DUBIA

sur la DÉCLARATION CONCILIAIRE SUR LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

présentés à la s.c.r. pour la doctrine de la foi par

S. Exc. Mgr Marcel LEFEBVRE

Archevêque-Evêque Émérite de Tulle

Fondateur de la Fraternité Sacerdotal Saint Pie X

TABLES

PRÉFACE de Monseigneur Lefebvre

Introduction

Première partie. Doctrine traditionnelle sur la liberté religieuse

A. Première section. La liberté “in genere“,

I. La liberté

II. La loi

III. La conscience

IV. Conscience et contrainte en général

V. Les droits fondamentaux de la personne, leurs limites

VI. Droit négatif à l'erreur ou au mal ? Droit à la tolérance ?

B. Deuxième section : la liberté religieuse

VIl. La dignité de la personne humaine

VIII. La liberté religieuse condamnée par les papes du XIXe siècle

lX. La dignité de la personne humaine, fondement de la liberté religieuse?

X. Liberté de recherche, fondement de la liberté religieuse ?

XI. La liberté religieuse, droit fondamental de la personne humaine ?

XII. La contrainte en matière religieuse dans l'histoire biblique

XIII. La liberté religieuse, droit à l'exemption de toute contrainte en matière religieuse

XIV. Bien commun temporel, religion catholique et autres religions

XV. Fonction ministérielle de l'Etat à l'égard de la vraie religion

XVI. Relations entre l'Église et l'Etat

XVII. La tolérance religieuse

XVIII. Les limites de la liberté religieuse

Deuxième partie : Dubia

XIX. Dignité de la personne humaine ?

XX. A dignité ontologique, liberté d'action ? (Dubia 1 - 3)

XXI. Droit subjectif ou droit objectif ? (Dubia 4)

XXII. Recherche sans contrainte ? (Dubia 5 – 6)

XXIII. Dialogue ou prédication ? (Dubia 7)

XXIV. Vraies ou fausses religions ? (Dubia 8 - 11)

XXV. "Droits" des religions erronées ? (Dubia 12 - 13)

XXVI. Droit ou tolérance ? (Dubia 14 - 16)

XXVII. Non intervention de l'Etat en faveur de la vraie foi ? (Dubia 17)

XXVIII. Eglise et État - L'Eglise libre dans l'Etat libre ? (Dubia 18 - 20)

XXIX. Non reconnaissance des principes de la vraie religion, état "normal" ? (Dubia 21 – 22)

XXX. Liberté de tous les cultes, régime le meilleur ? (Dubia 23 - 25)

XXXI. Un ordre juridique indépendant de la vérité religieuse ? (Dubia 26 - 28)

XXXII.  La liberté religieuse : quelles "justes limites" ? (Dubia 29 – 31)

XXXIII. Exemption de toute contrainte de la part de quelque pouvoir humain que ce soit, en matière religieuse ? (Dubia 32 - 34)

XXXIV. Dignitatis Humanæ, ou Quanta Cura ? (Dubia 35-39)

ANNEXES

Annexe I. Le magistère et l'indifférentisme religieux de l'individu

Annexe Il. Politique du Saint Siège auprès des États catholiques, en application de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse

Hymne des Vêpres de la fête de Notre-Seigneur Jésus-Christ Roi

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Présentation de cette édition des "dubia",

ou des objections contre la conception de la liberté religieuse du Concile Vatican Il.

A l'occasion de la publication de ces objections, il n'est pas inutile de rappeler que le document sur la liberté religieuse fut le plus discuté au Concile. Déjà dans la Commission centrale préparatoire, il avait fait l'objet d'une opposition dramatique entre le Cardinal Ottaviani et le Cardinal Béa, et avait divisé profondément les membres de cette importante commission.

Cette doctrine nouvelle et libérale de la liberté religieuse a été l'objectif principal du Concile pour beaucoup d'experts tels que le Père Congar, le Père Courtney Murray, le Père Leclerc et bien d'autres soutenus par les membres du secrétariat pour l'unité des chrétiens, qui fit de cette conception de la liberté religieuse sa charte fondamentale. Le Cardinal Béa, Mgr Willebrands, Mgr de Smedt furent les grands défenseurs de cette thèse, soutenus par l'Épiscopat américain, et encouragés par les organismes anticatholiques, comme les B'nai-B'rith de New-York, groupe franc-maçonnique juif et le Conseil œcuménique des Églises de Genève.

Pour tous ces partisans de la thèse libérale, le Concile se jouait sur ce sujet fondamental qui orienterait toute l'activité de l'Eglise d'une manière conforme à l'esprit moderne, de liberté, de neutralité des sociétés civiles, de pluralisme, de dialogue, d'œcuménisme : orientation nouvelle, contraire au passé de l'Eglise, ayant des conséquences incalculables de désorientation des esprits et d'anarchie dans tous les domaines.

Voici les paroles du Père John Courtney Murray, l'un des promoteurs les plus efficaces du texte de la liberté religieuse : "la question de la liberté religieuse est du plus haut intérêt pour moi, à la fois en tant que théologien et en tant qu'américain, C'est pour ainsi dire LE problème américain du Concile".

Et l'on peut affirmer que pour les nord-américains, c'était aussi LE problème du Concile.

A cet assaut en faveur de l'état libéral, agnostique, et de la liberté religieuse due à la dignité de la personne humaine, s'opposèrent courageusement un nombre important de Pères du Concile, à la suite des Cardinaux Ottaviani, Browne et Ruffini, ce qui contraignit le Pape Paul VI à insérer quelques incises favorables à la thèse de la tradition en faveur de l'obligation de se soumettre à la Vérité et à la Foi.

Le texte devenait contradictoire, mais les principes libéraux étant inscrits et admis, ce sont eux qui deviendront la Pentecôte du Concile, avec toutes leurs néfastes conséquences que nous constatons depuis vingt ans.

Dieu ne change pas, la Vérité non plus. Ce que l'Église a défini ou condamné solennellement pendant des siècles, ne peut changer. C'est pourquoi nous rejetons absolument cette doctrine nouvelle qui exige une société civile agnostique et une liberté qui est une licence de la personne humaine en matière religieuse et qui ne peut faire que l'objet d'une tolérance de la part des autorités et non d'un droit naturel.

Étant donné notre refus absolu de cette nouvelle doctrine opposée à l'enseignement officiel de l'Église, le Cardinal J Ratzinger nous a engagé a présenter officiellement nos objections ; c'est ce que nous avons fait par cette rédaction des "dubia".

C'est un document fondamental sur cette question de vie ou de mort pour l'Eglise.

Les réponses de Rome feront l'objet d'une autre édition. Dès à présent, ce problème fait l'objet de nombreux travaux dans les Épiscopats, dans les revues ; il est vraiment à l'ordre du jour.

Que Dieu fasse que la Vérité retrouve ses droits et Notre-Seigneur sa couronne royale pour l'honneur de l'Eglise et le salut des âmes.

Ecône, le 22 mai 1987

Monseigneur Marcel Lefebvre.

INTRODUCTION

La déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, Dignitatis Humanæ, est-elle conciliable avec la doctrine traditionnelle de l'Église ?

La question peut paraître scandaleuse, voire absurde, puisque Vatican Il doit être par principe l'écho vivant, la voix actuelle de cette tradition scripturaire, patristique, magistérielle de l'Eglise.

Mais Vatican Il a aussi voulu être l'écho des "signes des temps" (GS. 4, §1), qui sont pour l'Eglise autant d'«impulsions de I'Esprit» (sous-titre de GS. 11) à assimiler des éléments extrinsèques à la tradition divine : "le problème des années soixante était d'acquérir les meilleures valeurs exprimées de deux siècles de culture "libérale". Ce sont en fait des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l'Église, peuvent trouver leur place - épurées et corrigées - dans sa vision du monde. C'est ce qui a été fait". (Cardinal Joseph Ratzinger, "Pourquoi la foi est en crise", entretien avec Vittorio Messori, mensuel "Jésus", novembre 1984, p. 72)

L'équilibre entre la tradition divine et ces valeurs, telles que : prise de conscience de la liberté d'action, de la dignité de la personne humaine, des valeurs salvatrices des autres religions, de la valeur d'une cité pluraliste, de l'émancipation de l'ordre juridique vis-à-vis du domaine spirituel, etc., n'a pas pu encore être trouvé, avoue le Cardinal.

Ces valeurs seraient-elles donc finalement incompatibles avec la vision catholique de la personne et de la cité ? La question est permise, vingt ans après la promulgation, le 7 décembre 1965, de la déclaration sur la liberté religieuse.

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Pour répondre à notre première question, nous nous placerons résolument au plan des vérités immuables de la révélation et du magistère constant de l'Eglise, et des principes également immuables de l'ordre naturel.

En premier lieu, au plan de la révélation, qui est en l'occurrence le plan de la société humaine, brille d'un vif éclat le dogme de la royauté sociale de Jésus-Christ et de la primauté de l'Eglise, à partir duquel les grands docteurs et la théologie scolastique, précisés par les papes du XIXe siècle, ont élaboré un corps de doctrine aussi immuable que les principes révélés dont ils sont logiquement déduits : ce corps de doctrine est connu sous les noms d'union des deux puissances, temporelle et spirituelle et de subordination indirecte du temporel au spirituel.

En conséquence, la "cura religionis" de l'Etat, c'est-à-dire son devoir de reconnaître et de favoriser la vraie religion et ses membres, découle à la fois de la fin propre de l'Etat qui est le bien commun temporel de la société civile, et de sa fonction "ministérielle" à l'égard du spirituel.

Par conséquent l'indifférentisme de l'Etat et de l'ordre juridique de la société civile est une erreur contre la foi, qui a été condamnée comme telle avec une constance remarquable par les papes.

En second lieu, au plan de l'ordre naturel, qui est en la matière celui de l'individu, domine le principe (rappelé par la révélation): "veritas liberabit vos", ”la vérité vous rendra libres". La conséquence nécessaire en est que la liberté, que ce soit la liberté morale ou la liberté d'action, ne peut avoir d'autre fondement que la vérité. C'est encore ce que les papes, Léon XIII et Pie XII en particulier, ont enseigné.

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Ces vérités immuables, un certain libéralisme évolutionniste a tenté de les éclipser en bâtissant une théologie de l'évolution historique de la doctrine, fondée sur un relativisme historique de cette doctrine. Selon cette théorie, on peut toujours assigner à un enseignement de l'Eglise, particulièrement à sa doctrine politique, un conditionnement historique essentiel, dû à l'époque où cette doctrine a été élaborée et dispensée.

La conséquence en est que, un "ciel historique" nouveau succédant à un autre, la doctrine de l'Eglise est condamnée à changer pour se fonder sur des bases nouvelles. C'est ainsi que la liberté religieuse condamnée par les Papes du XIXe siècle à cause de ses prémisses du libéralisme absolu et du rationalisme, devrait être maintenant réhabilitée au nom de la "dignité humaine". C'est ainsi également que les rapports entre le temporel et le spirituel doivent être révisés, à une époque où la monarchie de type "sacral" du Moyen-Age et du temps de la Réforme, a fait place à "l'Etat démocratique et social" contemporain.

Mais, outre que la condamnation de la liberté religieuse au XIXe siècle fut motivée par son opposition intrinsèque à la doctrine immuable dont nous avons parlé, l'allégation d'un "changement de fondement" pour justifier un changement de doctrine tombe à plein sous la condamnation de Pie XII : “à cela s'ajoute un faux historicisme qui, s'attachant aux seuls événements de la vie humaine, renverse les fondements de toute vérité et de toute loi absolue en ce qui concerne tant la philosophie que les dogmes chrétiens eux-mêmes". (Humani Generis, 12 août 1950).

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Il convenait, pour asseoir la portée de nos dubia, d'analyser de plus près les "fondements" divers que Dignitatis Humanæ a donnés à la liberté religieuse.

Nous avons été amené à dévoiler nombre d'équivoques et de confusions, telles que: confusion entre la dignité ontologique de la personne humaine et sa dignité opérative (ch. VII) ; passage indu des "droits subjectifs" de la personne à des "droits objectifs" (ch. V) ; hiatus posé entre les "droits affirmatifs" et les "droits négatifs" de la personne (ch. VI) ; la fausse symétrie introduite entre la faculté de ne pas être obligé et celle de ne pas être empêché d'agir contre sa conscience en matière religieuse (ch. XII), etc., etc.

Il conviendrait aussi de mettre en valeur, plus que nous l'avons fait, la contradiction qui nous semble exprimée par Dignitatis Humanæ, entre l'affirmation que la personne est essentiellement reliée à Dieu et à Sa loi (et passible par conséquent des contraintes divines), et l'affirmation de "I'immunité de la personne humaine" vis-à-vis de toute contrainte de la part de quelque pouvoir humain que ce soit (ch. XXXIII) ; la loi divine et ses contraintes ne doit-elle pas être appliquée et précisée par les lois humaines ?

Enfin, nous nous sommes efforcé de montrer “ostensive" l'identité formelle qui nous semble exister point par point entre trois propositions de Dignitatis Humanæ et trois propositions parallèles condamnées par l'Encyclique de Pie IX. Si, comme nous avons cherché à l'expliquer, la condamnation portée par Quanta Cura sur les trois énoncés en question est infaillible (ch. XXXIV), il s'ensuit des questions bien angoissantes auxquelles l'Eglise devra répondre.

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Le recueil des dubia est précédé d'une analyse systématique de la doctrine traditionnelle de l'Eglise sur la liberté religieuse, qui forme la première partie de notre étude.

Cette première partie est subdivisée en deux sections : une section philosophique (la liberté “in genere") et une section théologique (la liberté religieuse proprement dite). Il était en effet nécessaire que nous exposions d'abord les principes philosophiques, puis théologiques, doctrinaux et dogmatiques qui sont la raison même de nos interrogations sur Dignitatis Humanæ.

Les dubia forment la deuxième partie. Ils reprennent, de manière ordonnée, les thèmes abordés dans la première partie en posant les questions que suscitent de nombreux passages du texte conciliaire.

PREMIÈRE PARTIE : DOCTRINE TRADITIONNELLE SUR LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

A. PREMIÈRE SECTION LA LIBERTÉ “IN GENERE

Ch. I . La liberté

La liberté humaine s'entend en trois sens :

- La liberté psychologique, ou libre-arbitre : c'est la faculté d'agir selon ses propres déterminations volontaires, sans être déterminé "ad unum" : vers tel bien particulier plutôt que vers tel autre.

- La liberté morale : c'est la faculté de se mouvoir dans le bien.

- La liberté d'action ou liberté vis-à-vis de la coaction : c'est la faculté d'agir sans être contraint à agir contre sa conscience ou être empêché d'agir selon sa conscience.

§. 1. La liberté psychologique ou libre-arbitre.

Elle est un fait de nature : elle appartient, de par sa nature raisonnable, à tout homme doué de l'usage de sa raison.

§. 2. La liberté morale.

Elle a pour domaine unique le bien. Hors de ce domaine, elle se corrompt et devient licence. Seuls le vrai et le bien fondent la liberté morale.

Textes :

Libertas est  vis electiva mediorum, servato ordine finis". (P. Santiago Ramirez, o.p.) Cela signifie que hors de "I'ordre à la fin due" il y a abus de la liberté.

La liberté est la faculté de se mouvoir dans le bien". (Léon XIII)

"La liberté, cet élément de perfection pour l'homme, doit s'appliquer à ce qui est vrai et à ce qui est bon". (Léon XIII, Libertas, PIN. 149)

De même que pouvoir se tromper réellement est un défaut qui accuse l'absence de perfection intégrale dans l'intelligence, ainsi s'attacher à un bien faux et trompeur, tout en étant l'indice du libre-arbitre, comme la maladie l'est de la vie, constitue néanmoins un défaut de la liberté". (Ibid. n. 177)

La faculté de pécher n'est pas une liberté, mais une servitude ". (Ibid.n.178)

Veritas liberabit vos”.  (Jn 8. 32)

Conclusion :

Il n'y a pas de liberté morale pour l'erreur ou le mal moral.

§. 3. La liberté d'action ou liberté vis-à-vis de la contrainte extérieure.

a) Elle est légitime dans les justes limites du bien de la société envisagée.

b) Elle n'est aucunement un absolu. La contrainte en effet est "quid indifférens in se " et est souvent bonne : la prison est bonne pour le malfaiteur et certains types de contrainte peuvent être bons pour obliger les ignorants et les nonchalants à connaître la vérité et à pratiquer ensuite librement le bien : tel est le nerf de l'éducation et de l'exercice de l'autorité.

c) La liberté de toute contrainte, conçue comme le bien principal de l'homme est la maxime absurde du libéralisme".

Textes

(a) “Il est dans l'ordre, avons-nous dit, que ni l'individu ni la famille ne soient absorbés par l'Etat ; il est juste que l'un et l'autre aient la faculté d'agir avec liberté, aussi longtemps que cela n'atteint pas le bien général et ne fait injure à personne " (Léon XIII, Rerum Novarum, PIN. 305)

(b) “Tu vois maintenant, je pense, qu'il n'y a pas à considérer que l'on est contraint, mais à quoi on en est contraint : si c'est au bien ou au mal. Ce n'est pas que personne puisse devenir bon malgré soi, mais la crainte de ce qu'on ne veut pas souffrir met fin à l'opiniâtreté qui faisait obstacle et pousse à étudier la vérité ignorée ; elle fait rejeter le faux qu'on soutenait, chercher le vrai qu'on ne connaissait pas, et l'on arrive ainsi à vouloir ce qu'on ne voulait pas" (Saint Augustin, Lettre 93 - ad Vincentium - n. 16, PL 33, 321-330)

De même, la liberté humaine ne peut être définie comme une libération de toute contrainte, sous peine de détruire toute autorité. La contrainte peut être physique ou morale. La contrainte morale, dans le domaine religieux, est fort utile et se retrouve tout au long des Saintes Ecritures : "La crainte de Dieu est le commencement de la sagesse" (...). Une chose est affirmer le besoin actuel d'une plus grande liberté laissée par l'autorité, autre chose est prétendre que cet état de fait est plus conforme à la dignité humaine. Une telle prétention admettrait implicitement le droit au scandale, soit par le vice, soit par l'erreur. Dieu nous en garde ! “(Mgr Marcel Lefebvre, observation envoyée au Secrétariat du Concile Vatican Il, 30 décembre 1964).

(c) “Rien ne saurait être dit ou imaginé de plus absurde et de plus contraire au bon sens que cette assertion : l'homme étant libre par nature doit être exempté de toute loi" (Léon XIII, Libertas, PIN. 180).

Ce principe fondamental du libéralisme est absurde (...). Absurde, en ce qu'il prétend que le bien principal de l'homme est dans l'absence de tout lien capable de gêner ou de restreindre sa liberté (…). La liberté ne peut être une fin en soi et la fin suprême, puisqu'elle n'est (…) qu'un pouvoir ou puissance opérative, que tout pouvoir ou puissance est en vue de l'opération, et que toute opération, en cette vie, consiste entièrement dans la poursuite d'un bien “! (Cardinal Billot, s.j., de Ecclesia Christi, T II, p. 20 ; résumé par le R.P. Henri Le Floch, c.s.sp., in "Le Cardinal Billot lumière de la Théologie", 1952, p. 46).

Conclusion :

Déclarer : "l'homme est libre par nature et aspire à la liberté, donc il a droit à la liberté vis-à-vis de la contrainte”, serait faire profession du principe absurde et condamné du libéralisme.

Ch. II : La loi

§. 1. La loi, divine ou humaine, propose à l'homme ses fins et lui délimite les moyens à employer pour y parvenir. Dès lors, loin d'être l'ennemie de la liberté, la loi est la garantie de la liberté morale, en particulier la loi civile.

§. 2. La loi, "ordination de la raison en vue du bien commun, promulguée par celui qui a la charge de la communauté" (Saint Thomas, I II, 90, 4), est essentiellement un acte de la raison. Mais comme, dans l'état de nature pécheresse, il ne suffit pas de faire connaître l'ordre des moyens et des fins pour le faire respecter, il importe que le pouvoir législatif soit en même temps coercitif. La coercition légale est donc légitime et nécessaire pour le bien commun.

Textes

(1) “La condition de la liberté étant telle, il lui fallait une protection, il lui fallait des aides et des secours capables de diriger tous ses mouvements vers le bien et les détourner du mal : sans cela, la liberté eût été pour l'homme une chose très nuisible. - Et d'abord une loi, c'est-à-dire une règle de ce qu'il faut faire ou ne pas faire, lui était nécessaire " (Léon XIII, Libertas, PIN. 179).

La liberté consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle " (Ibid. n.185).

(2) “Mais puisqu'il s'en trouve certains, effrontés et enclins aux vices, que les paroles n'émeuvent pas facilement, il fut nécessaire qu'ils fussent retenus du mal par la force et la crainte, pour qu'arrêtant au moins de faire le mal, ils rendent la paix aux autres et soient amenés eux-mêmes par une telle habitude à faire spontanément ce qu'auparavant ils n'accomplissaient que par la crainte, et qu'ainsi ils deviennent vertueux. Une telle discipline, contraignant par la crainte de la peine, est la discipline des lois. Pour la paix des hommes et la vertu il fut ainsi nécessaire de constituer des lois” (I II, 95, 1).

Ainsi donc, c'est la loi qui guide l'homme dans ses actions et c'est elle aussi qui, par la sanction des récompenses et des peines, l'attire à bien faire et le détourne du péché " (Léon XIII, Libertas, PIN. 180).

Conclusion :

Loin d'être un antagoniste de la liberté, la loi lui est un secours indispensable, spécialement par la coercition légale.

Ch. III. La conscience

§. 1. La conscience morale est le jugement moral que l'homme porte sur son action dans les circonstances concrètes, elle est la norme prochaine et subjective de l'agir, alors que la loi en est la norme éloignée et objective.

§. 2. Pour bien agir, l'homme doit suivre sa conscience, pourvu qu'elle ne soit pas complètement erronée (I, II, 19, 5). L'erreur non coupable excuse de la faute, mais ne rend pas bon ni licite un acte en soi mauvais (Ibid. 19, 6, ad 1).

§. 3. Par conséquent, à partir du moment où l'acte passe de l'intimité de l'âme au terrain extérieur social, la norme qui entre en vigueur ne peut être l'erreur, même non coupable, mais seulement la vérité objective. Le contraire serait supprimer l'opposition radicale entre réalité et non réalité, ce serait accepter que l'ordre social se bâtisse dans l'irréel, que l'ordre fasse place au désordre.

Conclusion :

La conscience (pourvu qu'elle ne soit pas coupablement erronée) est la norme de l'agir dans la vie individuelle ; mais la vie en société n'a d'autre norme que la vérité. Cela signifie que seule la vérité donnera des droits à la conscience.

Ch. IV. Conscience et contrainte en général

"Viole"-t-on la conscience de quelqu'un en le contraignant à agir contre sa conscience ou en l'empêchant d'agir selon sa conscience? Cas de la coercition légale ?

§. 1. D'une manière générale, en ce qui concerne la coercition légale, il faut distinguer les actes internes, externes privés et publics : les actes purement internes, qui échappent par nature à toute coercition, n'intéressent pas notre propos, mais seulement les actes "mixtes", à la fois internes (acte de l'âme) et externes (acte du corps).

a) Les actes privés échappent en soi à la coercition légale, sauf s'ils ont des conséquences sociales nocives : par exemple des sévices inhumains infligés à leurs enfants par des parents indignes, ou des réunions privées de sociétés secrètes ou d'autres sectes subversives du bien commun.

b) Les actes publics, au contraire, tombent directement sous le coup de la contrainte légale, s'ils troublent le bien commun.

§. 2. Empêcher quelqu'un d'agir selon sa conscience, c'est évidemment licite, pour le bien de cette personne ou pour le bien commun : ainsi, empêcher quelqu'un de se suicider est un acte, et même un devoir, de charité ; et, de la part du pouvoir civil, empêcher la diffusion de la drogue ou celle des opinions séditieuses ou immorales, c'est un devoir de justice envers le bien commun ; et ceci, quelque persuadés que soient les délinquants de leur bon droit.

§. 3. Contraindre quelqu'un à agir contre sa conscience, est-ce permis ?

Il faut distinguer deux cas :

a) Conscience coupablement erronée :

Il est permis, après avoir rappelé ses devoirs à la personne en question, de la contraindre à les remplir. Par exemple dans l'ordre privé, contraindre un élève à étudier ; dans l'ordre social contraindre un père de famille à entretenir ses enfants, contraindre un fournisseur à honorer ses engagements.

b) Conscience incoupablement erronée :

Agir contre sa propre conscience incoupablement erronée, c'est pécher. Dès lors, contraindre quelqu'un à agir contre une telle conscience, c'est coopérer au péché d'autrui. Mais il faut encore distinguer :

Certes, il n'est jamais permis de coopérer formellement au péché d'autrui (ici : vouloir précisément obtenir d'autrui un acte extorqué contre son gré) : ce serait une faute contre la charité.

Mais il est permis de coopérer matériellement au péché d'autrui (ici : vouloir qu'autrui pose spontanément un acte qu'il ne voulait pas d'abord poser ; tout en n'empêchant pas éventuellement un acte extorqué), pourvu que la coopération soit "lointaine" et qu'il y ait une cause proportionnellement grave d'agir ainsi.

Ici, la coopération sera facilement lointaine si l'on n'emploie que des contraintes morales, comme une certaine discrimination civile ; et il y aura une raison suffisamment proportionnée de poser cette contrainte si l'on peut par là, espérer sérieusement, compte tenu des circonstances, la "conversion" sérieuse intellectuelle ou morale de la plupart des récalcitrants, conversion qu'on n'aurait pas obtenue si largement par la seule persuasion.

Exemple d'application concrète : Pour combattre la polygamie ou le divorce, dans une nation dont le gouvernement veut rétablir l'ordre naturel.

Conclusion :

Contraindre une conscience, ce n'est pas toujours la violer, loin de là. Mais pour comprendre cela, il faut faire des distinctions que ne manque pas d'opérer la théologie morale.

Ch. V. Les droits fondamentaux de la personne, leurs limites

§. 1. A la liberté morale correspond, dans l'ordre social, le droit ou faculté morale d'exiger. L'homme a des droits pour autant qu'il a des devoirs correspondants, envers Dieu, lui-même et son prochain : ainsi au devoir naturel d'honorer Dieu correspond le droit naturel de rendre un culte à Dieu, au rôle d'éducateurs naturels de leurs enfants correspond le droit naturel des parents à éduquer leurs enfants selon leurs propres convictions religieuses et morales.

§. 2. Les droits naturels principaux de l'homme sont ce qu'on appelle ses "droits fondamentaux", Pie XII en énuméra certains dans son radio-message de Noël 1942 : “Qui veut que l'étoile de la paix se lève et se repose sur la société doit concourir pour sa part à rendre à la personne humaine la dignité qui lui a été conférée par Dieu dès l'origine (...) ; promouvoir le respect et l'exercice pratique des droits fondamentaux de la personne, à savoir : le droit à entretenir et à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier le droit à une formation et à une éducation religieuses ; le droit au culte de Dieu, privé et public, y compris l'action charitable religieuse ; le droit, en principe, au mariage et à l'obtention de sa fin ; le droit à la société conjugale et domestique ; le droit au travail comme moyen indispensable à l'entretien de la vie familiale ; le droit au libre choix d'un état de vie et donc aussi de l'état sacerdotal et religieux ; le droit à l'usage des biens matériels dans la conscience des propres devoirs et des limites sociales". (24 décembre 1942, PIN. 803-804).

Ces droits fondamentaux sont des droits non seulement "négatifs" (droit de ne pas être empêché d'agir, ni d'être contraint d'agir autrement), mais encore "affirmatifs" (droit d'agir). Ce sont des droits naturels, donc inaliénables, et ils doivent être reconnus comme des droits civils.

§. 3. La question qui se pose alors est celle-ci : l'homme perd-il ses droits naturels quand ils s'appliquent :

a) à ce qui est objectivement l'erreur ou le mal moral ;

b) à ce qui est contraire à la loi positive divine. ?

Jean-Paul Il déclarait en effet :

Les droits de l'homme n'ont de vigueur, en vérité, que là où sont respectés les droits imprescriptibles de Dieu, et l'engagement à l'égard des premiers est illusoire, inefficace et peu durable s'ils se réalisent en marge ou au mépris des seconds". (Lettre aux évêques du Brésil, 10 décembre 1980)

a) Droit à l'erreur ou au mal moral ?

La réponse est la suivante : seuls la vérité et le bien ont des droits, l'erreur ou le mal moral n'ont jamais de droits.

On a cru intelligent d'objecter, lors du Concile Vatican Il : "Mais ni la vérité ni l'erreur n'ont de droits ! Les droits sont en effet "subjectés" dans des personnes, qui "ont" ces droits ou ne les ont pas”. Et par ce biais, on prétendait pouvoir noyer le poisson, c'est-à-dire laisser dans l'oubli les "droits objectifs" pour ne parler que de "droits subjectifs".

On peut, si l'on veut, distinguer en effet entre "droit subjectif" et "droit objectif" : le droit subjectif est la faculté d'exiger, en tant qu'elle s'enracine dans le sujet, abstraction faite de son exercice : par exemple, le droit de rendre un culte à Dieu, abstraction faite du culte concret. Le droit objectif est au contraire l'objet concret du droit : ce culte, cette éducation.

Et voici la solution très simple : le droit objectif est aliénable, le droit subjectif est inaliénable.

La raison en est celle-ci : le droit subjectif est fondé sur le devoir à remplir, ou, si l'on veut, sur la relation transcendantale de la faculté (par exemple la volonté) à son objet (par exemple Dieu à honorer, les enfants à éduquer), relation et devoir qui demeurent quoi qu'il advienne. Au contraire le droit objectif, ou objet concret du droit, est fondé sur l'ordre objectif des êtres et des fins ; il disparaît donc, dès lors que la personne dans son action se sépare de cet ordre. C'est ainsi que Pie XII enseignera que : “Ce qui ne répond pas à la vérité ou à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence, ni à la propagande, ni à l'action" (Allocution aux juristes italiens, 6 décembre 1953).

L'astuce consistait, encore une fois, à ne considérer que la relation transcendantale, et à jeter un voile pudique sur l'ordre objectif : vérité ou erreur. Mais la réponse adéquate est la suivante : dans l'erreur ou le mal moral, l'homme conserve, certes, son droit subjectif, mais perd tout droit objectif : ce qui revient exactement à dire ce que nous avons affirmé au début : “l'erreur et le mal moral n'ont pas de droits, seuls la vérité et le bien ont des droits", si par "droit" on entend "droit objectif".

Par conséquent : l'homme perd ses droits naturels (objectifs) quand ils s'appliquent à l'erreur ou au mal.

En particulier, quand Pie XII parle du "droit au culte de Dieu" comme d'un droit fondamental, il sous-entend : droit subjectif au culte de Dieu et droit objectif au vrai culte du vrai Dieu ; mais cette précision n'est pas toujours sous-entendue : “Le respect de la personne humaine, des droits humains intangibles, et plus précisément de ceux de l'individu et de la famille, parmi lesquels se trouvent la pleine liberté d'exercer le vrai culte divin et le droit pour les parents d'élever leurs enfants et de pourvoir à leur éducation, est un des principes fondamentaux sur lesquels doit se baser une "politique chrétienne". C'est pour cette raison que l'Église doit défendre et défendra jusqu'au bout le droit des parents catholiques à des écoles qui répondent à leurs convictions" (Allocution à la jeunesse démocrate-chrétienne de Berlin-Ouest, 28 mars 1957, PIN. 1252).

b) Droit à ce qui est contraire à la loi positive divine ?

Ce qui est contraire à la loi positive divine, dira-t-on, est une erreur. Dès lors, à quoi bon poser cette question, déjà résolue ci-dessus ? Si nous la posons néanmoins, et sous cette forme, c'est pour répondre à une objection : saint Thomas enseigne que le droit positif divin ne supprime pas les droits naturels objectifs (Il II, 10, 10) : par exemple, les parents musulmans restent les éducateurs naturels de leurs enfants.

Mais le principe de saint Thomas ne s'applique évidemment pas lorsqu'un droit naturel est exercé de façon contraire à la loi positive divine : ainsi l'enseignement de la religion musulmane (qui nie la Trinité et l'Incarnation rédemptrice) à leurs enfants n'est pas un droit naturel objectif des parents musulmans, mais seulement un objet de non-répression (ou tolérance négative) pratique[1]. Il faut dire la même chose de l'enseignement et de la pratique de toutes les religions qui professent des croyances contraires à la vraie religion, en rejetant explicitement certains de ses dogmes.

En revanche, les adeptes d'une religion qui se contenteraient de rendre, sans erreurs superstitieuses, un culte naturel à Dieu, tel qu'on peut le connaître par la lumière de la simple raison, en ignorant incoupablement les dogmes de la vraie religion positive, de telles personnes jouiraient d'un droit naturel objectif à pratiquer leur religion. Mais l'existence d'une telle religion est hypothétique !

Conclusion :

1. Si l'on se réclame des droits fondamentaux de la personne humaine, et si l'on veut parler de droits objectifs, il faut avoir l'honnêteté de reconnaître que ces droits n'ont pas d'existence hors de la vérité.

2. En particulier, le "droit au culte de Dieu", en tant que droit objectif, a pour objet le culte de la vraie religion, à l'exclusion de tout autre.

3. S'il s'agit de réagir contre les régimes persécuteurs, qui s'attaquent à toutes les religions indistinctement, l'Eglise pourra à juste titre rappeler le droit fondamental de l'homme au culte de Dieu “in abstracto", puisque c'est à la racine même de ce droit, c'est-à-dire au droit subjectif, que ces régimes athées s'attaquent.

Ch. VI. Droit négatif à l'erreur ou au mal ? Droit à la tolérance ?

§. 1. La personne n'a aucun droit naturel objectif affirmatif à faire ce qui est faux ou moralement mauvais. Nous l'avons vu ci-dessus.

Par exemple : nul n'a le droit de vendre de la drogue ou de pratiquer un culte religieux contraire à la vraie religion.

Textes

Il faut affirmer clairement qu'aucune autorité humaine, aucun État, aucune communauté d'États, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive d'enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse ou au bien moral " (Pie XII, Allocution aux juristes italiens, 6 décembre 1953, PIN. 3038).

Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence, ni à la propagande, ni à l'action" (Ibid. n. 3041).

§. 2. Mais la personne ne peut-elle pas jouir parfois d'un droit objectif négatif à ce qui est contraire à la vérité religieuse ou au bien moral ? C'est-à-dire un droit de ne pas être empêché d'agir, en matière religieuse ou morale, même lorsque l'action s'écarte de la vérité ou du bien ? En somme un droit à être toléré.

La réponse à cette question tient en trois mots : un tel droit est absurde, faux et condamné par l'Eglise.

a) Le bon sens répugne à l'absurdité d'un droit négatif à l'erreur.

- Un père de famille peut-il dire à son fils : "tu n'as pas le droit de fumer de la marijuana, mais tu as droit à ce que je ne t'en empêche pas", sans ruiner de ce fait son autorité paternelle ? Autre chose est de ne pas pouvoir ou vouloir empêcher son fils de se droguer et de tolérer ce mal, autre chose est de lui reconnaître un droit à la non-répression.

