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« The Rite of Sodomy : Homosexuality and the Roman Catholic Church » paru en juillet 20062 qui documente l’historique de la pénétration des groupes homosexuels au sein de l’Église catholique au XXème siècle pour faire le bilan de la situation épouvantable actuelle de l’église Conciliaire sous ce rapport.

Le Rite de Sodomie, Homosexualité et Église Catholique de Rome - Randy Engel (juillet 2006) (1282 pages)

www.riteofsodomy.com

Le Rite de Sodomie

Homosexualité et Église Catholique de Rome

Randy Engel (juillet 2006) (1282 pages)

 


Chapitre 5

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L’ « Homintern » et les espions de Cambridge

[NdT – Homintern : jeu de mots significatif entre homosexuels et Komintern]

Grande porte du Trinity College

Grande porte du Trinity College, fondé par Henry VIII, modèle de « Barbe-Bleue »,
ennemi de l’Église et père du schisme anglican : dès l’entrée, le ton est donné

Introduction

            Selon Claire Sterling, auteur de l’excellente étude intitulée Octopus : The Long Reach of the Sicilian Mafia (La Pieuvre, ou le bras long de la Mafia sicilienne), « on ne peut résister à un réseau que l’on ne comprend qu’inparfaitement »[1]. Cette vision des réseaux, qu’il s’agisse de la Mafia, du groupe d’espions de Cambridge ou de l’Homintern présent dans l’Église catholique au vingt et unième siècle, suppose la reconnaissance du fait que ces organisations subversives ne poussent pas « spontanément », mais doivent être « dirigées et gérées »[2]. L’abbé Enrique Rueda estime qu’il n’est ni « inconvenant », ni « paranoïaque » d’aborder des questions telles que l’infiltration, la subversion, l’espionnage et la trahison dans le contexte d’une organisation subversive, quelle qu’elle soit[3].

            La présente évocation historique des espions de Cambridge montre bien avec quelle rapidité il est possible d’abattre la Couronne, l’État ou l’Église lorsque la subversion et la trahison issues de l’intérieur se combinent à des attaques venues de l’extérieur[4]. Non seulement elle illustre le développement, l’organisation et les ramifications d’un réseau subversif, mais elle fournit de nombreuses indications concrètes sur l’évolution et le fonctionnement interne de l’Internationale homosexuelle depuis les années 1930. Surtout, elle examine en détail une vaste crise de l’« Establishment » caractérisée par la dissimulation et dans laquelle l’homosexualité a joué un rôle central dans l’histoire d’une nation.

Anatomie de la trahison

Une nation peut survivre à ses imbéciles, et même aux ambitieux. Mais elle ne peut survivre à une trahison de l’intérieur. Un ennemi aux portes de la ville est moins formidable, car on le connaît, et il brandit ouvertement sa bannière. Mais le traître se meut librement à l’intérieur des murs, ses insinuations se répandent dans toutes les ruelles et jusque dans la salle du Conseil. Car le traître n’apparaît pas comme tel : il parle avec des accents qui sont familiers à ses victimes ; il a le même visage qu’eux, est vêtu comme eux et fait appel à la bassesse gisant au cœur de tout homme ; il pourrit l’âme d’une nation ; il œuvre de nuit, secrètement et à l’insu de tous, pour miner les piliers de la cité ; il infecte le corps social de telle sorte que ce dernier ne peut plus résister. Un assassin est moins à craindre que lui[5].

Cicéron, 42 avant Jésus-Christ

Dans le domaine profane, le traître se définit comme un individu qui trahit ouvertement son pays, auquel il doit allégeance. Dans le domaine sacré, c’est celui qui – par des actes délibérés – renie sa foi.

            Que ce soit dans le domaine profane ou dans le domaine sacré, les motifs de la trahison sont de plusieurs natures et difficiles à démêler. Il peut s’agir d’un désir d’avantage personnel ou de gain financier ; ce peut être aussi la conséquence d’une implication dans des affaires illicites ou d’actes criminels passés ; cela peut également être lié au désir de tromper et de trahir des personnes envers lesquelles on nourrit depuis longtemps de la rancune ou du ressentiment. 

