que dans la mesure où ils sont acceptés et confirmés par le Siége apostolique. Mgr de Rottenbourg n’ignore pas que dans la confirmation qu’il accorda au décret du VIe Concile, saint Léon II n’ac­cepta pas la note d’hérétique infligée à Honorius, et que les Pontifes romains, ainsi qu’il conte par le Liber diurnus, ne comprirent jamais la chose dans ce sens. Il était donc superflu de ramener l’affaire d’Honorius à propos de la question de l’infaillibilité du Pape.

Cette thèse historique offre, j’en conviens, un véritable intérêt, et si elle n’a pas précisément une valeur pratique en ce moment, elle n’en était pas moins digne d’occuper les doctes loisirs de Mgr de Rottenbourg. Au reste, un français, le R. P. Colombier, de la Compagnie de Jésus, vient d’achever par un cinquième article, dans les Études religieuses, un travail aussi neuf que solide sur la ques­tion d’Honorius, qui n’avait pas encore été étudiée avec cette étendue et cette profondeur.

En dehors du livre de Mgr de Rottenbourg, les mé­moires dont je viens de parler sont d’abord un in-12 de trente-deux pages, un in-4 de soixante-six, et un in-8 de quatre-vingt sept. Je me bornerai à parcourir ce dernier qui a été imprimé à Naples, sous ce titre : Observa­tiones quœdam de infallibilitatis Ecclesiœ subjecto. Il peut tenir lieu des autres qui ne renferment guère autre chose que ce qu’il contient. Depuis le premier mot du titre, Observationes, on y sent d’un bout à l’autre les habitudes de la langue française, et de la langue de jour­naliste. Les termes et les tournures seraient inaccessibles à un lecteur qui ne connaîtrait pas notre idiome et le style fort peu académique qui a cours aujourd’hui[1].

L’auteur, au premier paragraphe, commence par faire d’importantes concessions aux défenseurs de l’infail­libilité. Il reconnaît que le Saint-Siège étant la pierre contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront pas, est par là même l’inébranlable fondement de la foi catho­lique; que c’est le devoir des catholiques de recevoir avec une prompte obéissance et une entière confiance, les définitions du souverain Pontife sur la foi et les moeurs. Il semblerait donc que toute controverse est terminée, mais pas du tout. L’auteur refuse de conclure de ce qui précède qu’une définition rendue par le successeur de saint Pierre en matière de foi ou de moeurs, impose l’obligation de l’accepter comme une doctrine révélée de Dieu. Il se plaint que l’on ait proposé à la définition du Concile l’infaillibilité du Pape, et oppose à cette croyance les lieux communs qui ont été cent fois réfutés.

Ainsi, selon notre auteur, le Pape est faillible dans ses définitions sur la foi et les moeurs ; et nonobstant, les fidèles sont tenus de recevoir ce qu’il décide avec une prompte obéissance et une entière confiance. Le Saint-Siège est linébranlable fondement de la foi catholique, mais on ne doit pas croire pour cela que tout ce qu’il décide soit conforme à la doctrine révélée de Dieu. La conséquence d’un tel système est que le chrétien est sous l’obligation d’adhérer à l’erreur si le Pape l’enseigne, que la pureté de la foi peut s’altérer dans l’Église; en un mot que le devoir du fidèle peut se trouver en contradic­tion avec les droits de la vérité révélée. C’est la négation de la mission divine du Christ et du christianisme tout entier. De telles contradictions auraient arrêté les anciens gallicans. Ils auraient maintenu chez les évêques et chez les fidèles le droit d’appel au futur Concile contre toute décision du Pape qui ne leur conviendrait pas. Aujour­d’hui il faut bien faire une concession à l’ultramonta­nisme qui triomphe partout, et voici que dans les Obser­vationes on proclame résolument l’identité des contraires à propos de l’infaillibilité du Pape, en immolant d’un même coup la logique et la foi.

II.

Au paragraphe suivant, l’auteur nous transporte à l’âge des martyrs, et dans un but qui profiterait aux protestants, plus encore qu’aux gallicans, il cherche à démontrer par de pures assertions, il est vrai, que durant les trois premiers siècles, il n’existait pas de moyen d’ar­river à la certitude absolue sur la foi. Le Concile oecu­ménique n’étant pas possible à cette époque, les questions dogmatiques n’étaient traitées que dans des Conciles par­ticuliers qui n’étaient pas infaillibles. «  Cependant », ajoute  l’auteur, « sauf dans des cas rares, il était moralement certain pour chaque chrétien que la doctrine de son évêque était d’accord avec celle des apôtres. » 

Voilà jusqu’où le gallicanisme devait entraîner ses par­tisans! Jusqu’à nier la divine et irréfragable certitude de la foi dans l’Église durant une période de trois siècles, et cela parce que le Concile oecuménique ne se tenait pas. L’aveuglement de ces hommes n’a-t-il pas quelque chose de surnaturel? Outre le principe fondamental de l’Église, véritable question de droit qui consiste à admettre en elle la permanence de la foi omnibus diebus, le fait de cette permanence est constaté par le célèbre témoignage de saint Irénée qui enseigne, dès le IIe siècle, que toute Église et tout fidèle nécessairementadhèrent à la doc­trine de l’Église romaine, en laquelle se conserve la vraie foi apostolique. Le fait est encore constaté par les juge­ments du Pontife romain dans la condamnation des héré­tiques à cette époque, dans ses décisions attendues, sollicitées et reçues comme irréfragables, ainsi qu’il conte par l’histoire, si rares que soient les monuments qui nous en sont restés. Mais le gallicanisme, en ce moment, ne s’inquiète plus de l’histoire ; on l’a vu par les lettres du P. Gratry; toutefois, nul n’était encore allé aussi loin que l’auteur des Observaliones dans labjuration des faits comme de la logique.

Enfin le Concile de Nicée eut lieu, et selon notre au­teur, au paragraphe troisième, on put dès lors avoir sur la foi cette certitude que tous désiraient. Il s’étend un peu sur ce premier Concile oecuménique pour en relever la grandeur et l’autorité. Rien de mieux assurément, s’il voulait en même temps convenir que, sans ce Concile, l’Église durant les trois premiers siècles, avait joui de la certitude complète dans la doctrine, et que si le Concile n’avait pas eu lieu au IVe , rien d’essen­tiel ne lui eût manqué. Mais ce n’est pas ainsi que l’entend notre théologien. Le Concile de Nicée qui, pour tout le monde, n’est qu’un fait, est à ses yeux un droit sin­gulier, droit qui est essentiel à l’Église, et dont l’Église durant ses trois premiers siècles n’a pas eu même conscience. Elle pensait qu’il lui suffisait pour conserver la pure doctrine du Christ d’adhérer à l’enseignement de l’Église romaine, et elle se trompait! La foi des martyrs n’arrivait pas au plus haut degré de certi­tude ! Il leur eût fallu de temps en temps un Concile oecuménique, et malheureusement, ainsi que le remarque l’auteur, la convocation et la tenue n’en étaient pas très praticables sous les empereurs persécuteurs.