- De même, l'Eglise peut-elle dire aux catholiques : "vous n'avez pas le droit d'abjurer votre foi et de devenir protestants ou musulmans, mais vous avez droit à ce que l'Eglise ne vous en empêche pas, si l'envie vous en prend", sans ruiner sa "potestas regiminis" et renier la tradition du droit canon qui menace les candidats à l'apostasie, de peines ecclésiastiques gravissimes ? Faudra-t-il dire que l'Eglise s'est trompée en prévoyant ces peines, ou bien qu'elle doit s'adapter et se plier à la "mentalité moderne" qui exige maintenant, par je ne sais quelle métamorphose de la nature humaine, un droit à être exemptée de toute contrainte ?

- D'une manière générale, opérer dans le pouvoir législatif une dichotomie telle, que, ce que le législateur ne reconnaît pas comme "droit affirmatif" (droit de faire), il puisse légitimement l'accorder au titre de "droit négatif" (droit à ne pas être empêché), c'est un symptôme d'une schizophrénie caractérisée et inguérissable, car elle défie le bon sens. C'est en tout cas une étrange autodémolition du pouvoir de juridiction, qui rappelle la maxime anarchiste : "Si tout n'est pas permis, du moins il est interdit d'interdire".

b) Ce droit ne tient pas devant la saine raison :

Ne pas empêcher de faire le mal ou d'adhérer à l'erreur, c'est la porte ouverte au mal ou à l'erreur. C'est la "liberté de perdition" : la liberté de se perdre, c'est aussi le droit au scandale. Une telle liberté est en soi un mal, même si "per accidens", en raison de certaines circonstances, elle doit être considérée comme un moindre mal, parce qu'elle empêche un mal plus grand : "Aufer meretrices de rebus humanis, turbaveris omnia libidinibus", écrit simplement saint Augustin (cf. II II, 10, 11).

Or, ce qui est en soi un mal, ne peut être l'objet d'aucun droit, comme nous l'avons vu plus haut. Dès lors un droit négatif au mal est tout aussi impensable qu'un droit affirmatif au mal.

c) Le magistère de l'Eglise condamne le droit négatif de répandre l'erreur ou le mal.

Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence, ni à la propagande, ni à l'action" (Pie XII, texte cité plus haut).

Nous soulignons "propagande". En effet la propagande, par définition, signifie diffusion sans entraves, puisqu'il s'agit d'influencer l'opinion et qu'une telle action est irréalisable si elle est contrecarrée. Le "droit à la propagande" est donc un droit à la fois et indissociablement affirmatif et négatif : droit de propager et droit de ne pas être empêché de propager. Dès lors, Pie XII a condamné non seulement le droit affirmatif, mais également le droit négatif à répandre l'erreur ou le mal moral.

Conclusion :

Si l'on voulait, à défaut d'un droit affirmatif, proclamer un droit négatif à l'erreur ou au mal, en quelque domaine que ce soit, en particulier le domaine religieux, on serait victime d'un sophisme.

B. DEUXIÈME SECTION

LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

Ch. VII. La dignité de la personne humaine

La dignité de la personne humaine est-elle indépendante des choix de la personne ? On ne peut répondre adéquatement à la question sans distinguer d'abord la dignité ontologique de la dignité opérative de la personne : autre chose est en effet ce que l'homme est par nature, autre chose ce qu'il devient par ses actes. La solution dépend donc de cette distinction.

§. 1. La dignité ontologique de la personne humaine

La dignité ontologique de la personne humaine consiste dans l'intellectualité de sa nature, autrement dit, dans la noblesse d'une nature douée d'intelligence et de volonté libre. Par là, l'homme est essentiellement appelé à connaître Dieu Son auteur et Sa fin ultime : à "louer, honorer et servir Dieu", comme dit saint Ignace ; l'homme est de plus "capax beatitudinis", capable de la béatitude céleste, comme dit saint Thomas, et d'abord capable d'être élevé à un état surnaturel par la grâce sanctifiante.

Deus qui humanae substantiæ dignitatem mirabiliter condidisti, et mirabilius reformasti", fait dire l'Eglise au prêtre à l'offertoire de la messe.

On peut dire que cette dignité ontologique de l'homme consiste principalement dans une ordination transcendantale à Dieu, qui est comme un "appel au divin" et qui fonde chez l'homme le devoir de chercher le vrai Dieu et la vraie religion, et d'y adhérer dès qu'il les connaît.

Enfin, puisque tous les hommes ont la même nature humaine et qu'ils ne peuvent la participer sans être parfaitement hommes, on doit affirmer que la dignité ontologique de l'homme est égale chez tous et inamissible.

N.B. Il convient de rappeler que par le péché originel, la nature humaine a été profondément blessée dans ses facultés, en particulier dans sa capacité de connaître Dieu (cf. plus loin, X, 2,b). La dignité naturelle de l'homme, en conséquence, a subi une déchéance universelle, que la grâce du baptême ne répare même pas totalement chez les chrétiens.

De plus, toutes les races et tous les peuples, déjà pourvus diversement de dons naturels par le Créateur, ne sont pas blessés de la même façon par le péché originel : les uns sont marqués davantage par l'aveuglement de l'intelligence, les autres par la faiblesse de la volonté, d'autres par la haine qui a pour siège l'appétit concupiscible déréglé, d'autres enfin par la crainte dans l'appétit irascible, etc. Il en résulte des inégalités radicales entre les peuples dans la dignité naturelle concrète des personnes, inégalités qui demandent des traitements inégaux de la part de l'autorité divine au humaine.

§. 2. La dignité opérative de l'homme

La dignité opérative de l'homme résulte de l'exercice de ses puissances, essentiellement l'intelligence et la volonté.

Autrement dit, à la perfection de la nature va s'ajouter chez l'homme une perfection “surajoutée", qui dépend de ses opérations.

Les puissances, en effet, sont ordonnées à leur opération, et la perfection de l'opération consiste pour une puissance à atteindre sa fin : la fin de l'intelligence, c'est le vrai, la fin de la volonté, c'est le bien.

Dès lors, la dignité opérative de l'homme, consiste à adhérer en acte au vrai et au bien, et ultérieurement, à acquérir les vertus qui rendent les actes bons "prompts, faciles et délectables", comme dit Aristote ; sans parler des vertus surnaturelles infuses.

Mais il s'ensuit que si l'homme faillit au bien, adhère à l'erreur ou au mal moral, il déchoit de sa dignité : l'acte bon fait place à un acte qui, même s'il n'est pas nécessairement un péché formel, n'en est pas moins un acte objectivement mauvais, et la vertu fait rapidement place à l'habitude mauvaise, c'est-à-dire au vice.

Textes

Praesta quaesumus Omnipotens Deus, ut dignitas conditionis humanae per immoderantiam sauciata, medicinalis parsimoniae studio reformetur" (Collecte du jeudi de la Passion).

Si l'intelligence adhère à des idées fausses, si la volonté choisit le mal et s'y attache, ni l'une ni l'autre n'atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent" (Léon XIII, Immortale Dei, PIN. 149).

D'où, en effet, la personne tire-t-elle sa dignité ? La personne tire sa dignité de sa perfection. Or la perfection de la personne humaine consiste en la connaissance de la vérité et l'acquisition du Bien. C'est le début de la vie éternelle et celle-ci "est qu'ils Vous connaissent, Vous, seul véritable Dieu et Votre envoyé, Jésus-Christ" (Jn 17, 3). Par conséquent, pour autant qu'elle adhère à l'erreur, la personne déchoit de sa dignité (...). L'erreur est de soi un mensonge objectif, sinon subjectif. Et par Notre-Seigneur nous connaissons aussi celui-là qui "lorsqu'il dit ses mensonges, les tire de son propre fonds" (Jn 8,44). Comment alors pouvoir dire d'une personne humaine qu'elle est digne de respect, quand elle fait mauvais usage de son intelligence et de sa liberté, même sans culpabilité de sa part ?

"La dignité de la personne humaine provient aussi de la rectitude de sa volonté ordonnée au Bien. Or l'erreur engendre le péché. "Le serpent m'a trompée", dit celle qui fut la première pécheresse. Cette vérité est on ne peut plus évidente pour tout le monde. Il suffit de réfléchir aux conséquences de cette erreur, sur la sainteté du mariage, sainteté du plus haut intérêt pour le genre humain. Cette erreur dans la religion conduit peu à peu à la polygamie, au divorce, à la régulation des naissances, c'est-à-dire à la déchéance de la dignité humaine, surtout chez la femme" (Mgr Lefebvre, texte d'une intervention à Vatican Il déposée au Secrétariat du Concile, non lue publiquement, 26 novembre 1963).

Conclusion :

La dignité de la personne humaine, dès lors qu'on considère la personne dans son agir, consiste à adhérer à la vérité et au bien. Pas de dignité hors de la vérité !

§. 3. Dignité et liberté.

La dignité humaine, dans l'ordre de l'agir, consiste à adhérer en acte au vrai et au bien, comme nous l'avons montré ci-dessus. Dès lors la liberté d'action, l'autonomie concrète de l'homme dans cette adhésion ne sont pas l'élément essentiel de la dignité humaine, "même si elles sont légitimement souhaitables. Exalter la liberté d'action au point d'en faire l'essence-même de la dignité opérative de l'homme, c'est une erreur condamnée, qui ne fait qu'exciter l'orgueil humain aux dépens de l'humble adhésion à la vérité reçue du dehors, de l'enseignement d'un maître, et qui plus est, reçue avec la contrainte exercée par la menace des châtiments divins contre ceux qui ne l'accepteraient pas : “qui vero non crediderit condemnabitur". (Mt 16, 16)

A la base de toutes les falsifications des notions sociales fondamentales, le Sillon place une fausse idée de la dignité  humaine. D'après lui, l'homme ne sera vraiment homme, digne de ce nom, que du jour où il aura acquis une conscience éclairée, forte, indépendante, autonome, pouvant se passer de maître, ne s'obéissant qu'à elle-même et capable d'assumer et de porter, sans forfaire, les plus graves responsabilités. Voilà de ces grands mots avec lesquels on exalte le sentiment de l'orgueil humain ; tel un rêve qui entraîne l'homme sans lumière, sans guide et sans secours, dans la voie de l'illusion". (Saint Pie X, Lettre Apostolique "Notre charge apostolique" condamnant le mouvement du Sillon, du 25 août 1910).

Conclusion :

"La dignité de la personne humaine ne consiste pas en la liberté, abstraction faite de la vérité. ² : "La vérité vous libérera", dit Notre-Seigneur, c'est-à-dire "la vérité vous donnera la liberté" (Mgr Marcel Lefebvre, loc. cit. ).

 
Ch. VIII. La liberté religieuse condamnée par les papes du XIXè siècle

1. Les papes du XIXè siècle condamnèrent la "liberté de conscience et des cultes".

2. Ce qui fut condamné, c'est la liberté d'action reconnue à chacun au for externe public, en matière religieuse, et garantie par la loi civile. Donc le droit négatif (ne pas être empêché) au for externe public, envisagé comme un droit naturel et civil de l'homme.

3. Les circonstances et l'origine historiques de ces erreurs condamnées sont le libéralisme absolu de l'époque.

4. Le motif proprement dit de la condamnation de la liberté de conscience et des cultes est que :

a) considérée en elle-même, elle est fausse et absurde, c'est-à-dire contraire à l'ordre naturel.

b) considérée dans ses conséquences immédiates, elle attente au droit public de l'Église (principes connexes à la révélation et nécessairement immuables) et répand le poison de l'indifférentisme religieux.

5. Autorité du magistère de l'Église dans cette condamnation : probablement l'infaillibilité du magistère solennel de l'Eglise, ou au moins la plus haute autorité du magistère pontifical ordinaire.

§. 1. La condamnation

- Pie VII, dans sa Lettre apostolique "Post tam diuturnitas", du 29 avril 1814, condamne le 22e article de la constitution française de 1814 : “Un nouveau sujet de peine dont Notre cœur est encore plus vivement affligé, et qui, Nous l'avouons, nous cause un tourment, un accablement et une angoisse extrêmes, c'est le 22e article de la constitution. Non seulement on y permet la liberté des cultes et de conscience, pour Nous servir des termes mêmes de l'article, mais on promet appui et protection à cette liberté, et en outre aux ministres de ce qu'on nomme les cultes". (PIN. 19).

- Grégoire XVI, dans l'Encyclique "Mirari vos", condamne la proposition suivante : “On doit procurer et garantir à chacun la liberté de conscience" (PIN. 24)

“Nous arrivons maintenant à une autre cause des maux dont Nous gémissons de voir l'Église affligée, en ce moment, savoir à cet “indifférentisme" ou à cette opinion perverse qui s'est répandue de tout côté par les artifices des méchants, et d'après laquelle on pourrait acquérir le salut éternel par quelque profession de foi que ce soit, pourvu que les mœurs soient droites et honnêtes (...). De cette source infecte de l'indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu'il faut assurer et garantir à chacun la "liberté de conscience". (cf. Dz 1613).

L'expression "liberté de conscience" signifie, selon le langage de l'époque et le nôtre, ''la faculté laissée à chacun d'adopter les doctrines religieuses qu'il juge préférables, sans être inquiété par la puissance publique" (Nouveau Larousse Illustré, dictionnaire universel encyclopédique, publié sous la direction de Claude Augé, T. III (sans date, époque 1900), article "conscience", p. 206, col. 3). Et le Dictionnaire des dictionnaires, encyclopédie universelle, sous la direction de Paul Guérin, T. III, p. 130 article "conscience", col. 3, précise : "De la liberté indiscutable de la conscience, faut-il conclure logiquement à la liberté de conscience ? La liberté de la conscience est un fait interne, et la liberté de conscience est un fait externe qui se rapporte à la profession de nos croyances au dehors, au sein de la société. La liberté de conscience peut être envisagée comme un droit politique, protégé par des garanties constitutionnelles".

- Pie IX, dans l'Encyclique "Quanta Cura", condamne les propositions suivantes : “Le meilleur gouvernement est celui où on ne recon-naît pas au pouvoir l'office de réprimer par la sanction des peines les violateurs de la religion catholique, si ce n'est lorsque la paix publique le demande". (PIN. 39).

La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme". (PIN. 40).

(Ce droit) doit être proclamé et garanti par la loi dans toute société correctement constituée". (PIN. 40).

- Léon XIII, dans l'Encyclique "Immortale Dei", condamne l'opinion suivante : “l'Etat doit leur attribuer à toutes (les religions) l'égalité de droit, du moment que la discipline de la chose publique n'en subit pas de détriment. Par conséquent, chacun sera libre de se faire juge de toute question religieuse, chacun sera libre d'embrasser la religion qu'il préfère". (PIN. 143).

§. 2.Ce qui est condamné, c'est la liberté religieuse au sens où on l'entend encore actuellement :

 - liberté d'action (droit négatif à "ne pas être empêché")

 - liberté au for externe public

 - droit naturel, et droit civil.

Elle est condamnée, même quand son exercice reste dans les limites de la tranquillité publique et que ceux qui en usent ne font que "violer la religion catholique", c'est-à-dire transgresser le culte et la discipline de l'Eglise catholique.

§. 3. Les circonstances et l'origine historiques de cette fausse liberté religieuse sont bien précisées, dans leur ordre logique et dans leur lien de causalité :

a) le rationalisme individualiste et le libéralisme absolu, hérités de la révolution dite française, selon lesquels l'individu est sujet absolu de droits, ne relevant d'aucune autorité supérieure de qui il tienne ses droits[2] :

Tous les hommes (...) sont (...) égaux entre eux, chacun relève si bien de lui seul qu'il n'est soumis d'aucune façon à l'autorité d'autrui. Il peut en toute liberté penser sur toute chose ce qu'il veut, faire ce qui lui plaît". (Immortale Dei, PIN.143).

b) Le monisme étatique et l'indifférentisme de l'Etat en matière religieuse :

L'autorité publique n'est que la volonté du peuple (...), dès lors que le peuple est censé la source de tout droit (...) il s'ensuit que l'Etat ne se croit lié à aucune obligation envers Dieu, ne professe officiellement aucune religion, n'est pas tenu (...) d'en préférer une aux autres…” (Ibid.).

c) La  conséquence est le droit à cette fausse liberté religieuse dans la cité :

“... mais qu'il doit leur attribuer à toutes l'égalité de droit, du moment que la discipline de la chose publique n'en subit pas de détriment. Par conséquent chacun sera libre de se faire juge de toute question religieuse, d'embrasser la religion qu'il préfère ou de n'en suivre aucune si aucune ne lui agrée... "(Ibid.)

Mais de là à dire : donc ce sont ces circonstances historiques, ce fut ce libéralisme et ce rationalisme d'une certaine époque maintenant révolue, qui furent le motif et l'unique motif de la condamnation de la fausse liberté religieuse, il y a un pas et même un abîme que nous ne franchirons pas, comme nous allons maintenant le voir.

§. 4. Motifs de la condamnation de la "liberté de conscience et des cultes" par les papes du XIXe siècle.

a) considérée en elle-même, cette liberté est fausse et absurde, c'est-à-dire contraire à l'ordre naturel perçu par la raison.

- Pie VI, Lettre "Quod aliquantulum", du 10 mars 1791, sur la "constitution civile du clergé" en France : “On établit, comme droit de l'homme en société, cette liberté absolue qui non seulement assure le droit de ne pas être inquiété sur ses opinions religieuses, mais qui accorde encore cette licence de penser, de dire, d'écrire et même de faire imprimer impunément en matière religieuse tout ce que peut suggérer l'imagination la plus déréglée ; droit monstrueux...“ (PIN. 1).

- Pie VII, Lettre apostolique "Post tam diuturnitas", déjà citée, premier motif de condamnation : “par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité avec l'erreur...“ (PIN. 19).

- Grégoire XVI, dans “Mirari vos”, condamne la "liberté de conscience" (texte cité plus haut) comme une "maxime fausse et absurde ou plutôt un délire" comme étant la "liberté de l'erreur" que saint Augustin qualifie de "mort on ne peut plus funeste pour les âmes" (PIN 24).

- Pie IX, dans “Quanta cura”, condamne la première proposition citée plus haut, comme étant "contraire à la doctrine des Ecritures, de l'Église et des saints Pères", et idée absolument fausse du gouvernement social. Il condamne de plus, à la suite de Grégoire XVI, le droit à la liberté de conscience et des cultes comme étant une "opinion erronée, on ne peut plus fatale à l'Église catholique et au salut des âmes" et une "liberté de perdition". (PIN. 40).

b) Considérée d'après ses fruits immédiats, elle attente au droit public de l'Église, qui est un ensemble de principes qui, découlant nécessairement du dogme de la Royauté Sociale de Jésus-Christ et de la divine constitution de l'Eglise, sont connexes à la Révélation et absolument immuables.

- Pie VII, "Post tam diuturnitas", déjà citée, second et principal motif de condamnation : “Par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction (…), l'on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque l'Épouse sainte et immaculée du Christ, l'Eglise, hors de laquelle il ne peut y avoir de salut". (PIN. 19).

- Léon XIII, "Immortale Dei", déjà citée, conséquences immédiates de la liberté religieuse : “Étant donné que l'Etat repose sur ces principes, aujourd'hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injustement l'Eglise. - Là, en effet, où la pratique est d'accord avec de telles doctrines, la religion catholique est mise dans l'Etat sur le pied d'égalité, ou même d'infériorité, avec des sociétés qui lui sont étrangères. Il n'est tenu nul compte des lois ecclésiastiques ; l'Eglise, qui a reçu de Jésus-Christ ordre et mission d'enseigner toutes les nations, se voit interdire toute ingérence dans l'instruction publique. - Dans les matières qui sont de droit mixte, les chefs d'Etat portent d'eux-mêmes des décrets arbitraires et sur ces points affichent un superbe mépris des saintes lois de l'Eglise. Ainsi, ils font ressortir à leur juridiction les mariages des chrétiens ; portent des lois sur le lien conjugal, son unité, sa stabilité; mettent la main sur les biens des clercs et dénient à l'Eglise le droit de posséder. En somme, ils traitent l'Eglise comme si elle n'avait ni le caractère, ni les droits d'une société parfaite, et qu'elle fût simplement une association semblable aux autres qui existent dans l'Etat. Aussi, tout ce qu'elle a de droits, de puissance légitime d'action, ils le font dépendre de la concession et de la faveur des gouvernements. Dans les Etats où la législation civile laisse à l'Eglise son autonomie, et où un concordat public est intervenu entre les deux puissances, d'abord on crie qu'il faut séparer les affaires de l'Eglise des affaires de l'Etat, et cela dans le but de pouvoir agir impunément contre la foi jurée, et se faire arbitre de tout, en écartant tous les obstacles...” (PIN. 144-145).

c) Autre fruit désastreux de la liberté de conscience et des cultes : elle propage la peste de I'indifférentisme religieux (père du faux œcuménisme actuel).

- Pie VII, “Post tam diuturnitas“, déjà citée : “En outre, en promettant faveur et appui aux sectes des hérétiques et à leurs ministres, on tolère et on favorise, non seulement leurs personnes, mais encore leurs erreurs. C'est implicitement la désastreuse et à jamais déplorable hérésie que saint Augustin mentionne en ces termes : "Elle affirme que tous les hérétiques sont dans la bonne voie et disent vrai, absurdité si monstrueuse que je ne puis croire qu'une secte la professe réellement". PIN. 19).

- Pie IX, “Syllabus“, proposition condamnée n°79 : “Il est faux que la liberté civile de tous les cultes et pareillement la pleine puissance accordée à tout le monde de manifester ouvertement et publiquement ses opinions aboutissent à corrompre plus facilement les mœurs et les esprits des peuples et à propager la peste de l'indifférentisme“.

Conclusions :

Il faut affirmer sans hésitation que, sous le terme de "liberté de conscience et des cultes", la liberté religieuse, entendue comme le droit naturel et civil à la liberté d'action en matière religieuse, reconnu à tous les sectateurs de tous les cultes, a été condamnée au XIXe siècle :

- non pas à cause de sa "prémisse" qui est le libéralisme absolu de l'époque,

- mais en elle-même, comme absurde et erronée, et en raison de ses fruits immédiats : atteinte au droit public de l'Eglise et indifférentisme religieux des individus.

§. 5. Autorité du magistère dans la condamnation.

La constance et la répétition de la condamnation donnent à celle-ci l'autorité la plus haute du magistère pontifical ordinaire.

Mais il semble bien que la condamnation de la liberté religieuse portée par “Quanta cura“ réunisse les quatre "notes" d'un document "ex cathedra", et soit donc infaillible :

- Les propositions condamnées :

Ce sont les trois propositions que nous avons citées plus haut, et que nous redonnons ici dans leur contexte : “De plus, contrairement à la doctrine de l'Ecriture, de l'Eglise et des saints Pères, ils ne craignent pas d'affirmer que "le meilleur gouvernement est celui où on ne reconnaît pas au pouvoir l'office de réprimer par la sanction des peines, les violateurs de la religion catholique, si ce n'est lorsque la paix publique le demande". En conséquence de cette idée absolument fausse du gouvernement social, ils n'hésitent pas à favoriser cette opinion erronée, on ne peut plus fatale à l'Eglise catholique et au salut des âmes et que Notre prédécesseur d'heureuse mémoire Grégoire XVI appelait un délire, à savoir "que la liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme ; qu'il doit être proclamé dans toute société correctement constituée et que les citoyens ont droit à la pleine liberté de manifester hautement et publiquement leurs opinions, quelles qu'elles soient, par la parole, par l'impression ou autrement, sans que l'autorité ecclésiastique ou civile puisse le limiter". (PIN. 39-40).

- La condamnation globale des thèses dénoncées dans l'Encyclique : “Au milieu donc d'une telle perversité d'opinions corrompues, Nous souvenant de Notre charge Apostolique, dans notre plus vive sollicitude pour notre très sainte religion, pour la saine doctrine, et pour le salut des âmes à Nous confiées par Dieu, et pour le bien de la société humaine elle-même, Nous avons jugé bon d'élever à nouveau Notre Voix Apostolique. En conséquence, toutes et chacune des opinions déréglées et des doctrines rappelées en détail dans ces Lettres, Nous les réprouvons, proscrivons et condamnons de Notre Autorité Apostolique ; et Nous voulons et ordonnons que tous les fils de l'Eglise catholique les tiennent absolument pour réprouvées, proscrites et condamnées" (n. 14, Dz 1699).

- Vérification des quatre "notes" d'un document "ex cathedra" (d'après Vatican I, Constitution dogmatique Pastor Aeternus, Dz 1839), donc infaillible :

1/ Le pape parle comme pasteur et docteur de tous les chrétiens ;

2/ Il s'agit d'une doctrine concernant la foi ou les mœurs, qui est affirmée comme étant connexe à la révélation divine ;

3/ Le pape "définit", c'est-à-dire précise exactement les termes des thèses définies ou condamnées et prononce sur elles un jugement qui a le caractère d'une sentence définitive et irrévocable ;

4/ Le pape précise que les fidèles sont obligés de tenir la doctrine proposée.

Conclusion :

Les doctrines condamnées dans “Quanta Cura“ semblent bien l'être infailliblement, du moins celles qui sont clairement délimitées dans leur formulation. Or c'est le cas des trois propositions que nous en avons citées en (1) et (5). Donc ces trois propositions sont infailliblement condamnées. Par conséquent la liberté de conscience et des cultes est condamnée et elle l'est très probablement infailliblement dans les termes précisés par "Quanta Cura".

Ch. IX. La dignité de la personne humaine, fondement de la liberté religieuse ?

§. 1. Nouvelle thèse de la liberté religieuse : un nouveau fondement.

Dans les années qui précédèrent le concile Vatican II, naquit une nouvelle thèse de la liberté religieuse, entendue elle aussi comme droit négatif à l'exercice de tout culte religieux. Cette théorie est devenue célèbre par l'usage qu'en a fait le concile Vatican Il.

Selon cette théorie, la liberté d'action de tout individu en matière religieuse se fonde sur la dignité de la personne humaine. Cette dignité de la personne consiste, en dehors de toute considération de la vérité, dans le simple fait que l'homme est par nature, ontologiquement, "relié" à Dieu par l'ordination transcendantale et inamissible dont nous avons parlé plus haut (VIl, 1).

Dans cette optique, tout homme quelles que soient ses dispositions subjectives (vérité ou erreur, bonne au mauvaise foi), est inviolable dans les actes par lesquels il tend à mettre en œuvre sa "relation" à Dieu, autrement dit dans sa quête personnelle du divin, qui s'accompagne d'actes religieux cultuels, privés et publics, individuels ou collectifs.

Dans cette perspective, le droit à la liberté d'action en matière religieuse n'est plus, comme le voulait le libéralisme du XIXè siècle, celui d'un sujet absolu de droits, "sans Dieu ni maître", mais celui d'un sujet essentiellement relié à Dieu; même s'il se trompe dans son libre choix et ne satisfait pas "en acte" à son devoir d'honorer Dieu ou de l'honorer selon le culte de la vraie religion.

Pour parfaire l'argument, on croit pouvoir préciser : le même droit à la liberté religieuse a pu être condamné par les papes du XIXè siècle à cause de sa prémisse du libéralisme rationaliste et individualiste, et peut aujourd'hui au contraire être proclamé au nom de la dignité de la personne humaine ; le contenu est le même, mais le fondement est radicalement différent : “On ne peut nier que l'affirmation de la liberté religieuse par le Concile Vatican Il (Dignitatis Humanæ n. 2) ne dise matériellement autre chose que le Syllabus de 1864, et même à peu près le contraire des propositions 15, 17 et 19 de ce document" (R.P. Yves Congar o.p., cité par l'abbé Georges de Nantes, CRC. n. 113, p.3).

Le P. John Courtney Murray, qui appartenait à l'élite de l'élite intellectuelle et religieuse, a montré que, tout en disant matériellement le contraire du Syllabus - celui-ci est de 1864 et il est, Roger Aubert l'a prouvé, conditionné par des circonstances historiques précises -, la Déclaration (sur la liberté religieuse) était la suite du combat par lequel, face au jacobinisme et aux totalitarismes, les papes avaient de plus en plus fortement mené le combat pour la dignité et la liberté de la personne humaine face à l'image de Dieu". (Y. Congar, DC. 1704, 789)

Ce qui est nouveau dans cette doctrine par rapport à l'enseignement de Léon XIII, et même de Pie XII, bien que le mouvement s'amorçât alors, c'est la détermination du fondement propre et prochain de cette liberté, qui est cherché non dans la vérité objective du bien moral ou religieux, mais dans la qualité ontologique de la personne humaine". (Y. Congar, bulletin "Études et documents" du Secrétariat de l'épiscopat français, n. 5, 15 juin 1965, p. 5).

On ne saurait mieux caractériser cette théorie du fondement nouveau de la liberté religieuse et mieux affirmer qu'elle a été l'âme de la déclaration conciliaire "Dignitatis Humanæ".

§. 2. Réfutation de la nouvelle théorie de la liberté religieuse.

a) La thèse nouvelle de la liberté religieuse fonde la liberté d'action (ne pas être empêché) en matière religieuse sur la dignité ontologique de la personne. C'est une erreur : la dignité ontologique de l'homme signifie seulement son libre-arbitre, nullement la liberté morale ni la liberté d'action. En effet, la liberté morale et la liberté d'action sont relatives à l'agir de la personne, non à son être essentiel, elles ont donc pour fondement la dignité opérative de l'homme, ou, ce qui revient au même, la vérité : l'adhésion en acte de la personne à la vérité (cf. ci-dessus VII, 2).

Or, quand au contraire l'homme adhère à l'erreur ou au mal moral, il perd sa dignité opérative (cf. VII, 2) et on ne peut plus rien fonder sur elle !

Si l'intelligence adhère à des idées fausses, si la volonté choisit le mal et s'y attache, ni l'une ni l'autre n'atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent. Il n'est donc pas permis de mettre au jour et d'exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de placer cette licence sous la tutelle et la protection des lois". (Léon XIII, "Immortale Dei", PIN. 149)

Une argumentation (...) ferait reposer la liberté, pour chaque homme, de pratiquer intérieurement et extérieurement la religion de son choix, sur "la dignité de la personne humaine". Donc ce serait cette dignité qui fonderait la liberté, qui lui donnerait sa raison d'être. L'homme pourrait adhérer à n'importe quelle erreur au nom de sa dignité. Ce serait mettre la charrue avant les bœufs, présenter les choses à l'envers. Car celui qui adhère à l'erreur déchoit de sa dignité et on ne peut plus rien fonder sur celle-ci. D'autre part, ce qui fonde la liberté, ce n'est pas la dignité, mais la vérité : "La Vérité vous rendra libres", a dit Notre-Seigneur". (Mgr Marcel Lefebvre, Lettre ouverte aux catholiques perplexes, Albin Michel, 1985, p.103-104. - Nous avons remplacé intentionnellement les imparfaits par des conditionnels -).

Par conséquent, si l'on veut absolument fonder un droit de la personne à la liberté religieuse sur la dignité de la personne humaine, c'est seulement le droit à la liberté religieuse relatif à la vraie religion que l'on fonde, et en aucune manière un droit relatif aux religions erronées, ou relatif à toutes les religions sans distinction, tel est le sens, acceptable, que Léon XIII donne au terme "liberté de conscience" : liberté selon la vraie religion, et liberté qui seule concorde avec la véritable dignité humaine : “Une autre liberté que l'on proclame aussi bien haut est celle que l'on nomme liberté de conscience. Que si l'on entend par là que chacun peut indifféremment, à son gré, rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, les arguments qui ont été donnés plus haut suffisent à le réfuter. Mais on peut l'entendre aussi en ce sens que l'homme a dans l'Etat le droit de suivre, d'après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d'accomplir ses préceptes sans que rien puisse l'en empêcher. Cette liberté, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l'objet des vœux de l'Eglise et de sa particulière affection. C'est cette liberté que les Apôtres ont revendiquée avec tant de constance, que les apologistes ont défendue dans leurs écrits, qu'une foule innombrable de martyrs ont consacrée de leur sang. Et ils ont eu raison, car la grande et très juste puissance de Dieu sur les hommes et, d'autre part, le grand et le suprême devoir des hommes envers Dieu trouvent l'un et l'autre dans cette liberté chrétienne un éclatant témoignage". (Libertas, PIN. 215).

Il est à peine besoin de souligner que "suivre la volonté de Dieu", "accomplir ses préceptes", "dans cette liberté chrétienne", désignent évidemment les devoirs de la vraie religion.

b) Sans doute la capacité ontologique de l'homme à "louer, honorer et servir Dieu" est déjà en elle-même, avant sa mise en œuvre, quelque chose de très digne et d'inamissible : tout homme, aussi dépravé soit-il, conserve cette "faculté du divin" à l'état potentiel, que Dieu pourra toujours "actuer" s'Il le veut, Lui qui, par sa grâce sanctifiante, peut faire d'un pécheur un saint. Et tout cela fonde assurément chez autrui, dans certaines limites, un devoir de prudence et de charité envers une personne qui se trouve dans l'erreur religieuse : à l'exemple de Jésus-Christ, qui, selon le prophète Isaïe, "ne briserait pas le roseau froissé et n'éteindrait pas la mèche fumante". (Mt. 12, 20).

Mais un devoir de mansuétude ou même de tolérance charitables, envers un égaré dont on espère la conversion, n'implique chez cette personne égarée aucun droit, c'est-à-dire en vertu de la justice, à la liberté d'action. Ne confondons pas charité (je te donne du "mien") et justice (je te donne ton "tien", ton dû) ! En justice, seul ce qui répond à la vérité et au bien moral a droit à la liberté d'action (cf. plus loin ''la tolérance", XVII).

c) Enfin l'argument clef qui prétend légitimer la possibilité même de la nouvelle théorie de la liberté religieuse, à savoir le "changement de fondement", s'avère être un sophisme cousu de fil blanc !

¬ En bonne logique, si la liberté religieuse relative à toutes les religions était bonne en soi, on ne pouvait pas la condamner "à cause des mauvais principes" dont elle se réclamait au XIXe siècle, à savoir le rationalisme individualiste et aussi le monisme étatique ; on pouvait seulement condamner ces principes ! Une liberté est bonne ou mauvaise selon son objet, non selon les motifs qu'elle invoque :

"Papa", déclare un jour Valérie, 17 ans, catholique, "j'entre chez les Moon".- "Et pourquoi donc, mon enfant", demande le père avec une grande bienveillance ? - "Parce que je suis libre de faire ce qui me plaît !" - "Alors, hélas, ma fille, dans ces conditions tu n'en as pas le droit", balbutie le père désolé. Le lendemain Valérie revient à la charge. "Papa, j'entre chez les Krishna". - "Pourquoi donc, mon enfant?" demande le père avec une non moindre bienveillance qu'hier. - "Au nom de ma dignité de personne humaine"... "et puis", ajoute-t-elle pensive, "je suis en recherche, je suis branchée". - "A la bonne heure", répartit le père enthousiaste, "cette fois tu as le droit" (extrait d'une Nouvelle).

Plus généralement, les actes humains sont spécifiés essentiellement par leur objet moral et non par l'intention de celui qui agit. Peu importe donc qu'on invoque le rationalisme du XIXè siècle ou je ne sais quel personnalisme du XXè, c'est la liberté religieuse elle-même qu'il faut juger, soit en elle-même, soit d'après ses fruits.