            On a tendance à croire que dans le domaine profane, le chantage offre aux agents ennemis un moyen efficace de recruter des traîtres potentiels ; pourtant, tel n’est généralement pas le cas. Comme l’a fait observer Alexander Orlov, ancien chef des services d’espionnage, c’est une stratégie médiocre et même risquée de « se faire un ennemi de quelqu’un, à qui l’on devra ensuite accorder sa confiance dans une affaire aussi délicate et risquée qu’une opération de renseignement »[6]. En revanche, l’allégation de chantage sert souvent d’excuse après-coup, car une fois démasqués, beaucoup de traîtres essayent d’« atténuer leur culpabilité aux yeux du jury et d’obtenir du tribunal la plus grande indulgence possible » en déclarant avoir été forcés d’espionner sous la menace du chantage », écrit Orlov[7].  

            La motivation jouant un rôle tellement critique dans ce domaine, tout bon recruteur d’espions, tout bon créateur de réseau d’espionnage cherche à éviter le chantage au profit de moyens plus positifs d’inspirer et de diriger les membres du réseau. Il fait appel à l’idéalisme ou à l’appât du gain, ou bien encore à des traits de caractère exploitables, tels qu’un égocentrisme démesuré, une volonté de vengeance ou un désir de récompense[8]. La capacité d’évaluer correctement le caractère et les motivations de quelqu’un ainsi que de fondre les membres de son réseau en une équipe d’espionnage cohérente est la marque de sa compétence en matière d’espionnage[9].

            Victor Ostrovsky, ancien agent du Mossad (service d’espionnage israélien), compare le processus du recrutement à celui d’une pierre qui dévale la montagne. « Nous employons à ce propos le mot hébreu ledarder (abîmer, dégrader) pour désigner le fait de se tenir en haut d’une montagne et de pousser un bloc de pierre le long de la pente. C’est ainsi que nous recrutons », souligne-t-il[10]. « Vous prenez quelqu’un et l’amenez progressivement à faire quelque chose d’illégal ou d’immoral. Vous lui faites dévaler une pente. Mais s’il est sur un piédestal, il ne vous sera utile à rien. Vous ne pourrez pas vous servir de lui. Tout ce qu’on cherche, c’est à utiliser les gens. Mais pour pouvoir les utiliser, encore faut-il les avoir façonnés. On ne peut recruter quelqu’un qui ne boit pas, qui n’est pas porté sur le sexe, qui n’a pas de besoins d’argent, qui n’a pas d’états d’âme politiques et qui est heureux de vivre », écrit-il encore[11].

Le traître en tant qu’accumulateur de griefs

            Bradford Westerfiels, expert de l’espionnage, souligne qu’en fait de traits de caractère, le traître potentiel peut se définir par trois d’entre eux : « immaturité, sociopathie et narcissisme »[12].

            « Tel une étoile noire ou un trou noir, il absorbe absolument tout, mais ne laisse ressortir aucune lumière, aucun amour, aucune chaleur, aucune compréhension », souligne Westerfields[13].

            L’auteur ajoute que dans son besoin de sauvegarder sa « virginité affective » et d’esquiver « ses torts, sa responsabilité et sa culpabilité », « le traître les rejette sur autrui ou sur des circonstances extérieures »[14]. Quelle que soit la « véritable source de ses difficultés », le traître ne la perçoit pas dans ses propres actions. Ainsi peut-il préserver « la vision grandiose qu’il a de son moi intime », souligne encore Westerfields[15].

            La structure mentale du traître a été décrite comme étant une « schizophrénie contrôlée »[16]. Un peu comme le prêtre pédéraste qui dit la messe et, aussitôt rentré à la sacristie, sodomise un enfant de chœur, le traître efficace a besoin de compartimenter sa vie pour pouvoir conserver sa santé mentale et son contrôle de lui-même, ainsi que pour échapper à la détection. Il doit cultiver l’art de la duplicité et de la dissimulation. Il lui faut apprendre à jouer différents rôles, à remodeler sans cesse sa persona. Il doit aussi avoir une grande force de volonté pour faire face aux tensions inévitables que comporte sa vie double ou triple. Faute de posséder ces aptitudes, il est pratiquement certain de s’effondrer mentalement ou émotionnellement[17]

            En ce qui concerne le traître, Westerfields souligne : « la haine est une puissante motivation ». Le traître est un « accumulateur » d’injustices et de ressentiments, vrais ou imaginaires[18]. Lorsque cela va de pair avec une idéologie telle que le communisme, qui se nourrit de la haine, la combinaison qui en résulte peut être mortelle. Citant un historien britannique, Westerfield estime qu’« un homme n’est jamais aussi dangereux que lorsqu’il peut identifier un grief privé à une question de principe »[19].