Il profite de l’occasion pour donner sa théorie du Con­cile. Elle se réduit à deux points principaux. Il faut que les décrets de l’assemblée soient sanctionnés par le Pape; mais ils doivent avoir été rendus à l’unani­mité, ou du moins à la quasi-unanimité des suffrages. Sur le premier point, il n’y a rien à dire : l’auteur est orthodoxe. Toutefois, ne nous y laissons pas prendre. En ces jours le gallicanisme a compris que l’on ne gagnerait rien en cherchant à amoindrir la dignité du Pontife romain ; elle est aujourd’hui trop respectée. Il s’est donc attaché à la réduire à l’impuissance, et il vient d’inventer le système de l’unanimité des suffrages dans le Concile. Pas n’est besoin d’être fort théologien pour comprendre le danger de cette théorie. J’imagine pourtant que ses inventeurs voudront bien convenir que, pris individuellement, chaque évêque est faillible ; or, tant qu’on n’aura pas démontré que, dans le Concile, chaque évêque revêt une infaillibilité personnelle, il y aura toujours la possi­bilité d’en voir un nombre plus ou moins grand abonder dans le sens contraire à une définition nécessaire. Si cet inconvénient a lieu, voilà donc l’Église arrêtée. Par suite du défaut d’unanimité, l’erreur ne pourra plus être condamnée, la vérité ne pourra plus être proclamée, et cela, parce qu’une minorité qui représenterait l’erreur se mettrait en travers. Est-il possible de reconnaître dans un tel système la vraie constitution, de l’Église ? Qui ne voit qu’au lieu de protéger la vérité, il ne serait pro­pre qu’à l’entraver ; à moins, je le répète, que l’on ne veuille attribuer à chaque évêque, dans le Concile, une infaillibilité personnelle dont il ne jouit pas sur son siége.

Que si l’on trouvait bon d’aller jusque-là, ce serait encore une fois admettre l’identité des contraires, puisque les évêques de la majorité seraient aussi infaillibles que ceux de la minorité. Or, les uns disant oui et les autres non, pour croire que ni les uns ni les autres ne se trom­pent, il faudrait admettre que oui et non sont une seule et même chose. Si donc l’on veut sauver le bon sens du nau­frage, il est nécessaire d’en revenir à la vérité catholique reconnue dans tous les temps, et hors de laquelle, vu la faiblesse humaine, il n’y a pas d’Église : savoir, que dans le cas de partage entre les évêques, ceux qui sont avec le Pontife romain représentent l’Église et enseignent la vérité. Ubi Petrus, ibi et Ecclesia.

IV

Il est difficile d’entasser plus de sophismes en moins de pages que ne l’a fait notre auteur dans son paragraphe quatrième. De ce que les jugements doctrinaux du Pontife romain sont toujours en rapport avec la foi généralement répandue dans l’Église, il se met à conclure que ces juge­ments ne sont pas par eux-mêmes irréformables. Com­ment ne voit-il pas que ce raisonnement est tout aussi applicable aux décisions des Conciles oecuméniques? A-t-il jamais vu quelqu’un de ces Conciles définissant dans un autre sens que dans celui de la foi antérieurement professée?[2] En conclura-t-il que les décisions conciliaires ne sont pas irréformables par elles-mêmes? Il le doit, si son principe est vrai.

Ces derniers des gallicans ont d’étranges idées. A les entendre, on croirait que la déclaration de l’infaillibi­lité, une fois rendue, autoriserait le Pape à définir à tort et à travers tout ce qui lui passerait par l’esprit, sans s’inquiéter de la foi antérieure de l’Église. Mais ils n’ont donc jamais ouvert un livre de controverse? Ils ne savent donc pas que les protestants, quand on leur affirme que le Concile est infaillible, se révoltent précisément par cette même raison qu’ils se figurent que nous accordons au Concile le droit de décider à volonté, sans égard à la croyance générale antérieure qu’il doit simplement sanc­tionner par ses sentences?

Pourtant, la situation est la même. Qu’il s’agisse du Pape infaillible, ou du Concile infaillible, au fond, c’est toujours de l’Église infaillible qu’il s’agit. Le même Esprit Saint conduit tout, anime tout. En vertu des promesses de Jésus-Christ il fait que le corps enseignant (le Pape et les évêques définissant simultanément)[3], est infaillible; parce que le Sauveur l’a promis. Il fait que le Pontife romain définissant du haut de sa Chaire est infail­lible; parce que le Sauveur l’a promis. Il fait que le corps épiscopal, quand le Pape définit seul, adhère à la sen­tence dans une infaillibilité passive; parce que le Sauveur a promis à son Église la permanence. Il fait enfin que l’Église enseignée n’est jamais sans la vérité professée, avant comme après la définition ; parce que le Sauveur a promis de maintenir ses fidèles dans la vérité jusqu’à la consommation des siècles.

Non, il n’y a pas, il n’y a jamais eu, il ne peut y avoir de définition de foi qui ne soit accueillie par le consentement de l’Église ; mais l’infaillibilité du Pape comme celle du Concile n’est pas précisément un produit de ce consen­tement. Elle est l’oeuvre directe du Saint-Esprit qui l’influe. Il y a promesse divine pour le Pape et promesse divine pour le Concile ; ni Pape, ni Concile, n’est infaillible par lui-même. Nous sommes ici dans l’ordre purement surnaturel dont voudraient en vain nous distraire de vaines prétentions, aussi terrestres qu’elles sont odieuses. Que les passions humaines s’agitent, c’est un triste spec­tacle sans doute; mais l’Esprit Saint est notre force. Nous savons que nous ne serons pas confondus.

C’est en vain que l’auteur s’efforce, par des citations tronquées et des réticences, d’atténuer le grand mot de saint Augustin : Causa finita est. D’autres passages du saint docteur mettent au jour son sentiment sur l’autorité décisive des jugements doctrinaux du Saint-Siège ; ils ont été cités dans la controverse présente ; mais l’auteur s’est gardé de les reproduire. Vient ensuite l’apologie de saint Cyprien dans sa résistance à saint Étienne. L’auteur oublie seulement de démontrer que ce Pape aurait rendu une décision doctrinale dans la question. Nous attendrons les preuves. Après saint Cyprien, c’est le tour de saint Léon. On veut nous faire croire qu’un Pape si ferme dans la défense des droits de son siège, aurait avoué que la définition rendue par lui contre la doctrine d’Eutychès attendait la confirmation du Concile pour être irréfor­mable. Or, dans le passage que l’on cite, saint Léon atteste que la sentence qu’il avait préalablement prononcée était déjà reçue dans le monde chrétien tout entier. Le Concile de Calcédoine n’était donc pas de nécessité absolue. Il ne fut convoqué que dans le but de confondre plus efficacement et avec plus d’éclat les hérétiques ; et après la procédure que cette sainte assemblée exerça contre leurs erreurs, saint Léon pouvait bien dire que le jugement qu’il avait rendu était désormais irrétractable; en d’autres termes que la sentence était devenue si solennelle que les condamnés n’avaient plus à invoquer en leur faveur aucune disposition du droit qui ne leur eût pas été appliquée? Est-ce convenir que jusque-là il manquait quelque chose à la définition de la foi? Le Concile ne s’était-il pas écrié : «  Pierre a parlé par Léon? » Quand Pierre a parlé, on peut vérifier sa parole, on peut la publier avec plus ou moins de solennité; on n’y peut rien ajouter en fait d’autorité. Le même Esprit Saint qui a parlé par Pierre, parle encore dans le Concile. Il n’y a pas d’antagonisme possible entre Pierre et le Concile, instruments l’un et l’autre du même Esprit Saint.

L’auteur, après avoir enregistré les lieux communs du gallicanisme sur les premiers Conciles, nous dit qu’il a fallu quatre siècles pour établir la foi droite (fides recta) sur les mystères de la Trinité et de l’incarnation, que, durant cet intervalle, on a recouru fréquemment au con­sentement des Églises, et que les Papes, loin de s’y oppo­ser, se sont prêtés d’eux-mêmes à celte investigation. Nous lui répondrons que la foi droite et exacte sur ces mystères n’a jamais manqué dans l’Église ; seulement on a dressé dans les quatre et même cinq premiers siè­cles des formules qui devaient servir à discerner la vérité de l’erreur. Pour les rédiger, où aurait-on pris les termes, si ce n’est dans la foi antérieure et universelle? Papes et Conciles ont consulté la tradition avant de rendre les décrets qui devaient l’exprimer ; pouvait-il en être autrement? En quoi ce fait démontre-t-il que le Concile est infaillible et que le Pape ne l’est pas ?