­ Et justement, la liberté religieuse (liberté d'action en matière religieuse relative à toutes les religions sans distinction) a été condamnée, par les papes du XIXè siècle, en elle-même, comme "liberté de perdition", et aussi en raison de sa conséquence, ou plutôt de son corollaire immédiat, qui est l'atteinte au droit public de l'Eglise. Elle n'a nullement été condamnée en raison de sa motivation historique du moment ; c'est ce qu'une lecture attentive des textes nous a fait voir (VIII, 4).

Conclusion :

Le "nouveau fondement" que l'on prétend poser pour la liberté religieuse, à savoir la dignité de la personne humaine, n'est qu'un faux prétexte. La liberté religieuse relative à toutes les religions, est et demeure condamnée, comme fausse, absurde, attentatrice aux droits de Jésus-Christ et de l'Eglise à régner, enfin comme versant dans les âmes le poison de l'indifférentisme religieux.

Ch. X. La liberté de recherche, fondement de la liberté religieuse ?

La nouvelle thèse de la liberté religieuse a voulu également fonder la liberté d'action en matière religieuse sur la "liberté de recherche", c'est-à-dire sur l'état d'une âme vivant dans l'erreur mais se disant "en recherche", "branchée" potentiellement sur Dieu et sur la vérité. Et voici l'argument invoqué : influencer ou contraindre une telle âme au cours de sa recherche, c'est la détourner d'une voie qui la conduirait à Dieu et à la vérité. Donc il faut assurer à chacun la "libre recherche", même si elle s'exprime extérieurement et publiquement par des actes cultuels ou autres, contraires à la vraie religion.

C'est affirmer trois choses :

1. Celui qui adhère "en puissance" seulement à la vérité a les mêmes droits d'expression que celui qui y adhère "en acte"

2. Toute âme honnête peut par elle-même parvenir à la vérité religieuse

3. Toute religion peut être une voie pour parvenir au vrai Dieu et à la vérité religieuse

Examinons ces trois allégations.

§. 1. Les droits de l'homme "en recherche" ?

a) La recherche étant une adhésion purement potentielle à la vérité, ne confère pas les droits que donne seule l'adhésion "en acte" à la vérité. Seule la dépendance effective vis-à-vis de Dieu et de la vérité révélée confère à la personne sa vraie dignité et, partant, le droit à la liberté d'action.

b) La recherche sincère est certes digne de la patience charitable de l'Eglise (dans un pays catholique), mais surtout de zèle évangélisateur !

De plus, elle n'est nullement le cas général parmi les non-chrétiens et aussi parmi les chrétiens non-catholiques. L'état mental des chrétiens séparés est bien opposé à la recherche et même au dialogue : “Ces gens tiennent énormément à leurs idées. Forts de ce qu'ils nomment leur libre examen ou leur libre pensée, ils sont généralement très arrêtés en leur esprit. On est même étonné que leur opposition aux dogmes de la foi s'affirme avec tant d'assurance et se présente elle-même au nom de véritables dogmes (...). La pertinacia (Il Il, 5, 3 ; 11, 2), c'est-à-dire (...) l'obstination et l'entêtement dans leurs idées, est la caractéristique même de leur état mental. A cause de cela, eux, qui se croient si larges d'idées comme ils disent et si ouverts à tout, nous paraissent butés et bornés". (R.P. Bernard o.p., Somme Théologique de saint Thomas, Revue des Jeunes, la Foi II, p 383).

De même le fanatisme de la religion islamique est en lui-même un obstacle à la recherche sincère de la vérité de la part des musulmans. La seule liberté religieuse à laquelle puissent légitimement aspirer ces peuples, c'est leur libération du carcan islamique socio-religieux qui les emprisonne dans l'erreur !

Conclusion :

Réclamer au nom de la "libre recherche" la tolérance pour tous les sectateurs de toutes les religions indistinctement, c'est tomber dans l'illusion et le piège d'un libéralisme aveugle.

§. 2. Toute âme honnête peut-elle par sa libre recherche parvenir à la connaissance de la vérité religieuse ?

Ce serait faire une bien grande confiance dans les capacités de l'intelligence humaine que d'affirmer une telle chose ! L'affirmation nous paraît même inspirée par un irréalisme déconcertant, et plus encore par un naturalisme hérétique.

a) Irréalisme de la libre recherche.

Citons une observation de Mgr Marcel Lefebvre envoyée au Secrétariat du Concile Vatican II, le 30 décembre 1964, concernant le schéma de déclaration sur la liberté religieuse, “textus emendatus" :

(Libre recherche, échange et dialogue) - Le paragraphe montre bien l'irréalisme de cette déclaration. La recherche de la vérité, pour les hommes vivant sur terre, consiste avant tout à obéir, à soumettre leur intelligence à quelque autorité que ce soit, familiale, religieuse et même civile. Combien d'hommes peuvent arriver à la vérité sans le secours de l'autorité ?"

b) Naturalisme de la libre recherche.

Elle oublie le péché originel et ses conséquences, surtout la "blessure de l'ignorance" dont souffre désormais l'intelligence de l'homme. Celle-ci est bien relevée par Saint Paul en Rom. 1, 18-23 et Eph. 4, 14 et 17-18, passages auxquels nous renvoyons le lecteur. Voici ce qu'en dit le R.P. Bernard (op. cit. p 370) : “Par l'acte du premier chef qui porta la destinée de tous (Adam), l'humanité est en faute : elle n'est pas demeurée ce que Dieu l'avait faite et voulait qu'elle fût. De là, dérive la lourde ignorance de la Vérité de Dieu, tout comme l'indifférence à l'amitié de Dieu. De là, son espèce d'impuissance à rejoindre la révélation divine, à la découvrir, à la distinguer, à s'en pénétrer. Personne assurément n'est abandonné de Dieu, chacun est touché par Lui assez pour être sauvé. Mais il pèse sur toute la race une sorte d'obscurcissement affligeant : la plupart ont peu de facilités dans leur vie et peu de lumières dans l'esprit pour s'ouvrir à la lumière venue de Dieu ; le plus souvent ils s'appliquent sottement, se croyant très sages, à former des nuées autour de cette lumière d'en-haut, ils en empêchent le rayonnement."

Saint Thomas disait simplement : “(par le péché originel) toutes les forces de l'âme demeurent en quelque sorte destituées de leur ordre propre, par lequel elles étaient naturellement ordonnées à la vertu : et cette destitution s'appelle blessure de la nature (...). En tant que la raison est destituée de son ordre au vrai, il y a la blessure de l'ignorance" (I Il, 85, 3).

De la vient la nécessité d'une révélation externe pour que l'homme puisse connaître non seulement les vérités surnaturelles, mais même les vérités naturelles concernant Dieu et la religion : “A cette divine révélation il faut attribuer ceci, que dans l'état présent de l'humanité tous puissent connaître aisément, avec une ferme certitude et sans mélange d'erreur ce qui dans les choses divines n'est pas inaccessible de soi à la raison humaine" (Vatican I, constitution dogmatique "Dei Filius", Dz 1785).

Si quelqu'un dit qu'il ne peut advenir ou qu'il n'est pas expédient que par la Révélation divine l'homme soit instruit de Dieu et du culte qu'on doit lui rendre, qu'il soit anathème" (Vatican I, canon 2 "de revelatione", Dz 1807).

Et cette révélation externe, son mode connaturel et ordinaire de s'exercer, c'est la prédication des ouvriers évangéliques : “Comment donc invoquera-t-on celui en qui on n'a pas encore cru ? Et comment croira-t-on en celui dont on n'a pas encore entendu parler ? Et comment en entendra-t-on parler s'il n'y a pas de prédicateur ? Et comment seront-ils prédicateurs, s'ils ne sont pas envoyés ? Selon qu'il est écrit : qu'ils sont beaux les pieds des évangélistes de paix, des évangélistes du bien ! Mais tous n'ont pas obéi à l'Évangile ; car Isaïe dit : “Seigneur, qui a cru à notre prédication ?" Ainsi la foi vient de la prédication entendue ; et la prédication se fait par la parole du Christ" : "Fides ex auditu" (Rom. 10, 14-17). (cf. Léon XIII, Encyclique "Satis cognitum" du 29 juin 1896, dans "I'Eglise", Desclée, 1959, n. 541)

Conclusion :

Affirmer que tout homme honnête peut, par la libre recherche, parvenir à la connaissance de la vérité religieuse, c'est contredire implicitement l'Ecriture Sainte et le Magistère, c'est donc proférer implicitement une hérésie qui relève du naturalisme.

§. 3. Toute religion peut-elle être une voie pour parvenir au vrai Dieu et à la vérité religieuse ?

Il y a dans l'affirmation en question plus qu'une ambiguïté, une erreur à peine implicite : l'indifférentisme religieux. Cette erreur est double ici :

- conception latitudinariste du salut,

- indifférentisme proprement dit.

a) conception latitudinariste du salut.

L'Eglise enseigne que l'on peut se sauver hors des limites visibles de l'Eglise catholique, par le "baptême de désir implicite", qui peut se rencontrer chez certains non-catholiques et non-chrétiens qui souffrent d'une "ignorance invincible", c'est-à-dire non coupable, de la vraie religion (Pie IX, "Singulari quadam", Dz 1647), mais observent la loi naturelle, mènent une vie honnête et droite et sont disposés à obéir à Dieu (Pie IX, Encyclique “Quanto conficiamur moerore", Dz 1677). Cette doctrine a encore été rappelée par une instruction du Saint Office, du 8 août 1949 (DS. 3870).

Mais, outre qu'hors des limites visibles de l'Eglise, on est dans une voie "où nul ne peut être assuré de son salut" (Pie XII "Mystici Corporis", DS. 3821), "qui pourrait s'arroger de déterminer les limites (l'étendue exacte) de l'ignorance invincible en question, selon la variété des peuples, des régions, des dispositions intellectuelles et de tant d'autres choses ?" (Pie IX, Dz 1647).

Dès lors l'affirmation en question est latitudiniste en ce que, dans son sens obvie, elle étend sans limite la possibilité du baptême de désir implicite dans les religions erronées.

b) l'indifférentisme proprement dit

Pour bien comprendre l'erreur indifférentiste, à peine implicite, de la formule, notons ceci :

- S'il est vrai que Dieu peut, par la grâce invisible du Saint-Esprit, attirer à la vérité une âme qui vit dans une religion fausse, il est faux que Dieu se serve positivement de cette fausse religion comme d'une voie vers Lui. La fausse religion, avec ses croyances erronées et ses pratiques peut-être superstitieuses sinon plus, ne peut être en elle-même une voie vers Dieu.

- C'est malgré sa fausse religion, malgré ses rites superflus ou superstitieux, que l'âme en question se sauvera. Par conséquent, soit dit entre parenthèses, les manifestations extérieures ou même publiques de cette religion ne peuvent absolument pas être considérés comme l'expression de la "recherche" d'une telle âme, à supposer qu'elle soit de bonne volonté.

- C'est par l'influence invisible du Christ et de l'Église que l'âme en question se sauvera ; c'est parce qu'elle est déjà sans le savoir chrétienne et catholique, qu'elle fera son salut ; la voie que suit cette âme, ce n'est pas sa religion erronée, c'est le Christ, qui est "la voie, la vérité et la vie" ! Affirmer qu'il existe pour cette âme une autre voie de salut, c'est précisément l'hérésie indifférentiste.

S'il faut qualifier la formule que nous critiquons, nous lui donnerions sans hésiter la censure théologique de "sententia sapiens haeresim”, sinon de franchement “haeretica”!

Quelques notions sur l'indifférentisme religieux :

L'indifférentisme religieux nous semble l'erreur la plus fondamentale de l'heure présente, c'est pourquoi nous croyons utile d'en donner un bref aperçu. Sans doute, cet indifférentisme peut-il revêtir diverses formulations plus ou moins explicitement hérétiques, que l'on peut classer par ordre d'erreur croissante : formule captieuse, erreur "sapiens haeresim", erreur "proche de l'hérésie", hérésie et finalement apostasie :

- “Les personnes vivant hors de la vraie foi peuvent arriver au salut éternel".

- “On peut bien espérer du salut de ceux qui demeurent dans les autres religions".

- “Toutes les religions apportent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes".

- “Le Christ est dit "voie, vérité et vie", en tant qu'en Lui seul on trouve la plénitude de la vie religieuse".

- “On peut faire son salut dans n'importe quelle religion”.

- ”Aucune religion, en tant que telle, n'est dépourvue de signification dans le mystère du salut".

- “La religion catholique est le moyen ordinaire du salut ; les autres religions sont des moyens extraordinaires de salut".

- “Tous les hommes, de quelque religion qu'ils soient, sont également dans la voie du salut".

- “Toutes les religions sont vraies".

- “Nous croyons au même Dieu, le Dieu unique (chrétiens, juifs et musulmans)”.

- “Nous attendons ensemble le Messie”. (chrétiens et juifs)

Sans doute l'indifférentisme religieux a-t-il été historiquement motivé par des erreurs très variées :

- L'agnosticisme de la philosophie des lumières et son naturalisme ;

- Le rationalisme selon lequel la raison de chacun est seul juge du vrai et du faux;

- Les maximes "liberté-égalité-fraternité" de la Franc-maçonnerie, du libéralisme et de la révolution.

- L'optimisme sôtériologique du sentimentalisme et du naturalisme de l'esprit romantique du XIXè siècle.

- L'authenticité de l'expérience religieuse de toutes les religions, affirmée par le modernisme du début du XXè siècle, et encore aujourd'hui.

- Le concept actuel de "peuple de Dieu" envisagé comme Super-Eglise englobant, outre l'Eglise catholique, et dans son orbe, d'autres religions dites "en une certaine communion" avec elle.

Peu importe les motifs historiques variés, puisque c'est l'indifférentisme religieux qui a été condamné en lui-même et dans toutes ses formulations connues en leur temps, par les Papes Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, Saint Pie X, Pie XI, et Pie XII, et qui sera tôt ou tard condamné dans sa formule actuelle ! Nous renvoyons le lecteur aux textes du magistère qui condamnent l'indifférentisme et qui sont cités dans l'annexe 1.

Conclusion sur l'indifférentisme

L'indifférence religieuse est bien l'hérésie la plus constamment condamnée par les Papes, depuis que les sociétés secrètes en ont répandu le venin dans le monde et jusque dans le sein même et dans les veines de l'Eglise.

A la base de cette hérésie se trouve l'erreur philosophique du relativisme de la vérité : la vérité catholique, ses dogmes, sont assurément vrais, mais les autres religions ont aussi leurs vérités. La vérité n'est plus une, la religion catholique n'est plus la seule vraie. - On ne peut concevoir un poison si mortel pour l'Eglise, puisqu'il la fait douter d'elle-même, de son caractère de vérité absolue et totale et de sa mission salvatrice universelle.

Actuellement l'hérésie indifférentiste est une véritable apostasie puisqu'elle nie que Notre-Seigneur Jésus-Christ soit le seul Dieu, le seul Sauveur, le seul qui ait droit à régner, celui par qui il faut être régénéré et à qui il faut être incorporé par le baptême pour être sauvé. Elle attribue en effet aux autres religions des "valeurs de salut", une "signification dans le mystère du salut", ce qui est une monstrueuse injure faite à Jésus-Christ : en effet si certains peuvent effectivement se sauver dans les religions erronées, c'est par les vérités et par les grâces qui leur viennent malgré tout de Jésus-Christ et de la véritable Eglise, et non par ces religions en tant que telles qui sont en elles-mêmes des résistances au Saint Esprit et un obstacle à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

L'apostasie indifférentiste est le fondement même du faux œcuménisme et de la fausse liberté religieuse : si en effet toute religion est une voie pour parvenir à Dieu, il faut remplacer l'esprit missionnaire par le dialogue œcuménique, et accorder droit de cité à toutes les expressions de la libre recherche des adeptes de toutes les religions sans distinction.

Conclusion sur la libre recherche

La libre recherche en matière religieuse s'avère être une erreur

- irréaliste en elle-même, puisqu'elle passe sous silence et nie dans la pratique la nécessité d'une autorité, d'un maître, pour parvenir à la vérité ;

- imbue de l'erreur du naturalisme, en ce qu'elle nie dans la pratique le péché originel, la déchéance de la dignité humaine, et surtout la blessure de l'ignorance dont reste frappée l'intelligence humaine ;

- infectée de l'hérésie et même de I'apostasie de l'indifférentisme religieux qui fait de toute religion une voie de salut.

Par conséquent, on ne peut rien fonder sur cette erreur de la libre recherche : la "liberté religieuse" ne peut invoquer la liberté de recherche sans se condamner elle-même !

Bien plus, il nous semble maintenant clair que la "liberté religieuse" réclamée en ce XXè siècle finissant est "motivée historiquement" par des erreurs plus pernicieuses encore que les erreurs qui sous-tendaient la proclamation de la "liberté de conscience et des cultes" au XIXè siècle. Cette dernière, nous l'avons dit, était motivée par le rationalisme et le libéralisme absolu de l'époque ; mais qu'est-ce, par rapport au naturalisme et surtout à l'indifférentisme actuel qui, nous l'avons montré, manifeste tous les signes d'une apostasie véritable !

Ch. XI. La liberté religieuse, droit fondamental de la personne humaine ?

Les papes Pie XI, Pie XII et Jean XXIII ont déclaré, à la face des totalitarismes, et pour se distancer en même temps du libéralisme des faux "droits de l'homme", les droits naturels principaux de la personne humaine, appelés pour cela "fondamentaux" (cf. plus haut, V). Parmi ces droits, se trouve un droit à la "liberté du culte de Dieu". Quel est le sens exact de ce droit ? Le droit à la liberté religieuse pour tous les sectateurs de tous les cultes s'inscrit-il dans la ligne de ce droit fondamental ? Peut-on dire qu'il en provient par un "développement homogène" de la doctrine de l'Eglise ?

§. 1. Énoncés successifs du droit fondamental à la liberté du culte de Dieu.

Mais on peut l'entendre aussi (la liberté de conscience et de culte) en ce sens que l'homme a dans la cité le droit de suivre, d'après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d'accomplir ses préceptes, sans que rien ne puisse l'en empêcher. Cette liberté, la vraie liberté, la liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l'objet des vœux de l'Eglise et de sa particulière affection" (Léon XIII, Libertas, PIN. 215, texte déjà cité).

L'homme, en tant que personne, possède des droits qu'il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la communauté hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger (PIN. 677).

“(...) Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la revivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficiles la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel". (Pie XI, Encyclique Mit brennender Sorge du 14 mars 1937, DC. 837-838, p. 915).

Promouvoir le respect et l'exercice pratique des droits fondamentaux de la personne, à savoir : le droit à entretenir et à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier le droit à une formation et à une éducation religieuse ; le droit au culte de Dieu privé et public, y compris l'action charitable religieuse..." (Pie XII, Radio-message, 24 décembre 1942).

Il faut inscrire aussi au nombre des droits de l'homme, celui de pouvoir vénérer Dieu, selon la droite norme de sa conscience, et de professer la religion en privé comme en public". (Jean XXIII, Encyclique "Pacem in terris", 11 avril 1963)

(N.B. L'emploi de l'expression "droits de l'homme" est, dans cette dernière Encyclique, fort regrettable ; depuis sa naissance cette expression signifie les droits d'un sujet absolu de droits, non les droits d'une créature faite pour "louer, honorer et servir" son Créateur et Seigneur ! Ces derniers droits s'appellent précisément "droits naturels fondamentaux".)

§. 2. Objet du droit fondamental de la personne à la liberté du culte de Dieu.

a) c'est un droit :

- naturel, mais qui doit être reconnu aussi comme un droit civil ;

- affirmatif (droit d'honorer Dieu par un culte) et négatif (sans en être empêché) ;

- subjectif ("droits que l'homme tient de Dieu") et objectif (droit au culte de Dieu, à l'action caritative religieuse, à l'éducation religieuse).

b) Les expressions "suivre la volonté de Dieu", "croyant", "professer sa foi", "culte de Dieu", "vénérer Dieu", "professer la religion", désignent :

- explicitement, la religion quelle qu'elle soit, naturelle ou positive, par laquelle Dieu veut être honoré ;

- implicitement, la seule vraie religion positive : la religion de l'Eglise catholique, à l'exclusion de toutes les autres.

En effet, dès lors que l'on parle de "droit objectif" (objet concret du droit en question), celui-ci ne peut être que quelque chose de vrai et de bien moralement: c'est ce qu'enseignent deux des mêmes papes : “Le droit est une faculté morale, et, comme nous l'avons dit et comme on ne peut trop le redire, il serait absurde de croire qu'elle appartienne naturellement, et sans distinction ni discernement, à la vérité et au mensonge, au bien et au mal". (Léon XIII, Libertas, PIN. 207)

Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence ni à la propagande ni à l'action" (Pie XII, allocution "Ci Riesce" aux juristes italiens, 6 décembre 1953, PIN. 3041, déjà cité plus haut, VI, 1).

c) Cependant Léon XIII et Jean XXIII parlent d'un droit de la personne à honorer Dieu "ex conscientia officii" ou "ad rectam conscientiae suae normam". N'est-ce pas reconnaître un droit objectif, en matière religieuse, à des consciences droites, mais erronées non coupablement ?

On doit répondre : non, absolument pas !

- L'erreur non coupable excuse du péché, mais ne crée aucun droit objectif à la professer ou à la pratiquer (cf. plus haut, III).

- Le texte de Léon XIII, lu en entier (cf. plus haut IX, 2, a) ne se prête pas à une interprétation subjectiviste. Celui de Jean XXIII laisse tout au plus planer un léger doute.

- Par conséquent il faut donner à ces deux incises un sens explicatif: "d'après la conscience de son devoir", ou tout au plus restrictif : "pour autant que sa conscience, rectifiée par la vertu de prudence, connaît la vraie religion"; mais en aucun cas un sens subjectif : "la religion, telle que la conçoit sa conscience".

Conclusion :

Au sens de droit objectif, le "droit fondamental à la liberté du culte de Dieu, etc." concerne la vraie religion, à l'exclusion de toute autre. Prétendre que le magistère de l'Église puisse tirer de cette doctrine catholique et de la continuité invariable de ses affirmations par la bouche des papes, comme par un "développement homogène”, une doctrine d'un droit objectif à la liberté religieuse qui appartiendrait indistinctement aux adeptes de toutes les religions, c'est une erreur, une absurdité, une imposture, une hérésie puisqu'elle attribue à l'Église la capacité de se contredire, une impiété enfin, puisqu'elle condamne l'Église à nous mentir sans vergogne en disant : "rassurez-vous, il y a continuité", alors qu'il y a, au contraire, rupture évidente !

§. 3. Attitude pratique des papes dans la revendication du droit fondamental religieux.

Il ne faut pas accuser les papes Pie XI et Pie XII de duplicité, parce qu'ils ont affirmé tantôt une chose, tantôt une autre : tantôt un droit "au culte de Dieu" sans précision, tantôt un droit à professer la foi catholique précisément. C'est la même doctrine du droit fondamental et religieux, qui est exposée sous ces deux facettes : droit subjectif et droit objectif (cf. plus haut, V, conclusion).

Précisons les deux cas qui se présentent ; nous y ajouterons ensuite un troisième.

a) Il y a d'abord les régimes persécuteurs (régimes communistes en particulier) qui combattent toutes les religions indistinctement, en leur niant non seulement tout droit objectif à s'exercer librement, mais encore en s'attaquant à la racine même du droit au culte de Dieu, c'est-à-dire au droit subjectif. L'Eglise alors affirme le droit fondamental au culte de Dieu "in abstracto", c'est-à-dire le droit subjectif au culte de Dieu, et implicitement le droit objectif au vrai culte du vrai Dieu. D'où la série des documents que nous avons cités ci-dessus (X, 1).

b) Il y a ensuite les pays chrétiens ou même catholiques dont le régime persécute spécialement l'Église catholique, son clergé, ses associations et ses membres (comme dans l'Italie fasciste et surtout l'Allemagne hitlérienne). L'Eglise n'hésite pas à revendiquer dans ce cas "in concreto" le droit objectif des "croyants", c'est-à-dire des âmes catholiques, au niveau naturel et même surnaturel :

- au niveau naturel : “Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi (abstraitement parlant : foi en la révélation divine; mais aussi, en l'occurrence, foi catholique précisément) et à la revivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficiles la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel". (Pie XI, Encyclique "Mit brennender Sorge" contre le nazisme persécuteur de l'Eglise en Allemagne, texte déjà cité).

- au niveau surnaturel : “(...) Les droits sacrés et inviolables des âmes et de l'Eglise. Il s'agit des droits qu'ont les âmes de se procurer le plus grand bien spirituel sous le magistère et l'œuvre éducatrice de l'Eglise, divinement constituée unique mandatrice de ce magistère et de cette âme, en cet ordre surnaturel fondé dans le Sang du divin Rédempteur, nécessaire et obligatoire pour tous, afin de participer à la divine Rédemption. Il s'agit du droit des âmes ainsi formées, à communiquer les trésors de la Rédemption à d'autres âmes, en collaborant à l'activité de l'apostolat hiérarchique (Pie XI a en vue l'Action Catholique, étranglée par le fascisme italien). C'est en considération de ce double droit des âmes que Nous Nous disions récemment heureux et fier de combattre le bon combat pour la liberté des consciences, non pas - comme certains par inadvertance peut-être, Nous l'ont fait dire - pour la liberté de conscience, manière de parler équivoque et trop souvent utilisée pour signifier l'absolue indépendance de la conscience, chose absurde en une âme créée et rachetée par Dieu“. (Pie XI, Encyclique "Non abbiamo bisogno", du 29 juin 1931, DC. 574, 82).

On notera au passage le soin du Pape Pie XI à dissiper les équivoques de langage. Pour la même raison, il ne faut pas confondre "liberté du culte de Dieu" et "liberté des cultes". De même l'expression "liberté religieuse", ignorée par tous les papes avant Vatican II, est évitée précisément parce qu'elle est elle-même une équivoque : quelle liberté '? quelle religion ?

Aux deux cas de figure (a) et (b), qu'illustrent bien les distinctions indispensables : droit subjectif - droit objectif, droit abstrait - droit concret (qui ne coïncident pas tout à fait), il convient pour être complet d'ajouter un troisième cas.

c) Reste en effet le cas des pays de mission dont les régimes païens combattent spécialement la religion catholique ou lui interdisent tout prosélytisme (comme en Inde par exemple). L'Eglise pourra alors user d'un argument "ad hominem" en réclamant pour elle et ses missionnaires le "droit commun", c'est-à-dire le droit objectif que l'Etat accorde (indûment) aux autres religions. Mais il faut bien remarquer que cela reste un argument "ad hominem", dont il serait absurde et impie d'inférer que l'Église reconnaît le principe du droit objectif, naturel et civil, à la liberté d'action pour toutes les religions sans distinction!

Ch. XII. La contrainte en matière religieuse dans l'histoire biblique

Les doctrines de la liberté religieuse, celles du XIXè siècle comme celles du XXè siècle, réclament l'indépendance, la liberté d'action et plus précisément l'exemption de toute contrainte vis-à-vis de tout pouvoir humain, en matière religieuse.

L'histoire biblique corrobore-t-elle ou au contraire infirme-t-elle cette allégation ? Quelle doctrine peut-on dégager de l'Ecriture Sainte en ce qui concerne la contrainte en matière religieuse ?

§. 1. La contrainte en matière religieuse dans l'Ancien Testament

Dieu oblige sévèrement son peuple à conserver fidèlement la vraie religion et à se garder des cultes des faux dieux.

A cet effet Dieu statue une loi fondamentale, dans le Deutéronome, chap. 13, où il commande au peuple israélite de rejeter les faux prophètes (1-5), les séducteurs qui attirent aux autres cultes (6-11) et les villes qui tombent dans l'idolâtrie (12-18). Au chapitre 17, 2-7, ce précepte est renouvelé. Des peines extrêmes sont, de plus, statuées contre les violateurs de ces préceptes : peine du glaive et peine du feu.

Tous ces commandements sont par la suite fidèlement appliqués par les bons Juges, les bons rois et les prophètes, tout au cours de l'histoire du peuple israélite: cf. Josué 23, 6-8 ; 24, 14-15 ; Juges 6, 25-26 ; III Reg. 18, 40 ; IV Reg. 10, 18-31; 23, 5-24 ; Il Paralip. 15, 13 ; 17, 6 ... ; 19, 3 ; 23, 16-17 ; 30, 14 ; 34, 33 ; Il Esd. 9, 37 ; 13, 16-18 ; I Mac. 2, 24-25 ; 9, 73 ; Dan. 14, 21.

§. 2. La contrainte en matière religieuse dans le Nouveau Testament

A la fin de l'existence du peuple théocratique, "apparut la bénignité et l'humanité du Sauveur notre Dieu" (Tit. 3, 4), Jésus-Christ, "doux et humble de cœur (Mt. 11, 29).

Néanmoins, Jésus agit souvent avec vigueur. Il accomplit des miracles qui, comme la résurrection de Lazare, rendirent les juifs inexcusables de leur péché (Jn 15, 24). Il réprimande très fortement les scribes et les pharisiens hypocrites qui "fermaient le royaume des cieux devant les hommes, n'y entrant pas eux-mêmes et n'y laissant pas entrer" (Mt. 23, 13). Par la parabole des vignerons perfides (Mt 21, 33-46), également en pleurant sur Jérusalem et en prophétisant sa destruction (Lc 19, 44), Il voulut détourner le peuple juif de l'infidélité, au moins par la terreur et la crainte de maux temporels futurs. Bien plus, Il chassa du temple les acheteurs et les vendeurs avec un fouet, troublant du même coup l'ordre public (Jn 2, 15). Enfin Il prédit les châtiments éternels à ceux qui refuseraient de croire à la parole des missionnaires de l'Évangile (Mc 16, 16).

L'Apôtre Saint Pierre ayant découvert le mensonge d'Ananie et de Saphire en matière religieuse, le leur reprocha sévèrement, et ils reçurent de Dieu la peine d'une mort subite, si bien "qu'une grande crainte se répandit dans toute l'église et chez tous ceux qui l'apprirent" (Act. 5,11). Dans sa seconde épître, il blâme fortement les "faux prophètes qui se trouvent dans le peuple", les appelant "fontaine sans eau, et nuées agitées par un tourbillon, à qui la profondeur des ténèbres est réservée" (2, 17), et encore "chien retourné à son propre vomissement" et "truie lavée qui se vautre à nouveau dans le bourbier" (2, 22).

Saint Paul reprend Elymas, mage et faux prophète qui s'efforçait de détourner de la foi le proconsul Sergius Paulus, et après l'algarade de Paul, Elymas devient aveugle, “privé pour un temps de la vue du soleil" (Act. 13, 8-11). Dans sa deuxième épître aux Corinthiens, Paul lui-même affirme qu'il a le pouvoir "d'agir plus durement" envers ceux qui ne marchent pas selon sa parole (13, 10). Et dans l'épître aux Galates il dit des judaïsants : "Ah ! qu'ils se fassent plutôt mutiler complètement, ceux qui vous troublent” (5, 12)

L'Apôtre Saint Jean appelle séducteurs et antéchrists certains faux docteurs, et quant aux relations à entretenir avec eux, il donne aux chrétiens ce précepte : "Si quelqu'un vient à vous et n'apporte pas cette doctrine, ne le recevez pas dans votre maison et ne lui dites pas : salut ! Car celui qui lui dit : Salut ! participe à ses œuvres mauvaises" (Il Jn 10-11).

L'Apôtre Jude apostrophe ainsi les faux docteurs, dans son épître : "Ce sont (…) des nuées sans eau, emportées au hasard par les vents ; arbres d'automne sans fruits, deux fois morts, déracinés, vagues furieuses de la mer, jetant l'écume de leurs infamies ; astres errants, auxquels d'épaisses ténèbres sont réservées pour l'éternité" (12-13).

Dans l'Apocalypse, enfin, il est dit à "l'Ange", c'est-à-dire à l'évêque de Pergame : "J'ai contre toi quelques griefs : c'est que tu as là des gens attachés à la doctrine de Balaam, qui conseillait à Balec de mettre devant les fils d'Israël une pierre d'achoppement, pour les amener à manger des viandes immolées aux idoles et à se livrer à l'impudicité : de même toi aussi, tu as des gens attachés pareillement à la doctrine des Nicolaïtes. Repens-toi !" (2, 14-16). Davantage encore, l'évêque de l'église de Thyatire est blâmé de son excessive douceur envers une fausse prophétesse : "J'ai contre toi quelques griefs : tu laisses la femme Jézabel, se disant prophétesse, enseigner et séduire mes serviteurs, (...) Je lui ai donné un temps pour faire pénitence (...) Voici que je vais la jeter sur un lit (…) Je frapperai de mort ses enfants" (2, 20-23).

Conclusions :

Conclusions à tirer de l'Ancien Testament

De la manière d'agir de Dieu dans toute l'histoire du salut dans l'Ancien Testament, aussi bien que de la façon dont se sont exprimés les auteurs inspirés, on doit extraire de toute évidence les points de doctrine suivants :

1. Dieu n'a jamais permis que soient tolérés dans l'ordre juridique de la vie du peuple israélite, le culte des idoles et la prédication des faux prophètes.

2. Bien au contraire, Dieu a commandé que soient réprimés, avec la coercition externe la plus violente, les cultes des faux dieux.

3. Les rois et les prophètes qui ont agi de cette façon, conformément à la volonté de Dieu, sont loués sans réserves par l'hagiographe ; en revanche sont blâmés ceux qui agirent d'une façon contraire.

Conclusions à tirer du Nouveau Testament

1. Sans doute, la façon d'agir de Notre-Seigneur Jésus-Christ et des apôtres est beaucoup plus empreinte de douceur et de mansuétude que celle que Dieu imposa au peuple d'Israël sous l'ancienne Loi.

2. Mais il est aussi très certain que, tant le Christ que les apôtres, ont souvent employé la contrainte : contrainte morale, d'abord, des blâmes publics ou de l'annonce de châtiments temporels exemplaires (sans oublier la menace des peines éternelles contre ceux qui refuseront d'obéir à l'Evangile qui leur sera prêché) ; puis la coercition physique elle-même : mise au ban de l'Église et de la société chrétienne, ou peines violentes encore plus brutales ; et ceci, contre hypocrites, faux docteurs, hérétiques, apostats et sectaires.

3. En particulier Notre-Seigneur n'admet pas qu'on laisse agir librement les faux docteurs : ainsi, dans l'Apocalypse, il reprend Jean, évêque de Thyatire, de ce qu'il a permis à Jézabel d'enseigner et de séduire.

Conclusions générales :

1. D'abord un simple fait : la contrainte en matière religieuse est une constante de l'histoire biblique.

2. Ensuite une conclusion théologique certaine : la nature humaine ne répugne pas intrinsèquement à la contrainte, quelle qu'elle soit, en matière religieuse.

3. Ensuite, ce qui est "doctrina catholica" :

- Dans l'Ancien Testament, l'autorité contraignante est l'autorité directe de Dieu lui-même (gouvernement théocratique), dont les autorités humaines ne sont que les exécutants ; et la primauté appartient sous l'ancienne Loi aux contraintes temporelles (S. Th. I II, 29, 6) souvent violentes.

- Dans le Nouveau Testament, qui est la Loi d'amour, la primauté appartient à la persuasion (cf. I Pet. 5, 2) et à la contrainte morale exercée par la menace des peines éternelles, mais sans supprimer toute contrainte temporelle ni même violente. D'autre part, après l'Ascension de l'Homme-Dieu, l'autorité contraignante en matière religieuse est l'autorité des Apôtres, qui, bien que surnaturelle, est une autorité humaine.