            Ce facteur singulier – la haine – explique en partie pourquoi deux groupes minoritaires, les Juifs et les homosexuels, ont joué un rôle si important dans plusieurs affaires d’espionnage ayant éclaté aux États-Unis et en Grande-Bretagne après la Révolution bolchevique de 1917. Lénine, puis Staline, ont su exploiter la vulnérabilité des Juifs et des homosexuels pour promouvoir leur dictature.

            Les Juifs bolcheviques, aliénés aussi bien de leur patrimoine religieux que de la société orthodoxe tsariste, ont joué un rôle de premier plan dans la Révolution bolchevique, le Parti communiste, le haut commandement de l’Armée Rouge et la Tcheka soviétique, police secrète du régime communiste et principal bras armé de la terreur rouge.

            Selon Zvi Y. Gitelman, auteur de Jewish Nationality and Soviet Politics – the Jewish Section of the CPSU, 1917-1930, « Comme la plupart des Juifs n’étaient manifestement pas dévoués au Tsar, on ne pouvait attendre d’eux qu’ils soutinssent les Blancs »[20]. En outre, se posait la question du pouvoir. « Du point de vue juif, il y avait assurément le leurre du pouvoir matériel immédiat, qui attirait beaucoup de jeunes Juifs désireux de venger les crimes perpétrés contre leur peuple par les forces antisoviétiques de toutes natures », écrit Gitelman[21].

            Selon lui, « quelles qu’en eussent été les raisons, les Juifs étaient fortement représentés au sein de la police politique . « Si l’on tombait entre leurs mains, on avait toutes les chances d’être abattu », poursuit-il[22]. « Comme la Tcheka était l’organe le plus haï et redouté du gouvernement bolchevique, les sentiments antisémites s’accentuèrent en proportion directe de la terreur qu’elle exerçait », poursuit l’auteur[23]. Il signale également que Lénine appréciait le rôle joué par des Juifs au sein de l’administration soviétique, ainsi que dans les activités révolutionnaires menées non seulement en Russie, mais aussi dans d’autres pays[24].

            Aux États-Unis, durant les décennies consécutives à la Révolution de 1917, les historiens d’investigation Ronald Radosh et Joyce Milton, auteurs de The Rosenberg File – A Search for the Truth, ont écrit que de nombreux intellectuels et scientifiques juifs s’étaient laissé prendre dans les filets de l’espionnage par leur admiration pour l’expérience sociale soviétique, qui avait fait de l’« antisémitisme » un crime contre l’État[25]. Radosh et Milton parlent de Julius et d’Ethel Rosenberg – condamnés pour espionnage – comme étant des « idéologues convaincus » et d’Ethel Rosenberg, en particulier, comme étant emplie de « haine agissante » et d’« esprit de vengeance »[26].

            À l’instar des Juifs bolcheviques, les dirigeants de l’« Homintern » en Europe et aux États-Unis étaient emplis du même zèle révolutionnaire pour un Nouvel Ordre utopique qui ne frapperait plus les homosexuels de discrimination. L’un et l’autre groupes ont pris le poing fermé pour emblème de « libération », à ceci près que quand les communistes brandissent le poing, les membres de l’Homintern l’intdroduisent dans un rectum pour symboliser leur rébellion[27]. Le Komintern et l’Homintern ont aussi en commun la haine de Dieu, du christianisme et, en fait, de tout pouvoir légitime. Comme leurs homologues juifs, les homosexuels communistes étaient disposés à courir un risque, parce qu’il croyaient n’avoir rien à perdre.