Si l’on eût été alors persuadé de l’infaillibilité du Pape, dit notre auteur, on n’eût pas pris tant de peines pour réunir des Conciles, encouru tant de fatigues pour y assister. - On le priera de se souvenir que les Conciles ont eu pour motif de produire avec la plus grande solen­nité possible la manifestation de la foi, afin de confondre plus efficacement les hérétiques, et d’affermir les fidèles en les faisant jouir du sublime spectacle de l’unité de la croyance dans toute l’Église. Ce secours puissant donné à l’orthodoxie est la raison historique des Conciles, et n’altéra jamais en rien la confiance que tous les siècles ont professé à l’égard de Pierre parlant avec infaillibilité par son successeur. Si l’on veut s’obstiner à répéter que les Conciles ont été tenus dans l’intention de suppléer à linfaillibilité qui n’existe pas dans le Pape, resterait à prouver que la question gallicane avait été dès lors soulevée ; mais on n’en viendra jamais à bout. Cette question est moderne; elle est sortie de la scholastique et n’a rien de commun avec l’antiquité.

On ne peut lire sans indignation ce que l’auteur ajoute à la fin de son paragraphe, lorsque, après avoir sacrifié à son système la certitude de la foi durant les trois premiers siècles, rencontrant ensuite sur son chemin les témoignages irrécusables du profond respect des Pères pour les décisions pontificales, il ose dire qu’ils ont exalté pareillement les décrets de certains Conciles particuliers qui cependant étaient faillibles; lorsqu’il ne craint pas d’affirmer qu’il était naturel que les jugements du Siége apostolique fussent accueillis avec une pieuse confiance dans le patriarcat d’Occident, tandis que nous avons les témoignages des Pères de l’Orient aussi formels que ceux des latins sur l’inerrance de la chaire de saint Pierre ; lorsque enfin il a l’audace d’expliquer les termes que les Pères et les Conciles emploient pour exprimer leur foi dans la prérogative du Pontife romain, par l’usage établi alors dans les cours de se servir de compliments empha­tiques à l’égard des dépositaires du pouvoir, jusque là que Théodose II prenant la chose au sérieux, parle de ses divines oreilles dans un de ses édits. En présence de si misérables défaites, le coeur catholique se soulève, et pour ma part, sans connaître l’auteur du pamphlet, je n’hésite pas à dire que sous son style pâteux et son appa­rente modération, on retrouve toute l’audace hypocrite d’un Fébronius et d’un Ricci.

V

Le cinquième paragraphe est dirigé contre le formulaire de saint Hormisdas, dont il est aisé de comprendre que l’auteur est fort gêné. De ce formulaire, Bossuet a dit : «  Quel chrétien oserait le rejeter? » Ce formulaire, Bossuet lui-même le regarde comme le principal monument de la tradition sur l’indéfectibilité de la foi dans le Siége apos­tolique. Croirait-on que notre auteur s’efforce, contre l’évidence du texte, d’en détourner le sens, pour appliquer au mystère de l’Incarnation dont il n’est pas même question à cet endroit, ce qui est dit dans le formulaire, « que l’entière et véritable solidité de la religion chrétienne repose dans le Siége de Rome? » Il est impossible de se jouer du lecteur avec plus de hardiesse ; car enfin tout le monde est à même de vérifier[4]. Triste exemple de la passion qui ne raisonne plus !

C’est ainsi que, dans le même paragraphe, l’auteur vou­lant tirer à son système le formulaire de saint Hormisdas dont le but était de rétablir dans l’Orient la profession de la foi définie au Concile de Calcédoine, s’imagine venir au secours du gallicanisme en rappelant ces paroles du Pape saint Gélase sur les Conciles : « Aucun vrai chrétien n’ignore que lorsqu’il s’agit des décrets d’un Concile revêtu de l’assentiment de l’Église universelle, aucun Siége plus que le premier Siége n’a le devoir de les mettre à exécution ; car c’est ce Siége qui par son autorité confirme chaque Concile, et en demeure le gardien assidu, en vertu de la principauté accordée au bienheureux Pierre de la bouche même du Seigneur, et reconnue à jamais par l’Église qui s’y conforme. » Outre que ce texte de saint Gélase ne peut en aucune façon venir au secours du gallicanisme si compromis par le formulaire de saint Hormisdas, n’est-ce pas une grave maladresse chez l’auteur de s’en venir citer ces paroles d’un Pape du cinquième siècle qui tombent sur lui de tout leur poids? Oui, sans doute, c’est au premier Siége de veiller à l’exécution des Canons d’un Concile oecuménique; mais à quel titre? Parce que, dit saint Gélase, ce Concile d’abord a été confirmé par le premier Siége qui, en vertu de sa principauté, est seul en mesure de le faire observer. Y a-t-il là un mot qui autorise à placer au-dessus du Pape le Concile qui n’est Concile que par la confirmation du Pape? Et n’est-ce pas le cas de rappeler la parole incisive et si profondément vraie de Joseph de Maistre : «  Comme il ne saurait y avoir de Concile oecuménique sans Pape, si l’on veut dire que le Pape et l’épiscopat entier sont au-dessus du Pape ; ou en d’autres termes, que le Pape « seul » ne peut revenir sur un dogme décidé par lui et par les évêques réunis en Concile général, le Pape et le bon sens en demeureront d’accord ? »[5].

VI

Le sixième paragraphe est consacré à l’affaire des trois Chapitres. Il n’est pas long, et l’auteur cherche des argu­ments pour sa thèse dans les variations de Vigile. Tout a été dit sur cette question. On sait que Vigile fut privé de sa liberté durant son séjour forcé à Constantinople, et que ses actes, sous la pression exercée contre lui, ne pou­vaient avoir une valeur véritablement canonique. Le cin­quième Concile, qui ne fut pas oecuménique durant sa tenue, se montra obséquieux outre mesure envers César. Ses décrets furent orthodoxes; mais ils reçurent toute leur autorité de leur confirmation par Vigile dont la doc­trine fut toujours aussi saine qu’invariable, quelles qu’aient été ses tergiversations au sujet des trois Chapi­tres.

La condamnation de ces trois écrits causa dans diverses provinces de l’Église d’Occident des malentendus qui durèrent assez longtemps, et si le Siége apostolique n’y avait mis la plus grande prudence, le cinquième Con­cile eût eu grande peine à être universellement accepté. Il a plu à notre auteur de recueillir certains traits empruntés à cette époque agitée, afin de donner à entendre que le respect pour le Saint-Siège avait souffert chez quelques-uns à l’occasion des controverses qui s’agitèrent alors. C’est bien peu pour contrebalancer cette nuée de témoignages qui s’élèvent de l’Orient et de l’Occident dans tout le cours des siècles en faveur de l’inerrance des Pontifes romains. Est-ce dans la théologie une seule thèse contre laquelle on ne puisse réunir quelques textes qui ont besoin d’être élu­cidés, ou qu’il faut même abandonner en présence de la vraie doctrine. A voir la confiance avec laquelle les adver­saires nous présentent certains textes, on dirait que la théologie leur est étrangère, et qu’ils ignorent le chapitre des objections, sur lequel il faut cependant compter tou­jours dans la discussion des vérités les mieux établies.