4. Enfin la thèse de l'exemption de toute contrainte vis-à-vis de quelque pouvoir humain que ce soit, à cause de la généralité même des termes "quelque pouvoir humain que ce soit", s'avère manifestement contraire à la doctrine de l'Ecriture Sainte contenue dans le Nouveau Testament.

Ch. XIII. La liberté religieuse droit à l'exemption de toute contrainte en matière religieuse ?

Le droit à l'erreur n'est pas moins absurde, nous l'avons vu (VI, 2), qu'on le considère comme un droit affirmatif (droit d'embrasser ou de professer l'erreur), au comme un droit négatif seulement (droit de ne pas être empêché d'embrasser ou de professer l'erreur). Et cette absurdité du droit à l'erreur demeure, même si l'erreur est une erreur religieuse, parce qu'elle reste erreur !

On a pourtant voulu soutenir que la personne qui vit dans l'erreur religieuse a droit à être exemptée de toute contrainte : car, dit-on, contraindre une conscience en matière religieuse, c'est la violer. Et, ajoute-t-on, l'Eglise elle-même réprouve toute contrainte exercée sur une personne pour lui faire embrasser la foi catholique : “Ad amplexandam fidem catholicam nemo invitus cogatur" (Code de droit canon de 1917, can. 1351)

A embrasser la foi catholique, que personne ne soit contraint contre son gré".

Il y a là une équivoque à dissiper :

¬ Que personne ne doit être contraint à embrasser la religion catholique contre son gré, c'est effectivement ce que l'Eglise a toujours soutenu, encore qu'il faille opérer les précisions nécessaires.

­ Mais que personne ne doive être empêché d'embrasser ou de professer une fausse religion, voilà une proposition assurément fausse et condamnée.

Expliquons-nous :

§. 1. Il n'est pas permis de contraindre quelqu'un à embrasser contre son gré la foi catholique.

a) Exposé de la doctrine :

- L'acte de foi, duquel dépend le salut, doit être "maxime liber", le plus libre. Dès lors, la contrainte (crainte des peines), qui diminuerait la liberté et le "volontaire" de l'acte de foi, ne doit pas être employée pour faire embrasser à quelqu'un la foi catholique.

- Ce principe est exposé par les Pères, notamment Lactance et saint Augustin, il est repris de ce dernier par le droit canon et est enseigné par le pape Léon XIII : “C'est d'ailleurs la coutume de l'Eglise de veiller avec le plus grand soin à ce que personne ne soit contraint d'embrasser la foi catholique contre son gré, car ainsi que l'observe sagement saint Augustin, l'homme ne peut croire que de plein gré". (Immortale Dei, PIN. 154)

b) Il est cependant nécessaire de distinguer plusieurs cas, qui font intervenir d'autres principes :

1/ Ceux qui n'ont jamais reçu la foi comme les païens et les juifs : saint Thomas leur applique pleinement le principe de la liberté de l'acte de foi : “tales nulo modo sunt ad fidem compellendi, ut ipsi credent, quia credere voluntatis est" (Il II, 10, 8).

2/ Les hérétiques et les apostats, au contraire, puisque par le baptême ils ont reçu la foi et sont sujets de l'Église, peuvent être contraints (par l'Église et ses mandataires), "même corporellement", précise saint Thomas, "à tenir ce qu'ils ont reçu et à accomplir ce qu'ils ont promis" (Loc. cit.).

Cet enseignement est repris, avec l'autorité apostolique, par le pape Pie VI : “Maintenant, examinons sous son autre aspect ce mot de liberté. Voyons bien le discernement qu'il y a à faire entre des hommes qui ont toujours été hors du sein de l'Église, comme les infidèles et les juifs, et ceux qui se sont soumis à elle par le baptême qu'ils ont reçu. Pour les premiers, il n'y a pas en effet à les astreindre à professer l'obédience catholique. Mais pour les seconds il y a lieu de les y forcer" (Bref aux évêques de France, 1791).

Le R.P. Bernard o.p. commente ainsi ce texte magistériel : “Le pape veut dire que la liberté n'est pas une fin en soi et qu'il importe seulement d'en faire un bon usage. Chez ceux qui ne sont nullement liés à la foi catholique, l'Eglise ne se croit pas en droit d'intervenir: elle a le souci de respecter la liberté, avec en plus, s'il est possible, le zèle de la guider et de l'éclairer. Mais chez ceux qui se trouvent liés à la foi par des sacrements reçus ou des engagements pris, l'Église se croit en droit d'intervenir, non certes pour violenter la liberté, mais pour la rappeler à l'ordre : l'Eglise agit en ce cas comme une société sur ses membres, comme une mère-patrie sur ses propres enfants. Sous ce rapport, elle a toujours fait une grande différence : "cette différence, conclut Pie VI, est exposée par saint Thomas d'Aquin avec des raisons très solides comme toujours." (Somme Théologique, Revue des Jeunes, "La Foi" T II, p. 408)

Retenons le principe "qu'il y a lieu de contraindre les hérétiques". Peu importe, en soi, qu'ils soient de mauvaise foi ou de bonne foi, qu'ils aient commis ou qu'ils n'aient pas commis le péché formel d'infidélité : le fait est qu'ils ont promis à leur baptême de rester fidèles à la foi qu'ils ont reçue, et qu'ils ont été objectivement infidèles à cette promesse. Dès lors l'Église leur mère les rappelle à l'ordre, si besoin est par la contrainte.

Néanmoins la prudence et la charité demanderont parfois de ne pas exercer une contrainte violente, ou même souvent d'user d'une relative tolérance, envers les hérétiques qui vivent depuis leur naissance ou depuis des générations dans l'erreur, car la terreur peut avoir pour effet de les révolter franchement contre I'Eglise.

Mais quand il s'agit d'une hérésie toute récente, et s'il n'y a pas à craindre "qu'en arrachant l'ivraie, on arrache en même temps le bon grain" en scandalisant les bons (parce que l'erreur est bien connue et réprouvée par les fidèles), alors saint Augustin et saint Thomas sont d'accord : "non dormiat severitas disciplinae" (Il II, 10, 9, ad 1).

§. 2. Il est permis d'empêcher quelqu'un d'embrasser ou de professer une religion erronée ou d'en propager les erreurs.

Voilà la vérité que l'on passe sous silence, et qui appartient pourtant autant que la précédente à la doctrine catholique ! Elle est prouvée par la raison, par les Pères, par le magistère et la pratique de l'Eglise, par la pratique des princes chrétiens approuvés par l'Eglise, enfin par l'enseignement du "docteur commun", saint Thomas.

a) Preuve de raison :

Il n'y a pas de droit à l'erreur ni à sa propagation (cf. plus haut VI). Dès lors, il est licite d'empêcher quelqu'un d'adhérer à l'erreur religieuse ou de la professer ; ce faisant, "on ne l'atteint dans aucun des biens auxquels il a droit, ni dans son droit à ces biens" (pour reprendre les paroles de Pie XII sur un autre sujet, mais qui s'appliquent également à notre propos - Discours à des spécialistes de la chirurgie de l'œil, 14 mai 1956) :

- dans aucun des biens auxquels il a droit : à savoir professer la religion selon la volonté de Dieu, c'est-à-dire la vraie religion ;

- ni dans son droit à ces biens : à savoir son droit (subjectif) au culte de Dieu in abstracto.

b) Pères :

Les ouvriers de la parabole de l'ivraie et du bon grain disent au maître : "permettez que nous arrachions l'ivraie". Le maître leur répond : "non, de peur qu'en ramassant l'ivraie, vous n'arrachiez en même temps le bon grain" (Mt 13, 29). Saint Jean Chrysostome commente cette réponse en l'appliquant aux hérétiques :

Non igitur prohibet (Dominus) haereticos reprimere, illorurn ora obstruere, libertatem loquendi coercere, coetus eorum solvere, pacta respuere ; sed occidere vetat". (Homélie sur S. Matthieu)

N.B. "mais il interdit de les tuer (les hérétiques)": comprenons : si en les tuant, on devait "en même temps arracher le bon grain", c'est-à-dire scandaliser les bons.

c) Enseignement de saint Thomas, Il II, 11, 3 : “Les hérétiques doivent-ils être tolérés ?” (le saint docteur parle des hérétiques nouvellement apparus dans une nation catholique)

"Je réponds : il faut dire qu'à propos des hérétiques deux choses sont à considérer : l'une de leur côté, l'autre du côté de l'Eglise. De leur côté, il y a un péché par lequel ils méritent non seulement d'être séparés de l'Eglise par l'excommunication, mais encore d'être exclus du monde par la mort. Il est en effet bien plus grave de corrompre la foi, d'où vient la vie de l'âme, que de falsifier la monnaie, par laquelle on subvient à la vie temporelle (...) Du côté de l'Eglise, il y a la miséricorde, pour la conversion de ceux qui errent. C'est pourquoi elle ne condamne pas tout de suite, mais après une première et une seconde correction, comme l'enseigne l'Apôtre (Tit. 3, 10). Mais ensuite, s'il se trouve pertinace, l'Eglise désespérant de sa conversion pourvoit au salut des autres en le séparant de l'Eglise par la sentence d'excommunication; et plus loin le livre au jugement séculier pour être exterminé de ce monde par la mort".

N.B. La doctrine catholique du recours au bras séculier est exposée plus loin (XV). Quant à la peine de mort à exercer contre les hérétiques obstinés, il semble qu'on doive la restreindre aux seuls fauteurs d'hérésie, non à leurs victimes. D'autres nuances sont apportées par des auteurs récents, qui restreignent la peine de mort aux seuls hérétiques relaps : une fois bien convertis, puis retombés dans leur hérésie. Mais la pensée de saint Thomas ne semble pas souffrir cette édulcoration.

d) Magistère et pratique actuelle de l'Eglise dans la défense de la foi de ses enfants contre la contagion de l'infidélité.

¬ L'erreur religieuse et sa propagation sont un mal pernicieux pour l'Eglise et pour les âmes : il est facile de diviser et de ruiner en peu de temps ce qui a été édifié péniblement pendant des années. "Les fils de ce siècle sont plus habiles que les enfants de lumière" (Lc 16, 8). Dès lors, l'Eglise a toujours considéré comme un de ses premiers devoirs, celui d'empêcher ses fils d'adhérer à l'erreur ; et comme son droit le plus strict, celui de demander au pouvoir civil de réprimer ou de limiter les manifestations extérieures des religions erronées (cf. textes cités plus loin, XV) : l'Eglise s'attribue dans ces cas-là, comme dit le P. Bernard (op. cit. p. 420), le "droit d'intervenir près des gens qui ne sont pas les siens, pour défendre la foi des siens. C'est un rôle délicat, d'autant plus qu'il ne s'agit pas (...) de bouleverser l'ordre existant (droit naturel) ni de confondre les pouvoirs (spirituel et temporel). Mais c'est un rôle éminemment bienfaisant, car il ne cherche rien moins que la vraie liberté et la franchise de la foi". Précisons : il s'agit de protéger les fidèles contre le scandale de l'infidélité (au sens théologique du mot "scandale", c'est-à-dire incitation au péché), ou contre le scandale de certaines pratiques des infidèles, contraires à la loi naturelle.

­ Cette intervention que l'Eglise revendique sur ses fils directement (mais aussi sur les infidèles indirectement) pour la légitime défense de la foi, ne va pas sans une réelle mais bienfaisante coercition. Voilà ce qu'en dit encore le P. Bernard: “l'Eglise nous met en garde avec un soin jaloux contre les contacts de l'infidèle et contre les contagions de l'infidélité. Elle le fait par tous les moyens qu'elle sait que le Seigneur a mis en son pouvoir. Pour cela elle enveloppe ses fidèles d'un réseau d'obligations et de sanctions. L'incroyant peut s'en étonner. Le croyant devrait s'en féliciter. C'est en effet un réseau de sécurité et de bienfaisante protection. Comme la foi ni ne s'impose ni ne se garde de vive force, il demeure bien entendu que l'Eglise fait toujours intervenir, avant tout et par-dessus tout, les moyens de la persuasion. Les autres moyens qu'elle peut employer n'interviennent jamais, dans sa pensée, qu'à l'appui et en vue de la persuasion. Néanmoins, comme la persuasion se révèle en maintes circonstances tout à fait impuissante et inopérante, l'Eglise a coutume d'y ajouter une certaine coercition qu'elle tâche d'adapter d'ailleurs aux conditions des personnes, des temps et des lieux. Il est sûr et certain qu'elle ne traite pas ses enfants d'aujourd'hui comme elle a fait pour ceux du moyen-âge. Et, de nos jours même, elle a une discipline plus serrée dans certains pays qu'en d'autres, pour tout ce qui touche à la sauvegarde de la foi" (op. cit. p. 419).

Voici une liste des mesures pratiques et des sanctions canoniques portées par l'Eglise pour la défense de la foi des fidèles :

- Profession de foi, Serment de fidélité et Serment anti-moderniste, à prêter pour l'accès aux ordres sacrés ainsi qu'aux grades académiques, aux chaires d'enseignement sacré et aux charges ecclésiastiques (Code de 1917, can. 1406 - 1407; Saint Pie X, "Pascendi", 8 septembre 1907).

- Imprimatur et index des livres prohibés (can. 1384 - 1405).

- Censures théologiques portées par l'Eglise sur des propositions condamnées (can. 549 §4).

- Le Saint Office en lui-même : office de protection de la foi, et non de recherche théologique (can. 549).

- Excommunication et privation de sépulture ecclésiastique, pour les apostats, les hérétiques et ceux qui favorisent l'hérésie (Can. 2314-2318).

- Interdiction de participer à des cultes non catholiques ; interdiction du mariage mixte (can. 1060, 1070), sauf après dispense de l'empêchement et promesse des deux conjoints d'éduquer tous les enfants dans la religion catholique (can. 1061), parce que les mariages mixtes sont en soi et presque toujours de fait un danger pour la foi du conjoint catholique et des enfants ; peines encourues par les contrevenants (can. 2319) ; interdiction de fréquenter les écoles non catholiques ou neutres (sauf dispense), etc...

Conclusion

Il est à peine besoin de souligner le bienfait de la saine coercition que l'Eglise a le droit d'exercer sur ses enfants, et indirectement sur d'autres, pour la protection de la foi des siens, par des mesures non seulement spirituelles mais aussi temporelles : la prohibition d'un livre peut ruiner l'éditeur ; la fermeture, sur la demande de l'Eglise ou selon la loi civile (cf. XV), du lieu de réunion d'une secte est une mesure très matérielle et concrète !

e) Pratique des princes chrétiens, approuvés par l'Eglise, par exemple celle des empereurs romains chrétiens à l'égard des cultes païens :

"Imperator Constantius Augustus, ad Taurum Praefectum Praetorio. Placuit omnibus locis adque urbibus universis claudi protinus templa et accessu vetito omnibus licentiam deliquendi perditis abnegari. Volumus etiam cunctos sacrificiis abstinere. Quod si quis aliquid forte huiusmodi perpetraverit, gladio ultore sternatur" (Code de Théodose, X, de paganis, sacrificiis et templis, XVI, 10, 4).

§. 3. Est licite enfin une contrainte ou une simple discrimination exer-cée pour réprimer ou limiter justement l'erreur religieuse, et qui a en plus l'effet salutaire de faire réfléchir ceux qui la subissent et de les pousser à étudier la vérité qu'ils méprisaient.

a) Opinion de saint Augustin exposée par J. Tixeront, Histoire des dogmes, 1931, T.Il, p. 994 : “Ce qui est vrai, c'est que saint Augustin n'a pas été d'abord d'avis d'imposer aux hérétiques et schismatiques la profession même extérieure de la vraie foi, pour ne pas faire des hypocrites : il l'écrit expressément dans sa lettre XCIII, 17. Ce qui est vrai encore, c'est qu'il a toujours repoussé comme excessive la peine de mort et certaines peines plus terribles contre les dissidents (…). Mais par ailleurs il a toujours reconnu comme légitimes non seulement les mesures de sévérité prises pour réprimer les excès des donatistes et des circoncellions, mais encore les peines modérées - amendes, prison, exil - portées contre eux et les autres dissidents en tant qu'hérétiques et schismatiques (…) Le Contra epistulam Parmeniani qui est de l'an 400, est particulièrement précis sur ce point. L'auteur y revendique pour les empereurs le droit de châtier ceux qui prêchent une fausse doctrine au même titre qu'ils châtient les idolâtres, qu'ils châtient les empoisonneurs. Ces mesures ont pour but et pour effet de faire réfléchir ceux qui les subissent, de protéger les faibles contre les violences oppressives des méchants".

b) Pratique du roi de France Louis XIV à l'égard des protestants de France, de 1661 à 1671 : “Je crus, mon fils, que le meilleur moyen de réduire peu à peu les huguenots de mon royaume était, en premier lieu, de ne les point presser du tout avec une rigueur nouvelle contre eux, de faire observer ce qu'ils avaient obtenu de mes prédécesseurs, mais de ne leur rien accorder au delà et d'en renfermer même l'exécution dans les plus étroites bornes que la justice et la bienséance pouvaient permettre. Mais quant aux grâces qui dépendaient de moi seul, je résolus, et j'ai assez ponctuellement observé depuis, de ne leur en faire aucune ; et cela par bonté, non par aigreur, pour les obliger par là à considérer de temps en temps, d'eux-mêmes et sans violence, si c'était par quelque bonne raison qu'ils se privaient volontairement des avantages qui pouvaient leur être communs avec tous mes autres sujets". (Mémoires de Louis XIV pour l'instruction du Dauphin, éd. Dreyas, II, p.456, cité par Jean Guiraud, Histoire partiale, histoire vraie, p. 77-78)

N.B. Louis XIV n'en resta pas à cette sage modération, mais la grave imprudence commise en 1685 n'ôte rien à la légitimité de ses résolutions primitives.

Conclusion :

1. Il y a place pour une juste contrainte, spirituelle et même temporelle, en matière religieuse. Son but est la protection de la foi des fidèles contre la contagion de l'erreur ou de l'immoralité.

2. Proclamer en matière religieuse le "droit à ne pas être empêché" "au nom du droit à ne pas être forcé", c'est une supercherie indigne.

3. Proclamer en matière religieuse le "droit à ne pas être empêché", c'est vouloir effacer vingt siècles de théologie et de vie de l'Eglise !

4. Enfin, dans l'exposé même du "droit à ne pas être forcé", il convient de ne pas être trop absolu. Certaines contraintes indirectes sont très bénéfiques pour les égarés, ne serait-ce que la discrimination sociale qui provient de l'horreur naturelle qu'éprouvent les fidèles devant l'infidélité et l'immoralité.

Ch. XIV. Bien commun temporel, religion catholique et autres religions

Les deux derniers chapitres (XII et XIII) ont expliqué la légitimité de la contrainte en matière religieuse pour la protection de la foi des fidèles. Il faut maintenant expliquer que l'Eglise n'est pas la seule à exercer une contrainte légitime en matière religieuse, mais en quoi l'Etat, au double titre du bien commun temporel à garantir (XIV) et de la protection de l'Église à assurer (XV), a le devoir et le droit d'intervenir et d'exercer une contrainte en matière religieuse. La doctrine que nous résumons est celle de saint Thomas et des papes jusqu'à Pie XII et Jean XXIII.

1. Le bien commun temporel est la fin propre de la société civile et de l'Etat. Il est principalement un bien moral. Il n'est pas indépendant, mais au contraire intrinsèquement dépendant de la considération d'un ordre objectif, moral et religieux.

2. L'ordre moral et religieux peut être un ordre parfait, c'est celui  qui règne dans une cité catholique ; il peut être un ordre plus au moins imparfait et même un ordre apparent seulement, selon qu'il s'agit de l'ordre d'une cité chrétienne non catholique, d'une cité pluraliste au point de vue religieux, d'une cité païenne ou enfin d'une cité communiste. Seul l'ordre social chrétien est la garantie du bien commun véritable, comme des libertés véritables.

3. Plus il est nécessaire, dans une nation, de tolérer le mal moral ou l'erreur religieuse, ou plus l'erreur est même institutionnalisée, plus la société s'éloigne de la perfection. Plus l'erreur a libre-champ de se répandre, moins les âmes sont libres d'accéder à la vérité, surtout religieuse, et de continuer à y adhérer.

4. Au contraire l'unanimité religieuse des citoyens dans la vraie religion est le corollaire obligé de la réalisation parfaite du bien commun temporel. C'est pourquoi dans une nation catholique, le principe de l'unité religieuse doit être inscrit dans la constitution de l'Etat.

5. Enfin, pour garantir, en vue du bien commun, cette unité religieuse, l'Etat peut avoir le devoir, et par conséquent se reconnaît le droit de limiter par la contrainte légale les manifestations publiques des autres religions, à moins qu'il ne juge préférable d'user de tolérance. (cf. XV).

Textes

(1) "Sans nul doute, ce bien commun, dont l'acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les hommes, est principalement un bien moral" (Léon XIII, "Rerum Novarum", PIN. 303).

“(…) la réalisation durable du bien commun, c'est-à-dire de ces conditions extérieures nécessaires à l'ensemble des citoyens pour le développement de leurs qualités, de leurs fonctions, de leur vie matérielle, intellectuelle et religieuse (…)“. (Pie XII, radio-message, 24 décembre 1942, PIN. 782).

Comment définir le bien commun, lequel doit être entièrement fondé sur une norme objective de moralité ?" (Mgr Lefebvre, intervention au Concile Vatican II, texte déposé au Secrétariat, novembre 1963).

(2) “Non, Vénérables Frères - il faut le rappeler énergiquement dans ces temps d'anarchie sociale et intellectuelle, où chacun se pose en docteur et en législateur - on ne bâtira pas la  cité autrement que Dieu ne l'a bâtie ; on n'édifiera pas la société, si l'Eglise n'en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n'est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c'est la civilisation chrétienne, c'est la cité catholique. Il ne s'agit que de l'instaurer et la restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l'utopie malsaine, de la révolte et de l'impiété : "omnia instaurare in Christo". (Eph. 1. 10) (S. Pie X, Lettre "Notre charge apostolique" à l'épiscopat français, 25 août 1910, PIN. 430).

Procurer le bien commun, c'est faire que l'estime de la religion soit supérieure à toute autre et qu'elle étende son influence naturelle et merveilleusement salutaire aux intérêts politiques, domestiques et économiques : c'est faire que, l'autorité publique et la liberté s'unissant selon la loi chrétienne, (...)" (Léon XIII, Lettre "Permoti nos" à l'épiscopat belge, 10 juillet 1895, PIN. 350).

Aujourd'hui comme déjà d'autres fois, devant la crèche du divin Prince de la paix, Nous Nous voyons dans la nécessité de déclarer : le monde est bien éloigné de l'ordre voulu par Dieu dans le Christ, ordre qui garantit une paix réelle et du- rable (...) L'exhortation (de l'Eglise) en faveur de l'ordre social chrétien, en tant que facteur principal de pacification, est en même temps un stimulant à la juste conception de la vraie liberté. Car finalement, l'ordre chrétien, en tant qu'organisation pour la paix, est essentiellement un ordre de liberté". (Pie XII, radio-message au monde entier, 24 décembre 1951, PIN. 1174, 1177)

(3) “Mais il faut reconnaître, pour que notre jugement (sur la tolérance) reste dans la vérité, que plus il est nécessaire de tolérer le mal dans un État, plus les conditions de cet État s'écartent de la perfection" (Léon XIII, "Libertas", PIN. 221).

l'Etat s'écarte donc des règles et des prescriptions de la nature, s'il favorise à ce point la licence des opinions et des actions coupables, que l'on puisse impunément détourner les esprits de la vérité et les âmes de la vertu". (Léon XIII, "lm- mortale Dei," PIN. 149).

Les écarts d'un esprit licencieux qui, pour la multitude ignorante, deviennent facilement une véritable oppression doivent justement être punis par l'autorité des lois, non moins que les attentats de la violence commis contre les faibles". (Libertas, PIN. 207)

N.B. La "multitude ignorante", "opprimée" par la licence des idées, c'est aujourd'hui plus que jamais la grande réalité sociologique : "Nos contemporains sont (…) abandonnés sans défense à l'agression perpétuelle des média, qui propagent avec une efficacité incroyable la corruption des esprits et des mœurs" (Mgr Lefebvre et le Saint Office, Itinéraires n. 233, p. 69 - 70). Par conséquent assurer le bien commun aujourd'hui suppose plus que jamais la répression de la licence des idées, notamment religieuses (sectes, illuminisme, ésotérisme, orientalisme). D'une manière générale on doit dire qu'une des composantes du bien commun temporel est la liberté d'accès des âmes à la vérité religieuse. Réaliser le bien commun exige donc que l'Etat réprime la propagande de l'erreur, en brime les organes, et qu'il fasse tout pour briser les carcans socio-religieux que sont toutes les sectes, en particulier l'islam.

(4) a) D'abord les faits :

- L'unanimité idéologique ou religieuse est le fait de tous les États où règne un certain "ordre". Le pluralisme est au contraire le fait des États où l'ordre autrefois chrétien est en voie de décomposition.

- "Il n'y a pas d'Etat sans idéologie. Il y a des États communistes, des États bouddhistes, des États musulmans, des États protestants, des États maçonniques..., et il ne faudrait pas d'États catholiques ?" (Rémi Fontaine, en substance, dans "Présent", passim).

- Alors que de nombreux États catholiques en pleine santé existaient encore ou se reconstituaient avec succès, l'intelligence fertile mais dévoyée de Jacques Maritain lui a fait considérer le pluralisme religieux dans les nations comme étant le sens inéluctable et providentiel de l'histoire... Sur cette base aussi gratuite qu'erronée, ce métaphysicien fourvoyé en politique a décrété la disparition des États catholiques et a bâti son mythe de la "nouvelle chrétienté" : cité pluraliste d'inspiration chrétienne ; comme si le Christ, Roi des nations, dût se réduire désormais à cohabiter pacifiquement avec Bouddha et Mahomet et à construire avec eux la "chrétienté" !

Hélas, cette apostasie et ce blasphème sont devenus l'idéologie régnante à la veille de Vatican Il...

b) Pourtant la doctrine de l'Eglise est à l'opposé de ce parti-pris de trahison : elle rappelle le bienfait, même par le bien commun temporel, de l'unanimité religieuse dans une nation catholique, et le devoir que l'Etat a de l'inscrire dans sa constitution : “En ces jours-là toute l'Espagne se trouve en prières, pleine de ferveur spontanée, aux pieds de Jésus-Christ Eucharistie. Ce que l'Espagne pense de la religion, elle le déclare là avec une telle évidence, qu'il est impossible de le faire de manière plus manifeste. Elle a témoigné de la manière la plus affirmée qu'elle est, non seulement par le nombre et la profession, mais en réalité et profondément catholique, et qu'elle cherche à maintenir sa foi pour toujours" (S. Pie X, Lettre à l'Archevêque de Tolède, AAS. 3 (1911) 587-588).

Précisément parce que la gloire de l'Espagne est si intimement unie à la religion catholique, Nous Nous sentons doublement peiné d'être témoin des déplorables tentatives qui (...) se réitèrent pour lui arracher, avec la foi de ses ancêtres, les forces créatrices de sa grandeur nationale (...) Nous ne nous lassons pas aujourd'hui de répéter ici quelle erreur très grave est d'affirmer qu'une telle séparation (de l'Eglise et de l'Etat) est en elle-même licite et bonne, spécialement dans une nation qui est catholique en sa quasi totalité - cives fere omnes catholico nomine gloriantur" (Pie XI, Encyclique Dilectissima Nobis, contre la révolution espagnole, AAS. 25 (1933) 261-265).

Que le Seigneur vous conserve l'unité dans la foi catholique, et qu'il rende votre patrie chaque fois (...) plus fidèle à sa mission historique..." (Jean XXIII à l'Espagne, AAS. 53 (1961) 681).

En cette période œcuménique, quand le monde confus et agité tourne ses yeux sur l'Eglise catholique (...), est très consolant l'exemple de l'Eglise en Espagne, qui au long des siècles, même aux moments les plus agités de son histoire, a défendu avec un intrépide courage son patrimoine spirituel dans la plus étroite communion avec Rome. Cette note bénie a été toujours la note caractéristique de l'Espagne (...). L'Eglise catholique, soucieuse de préserver les valeurs dont elle est dépositaire et de maintenir sans fissure l'unité religieuse du pays, est assurée de collaborer avec lui à la conservation de l'unité nationale, qui est la meilleure garantie civile de l'élévation morale des citoyens". (Cardinal Antoniutti, Nonce en Espagne, au moment de recevoir la barrette cardinalice à Madrid en 1962).

(5) “(...) afin de garder la Cité dans l'unité de la foi, ce qui est le bien suprême et la source de multiples bienfaits même temporels, le Pouvoir civil peut, de lui-même, régler et modérer les manifestations publiques d'autres cultes..." (Schéma d'une constitution sur l'Église, Commission centrale pontificale préparatoire au Concile Vatican II, lIe partie, chap. IX, des relations entre l'Église et l'Etat et de la tolérance religieuse, rapporteur : cardinal Alfredo Ottaviani, 1962, paragraphe concernant les nations catholiques).

Conclusion :

Retenons les deux règles pratiques que dégage la doctrine de l'Église, et qui sont depuis 1965 rejetées en théorie et en pratique en application de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, dans la politique du Saint Siège (cf. Appendice II) ; ces deux règles sont justifiées par le bien commun que l'Etat doit assurer :

1. L'unité religieuse d'une nation catholique doit être inscrite comme un des principes fondamentaux de la constitution de l'Etat.

2. Dans une nation catholique l'Etat a le droit de régler et de limiter l'exercice public des autres religions.

Ch. XV. Fonction ministérielle de l'Etat à l'égard de la vraie religion

N.B. L'expression "fonction ministérielle" désigne l'ensemble des services que l'Etat doit rendre à la vraie religion, et précisément au Christ et à son Eglise.

Jésus-Christ, Roi des nations, doit régner sur les cités temporelles. Cette exigence est une vérité de foi (cf. I Cor. 15, 25). Elle est en même temps le seul critère qui permette de juger du sens de l'histoire : à savoir que si le Christ règne, règne aussi la paix, "la paix des armes et la paix des âmes", et que lorsqu'Il ne règne pas, règne alors le désordre et la décadence (cf. Isa. 60, 12).

Du dogme catholique de la royauté sociale du Christ suivent pour toutes les nations et les gouvernements politiques certains devoirs envers le Christ et son Eglise, devoirs qui devront avoir leur pleine réalisation dans les nations catholiques, devoirs, en tout cas, que l'Eglise tient pour des principes invariables.

En effet, les papes des trois derniers siècles, en particulier Pie IX et Léon XIII, ont clairement défini ce qui doit être à ce sujet tenu comme "doctrina catholica", à l'encontre des erreurs modernes de l'agnosticisme et de l'indifférentisme religieux de l'Etat.

Cette doctrine catholique est par ailleurs en parfaite continuité avec ce que la théologie catholique dégageait depuis l'âge scolastique des opinions des Pères, de la pratique des papes et de celle des princes catholiques : à savoir un corps de doctrine essentiel et permanent, connu sous le nom de subordination indirecte du temporel au spirituel, à distinguer d'opinions et de pratiques que l'on doit considérer comme purement accidentelles et transitoires.

Tous les manuels de théologie antérieurs à la crise récente de l'Eglise exposent une synthèse de toute cette doctrine catholique, dont nous extrayons les points qui suivent.

Doctrine catholique.

l'Etat, organe central de la société civile, doit :

1. Honorer Dieu, auteur de la société civile, et ceci par le culte de la vraie religion; et par conséquent reconnaître la religion catholique comme étant la religion de l'Etat (contre l'agnosticisme et I'indifférentisme religieux de l'Etat, ainsi que le laïcisme).

2. Conformer ses lois aux lois de Dieu et de l'Eglise, et mieux, en imprégner sa législation (contre l'athéisme pratique de l'Etat).

3. En raison de la subordination indirecte de la fin de l'Etat à la fin de l'Eglise, procurer le bien commun temporel de manière non seulement à éviter tout ce qui nuit à la liberté de l'Eglise et des âmes, mais encore à favoriser positivement, dans l'ordre temporel, le bien de l'Eglise et des âmes (contre le laïcisme de l'Etat).

4. En raison du pouvoir indirect de l'Eglise sur l'Etat, exercer à l'égard de l'Eglise une fonction ministérielle, et en particulier prêter le secours du "bras séculier" (ou “glaive temporel").

5. Utiliser le glaive temporel, sans encourir nul reproche d'ingérence dans le domaine religieux, contre les perturbateurs de l'ordre religieux que l'Eglise estime correct et contre ceux qui s'opposent à la diffusion de l'Évangile.

Textes

(1) "Les hommes, en effet, unis par les liens d'une société commune, ne dépendent pas moins de Dieu que pris isolément ; autant au moins que l'individu, la société doit rendre grâce à Dieu, dont elle tient l'existence, la conservation et la multitude innombrable de ses biens. C'est pourquoi, de même qu'il n'est permis à personne de négliger ses devoirs envers Dieu, et que le plus grand de tous les devoirs est d'embrasser d'esprit et de cœur la religion, non pas celle que chacun préfère, mais celle que Dieu a prescrite et que des preuves certaines et indubitables établissent comme la seule vraie entre toutes, ainsi les sociétés politiques ne peuvent sans crime se conduire comme si Dieu n'existait en aucune manière, ou se passer de la religion comme étrangère et inutile, ou en admettre une indifféremment selon leur bon plaisir. En honorant la Divinité, elles doivent suivre strictement les règles et le mode suivant lesquels Dieu Lui-même a déclaré vouloir être honoré." (Léon XIII, Immortale Dei, PIN. 130)

"C'est pourquoi la société civile, en tant que société, doit nécessairement reconnaître Dieu comme son principe et son auteur, et, par conséquent, rendre à sa puissance et à son autorité l'hommage de son culte. Non, de par la justice ; non, de par la raison, l'Etat ne peut être athée, ou, ce qui reviendrait à l'athéisme, être animé à l'égard de toutes les religions, comme on dit, des mêmes dispositions, et leur accorder indistinctement les mêmes droits. Puisqu'il est donc nécessaire de professer une religion dans la société, il faut professer celle qui est la seule vraie et que l'on reconnaît sans peine, surtout dans les pays catholiques, aux signes de vérité dont elle porte en elle l'éclatant caractère". (Léon XIII, Libertas, PIN. 204)

(2) “Dieu et Jésus-Christ ayant été exclus de la législation et des affaires publiques, et l'autorité ne tirant plus son origine de Dieu, mais des hommes, il arriva que les bases mêmes de l'autorité furent renversées". (Pie XI, Ubi arcano)

“Le jour où États et Gouvernements se feront un devoir sacré de se régler, dans leur vie politique, au dedans et au dehors, sur les enseignements et les préceptes de Jésus-Christ, alors, mais alors seulement, ils jouiront à l'intérieur d'une paix profitable...". (Ibid., PIN. 514)

C'est d'ailleurs un dogme de foi catholique que le Christ Jésus a été donné aux hommes à la fois comme Rédempteur à qui ils doivent confier leur salut, et comme législateur à qui ils sont tenus d'obéir". (Pie XI, Quas Primas, PIN. 536)

Les États, à leur tour, apprendront par la célébration annuelle de cette fête que les gouvernants et les magistrats ont l'obligation, aussi bien que les particuliers, de rendre au Christ un culte public et d'obéir à ses lois. Les chefs de la société civile se rappelleront, de leur côté, le jugement final, ou le Christ accusera ceux qui L'ont expulsé de la vie publique, mais aussi ceux qui L'ont dédaigneusement mis de côté et ignoré, et tirera de pareils outrages la plus terrible vengeance ; car sa dignité royale exige que l'Etat tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens dans l'établissement des lois, dans l'administration de la justice, dans la formation intellectuelle et morale de la jeunesse, qui doit respecter la saine doctrine et la pureté des mœurs". (Ibid. PIN. 569)

(3) “Donc, puisque la fin de cette vie qui mérite ici-bas le nom de vie bonne est la béatitude céleste, il appartient à ce compte à la fonction royale (lisons "à l'Etat") de procurer la vie bonne de la multitude selon ce qu'il faut pour lui faire obtenir la béatitude céleste ; c'est-à-dire qu'il doit prescrire (dans son ordre qui est le temporel) ce qui y conduit et, dans la mesure du possible, interdire ce qui y est contraire". (S. Thomas, De Regimine Principum, L 1, ch. XV).