            La trahison est un acte déviant[28]. La sodomie aussi. Historiquement parlant, il a toujours existé une association entre la déviance sexuelle, d’une part, l’hérésie et la trahison, d’autre part[29]. Et s’il est vrai que les homosexuels ne sont pas tous des traîtres ou des socialistes extrémistes, le traître et l’homosexuel n’en présentent pas moins des caractéristiques communes.

            L’homosexuel a une personnalité qui correspond parfaitement à celle du traître définie par Westerfields : il est immature, névrosé et narcissique. L’homosexuel actif est un séducteur consommé, un recruteur naturel et un prosélyte de « la cause ». C’est un prédateur sachant évaluer la vulnérabilité de sa proie. Il est conditionné pour agir avec duplicité et une loyauté à géométrie variable. Il mène une existence compartimentée qui le met en contact avec le monde clandestin de la délinquance, où sévissent la toxicomanie, la pornographie et la prostitution et où il est exposé au chantage et à la violence. L’homosexuel est un collecteur d’« injustices », et le marxisme présente à ses yeux « l’attrait d’un sanctuaire secret de rébellion individuelle »[30]. Plus que la menace de chantage, c’est ce désir de rendre des coups à une société dont il a été rejeté qui attire l’homosexuel dans les filets de l’espionnage ennemi[31]. L’homosexuel se considère comme un « étranger » qui, tel l’espion, voudrait venir du froid, mais pense qu’il ne le peut pas.

            Le psychologue néerlandais Gerard J.M. van den Aardweg, Ph.D., résume en ces termes la propension de l’homosexuel à la subversion : « L’esprit subversif n’est pas rare chez les homosexuels, car il correspond à une hostilité née du complexe de non-appartenance. C’est pourquoi des homosexuels déclarés peuvent n’être fiables dans aucun groupe ou aucune organisation »[32]. Ils aspirent à un monde utopique, irréel, souligne van den Aardweg. Un monde « supérieur », snob, plus « chic », plein « d’excitation et d’aventure », par opposition au « monde ordinaire », ajoute-t-il[33].

L’espionnage, un « business »

            Depuis des temps immémoriaux, les services secrets nationaux ont pour objectif commun de se renseigner sur tout État étranger, y compris sur les secrets de ses forces et plans offensifs et défensifs, ainsi que d’empêcher tout ennemi effectif ou potentiel de découvrir les secrets de leur État. Traditionnellement, les puissances européennes s’en remettaient à certains princes de l’Église catholique romaine pour organiser leurs services secrets, car aucune nation ne pouvait se mesurer au système d’espionnage le plus répandu et le plus efficace du monde[34].

            C’est ainsi que dans la France du dix-septième siècle, agissant sur demande du Roi Louis XIII adressée au Saint-Siège, le cardinal de Richelieu, aidé d’un prêtre capucin, François le Clerc du Tremblay, créa un vaste service de renseignement intérieur et extérieur rivalisant avec celui de l’Angleterre – principal concurrent de la France – et propulsa de la sorte son pays au rang de puissance mondiale de premier plan[35].

            Bien que les objectifs des services secrets nationaux aient peu évolué depuis l’époque de Richelieu, les moyens de les atteindre et de traiter les renseignements ont changé du tout au tout et varient beaucoup d’un pays à l’autre. Durant la première moitié du vingtième siècle, les États-Unis, et l’Occident en général, ont fondé leur doctrine du renseignement d’abord sur la recherche, de même que sur les informations obtenues de « sources ouvertes », tandis que les Soviétiques et le bloc de l’Est s’en remettaient davantage à une approche « de cape et d’épée » qui consistait à réunir des renseignements à partir de sources secrètes recourant à un vaste réseau d’espions, d’informateurs et d’agents secrets pour dénicher des documents hautement confidentiels et des données brutes, ainsi que pour attirer des traîtres potentiels dans leurs services.

             Au début des années 1920, les services de renseignement des principales puissances européennes occidentales, y compris l’Angleterre et la France, furent alertés par le fait que les bolcheviques – en plus d’avoir créé la Tchéka, leur police secrète intérieure servant à combattre les activités « contre-révolutionnaires » et le sabotage sur leur propre territoire – envisageaient de constituer un nouveau et vaste réseau d’espionnage international.