VII

Après Vigile, léternel Honorius paraît à son tour, et l’auteur lui fait les honneurs du septième paragraphe. Est-ce à dire que l’on trouve là quelque chose de nouveau? Non assurément. Tous les lieux communs ordi­naires, et rien de plus. Il faut de toute nécessité qu’Hono­rius ait enseigné l’unique volonté et l’unique opération dans le Christ. Il a beau dire et répéter dans sa lettre à Cyrus, que dans l’unique personne du Christ, chacune des deux natures, divine et humaine, opère ce qui lui est propre; il faut de toute nécessité qu’il ait dit le contraire. Dans la lettre à Sergius, Honorius incidente, plus ou moins à propos, pour réfuter ceux qui diraient qu’il pouvait y avoir contradiction dans le Christ, en ce sens que sa volonté humaine eût ressenti l’entorse que nous a laissée le péché d’origine ; il faut qu’en cela encore Ho­norius ait nié l’existence d’une volonté humaine dans le Christ. Comme on le voit, notre auteur n’a rien de nou­veau à dire, et ses assertions ont été cent fois réfutées.

Quant à ce que dit Honorius au sujet de l’emploi des termes, une volonté, une opération, deux volontés, deux opérations, il est vrai qu’il qualifie cet emploi d’ineptum; j’ai montré ailleurs quelle est la valeur de ce mot dans la langue latine, et comment il n’implique pas la réproba­tion d’un terme comme exprimant le faux, mais seulement la superfluité ou une subtilité excessive. Il ne s’agit pas de justifier ici Honorius d’une faute de conduite qui est évidente, surtout après les évènements; il importe seulement de n’être pas injuste envers un Pape, et de ne pas laisser peser sur lui sans raison l’accusation d’avoir en­seigné l’erreur, quand il ne l’a pas enseignée.

L’auteur s’évertue à prouver que les lettres d’Honorius étaient des documents officiels revêtus de l’ex Cathedra. A ce compte, toutes les réponses rendues par les Papes à des consultations seraient autant de définitions. Sans doute, la qualité de chef de l’Église ne quitte jamais le Pape. C’est en raison de cette qualité qu’on le consulte de toutes parts et qu’il répond aux consultations ; mais vouloir transformer toutes ses réponses en décisions so­lennelles, c’est oublier qu’une définition, destinée tou­jours à faire loi dans la croyance, a besoin essentiellement de certaines formes déterminées annonçant l’inten­tion d’obliger tous les fidèles en matière de foi, et en même temps d’une promulgation nécessaire à toute nou­velle intimation légale. Qu’ont de commun avec ces formes essentielles à un jugement doctrinal, les lettres d’Honorius à Sergius et à Cyrus? Puisque nous n’ensei­gnons pas l’infaillibilité du Pape comme docteur privé, c’est temps perdu de s’en venir nous les objecter.

VIII

Le sixième Concile arrive au huitième paragraphe, et l’auteur veut bien nous apprendre que ce Concile condamna Honorius comme hérétique. Jusque-là nous sommes dans l’histoire; mais il faudrait aussi faire en sorte de rester dans la théologie. L’auteur en sort cependant, lorsqu’il vient nous dire que dans cette occasion l’Église universelle, condamna comme hérétique l’infortuné pon­tife ; car enfin le Pape fait partie essentielle de l’Église universelle, et le Pape n’a pas condamné Honorius comme hérétique. Après la mort de saint Agathon, du­rant la vacance du Siége apostolique, le Concile agit avec une remarquable violence contre Honorius, et ne fit aucune difficulté de condamner d’hérésie Honorius, dans le même décret où il anathématisait Sergius, Pyrrhus et les autres.

Enfin le Siége apostolique fut rempli, et saint Léon II, successeur de saint Agathon, vit arriver à Rome les Actes du Concile qui allait se terminer el sollicitait la confirmation romaine. Le nouveau Pontife accorda cette confirmation à la doctrine du Concile ; mais quant au décret, qui enve­loppait Honorius avec les fauteurs du monothélisme, le Pape le réforma, et tout en maintenant la note d’héré­tiques infligée à Sergius, Pyrrhus et les autres, il mit à part Honorius, et le réprouva seulement pour avoir, par sa faiblesse, compromis les intérêts de la foi. Le sixième Concile réside tout entier dans cette lettre confirmatoire de saint Léon II; le reste n’appartient qu’à l’histoire de cette assemblée.

L’auteur s’évertue ensuite à prouver qu’un Pape pourrait tomber dans l’hérésie, et que dans ce cas, il serait justiciable de l’Église. On peut le lui accorder, en lui fai­sant toutefois observer, que ce cas n’est pas celui d’Ho­norius qui n’a point enseigné l’hérésie, et qui n’a point été justicié par l’Église, puisque chacun sait que les décrets d’un Concile n’obtiennent la valeur conciliaire qu’en tant qu’ils sont confirmés par le Pontife romain.

IX

Au neuvième paragraphe l’auteur prend congé d’Hono­rius; mais c’est pour se jeter sur sept ou huit autres Pontifes romains atteints et convaincus par lui d’hérésie sur le ministre du sacrement de l’Ordre. On s’attend à le voir produire de nombreuses décrétales de ces Papes en­seignant à l’Église universelle que les évêques hérétiques ou simoniaques sont impuissants à transmettre le caractère divin à ceux auxquels ils imposent les mains ; mais cette attente est déçue. L’auteur se borne à raconter plusieurs faits de conduite privée, tous contestables, tous en dehors de la question de l’infaillibilité ex Cathedra. Le gallican Tournely les a tous discutés dans son traité de Ordine, et il n’en laisse pas un debout.

Véritablement, l’auteur n’est pas fort, et je lui conseil­lerais volontiers d’étudier un peu le savant Père Morin dans son grand traité sur l’Ordination. La pratique de l’Église est de recevoir les hérétiques et les schismatiques qui font retour à l’unité avec les ordres qu’ils ont reçus, si ces ordres ont été conférés dans les véritables condi­tions sacramentelles; mais il ne serait cependant pas hé­térodoxe de soutenir, avec le Maître des Sentences, que l’Église pourrait opposer un empêchement, l’hérésie par exemple, à la validité de l’ordination, comme elle en a mis, par la réserve de certains cas, à la validité de l’abso­lution, et par les empêchements dirimants, à celle du con­trat et du sacrement de mariage.

Quant à vouloir accuser Paul IV d’avoir prétendu in­firmer tous les sacrements conférés par des prélats qui seraient tombés dans l’hérésie avant leur promotion, on avait lieu d’espérer que cette excentricité échappée au R. P. Gratry serait demeurée à son compte. Notre auteur la fait sienne, et il s’en vient donner pour preuve les paroles de la bulle, où Paul IV déclare nuls omnia et singula per eos (episcopos) dicta, facta, gesta et administrata. Ce mot administrata, nous dit-il avec une certaine bonhom­mie, ne peut guère s’entendre (vix) que de l’administra­tion des sacrements. Donc Paul IV a infirmé et irrité tous les sacrements conférés par ces prélats. Pour toute réponse je le prie de citer un seul document canonique ou liturgique dans lequel le mot administrare ait pour intention de signifier l’administration des sacrements, lorsque le mot sacramentum n’y est pas joint en genre ou en espèce.

X

Après de longs préliminaires dans lesquels il reconnaît l’influence salutaire des Papes dans les choses civiles au moyen âge, l’auteur, dans son dixième paragraphe, arrive péniblement à la bulle Unam sanctam de Boniface VIII. On sait que le système du parti est de ne reculer devant aucun moyen, pas même la félonie, pour arrêter, s’il le peut, la définition de l’infaillibilité. Il a donc rêvé de susciter de la part des gouvernements temporels cer­tains obstacles à la liberté du Concile, donnant à entendre que cette définition aurait pour résultat de soumettre le civil au spirituel, attendu que le Pape déclaré infaillible se mettrait immédiatement à disposer des cou­ronnes à son gré.