La société civile (...)doit, en favorisant la prospérité publique, pourvoir au bien des citoyens de façon non seulement à ne mettre aucun obstacle, mais à assurer toutes les facilités possibles à la poursuite et à l'acquisition de ce bien suprême et immuable auquel ils aspirent eux-mêmes. La première est de faire respecter la sainte et inviolable observance de la religion, dont les devoirs unissent l'homme à Dieu". (Léon XIII, Immortale Dei, PIN. 131)

"C'est pourtant un devoir pour elle (la puissance publique) de ne point diminuer, mais d'accroître, au contraire, pour l'homme la faculté d'atteindre à ce bien suprême et souverain dans lequel consiste l'éternelle félicité des hommes, ce qui devient impossible sans la religion". (Léon XIII, Libertas, PIN. 204)

"Or, ce bien commun, c'est-à-dire l'établissement de conditions publiques normales et stables, telles qu'aux individus aussi bien qu'aux familles il ne soit pas difficile de mener une vie digne, régulière, heureuse, selon la loi de Dieu, ce bien commun est la fin et la règle de l'Etat et de ses organes." (Pie XII, Alloc. au Patriciat romain, du 8-1-1947, PIN. 981).

(4) "In hac eiusque potestate (Ecclesiae) duos esse gladios, spiritualem videlicet et temporalem, evangelicis dictis instruimur... Uterque ergo est in potestate Ecclesiae, spiritualis scilicet gladius et materialis. Sed is quidem pro Ecclesia, ille vero ab Ecclesia exercendus. Ille sacerdotis, is manu regum et militum, sed ad nutum et patientiam sacerdotis. Oportet autem gladium esse sub gladio, et temporalem auctoritatem spirituali subici potestati“. (Boniface VIII, Bulle Unam Sanctam, Dz 469)

"Lorsque s'appuyant sur le texte fameux (de saint Bernard), saint Thomas et les plus éminents théologiens de son temps enseignaient que l'Eglise possède les deux glaives ("Habet spiritualem tantum quantum ad executionem ; sed habet etiam temporalem quantum ad ejus jussionem", saint Thomas, in IV Sent., dist 37, expositio textus), ils entendaient seulement affirmer que le glaive spirituel peut et doit diriger le glaive temporel (...) en raison des intérêts spirituels eux-mêmes et en vue de la fin surnaturelle, et ne professaient ainsi que la théorie du pouvoir indirect". (Jacques Maritain, Primauté du spirituel, Annexe III, p. 192)

Les historiens pourront discuter à perte de vue sur les tendances personnelles de saint Grégoire VII, d'Innocent IV et de Boniface VIII. Quoi qu'il en soit de ces tendances personnelles, c'est seulement la doctrine du pouvoir indirect qu'ils ont professée comme Papes". (op. cit. Annexe III, p 196)

Nous devons affirmer comme une vérité supérieure à toutes les vicissitudes du temps la suprématie de l'Église sur le monde et sur tous les pouvoirs terrestres. Sous peine d'un désordre radical dans l'univers, il faut qu'elle guide les peuples vers la fin dernière de la vie humaine, qui est aussi celle des États, et pour cela qu'elle dirige, au titre des intérêts spirituels qui lui sont confiés, les gouvernements et les nations (...) A cette condition ceux-ci seront stables : car "Il n'ôte pas les royaumes mortels, Il les confirme, Celui qui donne le royaume du ciel". (op. cit. n°23, p 122)

Reges... et principes in temporalibus nulli ecclesiasticae potestati. Dei ordinatione subiici (...) directe vel indirecte (...) Eamque sententiam publicae tranquillitati necessariam, nec minus Ecclesiae quam Imperio utilem, ut Verbo Dei, Patrum traditioni, et sanctorum exemplis consonam, omnimo retinendam." (Proposition condamnée par Pie VI, Constitution Auctorem fidei contre le synode de Pistoie, 28 août 1794).

Ecclesia vis inferendae potestatem non habet, neque potestatem ullam temporalem directam vel indirectam". (Prop. condamnée par Pie IX, Syllabus, prop. 24)

Citons enfin le Cardinal Billot sj, ''De Ecclesia Christi", T Il: "De habitudine Ecclesiae ad civilem societatem", q. XVIII, § 5 : “Quod Ecclesia accepit a Christo plenam auctoritatem super baptizatos in ordine ad finem salutis aeternae, et quod idcirco, in societatibus christianorum, potestas saecularis iure divino indirecte subest iurisdictionis ecclesiasticae".

L'auteur se réfère à Suarez, "Defensio Fidei”, L 3, ch. 22 ; et aux condamnations des idées gallicanes par Innocent XI, Alexandre VIII et enfin Pie VI dans sa bulle "Auctorem fidei" contre le Synode de Pistoie.

(5) Outre les documents déjà cités plus haut (XIII), on peut citer les textes suivants :

- Code de Théodose :

° Des hérétiques : "Il importe que les privilèges concédés pour le bien de la religion servent seulement à ceux qui observent la loi catholique. Nous voulons que les hérétiques et les schismatiques soient non seulement étrangers à ces privilèges, mais encore soumis et obligés aux diverses charges". (XVI, 5, 1; Ier septembre 326 ; Lo Grasso n°69)

° Des juifs : "Nous voulons intimer aux juifs et à leurs anciens et patriarches que si après cette loi, quelqu'un ose attaquer, par des pierres ou un autre genre de démence, et nous savons que cela se fait, celui qui fuit leur secte funeste et se tourne vers le culte de Dieu, il doit aussitôt être livré et brûlé avec tous ses coopérateurs..."(XVI, 8 ; 10 octobre 315; LG. 77)

° Des apostats : "A ceux qui de chrétiens se sont faits païens, qu'on retire la faculté et le droit de tester, et que tout testament, s'il en existe, d'un défunt (…) soit rescindé". (XVI, 7, 1 ; 2 mai 381; LG. 76)

- “Debes incunctanter advertere, regiam potestatem tibi non solum ad mundi regimen, sed maxime ad Ecclesiae praesidium esse collatum ; ut ausus nefarios comprimendo, et quae sunt statuta defendas, et veram pacem his quae sunt turbata restituas, depellendo scilicet pervasores juris alieni, et antiquae fidei sedem Alexandrinae Ecclesiae reformando” (Léon I, Pape, à l'Empereur Léon, au sujet du siège épiscopal d'Alexandrie usurpé par les hérétiques, ML. 54, 1129 - 1130).

- “Nostrum est : Secundum auxilium divinae pietatis sanctam undique Christi Ecclesiam ab incursu paganorum et ab infidelium devastatione armis defendere foris, et intus catholicae fidei agnitione munire... ” (Charlemagne au Pape Léon III ; LG. 178).

- “Licet non debeant infideles cogi ad fidem quia omnes libero arbitrio reliquendi sunt, et sola gratia Dei in hac vocatione valeat (…) tantum mandare potest Papa infidelibus, quod admittant praedicatores Evangelii in terris suae iurisdictionis (...), si non obediant, compellendi sunt brachio seculari, et indicendum est bellum contra eos per Papam ”(Innocent IV, De voto et voti redemptione, c. IX ; LG. 436).

- “Le offense et le ingiurie publiche commesse nel territorio italiano contro la persona del Summo Pontifice con discorsi, con fatti et con scritti, sono puniti come le offese et le ingiurie alla persona del Re". (Traité entre le S. Siège et l'Italie, 11 février 1929, art. 8).

- “(...) L'Italia (...) ove occorra, accorda agli ecclesiastici per gli atti del loro ministerio spirituale la difesa da parté della sua autorità" (Concordat entre le S. Siège et l'Italie, 11 février 1929, art. 1).

- “Malgré ces machinations injustes et les campagnes insidieuses suscitées par ceux qui se vantent de nier Dieu contre cette nation catholique, le Caudillo d'Espagne la maintient par sa parole, par ses sages dispositions et par son exemple personnel édifiant, toujours fidèle à la doctrine que vinrent ici lui porter et prêcher les apôtres saint Jacques et saint Paul. Comme toujours la vérité va s'ouvrir un chemin et triompher de l'erreur, et la vérité de l'Espagne catholique s'ouvre un chemin et triomphe de l'erreur aussi de jour en jour. Il est donc juste que nous remercions le Caudillo d'Espagne du grand service qu'il rend à la patrie". (Mgr Riberi, Nonce en Espagne sous Jean XXIII, discours à Tarragone, 1963)

(On sait que le généralissime Franco avait par une croisade authentique, triomphé de la révolution communiste du Frente Popular qui se vantait d'abattre la religion catholique en Espagne).

Conclusion :

Nous invitons le lecteur à relire les cinq points de la doctrine catholique immuable que nous avons proposés au début de ce chapitre : doctrine immuable, doit-on réaffirmer, même si elle est de plus en plus rarement applicable dans son intégralité, en raison de l'apostasie des nations ! Mais justement, il ne faudrait pas faire de l'apostasie des nations la nouvelle doctrine de l'Église !

Ajoutons ceci : l'Etat ne s'arroge nullement un droit usurpé, quand il intervient dans le domaine religieux pour la défense de l'Eglise et des âmes catholiques. Bien plus, il doit ce service à l'Eglise, en raison de la fonction ministérielle du temporel à l'égard du spirituel. En particulier : “Le Pouvoir civil peut, de lui-même, régler et modérer les manifestations publiques d'autres cultes, et défendre ses citoy-ens contre la diffusion des fausses doctrines qui, au jugement de l'Église, mettent en danger leur salut éternel". (Schéma déjà cité de la commission préparatoire au concile, sur les relations entre l'Église et l'Etat)

Ch. XVI. Relations entre l'Eglise et l'Etat

Après avoir rappelé la doctrine de l'Eglise sur le rôle de l'Etat en matière religieuse, au service du bien commun, et au service de l'Eglise, il faut maintenant considérer quel système de rapports entre les deux sociétés, la société spirituelle et la société temporelle, l'Eglise considère comme étant l'état normal.

Or, il y a une "doctrine catholique" sur les relations entre l'Eglise et l'Etat, avec ses principes invariables, que l'on doit distinguer des applications fort diverses qui doivent en être faites selon les situations religieuses concrètes des nations: nation catholique intégralement ou quasi totalement, nation pluraliste, païenne, athée, etc...

Doctrine catholique

1. L'Eglise, préposée au bien spirituel et surnaturel, et l'Etat, préposé au bien commun temporel, sont deux sociétés parfaites, distinctes l'une de l'autre, chacune étant exclusivement compétente dans son domaine (distinction des pouvoirs), mais étant sauve la subordination indirecte de l'Etat vis-à-vis de l'Eglise et tout ce que cela implique (cf. XV).

2. Distinction ne signifie pas séparation entre ces deux sociétés, qui ont souvent les mêmes sujets et les mêmes matières à traiter ; même sujets : les chrétiens et les citoyens, mêmes matières : éducation, mariage, etc. Dès lors, l'union entre l'Eglise et l'Etat, c'est-à-dire leur "concorde mutuelle" et leur "unanimité d'action" sont éminemment souhaitables.

3. L'union entre l'Eglise et l'Etat implique que la religion catholique soit considérée comme la religion de l'Etat. L'Eglise considère ce régime comme l'état normal (l'union de l'Eglise et de l'Etat ne s'oppose pas cependant à ce qu'une prudente tolérance soit accordée à d'autres religions dans des circonstances déterminées).

4. Au contraire, l'Eglise a toujours condamné la séparation de l'Eglise et de l'Etat, et sa mise en œuvre dans une nation catholique. En effet :

- elle place la vraie religion, l'Épouse immaculée du Christ, sur le même pied d'égalité que les religions erronées.

- elle relègue injustement l'Eglise au rang du droit commun à toutes les associations dans l'Etat et, en définitive, attente au droit public de l'Eglise.

- elle est de la part de l'Etat une profession officielle d'indifférentisme qui équivaut à l'athéisme ; ce qui est une prise de position contraire au devoir de l'Etat de reconnaître le Christ, et contraire dans les faits à la réalité nationale d'une nation catholique.

- enfin, elle conduit sûrement les familles et les individus à l'indifférentisme et à l'athéisme. (cf. Syllabus, prop. 79)

Textes

(1) Léon XIII, Immortale Dei, PIN. 136 ; Libertas, PIN. 200 ; Sapientia christianae, PIN. 283.

(2) “Mais une remarque plus importante et que Nous avons Nous-même rappelée plus d'une fois ailleurs, c'est que le pouvoir civil et le pouvoir sacré, bien que n'ayant pas le même but et ne marchant pas par les mêmes chemins, doivent pourtant, dans l'accomplissement de leurs fonctions, se rencontrer quelquefois l'un et l'autre. Tous deux, en effet, exercent plus d'une fois leur autorité sur les mêmes objets, quoique à des points de vue différents. Le conflit, dans cette occurrence, serait absurde et répugnerait ouvertement à l'infinie sagesse des conseils divins : il faut donc nécessairement qu'il y ait un moyen, un procédé pour faire disparaître les causes de contestations et de luttes et établir l'accord dans la pratique. Et cet accord, ce n'est pas sans raison qu'on l'a comparé à l'union qui existe entre l'âme et le corps, et cela au plus grand avantage des deux conjoints, car la séparation est particulièrement funeste au corps puisqu'elle le prive de la vie". (Léon XIII, Libertas, PIN. 200)

Il est donc nécessaire qu'il y ait entre les deux puissances (Eglise et État) un système de rapports bien ordonné non sans analogie avec celui qui dans l'homme constitue l'union de l'âme et du corps" (Léon XIII, Immortale Dei, PIN. 137).

Appuyées sur la loi naturelle, ces prérogatives humaines fondamentales, que votre Constitution garantit et assure à tout citoyen d'Irlande dans les limites de l'ordre et de la moralité, ne pourraient trouver une plus ample et plus sûre garantie, contre les forces athées de la subversion et l'esprit de faction et de violence, que dans la confiance mutuelle entre les autorités de l'Eglise et de l'Etat, chacune indépendante dans sa propre sphère, mais alliées pour le bien commun, sur la base des principes de la foi et de la doctrine catholique". (Pie XII, Allocution au Premier ministre d'Irlande, 4 octobre 1957, PIN. 1271)

(3) “Vous savez bien, Vénérables Frères (...). Vous connaissez la convention conclue par Nous, en 1851, avec notre très chère fille en Jésus-Christ, Marie-Isabelle, reine catholique des Espagnes, convention sanctionnée et solennellement promulguée comme loi de l'Etat dans ce royaume. Vous n'ignorez pas non plus que dans cette convention, outre beaucoup d'autres choses statuées pour la protection de la religion catholique, il fut avant tout établi que cette auguste religion continuant, à l'exclusion de tout autre culte, à être la seule religion de la nation espagnole, serait maintenue comme auparavant dans tout le royaume des Espagnes, avec tous les droits et toutes les prérogatives dont elle doit jouir d'après la loi de Dieu et les lois canoniques ; que l'instruction, dans toutes les écoles publiques ou privées, serait entièrement conforme à la doctrine catholique (...)". (Pie IX, Allocution au Consistoire, 26 juillet 1855, qui se conclut par la solennelle condamnation de la violation du concordat).

A notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'Etat, à l'exclusion de tous les autres cultes". (Pie IX, Syllabus, proposition condamnée n°77, extraite de l'Allocution précédente)

La religion catholique, apostolique, romaine, est celle de la nation ; les pouvoirs la protégeront et veilleront à ce qu'elle soit respectée comme élément essentiel de l'ordre social. Il s'entend que l'Église catholique n'est, ni ne sera officielle, et qu'elle conservera son indépendance".

L'éducation publique sera organisée et dirigée en concordance avec la religion catholique". (art. 38 & 41 de la Constitution de la Colombie, pays catholique à 94%).

N. B. L'expression équivoque "n'est ni ne sera officielle" aurait demandé à être clarifiée. Le Concordat conclu en 1887 et ratifié en 1888 précise que l'Église, représentée par ses légitimes dirigeants est reconnue comme personne juridique (art. 4).

Chez vous, en effet, grâce à la bonne constitution de l'Etat, l'Église n'étant gênée par les liens d'aucune loi, étant défendue contre la violence par le droit commun... a obtenu la liberté garantie de vivre et d'agir sans obstacle. Toutes ces remarques sont vraies ; pourtant, Il faut se garder d'une erreur : qu'on n'aille pas conclure par là que la meilleure situation pour l'Église est celle qu'elle a en Amérique ou bien qu'il soit toujours permis et utile de séparer, de disjoindre les intérêts de l'Église et de l'Etat, comme en Amérique... elle (I'Eglise) produirait encore bien plus de fruits si elle jouissait de la faveur des lois et de la protection des pouvoirs publics". (Léon XIII, Longiqua Oceani, 6-1-1895)

L'historien ne devrait pas oublier que, si l'Eglise et l'Etat connurent des heures et des années de lutte, il y eut, de Constantin le Grand jusqu'à l'époque contemporaine et même récente des périodes tranquilles, souvent prolongées, pendant lesquelles ils collaborèrent dans une pleine compréhension à l'éducation des mêmes personnes. L'Eglise ne dissimule pas qu'elle considère en principe cette collaboration comme normale, et qu'elle regarde comme un idéal l'unité du peuple dans la vraie religion et l'unanimité d'action entre elle et l'Etat." (Pie XII, discours au Xe congrès international des sciences historiques, 7 septembre 1955).

Il est vrai que  Pie XII poursuivait ainsi : “Mais elle (I'Eglise) sait aussi que depuis un certain temps les événements évoluent plutôt dans l'autre sens, c'est-à-dire vers la multiplicité des confessions religieuses et des conceptions de vie dans une même communauté nationale, où les catholiques constituent une minorité plus ou moins forte.

Il peut être intéressant et même surprenant pour l'Histoire, de rencontrer aux États-Unis d'Amérique un exemple, parmi d'autres, de la manière dont l'Eglise réussit à s'épanouir dans des situations les plus disparates". (Ibid.)

Mais cette précision ne change rien à ce que l'Eglise considère comme "normal" et comme "l'idéal", par rapport à ce qu'elle tient pour l'exception liée à des "circonstances particulières". Un état de fait qui tend de plus en plus à être contraire à l'état de droit laisse néanmoins intact cet état de droit ! Le Pape Pie XII constate simplement la laïcisation progressive et générale des nations où le Christ régnait auparavant de droit et de fait, et il note ensuite que paradoxalement, dans certains pays où le Christ n'avait jamais régné selon la "thèse" catholique, l'Eglise réussit à s'épanouir. Le succès relatif de l'Eglise dans ces pays, qui vingt ans après nous semble bien éphémère, surtout depuis le Concile à partir duquel on enregistre au contraire un arrêt spectaculaire des conversions au catholicisme, ce succès relatif n'infirme nullement la "thèse" catholique, non plus que ne l'infirme l'échec religieux des anciennes nations catholiques, sous le coup de l'assaut concerté et constant des forces de la Contre-Eglise, notamment de la franc-maçonnerie et du Communisme internationaux. (cf. Mgr Lefebvre et le Saint Office, p. 54-55).

N.B. En ce qui concerne la tolérance exercée à l'égard des cultes erronés dans une cité catholique, voir : Léon XIII, "Libertas", PIN. 220-221 ; Pie XII, Allocution "Ci riesce", PIN. 3040-3041 ; etc... Nous citerons ces textes en détail dans le chapitre suivant (XVII).

(4) “... l'Etat (...) n'est pas tenu de rechercher quelle est la seule vraie (religion) entre toutes ni d'en préférer une aux autres, ni d'en favoriser une principalement; mais il doit leur attribuer à toutes l'égalité de droit, du moment que la discipline de la chose publique n'en subit pas de détriment (...). Étant donné que l'Etat repose sur ces principes aujourd'hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injustement I'Eglise. Là, en effet, où la pratique est d'accord avec de telles doctrines, la religion catholique est mise dans l'Etat sur le pied d'égalité, ou même d'infériorité, avec des sociétés qui lui sont étrangères. Il n'est tenu nul compte des lois ecclésiastiques ; l'Eglise, qui a reçu de Jésus-Christ ordre et mission d'enseigner toutes les nations, se voit interdire toute ingérence dans l'instruction publique. - Dans les matières qui sont de droit mixte, les chefs d'Etat portent d'eux-mêmes des décrets arbitraires et sur ces points affichent un superbe mépris des saintes lois de l'Eglise. Ainsi, ils font ressortir de leur juridiction les mariages des chrétiens, portent des lois sur le lien conjugal, son unité, sa stabilité ; mettent la main sur les biens des clercs et dénient à l'Eglise le droit de posséder. En somme, ils traitent l'Eglise comme si elle n'avait ni le caractère, ni les droits d'une société parfaite, et qu'elle fût simplement une association semblable aux autres qui existent dans l'Etat. Aussi, tout ce qu'elle a de droits, de puissance légitime d'action, ils le font dépendre de la concession et de la faveur des gouvernements". (Léon XIII, Immortale Dei, PIN. 144)

Une telle liberté (de tous les cultes) (...) établit une déplorable et funeste séparation entre la Société humaine et Dieu son Auteur ; elle aboutit enfin aux tristes conséquences que sont l'indifférentisme de l'Etat en matière religieuse ou, ce qui revient au même, son athéisme". (Léon XIII, Lettre E giunto, du 19 juillet 1889, à l'empereur du Brésil, PIN. 235)

L'offense infligée naguère à l'Eglise et à Nous est si grave et si violente que Nous ne pouvons la passer sous silence (…) Vous devinez, Vénérables Frères, que Nous voulons parler de cette loi absolument inique, ourdie pour la ruine du catholicisme, qui vient d'être promulguée en France en vue de la séparation de l'Etat d'avec l'Eglise. Notre récente Encyclique ("Vehementer") adressée aux évêques, au clergé et au peuple français a montré pleinement combien cette loi est odieuse et contraire aux droits de Dieu et de l'Eglise (...). Nous prononçons solennellement en votre auguste assemblée Notre sentence sur cette loi.“

En vertu de la suprême autorité dont Nous jouissons comme tenant la place du Christ sur terre, Nous la condamnons et réprouvons comme injurieuse au Dieu très bon et très grand, contraire à la divine constitution de l'Eglise, favorisant le schisme, hostile à Notre autorité et à celle des pasteurs légitimes, spoliatrice des biens de l'Eglise, opposée au droit des gens, ennemie du Siège Apostolique et de Nous-même, très funeste aux évêques, au clergé et aux catholiques de France ; Nous prononçons et Nous déclarons que cette loi n'aura jamais et en aucun cas aucune valeur contre les droits perpétuels de l'Eglise". (S. Pie X, Allocution au Consistoire, 21 février 1906, PIN. 390-405).

Conclusion :

L'apostasie des nations, qui tend à être l'état de fait du monde actuel, ne supprime pas la valeur permanente et immuable de ce point de doctrine catholique : l'état normal, c'est l'union de l'Eglise et de l'Etat, corollaire de ce dogme catholique : Jésus-Christ doit régner sur la cité temporelle.

Interrogations légitimes :

1. Est-ce un acte magistériel, un véritable enseignement doctrinal, que celui d'une déclaration conciliaire qui viendrait dire : l'état normal, c'est la séparation ?

2. Est-ce une politique catholique, que celle que le Saint Siège mènerait par l'intermédiaire des Nonces, en faisant pression sur les gouvernements des États catholiques afin qu'ils abrogent de leurs constitutions les articles qui reconnaissent l'Église catholique comme la religion de la nation ou même de l'Etat ? (cf. appendice II).

3. Est-ce le sens de l'histoire, que le Christ ne doit plus régner, et que l'Eglise doit aider à le détrôner ?

Ch. XVII. La tolérance religieuse

Nous aurions pu exposer séparément les principes philosophiques de la tolérance en général, puis les principes théologiques de la tolérance religieuse. Le plan que nous suivons est cependant un peu différent mais le lecteur s'y retrouvera: (1) et (2) donnent les principes philosophiques, (3) les principes théologiques.

N.B. La doctrine théologique exposée en (3) sera exposée dans toute son ampleur, c'est-à-dire en fonction de ce que l'Église considère comme étant l'état "normal" d'une société, à savoir une société catholique et un État catholique. Même si cette doctrine est inapplicable aux cités pluralistes ou non-catholiques, elle reste la doctrine catholique.

Il s'agit de la tolérance du mal, (mal moral ou erreur religieuse).

Trois cas concrets se présentent :

- Très souvent la tolérance est un fait de nature ;

- parfois le mal ne doit pas être toléré ;

- parfois au contraire le mal doit être toléré.

§. 1. La tolérance, fait de nature

Il semble que le mal ne doive jamais être toléré, puisqu'il s'oppose au bien, tant des individus, que de la société ou de l'Église. Néanmoins vouloir toujours empêcher le mal, ne serait-ce que chaque fois que c'est possible, c'est aller contre le plan du gouvernement divin et se rendre à soi-même la vie impossible !

Dès lors, très souvent, la tolérance s'impose à l'homme par la nature même des choses : la tolérance est donc d'abord un fait de nature. Il convient toutefois d'ajouter que tolérer le mal ne signifie jamais l'approuver.

Textes

Dieu Lui-même, dans sa providence, quoique infiniment bon et tout-puissant, permet néanmoins l'existence de certains maux dans le monde, tantôt pour ne point empêcher des biens plus grands, tantôt pour empêcher de plus grands maux. Il convient, dans le gouvernement des Etats, d'imiter Celui qui gouverne le monde. Bien plus, se trouvant impuissante à empêcher tous les maux particuliers, l'autorité des hommes doit permettre et laisser impunies bien des choses qu'atteint pourtant et à juste titre la vindicte de la Providence divine“. (S. Aug., De lib. Arbitr. II, c.6 )

Néanmoins, dans ces conjonctures, si, en vue du bien commun et pour ce seul motif, la loi des hommes peut et même doit tolérer le mal, jamais pourtant elle ne peut ni ne doit l'approuver, ni le vouloir en lui-même, car, étant de soi la privation du bien, le mal est opposé au bien commun que le législateur doit vouloir et doit défendre du mieux qu'il peut. Et en cela aussi la loi humaine doit se proposer d'imiter Dieu, qui, en laissant le mal exister dans le monde, ne veut ni que le mal arrive, ni que le mal n'arrive pas. Et cela est bon (S. Thomas, Ia, 19, 9 ad3). Cette sentence du Docteur Angélique contient, en une brève formule, toute la doctrine sur la tolérance du mal". (Léon XIII, Libertas, PIN. 220-221)

De même Pie XII, à la question de savoir si "la répression positive du mal n'est pas toujours un devoir", répond ainsi : “Nous avons invoqué tantôt l'autorité de Dieu. Bien qu'il lui soit possible et facile de réprimer l'erreur et la déviation morale, Dieu peut-Il choisir dans certains cas de "ne pas empêcher" sans entrer en contradiction avec son infinie perfection? Peut-il se faire que, dans des circonstances déterminées, Il ne donne aux hommes aucun commandement, n'impose aucun devoir, ne donne même aucun droit d'empêcher et de réprimer ce qui est faux et erroné ? Un regard sur la réalité autorise une réponse affirmative. Elle montre que l'erreur et le péché se rencontrent dans le monde dans une large mesure. Dieu les réprouve ; cependant, il leur permet d'exister. D'où l'affirmation : l'erreur religieuse et morale doit toujours être empêchée quand c'est possible, parce que sa tolérance est en elle-même immorale, ne peut valoir dans un sens absolu et inconditionné. D'autre part, même à l'autorité humaine, Dieu n'a pas donné un tel précepte absolu et universel, ni dans le domaine de la foi ni dans celui de la morale. On ne le trouve ni dans la conviction commune des hommes, ni dans la conscience chrétienne, ni dans les sources de la révélation, ni dans la pratique de l'Eglise. Sans parler, ici, d'autres textes de la Sainte Ecriture qui se rapportent à cet argument, le Christ, dans la parabole de la zizanie, a donné l'avertissement suivant : "Dans le champ du monde laissez croître la zizanie avec la bonne semence, à cause du froment". Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d'action". (Pie XII, Allocution "Ci riesce", PIN. 3040)

Par cette dernière phrase, le pontife veut dire que le devoir de réprimer le mal est subordonné à un principe supérieur qui est la promotion et la conservation du bien, et du bien commun pour la société. Ce principe pourra, nous allons le voir (cf. 3), justifier la tolérance.

§. 2. Le devoir de non-tolérance (ou de répression)

a) Tolérance ou répression ? Quid per prius ?

De tout ce qui précède s'ensuit que le devoir de réprimer le mal ne s'impose pas d'une manière générale, mais seulement dans des circonstances déterminées.

D'autre part, comme nous l'exposerons en (3), le devoir de tolérance s'impose lui aussi dans des circonstances déterminées. S'ensuit-il que le principe de la répression et celui de la tolérance aient une place équivalente dans la hiérarchie des principes ?

Il n'en est rien, comme le montrent les précisions suivantes tirées de la métaphysique : Face au mal moral (ou à l'erreur), l'attitude qui est suggérée "per se” est la répression (même si ce n'est ni un devoir général ni un principe suprême), tandis que la tolérance, en tant que devoir, n'est suggérée que "per accidens”. La raison en est simple : le mal reste toujours en soi un mal, c'est-à-dire "per se" la privation d'un bien, et par conséquent objet non de désir mais de fuite ou de répression si c'est possible ; et ce n'est que "per accidens" que le mal est un "moindre mal" et qu'il acquiert la raison de bien, bien tout relatif au mal pire que l'on veut éviter en tolérant ce moindre mal : c'est donc "per accidens" que ce mal est objet sinon de désir, du moins de tolérance.

b) Circonstances qui imposent le devoir de répression

Dans quels cas et par quelle autorité le mal doit-il être réprimé ?

- Dans la famille, la répression du mal est pour les parents un devoir de l'éducation des enfants chaque fois qu'il s'agit de leur faire connaître la vérité ou acquérir les vertus. Toutefois, avec l'adolescence, une éducation réussie doit devenir apprentissage de la liberté, ce qui suggère, plus que la répression, l'appel à l'autodiscipline.

- Dans l'Eglise, la non-tolérance s'impose chaque fois que la foi ou la vie de la grâce des fidèles sont menacées.

- Enfin dans la société civile, la répression du mal moral est un devoir de l'Etat s'il peut par là mieux assurer le bien commun ; et la répression de l'erreur religieuse s'impose aussi à l'Etat, soit au titre du bien commun à garantir (XIV), soit au titre de la fonction ministérielle envers l'Église (XV), pour promouvoir respectivement le bien de la cité ou le bien de l'Eglise et des âmes.

§. 3. Le devoir de tolérance, spécialement de tolérance religieuse

a) Le principe : l'Etat peut et même doit tolérer le mal ou l'erreur chaque fois que la tolérance peut concourir à promouvoir un plus grand bien.

Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d'action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui, dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l'erreur, pour promouvoir un plus grand bien". (Pie XII, Ci riesce, PIN. 3040).

b) Autorité qui applique la tolérance.

C'est l'Etat qui applique la tolérance par des lois civiles ; "mais en ce qui concerne le domaine religieux et moral, il demandera aussi le jugement de l'Église", qui est intéressée au premier chef par une telle mesure, puisqu'il y va de la sauvegarde de la vraie foi dans la nation envisagée et même du bien de l'Église universelle (cf. Ci riesce, PIN. 3042).

c) Circonstances particulières justifiant la tolérance.

La tolérance se justifie dans les cas où on peut par elle promouvoir un bien plus grand ou éviter de plus grands maux, tant dans l'Eglise que dans la société civile.

Textes

Si l'Église juge qu'il n'est pas permis de mettre les divers cultes sur le même pied d'égalité légale que la vraie religion, elle ne condamne pas pour cela les chefs d'Etat qui, en vue d'un grand bien à atteindre ou d'un mal à empêcher, tolèrent dans la pratique que ces divers cultes aient chacun leur place dans la Cité". (Léon XIII, Immortale Dei, cf. PIN. 154)

Néanmoins, dans son appréciation maternelle, l'Église tient compte du poids accablant de l'infirmité humaine, et elle n'ignore pas le mouvement qui entrave à notre époque les esprits et les choses. Pour ces motifs, tout en n'accordant de droits qu'à ce qui est vrai et honnête, elle ne s'oppose pas cependant à la tolérance dont la puissance publique croit pouvoir user à l'égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d'un mal plus grand à éviter ou d'un bien plus grand à obtenir au à conserver". (Léon XIII, Libertas, PIN. 219)

Le devoir de réprimer les déviations morales et religieuses ne peut donc être une norme ultime d'action. Il doit être subordonné à des normes plus hautes et plus générales qui dans certaines circonstances, permettent et même font peut-être apparaître comme le parti le meilleur celui de ne pas empêcher l'erreur, pour promouvoir un plus grand bien". (Pie XII, Ci riesce, PIN. 3040)

Exemples concrets.

On peut énumérer concrètement les exemples suivants de "mal pire" à éviter ou de "plus grand bien" à promouvoir par la tolérance religieuse :

- "mal pire" : scandale des bons à la vue de la persécution contre les dissidents, guerre civile, obstacle à la conversion des égarés à la vraie foi (attention ! tous les inconvénients ne sont pas nécessairement le cas !)

- "plus grand bien" : coopération civile et coexistence pacifique des citoyens de religions différentes (quand on peut efficacement les promouvoir, et étant entendu que ce n'est qu'un bien relatif, à mi-côte entre l'unanimité religieuse dans la Cité et la discorde civile) ; une plus grande liberté pour l'Église dans l'accomplissement de sa mission surnaturelle (dans des circonstances spéciales où l'Église jugerait agir plus efficacement si l'Etat n'intervient pas ; nous disons bien "circonstances spéciales", car "per se” l'Église a droit à l'appui de l'Etat, et cet appui est bénéfique, c'est seulement "per accidens" que l'intervention de l'Etat devient une gêne pour la mission de l'Église).

d) Limites du devoir de tolérance.

- La tolérance n'a plus de raison d'être si elle apporte plus de mal que de bien.

Mais il faut reconnaître, pour que Notre jugement reste dans la vérité, que plus il est nécessaire de tolérer le mal dans l'Etat, plus les conditions de cet État s'écartent de la perfection ; et, de plus, que la tolérance du mal, appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite dans les limites exigées par sa raison d'être, c'est-à-dire par le salut public. C'est pourquoi, si elle est nuisible au salut public, ou qu'elle soit pour l'Etat la cause d'un plus grand mal, la conséquence est qu'il n'est pas permis d'en user, car, dans ces conditions, la raison du bien fait défaut". (Léon XIII, Libertas, PIN. 221)

- La tolérance peut être bonne temporairement, et cesser ensuite de l'être.

