Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal X...

8 août 1978

• Cette lettre a été adressée à quatre cardinaux

St Michel-en-Brenne, 36290 France, le 8 août 1978

Eminence,

Le crépuscule auquel vous faisiez allusion lors de notre dernière rencontre vient brusquement de se terminer. Et ainsi se pose pour la Sainte Eglise le tragique problème du lendemain. Le douloureux calvaire de ces quinze dernières années va-t-il se poursuivre ou va-t-il prendre fin ? Sans doute l'avenir appartient à Dieu comme le présent et le passé. Mais Dieu ne veut pas se passer de nous.

C'est pourquoi, je vous supplie, Eminence, de tout mettre en œuvre pour que cesse le scandale des compromissions de ceux qui occupent les postes d'autorité dans l'Eglise, avec les ennemis de l'Eglise, de tout faire afin que nous ayons un Pape, un vrai Pape, successeur de Pierre, continuateur de ses prédécesseurs, ferme et vigilant gardien du dépôt de la foi.

Or nous avons appris à nos dépens et aux dépens de l'Eglise ce dont sont capables les clercs progressistes. Leurs clameurs dans le Concile résonnent encore à nos oreilles, leurs discours subversifs, leurs organisations publiques et secrètes, leurs liaisons scandaleuses avec les sociétés secrètes. Rien ne les arrête pour arriver à dominer l'Eglise et à en occuper les postes-clés.

Nul doute qu'ils agiront de même dans ce Conclave. Leur occupation du Vatican depuis quinze ans leur donne des atouts considérables, vous êtes bien placé pour vous en rendre compte.

Pour déjouer leurs projets sataniques, vous disposez sans doute de peu de moyens humains, mais vous avez la toute puissance de la Vérité et de l'Esprit-Saint qui se manifeste d'autant plus que les moyens humains sont limités.

Certes vous paraissez peu nombreux décidés à barrer la route au progressisme, au modernisme, au faux œcuménisme. Cependant ces Cardinaux que vous connaissez mieux que moi sont des personnages de premier plan, bien dignes de porter la tiare et dont l'influence peut être grande au Conclave, unie à la vôtre.

Toutefois l'apport des voix des cardinaux de 80 ans et plus serait peut-être déterminant. Ce qui pose un problème grave pour la validité de l'élection du Pape.

En effet, cette loi «Aggravescente aetate» est certainement nulle. Il suffit de relire les magnifiques textes de Léon XIII dans l'Encyclique Libertas du 20 juin 1888, textes se rapportant à la définition de la loi, aux conditions de sa validité, pour conclure sans doute possible à la nullité de ce décret qui est doublement contraire à la définition de la loi : «Ordinatio rationis ad bonum commune promovendum», «si quid igitur, dit le Pape Léon XIII, ab aliqua potestate sanciatur quod a principiis rectae rationis dissideat, sitque reipublicae perniciosum, vim legis nullam haberet, quia nec regula justitiae esset, et homines a bono cui nata est societas abduceret»[22].

Or il est évident que ce décret est opposé à la saine raison et au sens commun. Tout ce qui reste de sagesse humaine dans l'humanité s'oppose à une pareille décision. Et il est évidemment contraire au bien de la société de la priver indûment du concours de ses membres les plus sages et les plus expérimentés.

Il apparaît donc que cette loi étant nulle, ces cardinaux de 80 ans ont un droit strict de se présenter au Conclave et leur absence forcée posera nécessairement la question de l'invalidité de l'élection.

C'est en tout cas faire planer un doute sérieux à ce sujet et accroître la confusion déjà existante parmi les fidèles.

Je tenais, Eminence, à vous faire part de ces réflexions, afin qu'éventuellement vous puissiez en faire part à qui de droit.

Les catholiques fidèles à l'Eglise et à Rome comptent beaucoup sur vous, Eminence, pour sauver la Sainte Eglise du péril qu'elle court.

Que la Vierge Marie vienne à votre secours pour vous donner le courage de l'héroïsme des saints qui, aux heures tragiques de l'histoire de l'Eglise, l'ont délivrée de la main de ses ennemis.