II faut avouer que le stratagème, s’il est peu loyal à l’égard d’un chef auquel on a juré obéissance, est pour le moins fort étrange au temps où nous vivons. On conçoit que sous le règne de Louis XIV, où le roi ne tenait sa couronne que de Dieu et de son épée, il pouvait sembler hardi d’enseigner que le Pape aurait le droit d’enlever cette couronne et de la passer à un autre ; mais en ce mo­ment où les gouvernements s’empressent de reconnaître la souveraineté du peuple, on ne voit pas quel ombrage pourrait leur causer un vieillard désarmé qui n’a plus à son service les ressources d’attaque et de défense qu’avaient ses prédécesseurs au moyen âge. Cette dénonciation du Pape aux gouvernements comme un péril pour eux est une mauvaise action.

Elle est en même temps une pitoyable inconséquence. Quel rapport, en effet, y a-t-il entre la définition de l’infaillibilité du Pape et l’intervention de celui-ci dans les choses temporelles? L’auteur constate lui-même que les Papes, dans le passé, ont exercé la suprématie spirituelle sur les États bien des siècles avant la définition de leur infaillibilité doctrinale; il n’y a donc pas de relation nécessaire entre les deux. Il admet sans doute l’infaillibilité des Conciles, il ne voit même l’infaillibilité que dans les Conciles ; si donc c’est pour lui une si funeste erreur de croire à la supériorité du spirituel sur le tem­porel, comment ne voit-il pas que ce sont les Conciles même qu’il compromet, puisqu’il en est plusieurs qui ont agi et décrété dans le même sens que les Pontifes du moyen âge ? Le germanisme nous administre donc encore ici une leçon en faveur de l’identité des contraires.

La bulle Unam sanctam joue naturellement un grand rôle dans tout ceci, et l’auteur se fait disciple de Mgr d’Orléans pour la signaler comme une oeuvre scandaleuse qu’il suffit de montrer du doigt pour soulever d’indigna­tion le spectateur. Entendons-nous cependant, et voyons si nous sommes décidés avant tout à demeurer catholiques. C’est un point fondamental de notre religion que l’Église ne peut admettre l’erreur dans son enseignement ni dans sa pratique ; on se rappelle l’axiome de saint Augustin, nec approbat, nec facit, nec tacet. Or, depuis six siècles la bulle Unam sanctam fait partie du Corps du Droit. Trois Conciles oecuméniques se sont tenus depuis, ils n’ont pas réclamé. De toute nécessité il faut con­clure que l’Église est tombée dans l’erreur, ou que la bulle Unam sanctam n’est pas si scandaleuse qu’on le prétend.

Maintenant, si l’on examine cette bulle en elle-même, on voit que dans sa teneur elle se compose de considérants et d’un dispositif. Tout écolier en théologie sait que la valeur décisive d’un acte définitoire, décret de Concile ou bulle pontificale, réside, non dans les considérants, mais dans le dispositif. Or, l’auteur est obligé de convenir que le dispositif, la définition proprement dite, dans la bulle Unam sanctam, ne contient rien dont un gallican même ait raison de s’effaroucher. Ainsi c’est en pure perte qu’il a voulu faire émeute sur ce terrain.

Il est donc permis de discuter dans l’école la valeur théologique des assertions et des preuves relatées dans les préliminaires dune définition doctrinale ; aussi n’y a-t-on jamais manqué. On doit sans doute le faire avec égards, mais la liberté n’en existe pas moins. Certains théologiens donneront à ces préliminaires une importance doctrinale plus grande que ne le feront d’autres qui croient pouvoir s’en affranchir ; mais chacun sait que l’infaillibilité pro­prement dite ne réside pas là.

Je ne veux pas terminer l’examen de ce paragra­phe sans faire ressortir sur un autre point l’inconsé­quence de l’auteur. On sait que le but qu’il se propose est de persuader que la définition de l’infaillibilité du Pape est impossible, attendu que des Papes ont enseigné l’hérésie. Tout à l’heure ce pauvre Honorius était sur la sellette; maintenant c’est le tour de Boniface VIII. L’auteur accusait Honorius d’avoir enseigné le monothélisme ; le mono­thélisme, il faut en convenir, était bien une hérésie ; mais Boniface VIII, qu’a-t-il enseigné? La supériorité de la puissance spirituelle sur la puissance temporelle. Est-ce une hérésie ? Le sentiment gallican est-il un article de foi ? Jusqu’à présent on avait cru qu’il était simplement toléré. L’autre a pour lui un nombre immense d’auteurs les plus doctes et les plus orthodoxes. Vraiment, on croit rêver en voyant les adversaires de l’infaillibilité avoir recours à de si étranges moyens. Voici leur argumentation : le Pape n’est pas infaillible, car des Papes on enseigné l’hérésie. Preuve. Boniface VIII a soutenu que la puissance séculière était inférieure à la puissance spirituelle ; or cette doctrine est commune dans l’École, acceptée par les plus grands théologiens; la contradictoire n’est que tolérée; donc Boniface VIII a enseigné l’hérésie ; donc le Pape n’est pas infaillible ; donc la définition de l’infaillibilité du Pape est inopportune, impossible, scandaleuse. N’est-ce pas le cas de dire avec le poète : Spectatum admissi, et le reste?

XI

L’auteur revient encore, dans son onzième paragraphe, sur la question des deux puissances et de leur supério­rité relative. Il s’impose de faire un résumé de l’action de l’Église dans l’ordre politique ; mais il faut convenir que ce n’est pas la partie brillante du mémoire, qui d’ailleurs, dans toute sa teneur, n’a guère eu pour inspiratrice que la Musa pedestris, dont parlent les anciens. Les contradictions surtout ne manquent pas. Ainsi, il pense en avoir fini avec le pouvoir indirect de l’Église en rappe­lant le texte : Regnum meum non est de hoc mundo, et plus loin il est obligé, pour sauver en principe le domaine temporel de l’Église sur ses propres biens, de nous dire que de hoc mundo ne signifie pas in hoc mundo. Il donne pour arguments de sa thèse l’abus qui a été fait souvent des droits temporels ; mais s’apercevant que la consé­quence pourrait être favorable au socialisme qui se propose de remédier aux abus de la propriété en la suppri­mant, il cite le mot de sainte Catherine de Sienne qui dit « que les choses de ce monde ne sont mondaines que parce que l’attache désordonnée de notre coeur les rend telles.» Il remarque avec complaisance que tel mode d’influence de l’Église ne s’est exercé qu’après tel nombre de siècles, comme s’il y avait lieu de s’étonner qu’une société destinée à durer, n’apparaisse pas dès ses premiers jours avec tous les développements dont elle porte les germes et que les circonstances feront ressortir.

Je conviens volontiers que l’auteur a raison lorsqu’il nous dit sérieusement que les idées qui avaient cours dans les âges de foi sur les relations de l’Église avec les sociétés ne sont pas réalisables dans notre société du dix-neuvième siècle ; mais je demanderai si c’était une raison pour entas­ser toutes les vulgarités dont ces pages sont remplies, et s’en venir soutenir le pour et le contre, disant d’un côté que l’influence politique de l’Église a rendu d’immenses services, et de l’autre que cette influence était contraire à l’Évangile. Du moins, les gallicans de 1682 étaient plus logiques. Par dévouement à Louis XIV et à ses ministres, ils anathématisaient comme contraire à la parole de Dieu, comme impie et abominable, la doctrine de la prédomi­nance du pouvoir spirituel, et ils s’en tenaient là. Il est vrai qu’après eux sont venus une foule d’auteurs protes­tants et philosophes que l’on a entendus glorifier l’heu­reuse influence de l’Église sur la société civile au Moyen-Âge, et qu’il a bien fallu que, de proche en proche, la lourde et mesquine école du gallicanisme finît par entrer plus ou moins dans cette ordre d’idées; mais quand on la voit remettre sur le tapis ces indignes reproches d’usur­pation qui vont atteindre un saint Grégoire VII, un In­nocent III, et cela pour compromettre la papauté vis-à-vis des pouvoirs d’aujourd’hui, à propos d’une question qui ne touche qu’au spirituel, on ne peut que s’indigner de cette méchanceté lâche et décrépite.