Mais, si, en vue d'une condition particulière de l'Etat, l'Église acquiesce à certaines libertés modernes, non qu'elle les préfère en elles-mêmes, mais parce qu'elle juge expédient de les permettre, et que la situation vienne ensuite à s'améliorer, elle usera évidemment de sa liberté en employant tous les moyens, persuasion, exhortations, prières, pour remplir, comme c'est son devoir, la mission qu'elle a reçue de Dieu, à savoir, de procurer aux hommes le salut éternel". (Libertas, PIN. 221)

- Si la tolérance privée suffit, il n'y a pas lieu d'accorder une tolérance publique ni à fortiori une liberté de propagande au mal moral ou à l'erreur religieuse. Voici, à titre d'exemple d'une tolérance limitée au for externe privé, l'article 6 du "Fuero des los Espanoles“, ou charte fondamentale des droits et des devoirs du citoyen espagnol (en vigueur jusqu'à sa suppression en application de Dignitatis Humanæ) :

La profession et la pratique de la religion catholique, qui est la religion de l'Etat espagnol, jouiront de la protection officielle. Personne ne sera inquiété pour ses croyances religieuses, ni dans l'exercice privé de son culte. Ne seront permises ni cérémonies ni manifestations extérieures autres que celles de la religion de l'Etat".

e) Il n'y a pas de droit à la tolérance.

La tolérance, quand elle est un devoir, est un devoir de prudence politique envers le bien commun, et aussi un devoir de charité envers les dissidents religieux, mais en aucun cas elle n'est un devoir de justice envers les égarés.

La tolérance du mal, appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite... “. (Libertas, PIN. 221).

Dans cette sauvegarde de la vraie foi il faut procéder selon les exigences de la charité chrétienne et de la prudence ; afin que d'une part les dissidents ne soient pas éloignés de l'Église par la terreur, mais plutôt attirés à elle, et que d'autre part ni la Cité ni l'Église ne subissent aucun dommage. Il faut donc toujours considérer et le bien commun de l'Eglise et le bien commun de l'Etat... ". (Schéma préparatoire à Vatican II, chapitre sur les relations entre l'Eglise et l'Etat et la tolérance religieuse ; rapporteur, cardinal Alfredo Ottaviani)

Il convient de souligner encore que le devoir de tolérance, quand devoir il y a, n'est pas un devoir de justice (justice distributive) envers les égarés. Il faut savoir distinguer la justice de la prudence et de la charité ! Par conséquent le devoir de tolérance ne fonde, chez ceux qui sont tolérés, aucun droit à être tolérés : puisqu'un droit suppose chez l'autre un devoir de justice. Du reste un "droit à la tolérance" est évidemment absurde puisqu'il équivaut au droit de ne pas être empêché d'adhérer à l'erreur, droit qui est absurde comme on l'a montré plus haut (VI) : l'erreur et le mal moral, l'adhésion à eux, n'ont objectivement aucun droit, ni affirmatif, ni négatif, a-t-on montré. Voici encore à ce sujet un texte très clair de Léon XIII : “Nous avons jugé qu'il y a lieu de louer la rectitude et la franchise avec lesquelles vous exposez, expliquez et défendez les vrais principes, avec lesquelles vous condamnez tout ce qui, dans les lois civiles, s'écarte de ces principes, et avec lesquelles vous enseignez comment, si les circonstances l'exigent on peut tolérer les déviations à la règle lorsqu'elles sont introduites en vue d'éviter de plus grands maux, sans toutefois les élever à la dignité de droits vu qu'il ne peut y avoir aucun droit contre les éternelles lois de justice.

Plût à Dieu que ces vérités fussent comprises de ceux qui se vantent d'être catholiques, tout en adhérant obstinément à la liberté de conscience, à la liberté des cultes, à la liberté de la presse, et à d'autres libertés de la même espèce décrétées à la fin du siècle dernier par les révolutionnaires et constamment réprouvées par l'Eglise ; de ceux qui adhérent à ces libertés, non seulement en tant qu'elles peuvent être tolérées, mais en tant qu'il faudrait les considérer comme des droits, les favoriser et les défendre comme nécessaires à la condition présente des choses et à la marche du progrès, comme si tout ce qui est opposé à la vraie religion, tout ce qui attribue à l'homme l'autonomie, et tout ce qui l'affranchit de l'autorité divine, tout ce qui ouvre la voie large à toutes les erreurs et à la corruption des mœurs, pouvait donner aux peuples la prospérité, le progrès et la gloire". (Léon XIII, Lettre Dum civilis societas, du ler février 1875, à M. Charles Perrin, professeur d'économie politique à Louvain, PIN. 3010-3011).

f) Expression législative de la tolérance religieuse.

Un texte législatif peut-il exprimer la distinction fondamentalement morale et théologique entre le droit public de la vraie religion et la tolérance accordée éventuellement par l'Etat à d'autres religions ? Et comment exprimer cette distinction ?

Les deux questions sont résolues par les faits et par un document de Pie XI.

Quelques textes constitutionnels.

- “La profession et la pratique de la religion catholique, qui est la religion de l'Etat espagnol, jouiront de la protection officielle.

Personne ne sera inquiété pour ses croyances religieuses, ni dans l'exercice privé de son culte.

Ne seront admises ni cérémonies ni manifestations extérieures autres que celles de la religion de l'Etat."

(article 6 du "Fuero de los Espanoles", déjà cité, en vigueur encore au temps de Vatican II).

- Constitution italienne du 4 mars 1848, article 1:

Il y est dit que la religion catholique est tenue pour la seule religion de l'Etat, et les autres cultes sont dits seulement tolérés.

- Loi italienne du 24 juin 1929 :

Une situation juridique particulière étant accordée, comme il est juste, à la religion catholique, qui est la religion de l'Etat, on doit consentir, en hommage au principe de la liberté de conscience qu'aucun État moderne ne saurait répudier, au libre exercice de tous les cultes, dont la doctrine et les rites ne sont pas contraires à l'ordre public et aux bonnes-mœurs" (texte cité par le Cardinal Ottaviani dans son ouvrage Institutiones juris publici ecclesiastici, T. II, p. 71, sans que l'on sache s'il s'agit du texte même de la loi, ou d'un commentaire autorisé).

N. B. Mise à part la phrase du troisième texte : "en hommage au principe de la liberté de conscience ...”, qui est inadmissible par l'Église, ces trois textes expriment juridiquement, avec des nuances susceptibles de diverses appréciations de la part de l'Église, la distinction en question.

Document du pape Pie XI : Chirographe au Cardinal Pietro Gasparri, du 30 mai 1929, au sujet des conventions entre le Saint Siège et le royaume d'Italie.

Cultes "tolérés, permis, admis" : ce n'est pas Nous qui soulèverons des questions de mots. La question est d'ailleurs résolue, non sans élégance, par une distinction entre le texte statutaire et le texte purement législatif ; le premier, en soi, plus théorique et plus doctrinal, où le mot "tolérés" est mieux à sa place ; le second qui vise à la pratique et où l'on peut laisser "permis ou admis", pourvu qu'on s'entende loyalement là-dessus ; pourvu qu'il soit et reste clairement et loyalement entendu que la religion catholique est, et qu'elle est seule, suivant la constitution et les traités, la religion de l'Etat, avec les conséquences logiques et juridiques d'une telle situation de droit constitutionnel, particulièrement par rapport à la propagande ; pourvu qu'il reste non moins clairement et loyalement entendu que le culte catholique n'est pas purement et simplement un culte permis et admis, mais qu'il est tel que la lettre et l'esprit du traité et du Concordat le veulent".

Conclusion sur la tolérance religieuse

1. La tolérance des cultes erronés peut être un devoir de l'Etat non pas "per se" ni d'une manière générale, mais "per accidens" et dans des circonstances particulières.

Il faut retenir cette expression "circonstances particulières" que Léon XIII emploie dans Libertas (PIN. 221), dans sa Lettre E giunto, du 19 juillet 1889 à l'empereur du Brésil (PIN. 234) et dans sa lettre à M. Charles Perrin (PIN. 3010), et que Pie XII reprend sous les formes "circonstances déterminées" et "certaines circonstances" dans l'allocution Ci riesce (PIN. 3040).

Léon XIII (Longiqua Oceani, 6 janvier 1895), et Pie XII (allocution au Xe congrès des sciences historiques, 7 septembre 1955) ont bien vu que ces "circonstances déterminées" tendent à devenir de fait l'état général, à cause de l'apostasie des nations Catholiques. Cependant ils ont maintenu cette expression "circonstances déterminées", parce qu'au niveau des principes, au niveau de la doctrine de l'Église, le devoir de la tolérance reste intrinsèquement du "per accidens" et de l'exceptionnel, comme nous pensons l'avoir montré plus haut (2, a) par des raisons métaphysiques, donc permanentes.

2. Tolérer un culte erroné, ce n'est jamais accorder un droit à ses adeptes, Léon XIII (E giunto, PIN. 234; Lettre à M. Charles Perrin, PIN. 3010-3011) et Pie XII (Ci riesce, PIN. 3041 déjà cité en VI, 1) enseignent explicitement cette doctrine et la justifient par un principe permanent :

Il ne peut y avoir de droit contre les éternelles lois de la justice". (Léon XIII)

Ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence ni à la propagande ni à l'action". (Pie XII)

3. Dès lors on voit comment juger les thèses selon lesquelles la tolérance des cultes erronés, d'une part, serait par principe un devoir de l'Etat et d'autre part serait un droit des adeptes de ces cultes, ou la thèse plus générale qui inclut les précédentes, selon laquelle l'Etat doit par principe reconnaître à tous les cultes, quels qu'ils soient, le droit à la liberté d'action : ces thèses sont contraires à l'enseignement du magistère sur la tolérance, enseignement qui mérite la note théologique de "doctrina catholica".

Ch. XVIII. Les limites de la liberté religieuse

§. 1. A la liberté religieuse, tant qu'elle reste un droit subjectif au culte de Dieu, on n'a pas à assigner de limites, puisqu'elle se situe au niveau des principes.

Mais quand elle veut s'appliquer concrètement dans l'ordre social, en tant que faculté objective d'agir en matière religieuse, ou en tant que simple faculté de ne pas être empêché d'agir, elle doit alors recevoir des limites de la part de l'Etat.

On se demanda alors (ce fut le "problème des limites" qui se posa à Vatican II) si un système de limites pouvait être trouvé, qui fût unique et accepté par tous les États comme règle universelle des limites de la liberté religieuse, et qui satisfît à la doctrine catholique.

§. 2. Pour préciser ces limites, deux critères se présentaient, qu'il convenait de juger : le bien commun d'une part, et l'ordre public d'autre part.

a) Le bien commun semblait à première vue le critère le plus approprié, puisqu'il est la fin même de l'Etat et qu'il doit favoriser la religion (Léon XIII). Mais le concept analogique de bien commun, nous l'avons noté (XIV, 2), recouvre des réalités concrètes diverses et même opposées : quelle parenté entre le bien commun véritable et parfait d'une cité catholique, tout entière centrée sur Dieu et Notre-Seigneur Jésus-Christ, et le bien commun apparent et pervers, sinon inexistant, d'une cité communiste, toute finalisée par le "parti" ? Sans parler du bien commun d'une cité islamique, qui interdit tout prosélytisme à la vraie religion, etc...

Par conséquent, prendre pour règle générale régulatrice de la liberté religieuse le bien commun tel qu'il est réalisé concrètement dans chaque nation intéressée, cela pouvait être une règle correcte dans une cité catholique et une règle provisoirement acceptable dans une cité chrétienne non-catholique, ou dans une cité pluraliste ; mais c'était par ailleurs livrer la vraie religion et ses membres à l'arbitraire et aux persécutions de ses ennemis, dans des cités comme les cités islamique ou communiste !

Par ailleurs il ne pouvait être question de faire accepter à une cité non-catholique le critère du bien commun véritable et parfait de la cité catholique : le jugement de valeur sur la vérité morale et surtout religieuse qu'il implique n'étant pas partagé par les non-catholiques. Restait donc à opter pour l'autre critère : l'ordre public.

b) L'ordre public, qui n'est qu'une partie du bien commun, englobe dans son ampliation la sauvegarde des droits des citoyens, le maintien de la paix publique et la protection de la moralité publique. Cette moralité publique était nommée sou-vent “ordre moral objectif", sans plus de précisions. S'agissait-il de la morale naturelle, dans son intégrité rétablie par Jésus-Christ, ou d'une éthique minimum, du reste non définie ?... En tout cas la "moralité publique" faisait abstraction de tout jugement de vérité sur telle ou telle religion.

Mais précisément, c'est en cela que ce critère était insuffisant dans une cité catholique, où faire abstraction d'un jugement de vérité sur la vraie religion dans l'établissement de la législation sur les cultes témoignait d'un pur positivisme juridique et créait une législation agnostique et indifférentiste.

§. 3. Ni l'un ni l'autre critère n'étant adéquat, il s'avérait donc impossible d'exprimer les limites de la liberté religieuse par une formule unique, valable dans tous les cas et acceptable par tous les États.

Vouloir le tenter, comme le fit malgré tout Vatican II, équivalait dès lors à chercher la quadrature du cercle ! C'était espérer concilier les exigences de la vérité avec celles de l'erreur !

La raison toute simple et profonde de cette impossibilité est que la liberté religieuse entendue comme faculté objective d'agir (ou plus exactement de ne pas être empêché d'agir) ne peut faire abstraction de la vérité religieuse : seul en effet ce qui répond à la vérité peut être objet d'un droit. Ce qui ne répond pas à la vérité ne peut être objet d'aucun droit (au sens de faculté morale d'exiger). (cf. V, 3, a ; Pie XII, Ci riesce, PIN. 3041). Et nous avons souligné (VI, 2) que ce principe vaut aussi bien pour un droit affirmatif (faculté d'agir) que pour un droit négatif (faculté de ne pas être empêché d'agir).

§. 4. Par conséquent, si l'on veut définir une liberté religieuse qui fasse abstraction de la vérité, on doit se contenter de définir un droit subjectif à la liberté du culte de Dieu.

C'est ce qu'ont fait les papes Pie XI et Pie XII en proclamant le "droit fondamental de l'homme au culte de Dieu" : cela suffisait contre les totalitarismes.

Et nous disions plus haut (V, 3, a) que ce droit subjectif au culte de Dieu "in genere" inclut implicitement le droit objectif au vrai culte de Dieu : cela est pleinement satisfaisant pour un esprit catholique et acceptable par les non-catholiques.

Conclusion :

Le "problème des limites” de la liberté religieuse est un "faux problème". En le posant, tel que nous l'avons esquissé, mais sans en voir le vice radical qui est le passage indu du sujet à l'objet du droit, Vatican Il pouvait-il faire autrement que de s'engager dans une impasse ?

DEUXIÈME PARTIE

DUBIA

Méthode suivie dans la présentation des “dubia”

1. Nous avons regroupé les dubia en chapitres distincts dont le titre exprime chacune des interrogations principales que pose le texte conciliaire.

2. Dans chaque chapitre, nous citons d'abord l'extrait de Dignitatis Humanæ (DH) que nous examinons, et après avoir éventuellement établi un “status quæstionis" qui a pour but de situer exactement la difficulté, nous posons un ou plusieurs dubia. Chacun des chapitres peut envisager plusieurs passages de Dignitatis Humanæ qui se rapportent au même sujet ; ces passages sont alors précédés d'un numéro d'ordre et de leur référence (par exemple "DH. 3") dans le texte conciliaire.

3. Nous distinguons les "dubia" proprement dits, au nombre de 39, des "quæstiones", qui sont des questions annexes ou de moindre importance. Les "dubia" sont présentés sous forme d'une phrase interrogative, qui permette de formuler une réponse clairement affirmative ou négative ou d'introduire, le cas échéant, une distinction nécessaire.

4. Le chapitre XXXI (Dubia 26 - 28) ne se réfère pas au texte conciliaire lui-même, mais aux déclarations du rapporteur de la commission de rédaction. Ces déclarations apportent en effet une lumière supplémentaire sur certains présupposés philosophiques de Dignitatis Humanæ.

Ch. XIX. Dignité de la personne humaine ?

1. DH 1.

La dignité de la personne humaine est, en notre temps, l'objet d'une conscience toujours plus vive".

QUAESTIO (1)

Le Concile n'aurait-il pas dû écrire : ''la dignité de la personne humaine, est en notre temps, l'objet d'un oubli ou plutôt d'un mépris de plus en plus total" ?

2. DH. 1

Toujours plus nombreux sont ceux qui revendiquent pour l'homme la possibilité d'agir en vertu de ses propres options et en toute libre responsabilité ; non pas sous la pression d'une contrainte, mais guidés par la conscience de son devoir (...) Cette exigence de liberté dans la société humaine regarde principalement (...) ce qui concerne le libre exercice de la religion dans la société. Considérant avec diligence ces aspirations dans le but de déclarer à quel point elles sont conformes à la vérité et à la justice...”

QUAESTIO (2)

Ces "revendications", cette "exigence", ces "aspirations" à la liberté religieuse décrivent-elles l'explosion, la désagrégation et la pulvérisation de la cité catholique, des sociétés chrétiennes, sous la poussée libre et vigoureuse d'une multiplicité de sectes qui prolifèrent dans les anciennes chrétientés occidentales ?

Ou bien Vatican Il décrit-il l'expansion conquérante de l'Islam, guidée par la conscience du devoir sacré d'anéantir la chrétienté et les autres religions ?

Ou bien Vatican Il décrit-il les aspirations étouffées, les revendications bafouées des fidèles et de l'Eglise catholique dans les pays écrasés par la botte communiste : Pologne, Hongrie, et surtout Roumanie et Tchécoslovaquie ?

Voilà trois questions dont la réponse fera la lumière sur la liberté religieuse réclamée par Vatican Il pour toutes les religions indistinctement et en toute circonstance !

Ch. XX. A dignité ontologique, liberté d'action ?

DH.2

Le Concile du Vatican... déclare en outre que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine (... ) En vertu de leur dignité, tous les hommes, parce qu'ils sont des personnes, c'est-à-dire douées de raison et de volonté (...) Ce n'est donc pas dans une disposition subjective de la personne, mais dans sa nature même, qu'est fondé le droit à la liberté religieuse.

DUBIUM (1)

Vatican Il enseigne-t-il bien que la dignité humaine, qui fonde la liberté religieuse, consiste uniquement dans la dignité de sa nature même, douée de raison, et de libre arbitre, indépendamment de son adhésion en acte au vrai et au bien ?

DUBIUM (2)

S'il en est ainsi, l'enseignement de Vatican Il se concilie-t-il avec ce que l'Ecriture Sainte révèle de la déchéance de la dignité humaine de nos premiers parents et des païens après le péché et de la restauration qu'en a opérée la Rédemption ?

Le Missel Romain ne fait-il pas dire au prêtre : "Praesta quaesumus omnipotens Deus, ut dignitas conditionis humanae per immoderantiam sauciata, medicinalis parsimoniae studio reformetur" (collecte du Jeudi de la Passion) ?

DUBIUM (3)

Ce même enseignement de Vatican Il se concilie-t-il avec celui de Léon XIII qui enseigne, lui aussi indépendamment des conditions subjectives des personnes (ignorance coupable ou non coupable) : "Si l'intelligence adhère à des idées fausses, si la volonté choisit le mal et s'y attache, ni l'une ni l'autre n'atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent. Il n'est donc pas permis de mettre au jour et d'exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de placer cette licence sous la tutelle et la protection des lois" ? (Immortale Dei, PIN. 149) ?

CH. XXI. Droit "subjectif ou droit objectif "?

DH. 2.

C'est pourquoi le droit à cette immunité persiste chez ceux-là qui ne satisfont pas à l'obligation de chercher la vérité et d'y adhérer; son exercice ne peut être entravé, dès lors que demeure sauf un ordre public juste".

N.B.

- L'immunité vis-à-vis de la coercition, ou, plus précisément, le fait qu'on n'empêche pas les adhérents des religions erronées d'exercer publiquement leur culte, si elle est reconnue comme un droit, est ce qu'on appelle un "droit négatif" (cf. VI, 2).

- De plus, comme nous l'avons montré (VI, 2, b) une telle immunité est en soi un mal, même si, dans les circonstances concrètes d'une nation, elle est un moindre mal qu'on peut tolérer pour éviter un mal pire ou permettre un plus grand bien.

Pour illustrer notre assertion, prenons l'exemple du père de famille qui, pour ne pas comprimer trop fortement, pour ne pas user toujours de coercition envers son fils adolescent, lui laisse une liberté limitée et surveillée de "faire des sottises", quitte à lui en faire comprendre ensuite la faute ; eh bien une telle immunité vis-à-vis de la coercition est sans nul doute en elle-même un mal, puisqu'elle aura été la porte ouverte à des fautes morales, même si dans les circonstances envisagées elle est apparue comme un moindre mal à tolérer.

- Or ce qui est un mal ne peut être l'objet d'aucun droit (cf. VI, 1). Dès lors on doit affirmer que l'immunité vis-à-vis de la coercition pour les adeptes des religions erronées ne peut être l'objet d'aucun droit : autrement dit, elle n'est pas un droit objectif.

Reste à poser un dubium :

DUBIUM (4)

Vatican Il enseigne-t-il que ceux qui adhèrent à l'erreur ou au mal moral conservent objectivement (c'est-à-dire au sens de droit objectif) un droit négatif à exercer publiquement la religion, en l'occurrence leur religion erronée ?

Et si oui, une telle allégation se concilie-t-elle avec la doctrine classique du "droit objectif" (cf. 1° partie, ch. V, 3) exposée par Pie XII : “ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence, ni à la propagande, ni à l'action". (Alloc. "Ci riesce" aux juristes italiens, 6 décembre 1953) ?

Ch. XXII. Recherche sans contrainte

DH. 2.

Or à cette obligation (de chercher et d'adhérer à la vérité religieuse), les hommes ne peuvent satisfaire, d'une manière conforme à leur propre nature, que s'ils jouissent, outre la liberté psychologique, de l'immunité à l'égard de toute contrainte extérieure".

DUBIUM (5)

Vatican II, dans ce texte, enseigne-t-il que dans la recherche, l'adhésion et la pratique de la vérité quelle qu'elle soit, il est connaturel à l'homme d'être exempt de toute contrainte : c'est-à-dire non seulement de la violence exercée "actu nunc", mais encore de la menace d'une peine légale, soit physique, soit temporelle, soit spirituelle ?

Et si oui, cet enseignement est-il conforme à la raison et à l'enseignement de Léon XIII sur le bienfait de la contrainte des lois pour assurer une liberté véritable?

Textes

La condition de la liberté humaine étant telle, il lui fallait une protection, il lui fallait des aides et des secours capables de diriger tous ses mouvements vers le bien et de les détourner du mal : sans cela, la liberté eût été pour l'homme une chose très nuisible. Et d'abord une Loi, c'est-à-dire une règle de ce qu'il peut faire et ne pas faire (…) Ainsi donc, c'est la loi qui guide l'homme dans ses actions et c'est elle aussi qui, par la sanction des récompenses et des peines, l'attire à bien faire et la détourne du péché" (Libertas, PIN. 179-180).

La liberté consiste à ce que par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle”. (Libertas, PIN. 185).

DUBIUM (6)

Vatican Il enseigne-t-il que les non-catholiques (acatholici), afin de trouver la vérité religieuse et d'y adhérer "modo debito", doivent être exempts de toute contrainte, c'est-à-dire non seulement de la contrainte exercée directement pour extorquer l'assentiment, mais aussi d'une contrainte qui, exercée pour réprimer ou limiter justement l'erreur religieuse, produit de plus l'effet salutaire de faire réfléchir ceux qui la subissent et de les pousser à étudier la vérité qu'ils méconnaissaient ?

Et si oui, Vatican Il désavoue-t-il la doctrine explicite de saint Augustin, sur ce dernier point précis (cf. XIII, 3, a ; 1, 3, b) et désavoue-t-il les princes chrétiens (cf. XIII 2, e) qui ont appliqué cette doctrine ? (doctrine que nous avons justifiée théologiquement en IX, 3).

Ch. XXIII. Dialogue ou prédication ?

DH. 3. (échange et dialogue)

Mais la vérité doit être cherchée selon la manière propre à la personne humaine et à sa nature sociale, à savoir par une libre recherche, par le moyen de l'enseignement et de l'éducation, de l'échange et du dialogue par lesquels les uns exposent aux autres la vérité qu'ils ont trouvée ou pensent avoir trouvée, afin de s'aider mutuellement dans la quête de la vérité...

QUAESTIO (3)

Vatican Il enseigne-t-il par l'énumération de ces moyens, dans l'ordre donné, que la libre recherche est un moyen plus connaturel à l'homme de découvrir la vérité que l'audition de la prédication, c'est-à-dire l'enseignement par l'Eglise, et que la transmission de la foi des parents à leurs enfants, c'est-à-dire l'éducation catholique ?

QUAESTIO (4)

Par la description faite de l'échange et du dialogue, et surtout l'expression "s'aider mutuellement dans la quête de la vérité", Vatican Il enseigne-t-il qu'un missionnaire catholique, par exemple, qui dialogue avec un musulman, est aidé par cet échange dans la quête de la vérité, si par vérité on entend les vérités de la foi ?

Ou que ledit missionnaire a autant de chemin à parcourir que son interlocuteur pour parvenir à la dite vérité ?

DUBIUM (7)

L'enseignement de Vatican Il sur la libre recherche et le dialogue vise-t-il l'apostolat missionnaire ?

Et si oui, est-il conciliable avec l'enseignement de saint Paul :

Quomodo ergo invocabunt, in quem non crediderunt ? Aut quomodo credent ei, quem non audierunt ? Quomodo autem audient sine praedicante ? Quomodo vero praedicabunt, nisi mittantur ?" (Rom. 10, 14-15).

Les Apôtres ont-ils été envoyés dialoguer ou prêcher ? (cf. Mc 16, 15-16) Face aux non-catholiques et aux païens ce langage : "dialoguons, car vous avez des valeurs de salut dans votre religion" est-il plus vrai et plus efficace que celui-ci : "Non est in aliquo alio salus, etc ...” (Act. 4, 12) ?

Ch. XXIV. Vraies ou fausses religions ?

1. DH. 3

De par son caractère même, en effet, l'exercice de la religion consiste avant tout en des actes intérieurs volontaires et libres par lesquels l'homme s'ordonne directement à Dieu : de tels actes ne peuvent être ni imposés ni interdits par aucun pouvoir purement humain".

DUBIUM (8)

Par l'expression "exercice de la religion" Vatican Il désigne-t-il implicitement, outre les actes de la religion catholique, les actes des autres religions ( cf. V, 3, a) ?

Et si oui, Vatican Il enseigne-t-il que "l'homme s'ordonne directement à Dieu" par les "actes intérieurs" des religions erronées ?

Et si oui, cette assertion tombe-t-elle sous le coup de la condamnation de l'indifférentisme religieux par les papes? (cf. X, 3, b, et annexe II).

2. DH. 4

La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine".

DUBIUM (9)

Dans ces "groupes religieux" faut-il compter, en plus de l'Eglise catholique, les confessions protestantes, les religions musulmane, bouddhiste, la secte de Moon, la Franc-Maçonnerie, etc ?

Et si oui, Vatican Il reconnaît-il "l'efficacité singulière" de la doctrine de ces religions erronées qui privent les âmes de la grâce (protestantisme), sèment la guerre sainte et l'immoralité (Islam), maintiennent les peuples dans la paresse et l'inactivité (bouddhisme), écartent les égarés de la seule vraie Eglise (sectes) ?

3. DH. 4

Dès lors donc que les justes exigences de l'ordre public ne sont pas violées, ces groupes sont en droit de jouir de cette immunité afin de (…) honorer d'un culte public la Divinité suprême..."

DUBIUM (10)

Honorer d'un culte la divinité suprême, est-ce désigner en plus du culte catholique, non seulement les cultes protestant, juif et musulman, mais encore les cultes bouddhistes, animistes, maçonniques, etc. ?

Et si oui, Vatican Il reconnaît-il par là que ces trois derniers cultes, qui sont faux, ne sont nullement un "cultus indebitus veri Numinis" ou un "cultus falsi Numinis" ?

Autrement dit, le Concile reconnaît-il que Dieu est légitimement honoré par les faux cultes ?

4. DH. 6

Protéger et promouvoir les droits inviolables de l'homme est du devoir essentiel de tout pouvoir civil. Celui-ci doit donc par de justes lois et autres moyens appropriés, assumer efficacement la protection de la liberté religieuse et assurer les conditions favorables au développement de la vie religieuse, en sorte que les citoyens soient à même d'exercer effectivement leurs droits et de remplir leurs devoirs religieux, et que la société elle-même jouisse des biens de la justice et de la paix découlant de la fidélité des hommes envers Dieu et à sa sainte volonté".

DUBIUM (11)

Les termes "vie religieuse" et "devoirs religieux" désignent-ils outre ceux de la religion catholique, également les activités des religions erronées ?

Et si oui, Vatican Il affirme-t-il que les sectateurs des religions erronées, qui adhèrent (même de bonne foi) aux erreurs professées dans ces religions sont "fidèles à Dieu et à Sa sainte volonté" ? (cf. 1 Tim. 2, 4)

Ch. XXV. “Droits“ des religions erronées ?

DH. 4

Aux groupes religieux appartient, de même, le droit de ne pas être empêchés d'enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit".

DUBIUM (12)

Le terme "foi" désigne-t-il la foi catholique seule, ou également les convictions erronées des fausses religions ?

Et si oui, Vatican Il reconnaît-il à toutes les religions erronées un droit de propagande ?

Et si oui, Vatican Il affirme-t-il par là que cette propagande est un bien et qu'elle n'est pas de soi de nature à nuire à la foi des fidèles catholiques, à la mission de l'Eglise catholique d'enseigner tous les peuples, et à l'unité religieuse des nations catholiques ?

DUBIUM (13)

Peut-on concilier le droit de propagande, reconnu par Vatican Il aux religions erronées, avec l'enseignement de Pie XII (disc. Ci Riesce, 6.12.1953) : “ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence ni à la propagande ni à l'action". (et Léon XIII, Libertas, n. 39, PIN. 207, AAS. 20, 605)

Ch. XXVI. Droit ou tolérance ?

DH. 4.

Aux groupes religieux appartient, de même, le droit de ne pas être empêchés d'enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit".

DUBIUM (14)

Le droit à la liberté de culte et de propagande que Vatican Il reconnaît aux religions erronées est-il équivalent à un devoir de tolérance que l'Etat aurait envers ces religions et leurs membres, et dont Pie XII parle dans le discours cité plus haut :Le fait de ne pas l'empêcher (ce qui ne répond pas à la vérité, etc.), par le moyen des lois d'Etat et de dispositions coercitives, peut néanmoins se justifier dans l'intérêt d'un bien supérieur et plus vaste" ?

DUBIUM (15)

Vatican Il enseigne-t-il que les religions erronées et leurs adeptes ont par principe et en toutes circonstances un droit (en justice) à être tolérés dans une nation catholique ?

Et si oui, cette doctrine se concilie-t-elle avec l'enseignement constant des papes Léon XIII et Pie XII, affirmant que la tolérance envers l'erreur et ses adeptes, en particulier en matière religieuse, n'est due ni par principe, ni en toutes circonstances, ni sans limites fixées par sa raison d'être, et qu'elle n'équivaut jamais à concéder aux adeptes de l'erreur, en particulier religieuse, un droit (en justice) à la liberté d'action, vu que la tolérance est motivée exclusivement par la prudence politique et la charité ? (cf. XVll, 2 et 3).

DUBIUM (16)

"Dignitatis Humanæ" est-elle non pas un texte magistériel, mais un texte purement législatif, dans lequel le terme "droit à ne pas être empêchés" ne signifie pas un droit strict, c'est-à-dire une exigence en justice, mais seulement, et exprimée d'une manière fautive, une convenance en vertu de la prudence politique et de la charité?

Et si oui, "Dignitatis Humanæ" exige-t-elle des fidèles l'assentiment dû à un texte proprement magistériel, et l'abstention de toute critique, fut-elle motivée par la confusion d'esprit qu'elle engendre ?

 
Ch. XXVII. Non-intervention de l'Etat en faveur de la vraie foi

1.DH. 3.

Le pouvoir civil, dont la fin propre est de pourvoir au bien commun temporel, doit donc, certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens, mais il faut dire qu'il dépasse ses limites s'il s’arroge le droit de diriger ou d'empêcher des actes religieux."

DUBIUM (17)

Vatican Il enseigne-t-il que, concrètement dans une nation catholique, l'Église ne peut pas demander l'aide de l'Etat contre les autres religions, si ce n'est peut-être pour maintenir l'unité religieuse de la nation en tant qu'élément capital de la paix publique et du bien commun temporel du pays ; mais non pas dans le but purement et directement spirituel de préserver les âmes de la contagion de l'erreur ?

S'il en est ainsi comment concilier cette thèse avec les termes très clairs de Léon XIII :

Les chefs d'Etat doivent donc (...) mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger de leur bienveillance, de la couvrir de l'autorité tutélaire des lois (…) La première de toutes (les facilités) consiste à faire respecter la sainte et inviolable observance de la religion dont les devoirs unissent l'homme à Dieu : quant à décider quelle religion est la vraie, cela n'est pas difficile". (Immortale Dei, PIN. 131-132)

Ch. XXVIII. Eglise et État – L’Eglise libre dans l'Etat libre ?

1. DH. 13.

La liberté de l’Église est un (ou "le") principe fondamental dans les relations de l'Eglise avec les pouvoirs publics et tout l'ordre civil".

DUBIUM (18)

Par le terme "liberté de l’Église", Vatican Il entend-il la liberté assurée à l’Église, comme aux autres religions éventuelles, dans un "régime de liberté religieuse" (DH. 13) ?

Et si oui, Vatican Il enseigne-t-il que cette "liberté de l’Église" est ''le principe fondamental" ou "un principe fondamental" qui règle les relations entre l’Église et l'Etat, non seulement dans les circonstances particulières d'un État oppresseur de l’Église mais encore par principe et d'une manière tout à fait générale ?

Et si oui, cet enseignement concorde-t-il avec celui de l'Ecriture, des saints Pères et des papes, qui affirme que le principe fondamental qui règle ces relations est la "pleine liberté" que l’Église revendique d'être la Reine comme le Christ est en droit le Roi de la Société civile, la pleine liberté par conséquent d'informer, de pénétrer la législation civile par les principes chrétiens et catholiques ?

Cet enseignement de Vatican Il concorde-t-il de plus avec la condamnation par les papes Pie IX et Léon XIII, du catholicisme libéral, qui prenait pour maxime générale : "L'Eglise libre dans l'Etat libre" ?

Textes

"Oportet Illum regnare" (I Cor. 15. 25).