            Au début de l’année 1918, le dirigeant communiste Vladimir Oulianov, dit Lénine, plaça la Tcheka sous la direction de Felix Edmundovitch Dzerjinski, considéré depuis comme ayant été le père de l’espionnage soviétique moderne. Bien que le nom des services d’espionnage soviétiques ait changé au fil des années – d’abord Tchéka et ensuite GPU (administration politique d’État, 1922-1923), OGPU (Direction politique d’État unifiée, 1923-1934), NKVD (Commissariat du peuple pour les affaires intérieures, 1934-1946), MD (Ministère des affaires intérieures, 1946-1954), puis enfin KGB (Comité pour la sécurité de l’État), complété en 1954 par le GRU (Direction supérieure du renseignement de l’état-major général) –, les agents d’espionnage sont toujours connus sous le nom de tchékistes par les citoyens soviétiques[36]. Après la mort de Dzerjinski en 1926, l’héritier de Lénine, Joseph Staline, fit de la police secrète soviétique nouvellement élargie l’instrument de son pouvoir absolu sur le peuple russe.

Au début des années 1920, en matière d’espionnage à l’étranger, les opérations de renseignement soviétiques destinées à fomenter une Révolution mondiale étaient couramment centrées sur les ambassades soviétiques. Mais peu à peu, Staline substitua à ce système hautement vulnérable un réseau plus perfectionné d’agents soviétiques dirigé par des homme n’ayant aucune relation avec l’ancien personnel diplomatique de l’Union Soviétique et opérant sous les ordres directs de Moscou. Aux États-Unis comme en Europe, les syndicats, les universités, les centres industriels ainsi que les institutions politiques et culturelles de gauche étaient les cibles prioritaires de l’infiltration et de la prise de contrôle soviétiques. En Angleterre, par exemple, trotskistes et communistes se faisaient passer pour socialistes et noyautèrent le Parti travailliste. Le Parti conservateur lui-même n’était pas à l’abri des infiltrations. Le NKVD fut aussi en mesure d’utiliser le dispositif de renseignement du Komintern en Grande-Bretagne pour recruter des fonctionnaires à Whitehall [NdT : palais servant de siège au gouvernement britannique], y compris des membres du club des « secrétaires permanents » du Département d’État[37].

            À la fin des années 1920 et au début des années 1930, alors que Staline planifiait méthodiquement sa Grande Terreur en URSS sous forme de gigantesques purges politiques, militaires, économiques et agricoles qui devaient entraîner la mort d’environ vingt millions de Russes, il lança en outre un programme d’espionnage considérablement élargi dans le but de recueillir à l’Ouest des renseignements diplomatiques, militaires, industriels et scientifiques[38].

            Staline ordonna que dans tout l’Occident, des « taupes » et des « agents dormants » à long terme contrôlés par l’Union Soviétique fussent introduits au sein des services secrets, à des postes gouvernementaux élevés, ainsi que dans les grands centres universitaires et scientifiques. Sa stratégie se révéla mortellement payante, surtout contre les services secrets britanniques, le Bureau des services stratégiques des États-Unis (OSS), puis l’Agence centrale de renseignement (CIA) et l’Agence de sécurité nationale (NSA)[39].

            Comme l’on signalé trois auteurs spécialisés dans l’espionnage – Philip Knightley, Bruce Page et David Leitch –, « Une fois infiltré, un service secret ne devient pas seulement un mauvais service secret, il devient un effroyable handicap »[40]. Ainsi, « En matière de diplomatie, d’économie et de défense stratégique, les services secrets britanniques ont été pendant dix ans au moins (et cette estimation est encore charitable) l’aveugle conduisant des aveugles : des opérations furent manquées, des agents compromis, abattus, emprisonnés ou forcés de devenir des agents d’intoxication, c’est-à-dire de désinformation », accusent-ils[41].