Et pourquoi donc ces hommes osent-ils s’en prendre à la papauté seule, quand il s’agit de l’intervention de la puissance spirituelle dans le temporel? Pourquoi ne conviennent-ils pas que des Conciles ont agi de même? Si l’immixtion des conciles dans de telles affaires n’a pas nui à leur infaillibilité, pourquoi, encore une fois, porterait-elle obstacle à celle du Pape? Un peu d’étude leur eût appris, et un peu de bonne foi les ferait convenir que le principe fondamental d’où sont sorties les prétendues usurpations dont ils se scandalisent, est non pas le domaine personnel du Pape sur le temporel, mais la na­ture même de l’Église comme puissance spirituelle. En poursuivant le Pape, ils n’ont rien fait encore; il leur faut attaquer l’Église même et je le répète, les conciles. Ipsi viderin.

XII

Le douzième paragraphe contient un exposé fort bref des conditions de la république chrétienne. L’auteur convient que le christianisme devrait être la première loi des sociétés ; mais pour être juste, il faut convenir qu’il prend très rondement son parti en face d’une situation toute contraire. Quoiqu’il en soit, il arrive à supposer que le Concile est à la veille de rendre une définition en faveur du domaine temporel du Pape sur toutes les souverai­netés, et il trouve avec raison qu’une telle définition man­querait au moins d’opportunité. Je ne crois pas que personne lui conteste cette conclusion ; mais on se demande si de pareilles inquiétudes sont sérieuses.

Allons au fond. C’est au Syllabus que l’on en veut, on ne trouvera cependant pas dans le Syllabus que le Pape doive exercer le domaine temporel sur les États ; mais le libéralisme y est attaqué, le libéralisme qui refuse à l’Église la nature et les conditions de société. Cette vérité de foi, que l’Église est une société parfaite, déplaît aux uns, embarrasse les autres, et voilà la cause de tout le bruit. Le gallicanisme qui n’a jamais été franc sur cet article, le gallicanisme qui admet le principe libéral dans l’Église (à l’égard du Pape toutefois, mais non à l’égard des évêques), se trouve gêné, et il fait bon marché de l’Église comme société. Afin d’embrouiller la question, et d’arrêter la condamnation des erreurs signalées dans le Syllabus, il s’en vient nous parler de la bulle Unam sanctam qui est hors la question, il cherche à susciter des inquiétudes dans les régions de la politique ; mais la « Vérité du « Seigneur demeure éternellement, » et rien n’arrête son cours, pas même la trahison.

XIII

L’auteur, dans son treizième paragraphe, accomplit une excursion inattendue, dans laquelle il est cependant à propos de le suivre. C’est d’abord un pèlerinage inoffen­sif vers les églises fondées par les apôtres, et il en signale l’origine glorieuse. Se propose-t-il de nous faire accepter la foi enseignée actuellement dans ces églises? Non ; il convient qu’elles sont successivement tombées dans l’er­reur, et que l’Église de Rome est aujourd’hui la seule qui puisse revendiquer le beau titre d’Église apostolique.

Mais ce à quoi on ne s’attend pas, en continuant à le sui­vre dans sa marche, c’est à cette remarque que je transcris. De ce que l’Église de Rome, nous dit-il, a fini par rester l’unique église apostolique, est résulté insensiblement chez les catholiques le préjugé qu’une Église si vénérable ne pourrait enseigner l’erreur. «Cela, ajoute-t-il, a beaucoup contribué, multum hoc contribuit, à implanter la croyance à l’infaillibilité du Pape.» On commence à découvrir le but de l’auteur : mais avant de le laisser aller plus loin, il serait peut-être bon de lui faire observer, chemin faisant, que déjà au deuxième siècle, lorsque les églises apostoliques gardaient toutes encore la foi primi­tive, saint Irénée proclamait l’infaillibilité des évêques de Rome.

Mais avançons. L’auteur, après avoir fait ressortir l’im­portance du patriarcat d’Occident, en un mot de l’Église latine, sous le rapport de l’orthodoxie, arrive à saint Thomas qu’il avait en vue dans ce paragraphe. Or, saint Thomas, il l’avoue, lui est incommode. Le docteur angéli­que ne s’est-ce pas avisé de dire dans sa Somme que c’est au Pape de dresser le symbole de la foi? Impossible de laisser passer impunément une assertion si scandaleuse. Il faut donc que le saint docteur essuye la diatribe accou­tumée. A la suite des docteurs Döllinger, Gratry, etc., notre auteur lui signifie que décidément il na vécu que de textes apocryphes, et qu’il a fait par là le plus grand tort à ses thèses.

Comme il a été répondu déjà à ce reproche inique, je ne m’étendrai pas à le réfuter. Pour ma part, j’ai dit ailleurs que saint Thomas n’ayant pas eu à sa disposition nos éditions et nos bibliothèques, est très excusable d’avoir cité quelquefois des textes apocryphes; mais en même temps que c’est une insigne fausseté de prétendre que ses arguments reposent seulement sur des autorités contestables. J’en appelle, pour la seconde fois, à l’Article de la Somme auquel l’auteur fait allusion. Les passages de l’Écriture et les autorités sur lesquelles s’appuie saint Thomas en cet endroit sont parfaitement authentiques.

En outre, je prierai l’auteur de vouloir bien me permettre de lui dire que l’infaillibilité du Pape et son droit de rédiger le symbole de la foi, ne reposent pas seulement sur l’autorité des scholastiques, mais bien sur le témoignage de toute l’antiquité. En ce point, les Pères grecs sont d’accord avec les Pères latins ; mais ce n’est pas le moment d’y revenir. Le dernier symbole de la foi dans l’ordre des temps est la Profession de foi de Pie IV, et il semble que Pie IV qui l’a dressé était un Pape. Les décisions doctrinales des Pontifes romains, jusqu’à celle de l’Immaculée Conception par Pie IX, sont les éléments du symbole de la foi, et l’autorité qui les promulgue dans son infaillibilité, est parfaitement libre d’en dresser le symbole.

L’auteur pour donner un peu plus de corps à son ac­cusation contre saint Thomas ose lui faire dire qu’il ap­partient au Pape seul de rédiger le Symbole, et il reven­dique gravement le droit du Concile oecuménique en cette matière. C’est une indigne falsification du texte de la Somme. Saint Thomas n’a pas dit que le droit de formu­ler le Symbole appartient au Pape seul, mais bien que ce droit lui compète ; en la même manière que l’on ensei­gne que le Pape est infaillible, sans préjudice de l’infail­libilité dont jouit le Concile, à la condition qu’il sera confirmé par le Pape.

Le paragraphe se termine par une assertion relative à l’Exposition de la foi catholique par Bossuet, ce livre si doctement et si habilement rédigé, dans le but de dissiper les préjugés des protestants. Nous avons déjà répondu à ce médiocre argument. Je n’ajouterai qu’un mot; ce sera pour demander à l’auteur si Pie IX et l’Église catho­lique ont pu légitimement admettre et professer comme dogme catholique l’Immaculée Conception, tandis qu’il est évident que Bossuet n’a pas admis ce dogme dans son Exposition de la foi? Ainsi, il est entendu que nos adversaires non seulement ne veulent pas que le Pontife romain rédige le symbole de la foi ; mais en revanche, ils accordent à l’Évêque de Meaux le droit de l’avoir rédigé définitivement en 1676, en sorte que l’Église catholique réunie en Concile oecuménique n’y pourra plus rien ajouter.