"Je vous demande comme votre très fidèle ami (…) vivez sous la loi de Dieu et soumettez en tout votre volonté à la sienne. C'est lorsque vous régnerez selon la volonté de Dieu que vous régnerez vraiment pour votre bien. Ne croyez pas, comme beaucoup de mauvais rois, que l’Église vous ait été livrée comme une esclave à un maître : elle vous a été confiée comme à son avocat et à son défenseur. Dieu n'a rien de plus cher, au monde que la liberté de son Eglise : Nihil magis diligit Deus in hoc mundo, quam libertatem ecclesiae suae. Ceux qui veulent moins lui être utiles que lui commander prouvent incontestablement qu'ils sont ennemis de Dieu : Dieu veut que son Épouse soit libre et non esclave. Ceux qui la traitent avec la déférence d'un fils à l'égard de sa mère, ceux-là prouvent qu'ils sont ses fils et les fils de Dieu". (Saint  Anselme, lettre à Baudoin, roi de Jérusalem, Lettre IV, IX, P.L. CLIX. 206 ; cf. Théotime de S. Just, p. 59).

Si plusieurs princes encore (...) trop peu déshabitués des allures absolutistes du césarisme païen ont changé dès l'origine en oppression leur protection légitime (vis-à-vis de l'Église) ; s'ils ont (...) procédé avec une vigueur qui n'est pas selon l'esprit du christianisme, il s'est trouvé dans l'Église des hommes de foi et des hommes de cœur, tels nos Hilaire et nos Martin, tels les Athanase et les Ambroise pour les rappeler à l'esprit de la mansuétude chrétienne, pour répudier l'apostolat du glaive, pour déclarer que la conviction religieuse ne s'impose jamais par la violence, enfin pour proclamer éloquemment que le Christianisme, qui s'est propagé malgré la persécution des princes, pouvait encore se passer de leur faveur et ne devait s'inféoder à aucune tyrannie. Nous connaissons et nous avons pesé chacune de ces paroles de ces nobles athlètes de la foi et de la liberté de l'Église, leur mère. Mais en protestant contre les excès et les abus, en blâmant des retours intempestifs et inintelligents, parfois même attentatoires aux principes et aux règles de l'immunité sacerdotale, jamais aucun de ces docteurs catholiques n'a douté que ce ne fût le devoir des nations et de leurs chefs de faire profession publique de la vérité chrétienne, d'y conformer leurs actes et leurs institutions et même d'interdire par des lois soit préventives soit répressives, selon les dispositions des temps et des esprits, les atteintes qui revêtaient le caractère d'impiété patente et qui portaient le trouble et le désordre au sein de la société civile et religieuse". (Cardinal Pie, 3ème instruction synodale sur les principales erreurs du temps présent ; Œuvres V, 178. cf. Théotime de S. Just, p. 59)

Chez vous, en effet, grâce à la bonne Constitution de l'Etat, l'Église n'étant gênée par les liens d'aucune loi, étant défendue contre la violence par le droit commun (...), a obtenu la liberté garantie de vivre et d'agir sans obstacle. Toutes ces remarques sont vraies ; pourtant, il faut se garder d'une erreur : qu'on n'aille pas conclure par là que la meilleure situation pour l'Église est celle qu'elle a en Amérique ou bien qu'il soit toujours permis et utile de séparer, de disjoindre les intérêts de l'Église et de l'Etat, comme en Amérique (...) ; elle (I'Eglise) produirait encore bien plus de fruits si elle jouissait de la faveur des lois et de la protection des pouvoirs publics". (Léon XIII, Longiqua Oceani, 6-1-1895)

Aux États, la célébration annuelle de cette fête (du Christ Roi) rappellera que les magistrats et les gouvernants sont tenus, tout comme les citoyens, de rendre au Christ un culte public et d'obéir à ses lois (...) Car sa royauté exige que l'Etat tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens aussi bien dans la législation que dans la façon de rendre la justice, et que dans la formation de la jeunesse à une doctrine saine et à une bonne discipline des mœurs". (Pie XI, Quas Primas, cf. PIN. 569)

2. DH. 13

Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l'Eglise revendique la liberté au titre d'autorité spirituelle, instituée par le Christ Seigneur, et chargée par mandat divin d'aller par le monde prêcher l'Évangile à toute créature". (cf. Mc 16, 15 ; Mt 28, 18-20)

QUAESTIO (3)

Vatican Il tire-t-il des conséquences pratiques du mandat divin donné par le Christ, au nom de sa toute puissance universelle "au ciel et sur la terre" (Mt. 28, 18), à son Eglise, d'enseigner toutes les nations, de les baptiser et de les soumettre à la loi du Christ, elles, c'est-à-dire pas seulement les individus, mais les peuples et les nations en tant que telles?

(Exemple de conséquences pratiques : la religion catholique à reconnaître en droit comme la religion d'Etat)

3. DH. 13.

“L'Eglise revendique également la liberté en tant qu'association d'hommes ayant le droit de vivre, dans la société civile, selon les préceptes de la foi chrétienne."

DUBIUM (19)

Ce principe qui met entre parenthèses le caractère de "Société parfaite" de l’Église, et la ramène au rang des "autres associations dans la société civile" est-il tenu par Vatican Il comme un principe valable en soi et en toutes hypothèses ?

Si oui, ce principe se concilie-t-il avec la doctrine de l’Église condamnant les lois qui dans une nation catholique réduisent l’Église au "droit commun" à toutes les associations dans l'Etat : “Il n'est certes pas besoin de longs discours, Nous adressant à un évêque tel que vous, pour vous faire reconnaître clairement de quelle blessure mortelle la religion catholique en France se trouve frappée par cet article (art. 22) ; par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité et l'erreur, et l'on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque, l'Épouse sainte et immaculée du Christ, l’Église hors de laquelle il ne peut y avoir de salut". (Pie VIl, Lettre à Mgr de Boulogne condamnant la Charte de 1814, 29 avril 1814, PIN. 19)

Étant donné que l’Etat repose sur ces principes (séparation entre l'Eglise et l'Etat) aujourd'hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injustement l'Eglise. Là en effet où la pratique est en accord avec de telles doctrines, la religion catholique est mise dans l'Etat sur le pied d'égalité, ou même d'infériorité, avec des sociétés qui lui sont étrangères. Il n'est tenu nul compte des lois ecclésiastiques ; l'Eglise, qui a reçu de Jésus-Christ ordre et mission d'enseigner toutes les nations, se voit interdire toute ingérence dans l'instruction publique (…) En somme, ils (les chefs d'Etat) traitent l'Eglise comme si elle n'avait ni le caractère, ni les droits d'une société parfaite, et qu'elle fût simplement une association semblable aux autres qui existent dans l'Etat". (Léon XIII, lmmortale Dei, 1er novembre 1895, PIN. 144).

Ce que nous appelons la peste de notre temps, c'est le laïcisme, ses erreurs et ses tentatives impies. Ce fléau, Vénérables Frères, vous savez qu'il n'a pas mûri en un jour, il couvait au plus profond des sociétés. On commença par nier le pouvoir du Christ sur toutes les nations ; on dénia à l'Eglise un droit dérivé du droit du Christ Lui-même, celui d'enseigner le genre humain, de porter des lois, de diriger les peuples, de les conduire à la béatitude éternelle. Alors la religion du Christ fut peu à peu traitée d'égale avec les faux cultes et placée avec une choquante inconvenance sur le même niveau (...) Les fruits amers que produisit si souvent et si longtemps une semblable séparation des individus et des peuples d'avec le Christ, Nous les avons déplorés dans l'Encyclique "Ubi arcano" et les déplorons aujourd'hui de nouveau". (Pie XI, Quas Primas, Il décembre 1925, cf. Dz 2197).

DUBIUM (20)

La revendication du “droit commun” est-elle tenue par Vatican II en toute circonstance comme un principe absolu ?

Si oui, comment concilier cette thèse avec la doctrine exposée par l'un des meilleurs théologiens contemporains, un "théologien romain", le P. Garrigou-Lagrange : “Possumus enim ex libertate cultuum arguere ad hominem, contra illos nempe qui libertatem cultum proclamant et tamen veram Ecclesiam vexant, ejusque cultum prohibent directe vel indirecte. Haec argumentatio ad hominem recta est, et Ecclesia catholica eam non dedignatur, sed eam urget ut iura suae libertatis defendat. Sed ex hoc non sequitur quod libertas cultum in se spectata possit defendi absolute a catholicis, quia in se absurda est et impia. Veritas enim et error non possunt eadem iura habere". (De Revelatione, éd. 1921, T. II, p. 451)

Ch. XXIX. Non reconnaissance des principes de la vraie religion, état "normal" ?

2. DH. 6.

Si, en raison de circonstances particulières dans lesquelles se trouvent des peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée dans l'ordre juridique de la cité à une communauté religieuse donnée...“

DUBIUM (21)

Par l'expression "circonstances particulières" Vatican Il enseigne-t-il que l'état normal d'une société est celui où on n'accorde aucune reconnaissance spéciale à la vraie religion ?

Et si oui, cette thèse concorde-t-elle avec l'enseignement antérieur de l'Eglise ?

Textes

De notre temps, il n'y a plus intérêt à ce que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'Etat, à l'exclusion de tout autre culte." (Proposition 77, condamnée dans le Syllabus, Dz 1777) 

L'historien ne devrait pas oublier que, si l'Eglise et l'Etat connurent des heures et des années de lutte, il y eut, de Constantin le Grand jusque l'époque contemporaine et même récente, des périodes tranquilles, souvent prolongées, pendant lesquelles ils collaborèrent dans une pleine compréhension à l'éducation des mêmes personnes. l’Église ne dissimule pas qu'elle considère en principe cette collaboration comme normale, et qu'elle regarde comme un idéal l'unité du peuple dans la vraie religion et l'unanimité d'action entre elle et l'Etat". (Pie XII, discours au Xè congrès international des sciences historiques, 7 septembre 1955)

DUBIUM (22)

L'enseignement de Vatican Il sur ce qui est l'état normal ou l'état exceptionnel d'une société, au point de vue de la reconnaissance ou non par l'Etat de la vraie religion, est-il lié à ce point aux circonstances historiques contemporaines des sociétés de plus en plus pluralistes au point de vue religieux, que cet enseignement n'aurait pas valu pour les très nombreuses nations intégralement catholiques d'avant le Concile ?

Ou que cet enseignement pourrait ne plus valoir un jour dans le futur ?

 
Ch. XXX. Liberté de tous les cultes, régime le meilleur ?

1. DH. 6.

Si en raison de circonstances particulières (…) reconnaissance civile spéciale (…) à une communauté religieuse donnée, il est nécessaire qu'en même temps le droit à la liberté religieuse soit reconnu et respecté pour tous les citoyens et toutes les communautés religieuses".

DUBIUM (23)

Cette assertion est-elle conciliable avec la condamnation de Pie IX de la proposition suivante : “Aussi doit-on des éloges à certains pays de nom catholique, où la loi a pourvu que les étrangers qui viennent s'établir puissent jouir de l'exercice public de leurs cultes." (Syllabus, proposition 78, condamnée, Dz 1778)

2. DH. 13.

Dès lors qu'il existe un régime de liberté religieuse, non seulement proclamée en parole ou seulement sanctionnée par des lois, mais mise effectivement et sincèrement en pratique, là se trouvent enfin fermement assurées à l'Eglise les conditions, de droit et de fait, de l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de sa divine mission".

DUBIUM (24)

Vatican Il enseigne-t-il que la divine mission de l'Eglise ne réclame que l'indépendance vis-à-vis du pouvoir civil, et ne réclame pas en plus, en droit, la protection et la faveur des lois civiles ? Ceci, en accord avec les paroles que le pape Paul VI fit lire dans son "Message aux gouvernants", le 8 décembre 1965, lors de la clôture du Concile :

Dans votre cité terrestre et temporelle, Il (le Christ) construit mystérieusement Sa cité spirituelle et éternelle, Son Eglise. Et que demande-t-elle de vous, cette Eglise, après deux mille ans bientôt de vicissitudes de toutes sortes dans ses relations avec vous, les puissances de la terre ; que vous demande-t-elle aujourd'hui ? Elle vous l’a dit dans un des textes majeurs de ce Concile : elle ne vous demande que la liberté. La liberté de croire et de prêcher sa foi, la liberté d'aimer Son Dieu et de Le servir, la liberté de vivre et de porter aux hommes Son message de vie. Ne la craignez pas : elle est à l'image de Son Maître, dont l'action mystérieuse n'empiète pas sur vos prérogatives, mais guérit tout l'humain de sa fatale caducité, le transfigure, le remplit d'espérance, de vérité et de beauté".

Et si oui, cet enseignement est-il conciliable avec celui de Léon XIII sur la reconnaissance et la faveur spéciale dues par l'Etat à la vraie religion (cf. lmmortale Dei, PIN. 131-132 et 142) ?

DUBIUM (25)

Quand Vatican Il dit que "là où existe un régime de liberté religieuse, là se trouvent fermement assurées à l'Église les conditions... “, Vatican Il enseigne-t-il qu’un régime où l'Etat favorise l'Eglise catholique par ses lois n'est pas plus favorable, en droit et en fait, à l'accomplissement de la mission de l'Eglise ?

Si oui, cette thèse se concilie-t-elle avec l'enseignement de Léon XIII ci-dessus dans "Longiqua Oceani" ?

Se concilie-t-elle aussi avec les autres enseignements très clairs des papes qui exposent que l'union de l'Eglise et de l'Etat est le meilleur régime, de droit et de fait, tant pour l'Eglise et les âmes, que pour la Société civile, et qui condamnent la thèse opposée : “A notre époque, il n'est plus utile que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'Etat, à l'exclusion de tous les autres cultes. Il est faux que la liberté civile de tous les cultes et que le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes leurs pensées et toutes leurs opinions, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l'esprit, et propagent la peste de l’indifférentisme". (Syllabus, 8-12-1864, propositions condamnées n.°77 et 79)

Il est donc nécessaire qu'il y ait entre les deux puissances un système de rapports bien ordonné non sans analogie avec celui qui dans l'homme constitue l'union de l'âme et du corps". (Immortale Dei, PIN. 137). "(...) et cela pour le plus grand avantage des deux conjoints, car la séparation est particulièrement funeste au corps puisqu'elle le prive de la vie". (Libertas, PIN. 200)

Ch. XXXI. Un ordre juridique indépendant de la vérité religieuse ?

§. 1. Incompétence de l'Etat vis-à-vis de la vérité religieuse ?

La commission de rédaction de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse refusa de fixer d'autres limites légales à la liberté religieuse que "l'ordre public" qui inclut "un ordre moral objectif" non défini. En particulier la commission refusa d'inclure aucun jugement de valeur sur le vrai et le faux en matière religieuse, comme critère des "justes limites" de la liberté religieuse.

A l'appui de ce refus, le rapporteur de la commission, Mgr De Smedt, avança les arguments suivants, dans sa "relatio de reemendatione schematis emendati" (28 mai 1965, 4 SC).

Il ne s'agit nullement (dans la question présente) d'un jugement à porter par l’Etat sur le vrai et le faux en matière religieuse. Il s'agit seulement de préserver l'immunité de la personne agissant en public selon sa conscience, à moins que son action ne soit un délit contre l'ordre public". (loc. cit. p. 48)

La question en effet est plus exactement posée, de savoir si et de quel droit la puissance publique peut contraindre par coercition un homme qui manifeste publiquement ses opinions religieuses. La question étant ainsi posée, revient le principe qu'il n'appartient pas à la puissance publique de juger de la vérité ou de la fausseté religieuse, mais que lui appartient le devoir d'omettre une action coercitive, sauf si l'on peut prouver qu'il s'agit d'un crime public". (ibid.)

(…) en ce sens la tolérance est un concept moral, dénotant un habitus de l'âme, informée à la fois par la vérité et la prudence, envers ce que l'on connaît comme quelque chose de mal, mais qu'il faut permettre pour de valides raisons.

Cependant il n'est pas permis, à partir de cela, de transposer la tolérance de l'erreur en un concept juridique, selon lequel l'Etat lui-même soit tenu d'agir. Car l'Etat n'est pas une autorité compétente pour pouvoir porter un jugement de vérité et de fausseté en matière religieuse. Donc on ne peut pas parler d'une erreur religieuse "à tolérer" par l'Etat”. (op. cit. p. 48-49)

On n'a pas à craindre que le schéma de déclaration semble favoriser l'Etat “a-religieux" ou "indifférent". En effet, le schéma se fonde sur la doctrine traditionnelle de la distinction entre un double ordre de la vie humaine : profane et sacré, civil et religieux. Récemment le pape Léon XIII élabora et augmenta magnifiquement cette doctrine, plus clairement que jamais auparavant, en enseignant qu'il y a deux sociétés, deux ordres juridiques, deux puissances enfin, divinement constituées l'une et l'autre, mais de façon différente : à savoir par la loi naturelle et par la loi positive du Christ. La notion de liberté religieuse est fondée sur cette distinction, elle est de même un moyen de préserver inviolablement celle-ci contre les confusions que l'Histoire n'a pas manqué d'engendrer souvent". (op. cit. p. 50)

DUBIUM (26)

Que l'Etat soit incompétent pour porter un jugement sur le vrai ou le faux en matière religieuse, est-ce un principe doctrinal (à savoir, fondé sur la nature même de l'Etat), que propose le rapporteur dans le deuxième et le troisième texte cités par nous ?

Et si oui, ce principe se concilie-t-il avec la doctrine des papes sur le devoir de l'Etat de porter et de suivre un tel jugement, ainsi qu'avec la condamnation de l'agnosticisme religieux de l'Etat ?

N. B. Agnosticisme signifie ne pas pouvoir reconnaître, par principe, la vérité.

Textes

Les chefs d'Etat doivent (…) favoriser la religion, la protéger de leur bienveillance, la couvrir de l'autorité tutélaire des lois (...). La société civile doit (...) assurer toutes les facilités (...), dont la principale est de s'appliquer à observer saintement et à préserver inviolablement la religion, dont les devoirs unissent l'homme à Dieu.

Et quant à savoir quelle est la vraie religion, cela n'est pas difficile à qui voudra appliquer son jugement avec prudence et sincérité. En effet, des preuves très nombreuses... ”. (Léon XIII, lmmortale Dei, cf. PIN. 131-132, et de même, Libertas, PIN. 203-204)

Que les gouvernants des nations ne refusent pas de rendre, par eux-mêmes et par le peuple, à l'empire du Christ, le devoir public de respect et de soumission...". (Pie XI, Quas Prirnas, cf. PIN. 543)

A bien réfléchir sur les conséquences funestes qu'apporterait au sein même de la société (...) une Constitution qui, abandonnant la pierre angulaire de la conception chrétienne de la vie, tenterait de se fonder sur un agnosticisme moral et religieux, tout catholique comprendra facilement que, maintenant, la question qui, plus que tout autre, doit attirer son attention et aiguillonner son activité, consiste à assurer à la génération présente et aux générations futures le bienfait d'une loi fondamentale de l'Etat qui ne s'oppose pas aux sains principes religieux et moraux, mais y puise plutôt une vigoureuse inspiration, et qui en proclame et en poursuive savamment les hautes finalités". (Pie XII, Lettre du 19 octobre 1945 pour la XIXè Semaine Sociale des catholiques italiens, AAS. 37, 274).

DUBIUM (27)

Que l'Etat soit circonscrit exclusivement dans l'ordre naturel (à la différence de l'Eglise qui se meut dans l'ordre surnaturel), comme l'affirme le rapporteur dans le quatrième passage que nous avons cité, est-ce en vérité la doctrine de Léon XIII sur la distinction entre les "deux puissances" ? (cf. XV, 1; XVI, 1)

Est-ce une thèse conciliable avec ce qu'enseigne ex professo Pie XI dans Quas Primas, à savoir le devoir des gouvernants des nations de se soumettre à l'empire du Christ, empire assurément surnaturel ! ?

Enfin, la liberté religieuse est-elle établie sur un solide fondement, si elle repose sur cette conception naturaliste de l'Etat ?

§. 2. Positivisme juridique ?

Le rapporteur voyait-il le danger ? En tout cas il tenta d'attribuer l'incompétence de l'Etat aux limites de compétence inhérentes à une organisation juridique quant à la production d'un jugement de valeur sur le contenu intrinsèque d'une croyance religieuse, et à l'expression en termes "juridiques" des concepts "moraux" de "droit de la vraie religion" et "tolérance des autres cultes" (cf. quatrième passage cité).

Ainsi l'expression "culte toléré" ferait place à celle plus générale d' “immunité vis-à-vis de la contrainte légale", qui désignerait par la même occasion les droits de la vraie religion. A la vraie religion, on ne reconnaîtrait pas les "droits" dus à la vraie religion en tant que telle, mais une "reconnaissance particulière" “dans des circonstances particulières", parce que par exemple elle serait la religion de la majorité des citoyens : donc en raison d'un état de fait, non en vertu des droits de la vérité.

Peu importent les arguments étonnants du rapporteur, alléguant que l'organisation juridique d'une société se limite par principe à régler les rapports interpersonnels de justice commutative, sans traiter des rapports des personnes avec la vérité (et avec la Vérité qui est Dieu ?). Peu importent les dissertations savantes du P. John Courtney Murray sur le passage historique d'une conception paternaliste de l'autorité publique (que l'on trouverait chez Léon XIII, due aux circonstances historiques de la monarchie héréditaire), à la conception moderne de l'Etat constitutionnel démocratique et social (liée à l'éveil de la conscience personnelle et politique de l'individu)...

On a cru alors réussir à dissoudre la doctrine constante de l'Eglise dans un relativisme historique intégral pourtant condamné et recondamné par les papes jusqu'à Pie XII inclusivement... Passons !

Ce qu'il importe de savoir, c'est si cet agnosticisme de l'ordre juridique vis-à-vis de la vérité non seulement morale, mais religieuse, n'est pas du pur positivisme juridique, lui aussi condamné par les papes, Pie XII y compris ?

DUBIUM (28)

Que l'Etat ne puisse pas appliquer la distinction existant en vertu de la loi divine positive entre la vraie religion et les religions erronées, et qu'il ne puisse pas non plus exprimer en termes juridiques la distinction théologique entre le droit de la vraie religion et la tolérance des autres cultes, est-ce un principe conforme à la condamnation de l'erreur du positivisme juridique par Pie XII ?

Et ce principe est-il une désapprobation des États qui expriment juridiquement ces distinctions dans leur Constitution (cf. XVII, 3, f) ?

Textes

Le droit consiste dans le fait matériel ; tous les devoirs des hommes sont un mot vide de sens et tous les faits humains ont force de droit". (proposition n° 59, condamnée par le Syllabus)

N. B. Les expressions "fait matériel" et "faits humains" désignent l'état de fait existant dans une nation. Le droit devrait, selon l'opinion condamnée, se contenter d'entériner cet état de fait, sans exprimer aucun jugement de valeur.

Les causes immédiates d'une telle crise doivent être principalement recherchées dans le positivisme juridique et l'absolutisme de l'Etat : deux manifestations qui à leur tour dérivent et dépendent de l'autre. Si on enlève, en effet, au droit de base constitué par la loi divine naturelle et positive et par cela même immuable, il ne reste plus qu'à la fonder sur la loi de l'Etat comme sur sa norme suprême, et voilà posé le principe de l'Etat absolu (...)“.

Faut-il peut-être remonter beaucoup en arrière dans l'histoire pour trouver un tel "droit légal", qui (...) surtout considère la reconnaissance de Dieu, Maître suprême, et la dépendance de l'homme à son égard comme sans intérêt pour l'Etat et pour la communauté humaine ? (...)

Il faut que l'ordre juridique se sente à nouveau lié à l'ordre moral (…) Or l'ordre moral est essentiellement fondé sur Dieu, sur Sa volonté, sur Sa sainteté, sur Son être. Même la plus profonde et la plus subtile science du droit ne saurait indiquer d'autre critère, pour distinguer les lois injustes des lois justes, le simple droit légal du vrai droit, que celui qui est déjà perçu par les seules lumières de la raison se basant sur l'ordre des choses et de l'homme, que le critère de la loi inscrite par le Créateur dans le cœur de l'homme (cf. Rom. 2, 14-15), et expressément confirmé par la révélation. Si le droit et la science juridique ne veulent pas renoncer à leur seul guide capable de les maintenir dans le droit chemin, ils doivent reconnaître les "obligations morales" comme règles objectives, valables même dans l'ordre juridique". (Pie XII, allocution "Con vivo compiacimento", du 13 novembre 1949, au Tribunal de la Rote, PIN. 1064, 1072, 1076).

N. B. Il faut inclure de plein droit dans cet "ordre moral" les obligations religieuses de l'homme, rappelées par le premier commandement du décalogue et précisées par la "loi positive divine" qu'est la Loi Nouvelle du Christ. La reconnaissance par l'ordre juridique de la vraie religion en tant que telle est donc inclue dans les exigences de la loi positive divine ; et ceci d'autant plus facilement que le jugement de crédibilité à porter sur la vraie religion en tant que vraie ne dépasse pas de soi les forces naturelles de la raison (cf. Léon XIII, Immortale Dei et Libertas, PIN. 131-132 et 203-204; Vatican I, Dz 1793-1794).

“ (…) Par là se trouvent éclairés les deux principes desquels il faut tirer, dans les cas concrets, la réponse à la très grave question touchant l'attitude que le juriste, l'homme politique et l'Etat souverain catholique doivent prendre à l'égard d'une formule de tolérance religieuse et morale comme celle indiquée ci-dessus, en ce qui concerne la communauté (ou confédération) des États.

Premièrement : ce qui ne répond pas à la vérité et à la loi morale n'a objectivement aucun droit à l'existence ni à la propagande ni à l'action.

Deuxièmement : le fait de ne pas l'empêcher par le moyen de lois d'Etat, et de dispositions coercitives peut néanmoins se justifier dans l'intérêt d'un bien supérieur et plus vaste" (Pie XII, Ci riesce, PIN. 3041).

On sait la controverse engagée récemment dans un pays d'outre-océan entre deux auteurs de tendances opposées, dans laquelle le tenant de la thèse indiquée (probablement le P. Murray) affirme : “ (...) Une inférence immédiate de l'ordre de la vérité éthique et théologique à l'ordre de la loi constitutionnelle est en principe, dialectiquement impossible". Ce qui veut dire que l'obligation pour l'Etat de rendre un culte à Dieu (ou du moins tel culte déterminé, celui qu'exige la loi  positive divine) ne pourrait jamais rentrer dans la sphère constitutionnelle  (...). De là ces attaques portées contre la doctrine exposée dans les manuels de droit ecclésiastique...".(Cardinal Alfredo Ottaviani, Préfet du Saint-Office, Allocution à l'Athénée Pontifical du Latran, 3 mars 1953)

(Les explications entre parenthèses ne sont pas de l'orateur).

Ch. XXXII. La liberté religieuse : quelles “justes limites“ ?

1. DH. 2

“(...) qu'en matière religieuse, nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience ni empêché d'agir selon sa conscience, en privé et en public, seul ou associé à d'autres, dans de justes limites."

QUAESTIO (4)

L'incise "dans de justes limites", située en fin de phrase, s'applique-t-elle aussi à la proposition "que nul ne soit forcé d'agir contre sa conscience" ?

Si oui, il s’ensuit un inconvénient : que l'on pourrait dans certains cas forcer quelqu'un à agir contre sa conscience !

2. DH. 2 et DH. 7

DH. 2

“La liberté religieuse demande en outre, que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester publiquement l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine"

DH. 7

La société civile a le droit de se protéger contre les abus qui pourraient naître sous prétexte de liberté religieuse, c'est surtout au pouvoir civil qu'il revient d'assurer cette protection (…) selon des règles juridiques conformes à l'ordre moral objectif (...) ainsi que par la protection due à la moralité publique".

DUBIUM (29)

Les lois du mariage et leur pratique font partie de la moralité publique.

Or la doctrine et en conséquence la pratique de nombreuses religions sur le mariage dévie gravement de l'ordre moral objectif professé par l'Église catholique : le divorce et la polygamie successive sont admis et propagés par beaucoup de dénominations protestantes, la polygamie simultanée est admise et propagée par l'Islam, sans parler des vices contre-nature, etc.

Un État soucieux de se conformer à la seconde exigence précitée (DH. 7) est-il en droit de refuser la liberté religieuse à ces religions, qui ne manifestent guère "l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine "(DH. 2) dans le domaine du mariage ! ?

Un tel État est-il en droit d'agir de même à l'encontre des religions animistes, qui répandent la crainte et la haine, de la religion bouddhiste qui engendre la passivité individuelle et l'apathie collective des masses énormes de l'Inde et donc la stagnation "civique et sociale" (cf. titre de DH.), etc. ?

DUBIUM (30)

Faut-il considérer que "l’ordre moral objectif", donné par DH comme critère des limites de la liberté religieuse, n'est pas identique à l'ordre moral de la loi naturelle dans sa pureté intégrale ?

Et si oui, est-il dans l'esprit, sinon dans la lettre, de Vatican Il d'affirmer que "l'ordre moral objectif", qui est un élément du bien commun et doit être exprimé dans l'organisation juridique de la société, n'a pas le devoir de se conformer à l'ordre naturel ?

Et si oui, une telle affirmation est-elle conforme à l'enseignement développé par Pie XII à l'encontre du positivisme juridique :

Il faut que l'ordre juridique se sente de nouveau lié à l'ordre moral (…) Or l'ordre moral est essentiellement fondé sur Dieu, sur Sa volonté, sur Sa sainteté, sur Son être. Même la plus profonde et la plus subtile science du droit ne saurait indiquer d'autre critère, pour distinguer les lois injustes des lois justes, le simple droit légal du vrai droit, que celui qui est déjà perçu par la seule lumière de la raison se basant sur la nature des choses et de l'homme, que le critère de la loi inscrite par le Créateur dans le cœur de l'homme, et expressément confirmée par la révélation...”.(Allocution au Tribunal de la Rote, du 13 novembre 1949)

DUBIUM (31)

Si "l'ordre moral objectif" dont parle DH est identique à la morale naturelle intégrale, Vatican Il déclare-t-il ou présuppose-t-il que la liberté religieuse des religions erronées peut-être limitée pour des raisons de moralité, certes, mais non pour le simple fait qu'étant fausses dans leurs doctrines, elles sont de soi passibles de limitation de la part de l'Etat, en vue du bien commun à promouvoir et de la vraie religion à protéger ?

Et si oui, ce présupposé est-il compatible avec la condamnation de l'agnosticisme et de l'indifférentisme religieux de l'Etat? (Par exemple : Léon XIII, Lettre E giunto, du 19 juillet 1889, à l'empereur du Brésil, déjà citée, PIN. 234-235).

Ch. XXXIII. Exemption de toute contrainte de la part de quelque pouvoir humain que ce soit,

en matière religieuse ?

DH. 2.

Cette liberté consiste en ce que tous les hommes doivent être soustraits à toute contrainte de la part, soit des individus soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit."

N.B. La question des "justes limites" a été l'objet des dubia du chapitre précédent.

DUBIUM (32)

Étant donné que le Nouveau Testament montre que l'autorité humaine (quoique surnaturelle) des apôtres a usé, en matière religieuse, outre de la persuasion qui convient à la Loi d'Amour, de la contrainte : à savoir d'abord de la contrainte morale exercée par la menace des peines spirituelles et temporelles ici-bas, et même de la contrainte de la violence (cf. XII, conclusions générales, 3),

la doctrine de Vatican Il exposée dans la phrase précitée de DH. 2. est-elle, compte tenu précisément de la généralité des termes employés : "toute contrainte", "quelque pouvoir humain que ce soit", conforme à la doctrine de l'Ecriture Sainte contenue dans le Nouveau Testament ?

DUBIUM (33)

Compte tenu encore de la généralité des termes employés : "toute contrainte" et “quelque pouvoir humain que ce soit", qui englobe le pouvoir de la hiérarchie de l'Église sur ses sujets et exclut toute espèce de contrainte, la doctrine de Vatican Il exposée dans la phrase précitée DH. 2. est-elle conciliable avec la condamnation infaillible, par le pape Pie VI, de la proposition suivante du concile de Pistoie :

La proposition affirmant que ce serait abuser de l'autorité de l’Église, que de transférer au-delà des limites de la doctrine et des mœurs, pour l'étendre aux choses extérieures et exiger de force ce qui relève de la persuasion, et aussi qu'il lui appartient beaucoup moins encore d'exiger de force l'obéissance à ses décrets ; en tant que l'expression indéterminée de l'étendre aux choses extérieures dénonce, comme un abus de l'autorité de l’Église, un usage de son pouvoir reçu de Dieu, que les Apôtres ont eux-mêmes exercé en constituant et sanctionnant la discipline extérieure : - hérétique."

(Constitution "Auctorem fidei", 28 août 1794, Dz 1504) ?

Les doctrines de la liberté religieuse, celles du XIXè siècle comme celles du XXè siècle, réclament l'indépendance, la liberté d'action et plus précisément l’exemption de toute contrainte vis-à-vis de tout pouvoir humain, en matière religieuse. Cette revendication était logique au XIXè siècle, étant donné le libéralisme absolu de l'époque (cf. VIll, 3 ; IX, 1), elle est tout à fait illogique au XXè siècle, où l'on proclame la soumission à l'individu, "être essentiellement relié à Dieu", au souverain domaine divin, et simultanément son indépendance vis-à-vis de tout pouvoir humain, spécialement de tout pouvoir contraignant.

En effet, c'est une vérité de foi, que Dieu, cause première, exerce son pouvoir par des causes secondes, spécialement par toutes les autorités humaines : c'est le plan même du gouvernement divin (cf. S. Th. 1, 103, 6). Et réciproquement, il est de foi que toute autorité : parentale, civile et ecclésiastique, est une participation de l'autorité divine (cf. Jn. 19, 11 ; Rom. 13, 1 ; Eph. 3, 15).

Dès lors, si, comme nous l'avons vu (XII), une autorité et une contrainte divines existent et s'exercent sur les hommes en matière religieuse, il est absolument nécessaire qu'il existe aussi des autorités et des contraintes humaines, participant de celles de Dieu, s'exerçant dans le domaine religieux : contraintes ecclésiastique (cf. XIII, 2,d,b), parentale, et également civile (cf. XIV et XV).

DUBIUM (34)

Par conséquent, peut-on affirmer en matière religieuse, que la personne humaine, tout en étant "essentiellement" reliée à Dieu et passible des contraintes divines, est ou doit être exempte de toute contrainte de la part de tout pouvoir humain, sans professer une erreur fondamentale qui atteint, au moins indirectement, la foi ?

Ch. XXXIV. Dignitatis Humanæ, ou Quanta Cura ?

1. DH. à la lumière du magistère pontifical ordinaire des papes du XIXè siècle

Nous avons expliqué (VIII) que les papes du XIXè siècle condamnèrent, sous le nom de "liberté de conscience et des cultes", la liberté religieuse entendue comme le droit naturel et civil à la liberté d'action (ne pas être empêché) au for externe et public en matière religieuse, reconnu à tous les sectateurs de toutes les religions.

Nous avons précisé et démontré (VIII, 3 et 4) que les papes condamnèrent cette liberté religieuse, non pas en raison des circonstances historiques de l'époque (libéralisme et rationalisme absolus) mais en elle-même, et pour le moins comme fausse et absurde, c'est-à-dire contraire à l'ordre naturel perçu par la raison, et à cause de ses conséquences immédiates : atteinte au droit public de l’Église (corollaire de sa divine institution) et propagation de la peste de l’indifférentisme religieux.