Nous prions avec ferveur à cette intention.

Veuillez agréer, Eminence, l'expression de mon profond respect et de mes sentiments fraternels in Xto et Maria.

Marcel Lefebvre.

Lettre de Mgr Lefebvre à plusieurs cardinaux

6 octobre 1978

• Cette lettre a été adressée à quarante cardinaux, dont le cardinal Wojtyla, archevêque de Cracovie.

SÉMINAIRE INTERNATIONAL SAINT PIE X                                                                           Ecône, le 6 octobre 1978

Ecône CH 1908 HIDDES

Tél. 026/6 23 08 - 6 25 01 - 6 29 27

Eminence Révérendissime,

A nouveau la Providence vous appelle à rejoindre la salle du Conclave pour élire le futur successeur de Pierre.

La situation de l'Eglise est telle que seul un Pape tel que saint Pie X peut arrêter l'autodestruction dont Elle souffre surtout depuis le Concile Vatican II.

Poursuivre les orientations de ce Concile et des Réformes post-conciliaires, c'est étendre l'apostasie et mener l'Eglise vers sa ruine. On juge l'arbre à ses fruits, dit Notre Seigneur Lui-même. Or d'ici peu des diocèses nombreux vont se trouver dans une pénurie tragique de prêtres.

Maintenir comme bases de l'activité de l'Eglise des documents comme ceux de la «Liberté Religieuse», de «L'Eglise dans le monde», et des «Religions non chrétiennes», et bien d'autres qui sont à l'origine des Réformes post-conciliaires, c'est admettre «la fumée de Satan» dans l'Eglise.

La Réforme Liturgique en particulier et celle de la Sainte Messe spécialement atteint l'Eglise en ce qu'Elle a de plus essentiel et de plus cher : le Saint Sacrifice de Notre Sauveur, avec son infinie satisfaction.

Un Pape digne de ce nom et vrai successeur de Pierre ne peut pas déclarer qu'Il se donnera à l'application du Concile et de ses Réformes. Il se met, par le fait même, en rupture avec tous ses prédécesseurs et avec le Concile de Trente en particulier.

L'Eglise qui est essentiellement Tradition c'est-à-dire transmission fidèle du dépôt de la foi de génération en génération ne peut supporter une rupture comme celle de Vatican II sans s'autodétruire.

Cette rupture n'a été possible que par la pression des groupes progressistes à l'intérieur d'un Concile «pastoral», d'«aggiornamento».

Seule la réaffirmation constante de la foi catholique peut être la source de l'unité. L'autorité du Souverain Pontife ne se justifie qu'à ce prix. Les circonstances dans lesquelles elle a été conférée à Pierre le manifestent avec clarté.

Comment peut-on utiliser cette Autorité si vénéra­ble au service d'un œcuménisme qui transforme les catholiques en protestants, en athées, ou en charismatiques ?

Nous vous supplions, Eminence, d'avoir ces pensées présentes à l'esprit lorsque vous devrez faire le choix du Successeur de Pierre. Nous prions l'Esprit Saint de vous donner Lumière et Force pour que le Règne de Notre Seigneur arrive.

Daignez agréer, Eminence Révérendissime, mes sentiments respectueux et fraternellement dévoués in Xto et Maria.

Marcel Lefebvre, olim Archiepiscopus-Episcopus Tullensis



[22] Traduction : «La loi est cette ″ordination de la raison″ pour promouvoir le bien commun» (...) «Supposons donc une prescription d'un pouvoir quelconque qui serait en désaccord avec les principes de la droite raison et avec les intérêts du bien public, elle n'aurait aucune force de loi parce qu'elle ne serait pas une règle de justice et qu'elle écarterait les hommes du bien pour lequel la Société a été formée». Actes de Léon XIII, Bonne Presse T. II, p. 185.

Autre citation p. 187, du même ouvrage et du même Pape : «Mais dès que le droit de commander fait défaut ou que le commandement est contraire à la raison, à la loi éternelle, à l'autorité de Dieu, il est légitime de désobéir, nous voulons dire aux hommes, afin d'obéir à Dieu».