XIV

Après avoir altéré le texte de saint Thomas, l’auteur se propose, dans son quatorzième paragraphe, d’anéantir la profession de foi des grecs reçue dans le deuxième Concile de Lyon, et revêtue de son autorité. Tout le monde sait que ce Concile fut rassemblé et présidé par le B. Grégoire X, principalement dans le but d’y opérer la réunion de l’Église grecque à l’Église latine. Il y avait présents cinq cents évêques et soixante-dix abbés. On y lut la profession de foi de l’empereur Michel Paléologue, présentée au Concile dans le nom de ce prince et de l’Église grecque, par Germain, ancien patriarche de Constantinople, Georges Acropolite, grand Logothète, Théophane, métropolitain de Nicée, et deux des principaux officiers de la cour impériale. Le Concile reçut avec unanimité celte profession de foi, dans laquelle il reconnut les conditions de la plus pure croyance, et l’hymne d’actions de grâces entonné par le Pape fut continué avec transport par le Concile tout entier.

Cette formule de foi devait naturellement être reconnue dans toute l’Église comme un document irréfragable, puisque c’est sur elle qu’était appuyée l’admission des grecs à la communion catholique par le Concile. Il est vrai qu’on y lit, comme dans la Somme de saint Thomas, que les controverses sur la foi doivent être décidé par le Pontife romain, et que son infaillibilité est la conséquence directe de cette proposition. Notre auteur n’en voudrait pas convenir, et pour s’en excuser, il prétend que l’Église n’a pas donné son consentement exprès à cette confession de foi. Avouons qu’il faut avoir du courage pour oser dire de pareilles choses. L’Église catholique est rassemblée en Concile oecuménique pour opérer la ren­trée de l’Église grecque dans l’unité catholique. Cette rentrée ne peut avoir lieu que sur l’acceptation d’une confession de foi présentée par les grecs et agréée par le Concile. Cette confession de foi est présentée, le Concile l’agrée, l’union se consomme, et l’auteur ose nous dire que l’Église n’a pas donné son consentement exprès à la formule ! Pourquoi? Parce que cette formule contient des choses qui, malheureusement pour l’auteur, ne vont pas à son idée. La question n’est pas là, j’imagine. Il s’agit de savoir si, dans son opération principale, la réu­nion des grecs, le Concile a agi avec intelligence et pro­bité; mais le gallicanisme, n’y regarde pas de si près. Lorsqu’un Concile lui semble pouvoir être exploré dans un sens défavorable au Pape, par exemple, s’il s’agit d’Ho­norius, il n’a jamais une trop grande autorité ; mais si ses actes sont dans le sens de la prérogative romaine, on le passe sous silence ou on l’interprète contre toute évi­dence. Quelqu’un d’impartial dirait, en lisant la formule en question, qu’elle n’offre rien de surprenant, puisqu’elle ne dit au sujet du Pape que ce que tout le monde en pen­sait alors, que ce que saint Thomas et saint Bonaventure en avaient enseigné, enfin ce que l’école de Paris en enseignait elle-même.

On ne peut non plus laisser dire à l’auteur que Jean Veccus, prélat orthodoxe qui fut placé sur le siége de Constantinople immédiatement après le Concile, en remplacement de Joseph, ennemi de l’union, n’aurait pas été favorable à la formule acceptée par le Concile de Lyon. Il est aisé de comprendre que cette formule ne pouvait être du goût de ceux des grecs qui ne voyaient pas l’union avec faveur ; mais il faut bien que l’auteur convienne de l’évidence des faits. Il ne tient qu’à lui d’ou­vrir la collection des Conciles. Il y pourra lire, comme tout le monde, la lettre que le patriarche Jean Veccus adresse au Pape au nom du Concile qu’il vient de pré­sider à Constantinople. Il y verra comment ce courageux prélat, ainsi que ses évêques, accepte et reproduit la formule de Lyon, sans oublier la clause : si quae de fide subortae fuerint quaestiones, suo debent judicio definiri. Quel est donc cet intérêt qui entraîne à falsifier l’histoire?

Et n’est-ce pas une indigne chicane de prétendre, comme le fait l’auteur, que si la formule de Lyon eût été valable, Eugène IV eût dû l’imposer aux grecs à Florence, au lieu d’en faire souscrire une autre ? Ces deux formules seraient-elles donc par hasard en contradiction? Dire que les questions sur la foi doivent être décidées par le Pape, ou dire, comme à Florence, que le Pape est le Docteur de tous les chrétiens, nest-ce pas au fond dire une même chose ? Ne faut-il pas être infaillible aussi bien pour être le Docteur de tous les chrétiens que pour décider les questions de la foi ?

XV

Dans son quinzième paragraphe, l’auteur revient sur les idées qu’il a émises au commencement, relativement à l’adhésion que les fidèles doivent aux jugements doctri­naux du Siége apostolique. Il trouve que cette adhésion est louable, désirable, fondée sur la solidité de l’enseignement des Pontifes romains, enseignement auquel la chute d’Honorius n’a enlevé que momentanément la pureté qui fait ordinairement son caractère. Cette adhésion pieuse suffit, nous dit-ce, au maintien de l’orthodoxie dans les pays catholiques, mais là où se trouve le mélange des protestants, il faut le Concile. Quand le Pape a parlé, les catholiques disent «  Il ne s’est pas trompé ».  Quand il décrète étant uni au corps épiscopal, ils doivent dire : «  l’erreur n’est pas possible. » Voilà pourquoi, ajoute-t-il, le Concile remue tout autrement les peuples que ne le ferait une bulle doctrinale du Pontife romain; les protestants eux-mêmes ont été émus à l’annonce du Concile du Vatican.

Comme on le voit, l’auteur n’est pas difficile sur l’article de la foi. Pour peu que l’accord se fasse, il est con­tent. Rome a parlé ; la cause n’est pas finie ; mais l’Église peut marcher. Si plus tard un Concile oecuménique condamne la décision pontificale, on en sera quitte pour abjurer ce que l’on avait cru tranquillement sur la déci­sion apostolique ; ainsi se concilie l’obéissance au Saint-Siége avec le principe de l’infaillibilité qui ne réside que dans l’accord des évêques avec le Pape. Après tout, les Honorius sont très rares, et en suivant les décisions papales, on a la chance d’être presque toujours assuré d’être dans la vérité.

Telle est la station qu’a choisie le gallicanisme dans le Mémoire que nous examinons. Un tel système, s’il était acceptable, donnerait à conclure, comme il a été remar­qué ci-dessus, que la certitude de la foi n’est pas tellement nécessaire à l’Église qu’elle ne puisse s’en passer durant des siècles, qu’elle ne puisse même se trouver envahie par l’erreur, attendu que d’une part les fidèles sont tenus de recevoir avec soumission les enseignements de Rome, et que de l’autre ces enseignements peuvent plus tard être réformés. Cette conclusion, qui résulte avec évidence du système, n’est ni plus ni moins que le ren­versement de l’Église, avec laquelle le Christ, qui est la Vérité [6], a promis d’être tous les jours, de l’Église qui est essentiellement « la colonne et l’appui de la Vérité [7]. »

Si donc la nécessité d’une définition sur l’infaillibilité pontificale s’est jamais révélée, on peut dire assurément que cest au moment présent, où forcé dans ses retranche­ments, le gallicanisme offre une capitulation qui renferme la renonciation à cette Église sans tache ni ride[8] (3) que Jésus-Christ a fondée, qu’il s’est donnée pour Épouse, et dont il a daigné faire notre mère commune. On convient maintenant que cette Église est tenue de suivre les ensei­gnements du Pontife romain ; que le saint Concile se hâte donc de proclamer inaccessible à l’erreur ces enseignements dont doivent vivre nos esprits et nos coeurs !