Enfin la répétition de ces condamnations par les papes Pie VI, Pie VII, Grégoire XVI, Pie IX et Léon XIII, toujours "in eodem sensu eademque sententia", l'écho universel qu'elles reçurent dans l’Église, tout cela permet d'affirmer que la liberté religieuse en question fut condamnée avec l'autorité la plus haute du magistère pontifical ordinaire.

Or Vatican II, dans "Dignitatis humanæ", déclare que la personne humaine a le droit à cette même "liberté religieuse", entendu comme le droit naturel et civil à la liberté d'action (ne pas être empêché) au for externe et public en matière religieuse qui doit être reconnu aux individus, comme aux "groupes religieux" qui désignent (dubium 9) les sectateurs de toutes les religions et leurs assemblées.

DUBIUM (35)

Doit-on affirmer que la déclaration sur la liberté religieuse de Vatican Il contredit le magistère pontifical ordinaire dans sa plus haute autorité ?

Et si oui, doit-on affirmer que la liberté religieuse de "Dignitatis humanæ" est condamnée pour le moins comme fausse, absurde, attentatrice à la divine constitution de l’Église et propagatrice de l’indifférentisme religieux, par ce même magistère pontifical ordinaire avec sa plus haute autorité ?

2. DH. à la lumière de l'Encyclique "Quanta Cura" de Pie IX

Nous avons cité trois des propositions condamnées par Pie IX dans Quanta Cura; un parallèle troublant ressort de la comparaison de ces trois propositions avec trois affirmations correspondantes de "Dignitatis humanæ" : donnons d'abord les textes latins :

(A)

“Optimam esse conditionem societatis, in qua imperio non agnoscitur officium coercendi sancitis poenis violatores catholicae religionis, nisi quatenus pax publica postulet."

(A’)

“in re religiosa neque aliquis (…) impediatur, quominus, juxta suam, conscientiam agat privatim et publice, vel solus vel aliis consociatus, intra debitos limites."

(B)

“Libertatem conscientiae et cultuum esse proprium cujuscumque hominis jus."

(B’)

“(Haec Vaticana Synodus declarat) personam humanam jus habere ad libertatem religiosam."

(C)

“quod lege proclamari et asseri debet in omni recte constituta societate.”

(C’)

“Hoc jus personae humanae ad libertatem religiosam in juridica societatis ordinatione ita est agnoscendum, ut jus civile evadat".

Voici la traduction française :

(A)

“La meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au pouvoir l'office de réprimer par des peines légales les violateurs de la religion catholique, si ce n'est lorsque la paix publique le demande".

(A')

“En matière religieuse, que nul ne soit (...) empêché d'agir selon sa conscience, en privé et en public, seul ou associé à d'autres, dans de justes limites".

(B)

“La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme".

(B’)

“La personne a droit à la liberté religieuse. Cette liberté consiste en ce que (…) suite : (A')

(C)

“qui doit être proclamé et garanti dans toute société correctement constituée".

(C’)

“Ce droit de la personne humaine à la liberté religieuse doit être reconnu dans l'ordre juridique de la société, de manière à ce qu'il constitue un droit civil".

a) Comparaison de (B) et (B’)

Le sens de (B) a suffisamment été expliqué (VIII, et ci-dessus), et le sens de (B’) est suffisamment connu par l'explication qu'en donne DH elle-même dans la proposition (A'), pour que la contradiction soit patente entre la condamnation (de B) et l'affirmation (en B’) du même droit à la liberté d'action en matière religieuse, au for externe et public, pour tous et chacun, quelle que soit sa religion.

Objection

(B’) admet les "justes limites" de (A’), tandis que (B) semble être un droit revendiqué sans limite. Autrement dit, Quanta Cura condamnerait une liberté effrénée (sans limite), tandis que Vatican Il déclarerait une liberté modérée et échapperait ainsi à la condamnation portée par Quanta Cura.

Réponse

(B) affirme seulement que la liberté en question est un droit. Mais ce droit, dans son exercice sera limité par les exigences de la paix publique (A). Donc Quanta Cura ne condamne pas cette liberté en tant qu'effrénée.

Sans doute, la "paix publique" est loin de recouvrir tout le contenu des "justes limites" indiquées par Vatican Il. Comme nous l'avons dit (XVIII, 3, b), les justes limites préconisées par DH sont celles de l'ordre public, qui englobe dans son ampliation non seulement le maintien de la paix publique, mais aussi la sauvegarde des droits de chacun et la protection de la morale publique qui doit respecter un "ordre moral objectif".

Mais au fond, peu importe cette différence ! (B) et (B’) conviennent en ceci que la liberté religieuse en question ne peut être limitée pour des raisons intrinsèques (fausseté de la religion envisagée) mais uniquement pour des raisons extrinsèques et "per accidens" : paix publique ou ordre moral objectif.

- C'est cela que déclare Vatican II, par exemple quand il précise : "le pouvoir civil (...) sort de son domaine s'il s'arroge le droit (…) d'empêcher des cultes religieux" (DH. 3, in fine) : ce qui signifie : s'il empêche des actes religieux pour ce seul motif qu'ils sont jugés faux, ou contraires à la religion catholique, ou pour tout autre raison proprement religieuse intrinsèque à la religion envisagée.

- C'est aussi ce qu'exprime bien Quanta Cura par l'opposition faite dans la proposition (A), entre : d'une part "les violateurs de la religion catholique" c'est-à-dire ceux qui transgressent simplement les prescriptions cultuelles ou disciplinaires de I’Eglise catholique (motif intrinsèque à la religion envisagée), et d'autre part ceux qui troubleraient la "paix publique”, élément extrinsèque et "per accidens" à la profession du culte envisagé.

Résumons :

(B) et (B’) proclament le même droit. Et quant à l'exercice de ce droit, (A) et (A’) en précisent les limites et conviennent toutes deux en ceci que le droit à la liberté religieuse ne peut pas être limité pour des raisons intrinsèques à la religion en question

Eh bien c'est cela que déclare Vatican Il, et que condamne Quanta Cura. Ou, pour mieux s'exprimer : c'est cela que déclare “simpliciter et per se" Vatican Il, tout en prévoyant des limites "secundum quid et per accidens", et que condamne “simpliciter et per se" Quanta Cura, en précisant que les limites "secundum quid et per accidens" ne sont pas les seules à devoir limiter la liberté religieuse.

Conclusion :

Il y a identité entre (B) et (B’) quant à l'affirmation du droit à la liberté religieuse et quant aux limites à apporter à son exercice, à savoir qu'elles ne peuvent pas être des limites intrinsèques à la religion considérée. Posons donc l'identité : (B) º (B’)

b) Comparaison de (C) et (C’)

Il y a identité entre les propositions (C) et (C’), qui expriment toutes deux que le droit naturel à la liberté d'action en matière religieuse doit être reconnu comme un droit civil et donc garanti par la loi civile. Posons donc l'identité : (C) º (C’)

c) Comparaison de (A) et (A’)

La question des limites a été résolue plus haut. Reste à déterminer le rapport logique (identité ou implication, etc. ?) qui existe entre les deux propositions (A) et (A’).

1) Tout d'abord l'état de la société (a) décrit par (A) équivaut à l'immunité (a1) vis-à-vis du pouvoir civil en matière religieuse : il y a en effet une implication réciproque entre ces deux propositions :

(a) on ne reconnaît pas au pouvoir civil l'office de réprimer les violateurs de la religion catholique

(a1) les violateurs de la religion catholique jouissent de l'immunité par rapport au pouvoir civil.

Quant à l'état de la société (a') décrit par (A’), il est celui dans lequel les sectateurs de toutes les religions, en particulier les violateurs de la religion catholique, jouissent de l'immunité vis-à-vis de tout pouvoir humain, en particulier du pouvoir civil.

Il est donc clair que (a1) et donc (a) n'est qu'un cas particulier de (a'). Il y a donc entre (a') et (a) une implication logique, que nous notons : (a') ® (a)

2) En second lieu les modalités des deux jugements (A) et (A’), portés sur (a) et (a') respectivement, sont les suivantes :

(A) affirme l'état qui, pour une société, est le meilleur.

(A’) affirme l'état qui, dans une société, doit exister.

On voit donc que (A') n'est pas identique à (A). Mais on peut dire ceci : certes, ce qui est le meilleur n'est pas nécessairement ce qui doit être, car la meilleure situation concrète peut rester en-deçà de l'idéal théorique. En revanche, ce qui doit être, est nécessairement le meilleur (du moins abstraction faite des circonstances). Il y a donc une implication logique entre la modalité de (A’) : ce qui doit être, et de celle de (A) : le meilleur.

Posons donc l’implication : (A’) ® (A)

Conclusion de la comparaison entre (A) et (A’) Aussi bien du côté de leur contenu que du côté de leurs modalités, les propositions (A) et (A’) sont dans un rapport d'implication logique (A') ® (A).

Conclusion générale de la comparaison de Quanta Cura et de Dignitatis humanæ.

Si l'on tient compte des précisions données plus haut, dans la réponse à l'objection présentée, sur ce qui est présenté "simpliciter et per se" par les deux documents, à savoir la liberté religieuse et son exercice sans limites intrinsèques, on doit affirmer qu'il y a entre les propositions présentées par Dignitatis humanæ et celles qui sont condamnées par Quanta Cura un lien logique d'identité (B º B’,    C º C') au tout au moins l'implication (A' ®A).

Dès lors, si quelqu'un affirme ce que Vatican Il déclare sur la liberté religieuse, il affirme nécessairement ce qui est condamné par Quanta Cura ; ou, ce qui revient au même, la condamnation portée par Quanta Cura implique nécessairement la condamnation de ce qui est déclaré par Dignitatis humanæ.

Nous posons maintenant des dubia :

DUBIUM (36)

Peut-on affirmer que DH contredit Quanta Cura, quant à trois points précis de cette Encyclique ?

Si oui, peut-on affirmer que DH tombe sous le coup de la condamnation portée par Quanta Cura contre les trois propositions citées ?

DUBIUM (37)

Peut-on affirmer que la condamnation portée par Quanta Cura contre les trois propositions citées est, soit au titre du magistère pontifical ordinaire dans sa plus haute autorité, soit au titre d'une "locutio ex cathedra" (cf. VIII, 5), infaillible ?

Si oui, peut-on affirmer que DH tombe sous le coup d'une condamnation infaillible par le magistère de l'Eglise ?

DUBIUM (38)

Peut-on affirmer que le droit à la liberté religieuse déclaré par D.H encourt les mêmes censures théologiques que les propositions condamnées par Quanta Cura, et qu'il mérite par conséquent d'être qualifié de :

funeste au maximum pour l’Église catholique et le salut des âmes, absurde, erroné, délire, contraire à la doctrine de l'Ecriture Sainte, de l'Eglise et des saints Pères, réprouvé, proscrit et condamné, et à tenir par tous les fils de l’Église catholique comme tout à fait réprouvé, proscrit et condamné" (Quanta Cura, passim) ?

DUBIUM (39)

Peut-on affirmer que la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse, qui déclare en outre que cette liberté

ne porte aucun préjudice à la doctrine traditionnelle de l’Église sur le devoir moral (...) des associations (donc de la société civile) à l'égard de la vraie religion et de l'unique Eglise du Christ" (DH. 1),

et que Paul VI a affirmé, le 7 décembre 1965,

en vertu de son pouvoir apostolique (...) approuver, arrêter et décréter dans le Saint Esprit, et ordonner qu’elle soit promulguée pour la gloire de Dieu",

pose de très graves problèmes ecclésiologiques que l’Église devra résoudre au plus tôt, sous peine de maintenir, plus de vingt ans après qu’elle ait été posée, une pierre de scandale, et d'un scandale sans précédent dans toute l'histoire de l'Eglise?

ANNEXE 1

Le magistère et l'indifférentisme religieux de l'individu

Nous citons les textes les plus importants et par ordre chronologique.

- Grégoire XVI, Encyclique "Mirari vos" du 15 août 1832 : “Nous arrivons maintenant à une autre cause des maux dont Nous gémissons de voir l’Église affligée en ce moment, savoir, à cet "indifférentisme" ou à cette opinion perverse qui s'est répandue de tous côtés par les artifices des méchants, et d'après laquelle on pourrait acquérir le salut éternel par quelque profession de foi que ce soit, pourvu que les mœurs soient droites et honnêtes. Il ne vous sera pas difficile, dans une matière si claire et si évidente, de repousser une erreur aussi fatale du milieu des peuples confiés à vos soins. Puisque l'Apôtre nous avertit "qu'il n'y a qu'un Dieu, une foi, un baptême", ceux-là doivent craindre, qui s'imaginent que toute religion ouvre l'accès au port du bonheur éternel".

- Pie IX, Encyclique "Qui pluribus", du 9 novembre 1846 : “C'est encore au même but que tend cet horrible système de l'indifférentisme en matière de religion, système qui répugne de plus à la seule lumière naturelle de la raison. C'est par ce système en effet que ces subtiles artisans de mensonge cherchent à enlever toute distinction entre le vice et la vertu, entre la vérité et l'erreur, entre l'honneur et la turpitude, et prétendent que les hommes de tout culte et de toute religion peuvent arriver au salut éternel : comme si jamais il pouvait y avoir accord entre la justice et l'iniquité, entre la lumière et les ténèbres, entre Jésus-Christ et Bélial".

- Pie IX, Allocution "Ubi primum" au consistoire secret, 17 décembre 1847 : “Mais il y a, de plus, un sujet qui presse et désole vivement Notre âme. Vous ne pouvez ignorer, Vénérables Frères, qu'un grand nombre des ennemis de la vérité catholique dirigent, surtout de notre temps, leurs efforts vers ce but, à savoir d'égaler à la doctrine du Christ ou de mêler à elle les monstrueuses inventions des opinions, et de propager de plus en plus le système impie de l'indifférence en matière de religion. Récemment encore (...) certains(...) ont voulu conclure (de certaines mesures du Pontife) que Nous avions de toute espèce d'hommes cette opinion que, non seulement les fils de l’Église, mais tous les autres, quelqu'éloignés qu'ils soient de l'unité catholique, étaient également dans la voie du salut, et pourraient parvenir à la vie éternelle. Les paroles nous manquent pour (...) flétrir cette nouvelle et si cruelle injure lancée contre Nous.

Oui, Nous aimons tous les hommes de la plus profonde affection de Notre cœur, mais non autrement, toutefois, que dans l'amour de Dieu et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu, qui est mort pour tous, qui veut que tous soient sauvés et que tous viennent à la connaissance de la vérité ; qui a envoyé ensuite ses disciples dans le monde entier prêcher l'Évangile à toute créature, déclarant que ceux qui auraient cru et auraient été baptisés seraient sauvés, mais que ceux qui n'auraient pas cru seraient condamnés. Que ceux-là donc qui veulent être sauvés viennent à cette colonne, à ce fondement de la vérité, qu'est l’Église, c'est-à-dire qu'ils viennent à la vraie Eglise du Christ (...) Nous n'épargnerons jamais ni soins, ni labeurs pour ramener, par la grâce du même Jésus-Christ, à cette voie unique de vérité et de salut ceux qui sont dans l'ignorance et dans l'erreur".

- Pie IX, Encyclique "Nostis et Nobiscum", du 8 décembre 1849 : “Il faut veiller spécialement à ce que les fidèles eux-mêmes aient profondément gravé dans l'esprit le dogme de notre très sainte religion sur la nécessité de la foi catholique pour obtenir le salut".

- Pie IX, Lettre apostolique "Multiplices inter", 10 janvier 1851 : “L'auteur (du livre condamné) (...), voulant s'abandonner impunément à l’indifférentisme et au rationalisme dont il se montre infecté, nie que l’Église catholique est la seule vraie religion et enseigne que chacun est libre d'embrasser et de professer celle qu'il jugera vraie, en suivant la lumière de la raison". (cf. Syllabus)

- Pie IX, Allocution "Singulari quadam", au consistoire secret, du 9 décembre 1854 : “Nous avons appris avec douleur qu'une autre erreur non moins funeste (que le rationalisme) s'est introduite dans certaines parties du monde catholique, et s'est emparée des âmes de beaucoup de catholiques. Entraînés à espérer le salut éternel de tous ceux qui se trouvent hors de la véritable Eglise du Christ, ils ne cessent de demander avec sollicitude quel sera après la mort le sort et la condition des hommes qui ne sont pas soumis à la foi catholique. Séduits par de vains raisonnements, ils font à ces questions des réponses conformes à cette doctrine perverse. Loin de Nous de vouloir scruter les conseils et les jugements mystérieux de Dieu, abîme où la pensée humaine ne peut pénétrer ! Mais il est du devoir de Notre charge apostolique d'exciter votre sollicitude et votre vigilance épiscopale à faire tous les efforts possibles pour écarter de l'esprit des hommes l’opinion, aussi impie et funeste, d'après laquelle on peut trouver dans toute religion la voie du salut éternel (…) La foi nous ordonne de tenir que hors de l’Église apostolique romaine personne ne peut être sauvé ; qu'elle est la seule arche de salut, et que quiconque n'y sera pas entré périra dans les eaux du déluge. D'un autre côté, il faut également tenir pour certain que l'ignorance de la vraie religion, si cette ignorance est invincible, n'est pas une faute aux yeux de Dieu. Mais qui osera s'arroger le droit de marquer les limites d'une telle ignorance, en tenant compte des conditions diverses des peuples, des régions, des dispositions d'esprit et de l'infinie multiplicité des choses humaines" ? (texte déjà cité en partie, X, 3, a).

- Pie IX, Encyclique “Singulari quidem", du 17 mars 1856, aux évêques d'Autriche: “En effet, vous savez quels dommages innombrables et funestes cause à la société chrétienne et civile la hideuse erreur de l'indifférentisme (indifférentisme de l'Etat en matière religieuse) (...) Et il a peu de différence entre cette forme hideuse de l'indifférence et le système, sorti du sein des ténèbres, de l'indifférence entre les diverses religions, système en vertu duquel des hommes qui se sont éloignés de la vérité, qui sont ennemis de la vraie foi et oublieux de leur propre salut, qui enseignent des croyances contradictoires et qui n'ont jamais eu de doctrine stable, ne font aucune différence entre les diverses professions de foi, s'en vont pactisant avec tout le monde, et soutiennent que le port du salut éternel est ouvert aux sectateurs de toutes les religions, quelles qu'elles soient".

- Pie IX, Allocution au consistoire "Maxima quidem", 9 juin 1862 : “Tandis qu'ils font malicieusement dériver toutes les vérités de la religion de la force native de la raison humaine, ils accordent à chaque homme une sorte de droit primordial par lequel il peut librement penser et parler de la religion et rendre à Dieu l'honneur et le culte qu'il trouve le meilleur selon son caprice".

- Pie IX, Encyclique "Quanto conficiamur moerore", du 10 août 1863: “Et ici, Fils chéris et Vénérables Frères, Nous devons de nouveau rappeler et blâmer la très grave erreur où se trouvent malheureusement quelques catholiques, qui adoptent la croyance que les personnes vivant dans les erreurs et en dehors de la vraie foi et de l'unité catholique peuvent arriver à la vie éternelle. Cela est péremptoirement contraire à la doctrine catholique. Nous savons et vous savez que ceux qui souffrent d'une ignorance coupable invincible à l'égard de Notre très sainte religion, et qui, observant avec soin la loi naturelle et ses préceptes, gravés par Dieu dans le cœur de tous, et disposés à obéir à Dieu, mènent une vie honnête et droite, peuvent, avec l'aide de la lumière et de la grâce divine, acquérir la vie éternelle ; car Dieu, qui voit parfaitement, scrute et connaît les esprits, les âmes, les pensées et les habitudes de tous, ne permet pas, dans sa souveraine bonté et clémence, que celui qui, n'est pas coupable de faute volontaire soit puni par les supplices éternels. Mais il est aussi très connu, ce dogme catholique : que personne ne peut se sauver hors de l’Église catholique, et que ceux-là ne peuvent obtenir le salut éternel qui sciemment se montrent rebelles à l'autorité et aux définitions de l’Église, ainsi que ceux qui sont séparés de l'unité de l'Église et du Pontife romain, successeur de Pierre, a qui a été confiée par le Sauveur la garde de la vigne". (texte cité, en partie, X, 3, a)

- Pie IX, Syllabus, annexé à l'Encyclique "Quanta cura", du 8 décembre 1864.

Propositions condamnées n° 15, 16, 17, 18, 21, 48, et 79.

- Léon XIII, Encyclique "Humanum Genus", condamnant la Franc-Maçonnerie, du 20 avril 1884 : “De plus en ouvrant leurs rangs à des adeptes qui viennent à eux des religions les plus diverses, ils deviennent capables d'accréditer la grande erreur du temps présent, laquelle consiste à reléguer au rang des choses indifférentes le souci de la religion, et à mettre sur le pied de l'égalité toutes les formes religieuses. Or, à lui seul, ce principe suffit à ruiner toutes les religions, et particulièrement la religion catholique, car, étant la seule véritable, elle ne peut sans subir la dernière des injures et des injustices, tolérer que les autres religions lui soient égalées (...). Dans l'éducation il n'y a (selon les francs-maçons) rien à enseigner méthodiquement aux enfants, ni à leur prescrire en fait de religion. C'est affaire à chacun d'eux, lorsqu'ils seront en âge, de choisir la religion qui leur plaira".

- Saint Pie X, Encyclique "Pascendi" condamnant le modernisme, le 8 septembre 1907 :

Le pape condamne l'opinion des modernistes selon laquelle toutes les religions sont vraies et, comme ils disent, toutes les croyances "authentiques", parce qu'elles ont leur fondement dans une (authentique) "expérience religieuse" : “Combien tout cela est contraire à la foi catholique, nous l'avons déjà vu dans un décret du Concile du Vatican ; comment la voie s'en trouve ouverte à l'athéisme, de même que par les autres erreurs déjà exposées, Nous le dirons plus loin. Ce que Nous voulons observer ici, c'est que la doctrine de "l’expérience", jointe à l'autre du "symbolisme", consacre comme vraie toute religion, sans en excepter la religion païenne. Est-ce qu'on ne rencontre pas dans toutes les religions, des expériences de ce genre ? Beaucoup le disent. Or de quel droit les modernistes dénieraient-ils la vérité aux expériences religieuses qui se font, par exemple, dans la religion mahométane ? Et en vertu de quel principe attribueraient-ils aux seuls catholiques le monopole des expériences vraies ? Ils s'en gardent bien : les uns d'une façon voilée, les autres ouvertement, ils tiennent pour vraies toutes les religions.

C'est aussi bien une nécessité de leur système. Car, posés leurs principes, à quel chef pourraient-ils arguer une religion de fausseté ? Ce ne pourrait être évidemment que pour la fausseté du sentiment, ou pour celle de la formule. Mais, d'après eux, le sentiment est toujours et partout le même, substantiellement identique ; quant à la formule religieuse, tout ce qu'on lui demande, c'est l'adaptation au croyant - quel que soit par ailleurs son niveau intellectuel - en même temps qu'à sa foi. Tout au plus, dans cette mêlée des religions, ce qu'ils pourraient revendiquer en faveur de la religion catholique, c'est qu'elle est vraie, parce qu’elle est plus vivante ; c'est encore qu'elle est plus digne du nom de chrétienne, parce qu'elle répond mieux que toute autre aux origines du christianisme". (Dz 2082)

- Pie XI, Encyclique "Mortalium animos", du 6 janvier 1928, condamnant le faux œcuménisme : “De pareils efforts (du faux œcuménisme) n'ont aucun droit à l'approbation des catholiques, car ils s'appuient sur cette opinion erronée que toutes les religions sont plus au moins bonnes et louables, en ce sens qu'elles révèlent et traduisent toutes également - quoique d'une manière différente - le sentiment naturel et inné qui nous porte vers Dieu et nous incline au respect devant sa puissance". (Documents pontificaux, “l’Eglise”, n. 854)

“Nous savons très bien qu'on aboutit par là à la négligence de la religion, c'est-à-dire à l'indifférentisme et à ce qu'on nomme le modernisme. Les malheureux qu'infectent ces erreurs soutiennent que la vérité dogmatique n'est pas absolue mais relative, c'est-à-dire qu'elle doit s'adapter aux exigences variables des temps et des lieux et aux divers besoins des âmes, puisqu'elle n'est pas contenue dans une révélation immuable, mais doit, de par sa nature, s'accommoder à la vie des hommes". (Ibid. n. 869)

- Pie XII, Encyclique "Mystici Corporis", du 29 juin 1943 : “Pour ceux-là même qui n'appartiennent pas à l'organisme visible de I’Eglise (...) Nous les avons confiés à la protection et à la conduite du Seigneur (...), les invitant tous et chacun (…) à s'efforcer de sortir d'un état où nul ne peut être assuré de son salut éternel ; car, même si par un certain désir et souhait inconscient ils se trouvent ordonnés au Corps mystique du Rédempteur, ils sont privés de tant et de si grands secours et faveurs célestes, dont on ne peut jouir que dans l'Église catholique". (“l’Eglise”, n. 1104). (cf. Pie IX, "Jam vos omnes," 13 septembre 1868, "I'Eglise", n. 313)

- Pie XII Instruction du Saint-Office aux évêques, du 20 décembre 1949 "de motione œcumenica" : “Ils veilleront de même à ce que, sous le faux prétexte qu'il faut beaucoup plus considérer ce qui nous unit que ce qui nous sépare, on ne nourrisse pas un dangereux indifférentisme (...) Ils empêcheront soigneusement et avec une réelle insistance qu'en exposant l'histoire de la Réforme et des réformateurs, (...) on ne mette tellement en lumière des éléments plutôt accidentels, que l'on ne voie et ne sente plus ce qui est essentiel, à savoir la défection de la foi catholique". (“l’Église”, n. 1269).

ANNEXE Il

Politique du Saint Siège auprès des États catholiques,

en application de la déclaration conciliaire sur la liberté religieuse

Nous citons quelques témoignages qui illustrent bien la politique du Saint Siège à l'égard des États catholiques, depuis 1965 : le but en a été très officiellement la séparation de l’Église et de l'Etat et l'abrogation, en particulier, de l'article de la constitution de ces États qui reconnaissait la religion catholique comme étant la religion de la nation, ou la religion protégée par l'Etat, ou la religion de l'Etat. A l'idéal catholique est substitué, comme le lecteur pourra en juger, l'idéal maçonnique actuel : "Fraternité, tolérance, pluralisme".

§. 1. Laïcisation de l'Etat Colombien sous la pression du Vatican.

En Colombie, état à 98% catholique, on a retiré, sur la demande du Saint Siège, l'article de la Constitution qui stipule que la religion catholique est la seule qui soit reconnue par l'Etat. La raison invoquée était la dignité de la personne humaine et la liberté religieuse. Cela a eu lieu en 1973.

La Secrétairie d'Etat (le Vatican) avait fait le siège de la Présidence de la République, deux ans durant, pour arriver à cette suppression : c'est ce que Mgr Lefebvre a appris de la bouche même du Secrétaire de la conférence épiscopale Colombienne.

(source : Mgr Marcel Lefebvre, conférence à Barcelone, 29 décembre 1975.)

Dans les États dont la constitution prévoyait que "la religion catholique est la seule religion publiquement reconnue par l'Etat", ce ne sont pas les Présidents de ces États qui ont demandé de supprimer ces articles de la constitution, c'est le Saint Siège. Mgr Lefebvre a entendu lui-même les discours prononcés par le Président, par le Nonce et par le représentant de l'épiscopat Colombien. Eh bien, a-t-il raconté, le discours le plus catholique des trois fut celui du Président de la République. Les Évêques disaient : nous agissons selon les principes donnés par le Concile dans la déclaration sur la liberté religieuse, ce qui implique la liberté de toutes les religions dans l'Etat, que l’Église catholique ne soit plus privilégiée. C'était une déclaration du laïcisme de l'Etat. Le Nonce a fait un discours qui aurait été digne d'un franc-maçon. Seul le Président de la République a regretté publiquement la laïcisation de l'Etat, en ces termes :

"Tant que je serai Président, moi, catholique personnellement, j’affirmerai ma foi catholique et ferai tous mes efforts pour que mon pays reste catholique et ne tombe pas dans le laïcisme et l'athéisme".

Mais la pierre angulaire ayant été enlevée, l'édifice ne pouvait que s'écrouler. C'est ce qui arriva : huit jours après, toutes les sectes protestantes réclamaient la liberté de culte au même titre que les catholiques.

(source : Mgr Lefebvre, conférence à Angers, 23 novembre 1980).

§. 2. Entretien de Mgr Lefebvre avec le Nonce Apostolique en Suisse, S. Exc. Mgr Ambrogio Marchioni, à Berne, le 31 mars 1976 :

- Mgr Lefebvre : “On peut bien voir dans le Concile des choses dangereuses (…) Dans la déclaration sur la liberté religieuse, il y a des choses contraires à ce que les papes ont enseigné : il est décidé qu'il ne peut plus y avoir d'États catholiques" !

- Le Nonce : “Mais oui, c'est évident" !

- Mgr Lefebvre : "Croyez-vous que cela va faire du bien à l’Église, cette suppression des États catholiques“ ?

- Le Nonce : “Ah, mais vous comprenez, si on fait cela, on obtiendra une plus grande liberté religieuse chez les Soviets“!

- Mgr Lefebvre : Mais le Règne social de N.S.J.C., qu'en faites- vous" ?

- Le Nonce : "Vous savez, c'est impossible maintenant ; peut-être dans un avenir lointain ?... Actuellement, ce Règne est dans les individus ; il faut s'ouvrir à la masse".

- Mgr Lefebvre : “Mais l'Encyclique Quas Primas, qu'est-ce que vous en faites" ?

- Le Nonce : "Oh... le pape ne l'écrirait plus, maintenant" !

- Mgr Lefebvre : “Savez-vous qu'en Colombie, c'est le Saint Siège qui a demandé la suppression de la constitution chrétienne de l'Etat?“

- Le Nonce : "oui, ici aussi."

- Mgr Lefebvre : "en Valais ? “

- Le Nonce : “oui, en Valais. Et maintenant, voyez, je suis invité à toutes les réunions" !

- Mgr Lefebvre : “Alors vous approuvez la lettre que Mgr Adam (évêque de Sion, en Valais) a écrite à ses diocésains pour leur expliquer pourquoi ils devaient voter pour la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat" ?

- Le Nonce : “Voyez-vous, le règne social de Notre Seigneur, c'est bien difficile maintenant (...)"

(Sources : Mgr Lefebvre, conférence aux sous-diacres. Ecône, 1er avril 1976 ; conférence Angers 23 novembre 1980).

§. 3. Cas de l'Espagne

"C'est en se référant explicitement à cette Déclaration (sur la liberté religieuse) que le Général Franco modifia la législation espagnole sur les cultes". (Michel Martin, De Rome et d'ailleurs, n°62, septembre 1985, p. 12).

§ 4. Ratification du nouveau concordat entre le Saint Siège et l'Italie, 3 juin 1985 :

Discours du Cardinal Casaroli, Secrétaire d'Etat.

Le cardinal reconnaît que la réforme essentielle du nouveau concordat consiste en "l'abolition consentie par les deux parties du principe qui faisait de la religion catholique la seule religion de l'Etat".

Il invoque pour la justifier :

1) "les nouvelles situations intervenues" (entre 1929 et 1985), qu'il ne définit pas,

2) "la nouvelle Constitution italienne",

3) "la célébration du concile œcuménique Vatican Il" (c'est-à-dire sans la nommer, la déclaration sur la liberté religieuse et ses conséquences dans les esprits).

Il souligne que l'abolition du principe en question n'est pas "une méconnaissance théorique et pratique" de la réalité sociale catholique italienne, exprimée comme suit dans l'article 9 de l'accord : "les principes du catholicisme sont partie intégrante du patrimoine historique du peuple italien".

Remarques :

Mais qui ne voit que cette réalité catholique est exprimée de telle façon qu'elle est réduite à un trésor relégué désormais au musée des antiquités ! Qui ne voit aussi que l'abolition de la religion d'Etat est, contrairement à ce qui est déclaré, une "méconnaissance pratique" de la réalité italienne catholique à 90%. Enfin qui ne saisit que cette abolition est l'aboutissement, vingt ans après, du refus "théorique et pratique" du maintien officiel du règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans les nations catholiques !

Discours du Pape Jean-Paul Il en réponse à l'adresse du Président Craxi.

Le pape a le mérite de définir "les nouvelles situations intervenues" (comme disait le Cardinal Casaroli) : une société caractérisée par la libre compétition des idées et le pluralisme...", qui doivent favoriser "la profonde unité d'idéaux" des italiens, "frères dans une même patrie" ; ajoutant que "précisément, la forme de gouvernement démocratique que s'est donnée l'Italie offre l'espace et postule la présence de tous les croyants".(entendons : de toutes les religions)

Le pape définit de plus la mission actuelle de l’Église : promotion des valeurs sociales, des "valeurs morales", "engagement au service de l'homme, repérant dans la centralité de celui-ci le principe de convergence à l'époque actuelle des croyants et des non-croyants".

Il invoque enfin "l'autonomie de l'ordre politique", désignant par là la séparation entre l’Église et l'Etat.

Remarques

Le pluralisme idéologique et religieux est décrit en termes parfaitement neutres en donnant à penser qu'il s'agit d'un phénomène définitivement installé et irréversible ; on ne porte sur lui aucun jugement, comme si c'était le terme d'un mouvement parfaitement normal auquel l’Église se devait de collaborer.

Veut-on ignorer que l'on a prêté ainsi depuis vingt ans la main à la révolution et au renversement du Règne social du Christ, remplacé par une fraternité entre idéaux diamétralement opposés, condamnée par les papes, et d'inspiration maçonnique ?

Enfin "l'autonomie de l'ordre politique", nous dirions "autonomie du temporel par rapport au spirituel", n'est-elle pas une maxime équivoque, qui recèle le principe erroné de la séparation des deux ordres ?

HYMNE DES VÊPRES DE LA FÊTE DE NOTRE-SEIGNEUR JESUS-CHRIST ROI

te saeculorum principem,

te, christe, regem gentium,

te mentium, te cordium

unum fatemur arbitrum.

scelesta turba clamitat:

regnare christum nolumus :

te nos ovantes omnium

regem supremum dicimus

O christe, princeps pacifer,

mentes rebelles subjice :

tuoque amore devios,

ovile in unum congrega

ad hoc cruenta ab arbore

pendes apertis brachiis,

diraque fossum cuspide

cor igne flagrans exhibes.

ad hoc in aris abderis

vini dapisque imagine,

fundens salutem filiis

transverberato pectore.

te nationum praesides

honore tollant publico,

colant magistri, judices,

leges et artes exprimant.

submissa regum fulgeant

tibi dicata insignia :

mitique sceptro patriam

domosque subde civium.

jesu, tibi sit gloria,

qui sceptra mundi temperas,

cum patre, et almo spiritu,

in sempiterna saecula. amen

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

ACTES PONTIFICAUX

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[1]On ne peut en effet soustraire les enfants à l'éducation musulmane de leurs parents contre leur volonté, sans du même coup priver les parents de leur droit naturel objectif à éduquer leurs enfants, ce qui serait illicite (cf. Il II, 10, 12 ; Pie XI, Encyclique Divini Illius Magistri, 31 décembre 1929). 

[2] Exception faite de l'erreur dénoncée dans "Mirari vos", dont l'origine est le "libéralisme catholique" de Lamennais, qui préconisait un libéralisme et un indifférentisme "modérés", comme le texte cité plus haut le montre.