XVI

Il est assez difficile d’analyser le seizième et dernier paragraphe. La manière de l’auteur généralement n’est pas serrée ; mais là, il est plus vague encore que partout ailleurs. Il semble cependant que son intention est de donner à entendre que la vérité catholique étant dans un état de clarté suffisante, les nouvelles définitions sont superflues. Il en donne pour preuve la conformité du jansénisme avec le calvinisme, en sorte que, selon lui, il aurait été inutile de condamner le premier, parce que le second l’avait été par le Concile de Trente.

A cela, il y a deux choses à répondre. Premièrement, nous avons vu l’Église, au sixième Concile, condamner le monothélisme ; cependant le monothélisme n’était qu’une conséquence du monophysisme condamné au qua­trième Concile. L’auteur trouve-t-il que le Concile a eu tort ? Si cela était, il siérait assez de ne plus tant parler d’Honorius. En second lieu, je me permettrai de lui faire observer que le Concile de Lyon enseignant que les con­troverses sur la foi doivent être définies par le Pontife romain, et le Concile de Florence, que le Pontife romain est le Docteur de tous les Chrétiens, la conséquence logique est que le Pape doit être infaillible dans son enseignement. Mais de même que les monothélites ne voulaient pas voir que la doctrine des deux volontés est contenue dans la doctrine des deux natures, et qu’il fallut une décision expresse pour dégager la foi de l’Église ; ainsi est-il besoin aujourd’hui d’une définition pour cer­tifier aux yeux de ceux qui ne la voient pas l’identité de la doctrine des Conciles de Lyon et de Florence avec la doctrine de l’infaillibilité du Pontife romain. Une défini­tion qui éclaircira la question et fixera les esprits flottants, ne saurait être qu’un bien, et la charité de l’Église, dis­pensatrice de la vérité, se montrera au Concile du Vatican, comme elle se manifesta au sixième Concile.

L’auteur parle ensuite de « certains catholiques de « notre temps qui s’élèvent contre l’Église et se précipitent dans des erreurs qui vont à détruire jusqu’au fondement de la foi divine. »  II me semble que des catholiques de cette espèce ne méritent guère le nom que l’au­teur continue de leur donner. On comprend moins encore ce qu’il ajoute, «que ces prétendus catholiques ne font pas courir un grand péril au peuple chrétien.» La conséquence est sans doute que l’Église pourrait se dispenser de défi­nir contre leurs erreurs ; et en effet, on se souvient des difficultés qui se sont élevées dans le Concile, de la part de quelques-uns qui trouvaient inutile que l’on condamnât les erreurs contre lesquelles sont dirigées les anathèmes que renferment les premiers décrets de fide qui viennent d’être publiés dans le Concile.

La conclusion des Observationes est digne de remar­que. S’il s’élève dans un pays des erreurs manifestes, que l’évêque les condamne. Le Concile provincial pourra aussi s’en occuper. Ceux qui se croiront lésés seront à même de recourir au Saint-Siége, s’il s’agit de causes majeures. Le Pape jugeant qu’il est besoin d’une plus solennelle définition, s’il n’est pas à propos de convo­quer le Concile oecuménique, adressera des lettres aux évêques, en leur prescrivant de lui envoyer leur avis par écrit ; ce qui demandera peu de temps, vu la rapidité des communications. Par ce moyen, la doctrine du consentement des Églises, qui est le criterium de la vérité catholique, sera conservée intacte, sans aucun détriment du pouvoir pontifical.

On croit rêver en lisant ce projet de constitution à l’u­sage de l’Église. L’auteur est de ceux qui désirent que l’Église fasse aussi son 89; mais il y a toujours cette dif­férence que le 89 de France était au profit de la démo­cratie, au lieu que ce dernier est un mouvement simplement aristocratique. Pour qu’il eût chance de succès il faudrait :

1° Que les questions sur la foi fussent rayées du nom­bre des causes majeures; car on sait que les causes ma­jeures sont du ressort immédiat et exclusif du Siége apos­tolique ;

Que l’on effaçât de l’Évangile le verset 32 du chapitre XXII° de saint Luc, où Jésus-Christ donne à saint Pierre, avec l’indéfectibilité de la foi, la charge de con­firmer ses frères;

Que l’on ordonnât la révision des définitions apos­toliques qui n’ont pas été rendues avec l’accord préalable des évêques. Saint Augustin pensait que, sans cela, la cause était finie : il parait qu’elle ne l’est plus. Cela ne laissera pas d’être une assez forte besogne, que de réviser dix-huit siècles de définitions papales, de saint Clément 1er à Pie IX;

Que l’on déclarât non avenus tous les témoignages de la tradition qui nous enseignent que Pierre vît et parle dans son successeur, en lequel il exerce les préro­gatives que l’Évangile rapporte lui avoir été conférées par Jésus-Christ, pour durer aussi longtemps que l’Église;

5° Enfin, que l’on déclarât abrogées les confessions de foi sur l’autorité papale acceptées par les Conciles oecu­méniques de Lyon et de Florence, et souscrites par les Grecs, comme condition de leur réunion à l’Église catho­lique.

Comme il est hors de doute que ces diverses clauses à accepter, pourraient présenter des difficultés insurmon­tables, je conseillerais volontiers à l’auteur de faire le sacri­fice de ses seize paragraphes, et de s’unir à la majorité du Concile qui prépare en ce moment la définition solennelle de l’infaillibilité du Pape. Il y gagnera du côté de l’ortho­doxie, en même temps que, par une définition si néces­saire, l’Église sera désormais affranchie de l’ennui d’entendre formuler jusque dans son sein des théories, qui latteignent dans l’honneur et lintégrité de sa foi, et semblent accuser son divin fondateur de n’avoir pas pris les moyens efficaces de conserver et de protéger en elle la vérité dont il l’a établie dépositaire jusqu’à ce qu’il vienne.[9]



[1] Voici quelques échantillons extraits de la première page « Res, quam aggredimur severa est et magnais patet sequelis. Desi­derabatur ut ab ea ventilanda abstineretur : nec injustis ex caussis, praesertim in febricitante nostri temporis emotione... Quocirca exor­dium ab eo faciendum est, ut de quonam agatur recte determinetur. » Ce gallicisme s’étend à, toutes les pages, et rappelle un peu trop le fameux discooperuit Americam.

[2] Note de Virgo-Maria : Ce qui est le cas de Vatican II, ce qui n’est donc pas possible et par conséquent, ce concile n’était plus catholique, sinon etc…

[3] Note de Virgo-Maria : Comme les évêques en communion avec le pape (pas nécessairement tous) réunis dans un concile œcuménique, et qui  acceptent avec le pape un texte, ce texte ne peut contenir d’erreur, puisqu’il aurait alors la note d’infaillibilité, ce qui n’est pas le cas de Vatican II : par conséquent , la note d’infaillibilité provenant du Pape, les papes de Vatican II n’en étaient pas : ce sont bien des usurpateurs.

[4] Voir dans la Monarchie pontificate le passage de Bossuet, auquel on en a ajouté un autre de Fénelon dans la deuxième et la troisième édition.

[5] Du Pape. Livre I, chap. lu.

[6] I. Johan. v. 6

[7] I. Tira. III. 15.

[8] Ephes, v. 27.

[9] I. Cor. IV, 5.