            Le fait qu’en 1932, soit bien avant le début de la deuxième Guerre mondiale, Staline avait déjà lancé une guerre secrète contre l’Occident vient à l’appui de la théorie soutenue par des historiens tels que le professeur Ernst Topitsch, de l’Université de Graz, en Autriche, et selon laquelle le dictateur soviétique s’est servi de la guerre dans le cadre de la stratégie soviétique à long terme visant à subjuguer et détruire le monde non communiste, ce qui revient à dire que la deuxième Guerre mondiale fut surtout la guerre de Staline, non celle d’Hitler[42].

Un hameçon soviétique pour tous poissons

            Staline éleva l’espionnage soviétique au niveau d’une science exigeante utilisant un « hameçon » à géométrie variable en fonction des diverses recrues potentielles.

            En matière de renseignement diplomatique, les principales sources de secrets d’État étaient les diplomates étrangers, les ambassadeurs, les membres du personnel des ministères des Affaires étrangères, y compris les employés des services du chiffre et les secrétaires, les parlementaires et les hommes politiques ambitieux qui, dans leur quête du pouvoir, cherchaient à obtenir l’aide financière et le soutien de l’« Establishment » libéral[43].

            Les chefs de service des ministères des Affaires étrangères présentaient un intérêt particulier, car il leur était loisible de fournir à l’URSS des documents confidentiels sur la politique et la stratégie secrètes de multiples gouvernements étrangers. Mais pour les Soviétiques, décrocher le gros lot, c’était ferrer un diplomate de haut niveau ou un ambassadeur qui, en plus d’être dans le secret d’importantes décisions en matière de politique étrangère, pouvait leur servir ou bien d’appeau pour attirer d’autres recrues, ou bien d’« agent d’influence » ainsi que de vecteur de désinformation[44]

            Les services de renseignement soviétiques établissaient, au sujet de chaque recrue diplomatique potentielle, un dossier détaillé comprenant des informations sur ses traits de caractère et son tempérament, sa vie de famille, sa scolarité, sa religion, ses moyens d’existence, les associations auxquelles il appartenait, son idéologie, sa politique, ainsi que sa sexualité et ses vices éventuels[45]. Étant donné que les postes diplomatiques – notamment aux États-Unis, en Europe et au Vatican – ont toujours attiré un grand nombre de pervers mâles, les Soviétiques estimaient que s’agissant des diplomates homosexuels, le chantage valait bel et bien d’accepter des risques et des dépenses supplémentaires[46].

            On notera que même lorsqu’un agent soviétique échouait à ferrer un diplomate ou un ambassadeur homosexuel en le menaçant de divulguer son homosexualité, l’intéressé signalait rarement cette tentative de chantage aux autorités de son pays, de peur d’avoir à avouer sa sexualité illicite[47].

            En nette opposition avec les services secrets soviétiques, qui étaient prompts à évaluer et à exploiter les possibilités de chantage qu’offrait traditionnellement l’homosexualité, les services secrets britanniques n’appliquaient pas une telle politique. En Angleterre, l’homosexualité active, ainsi que nous le verrons, n’écartait pas automatiquement quelqu’un de la fonction publique ni des services secrets entre 1939 et 1945. Même en 1948, année où les services secrets britanniques adoptèrent une politique d’exclusion vis-à-vis des homosexuels notoires, cette politique ne fut jamais pleinement mise en œuvre. Aucun agent de renseignement appartenant à la classe moyenne n’aurait compromis son emploi en exprimant des doutes sur les qualifications morales d’individus appartenant à la classe supérieure, aspirant à devenir fonctionnaires ou agents secrets et se voyant automatiquement réserver – du fait de leur naissance ou de leur richesse – des postes gouvernementaux et des perspectives de carrière de tout premier plan. Même si un quelconque audacieux avait risqué son emploi en désignant tel pédéraste huppé comme étant une menace pour la sécurité nationale, sa recommandation aurait été enterrée par son supérieur ou par Whitehall. C’est l’une des raisons pour lesquelles une fois que les Soviétiques eurent établi à Oxbridge [NdT : mot-valise désignant à la fois l'université d’Oxford et celle de Cambridge] le réseau de « gosses de riches » leur servant de taupes, les nombreuses cellules marxistes purent causer de tels ravages dans les services de renseignement britanniques (et américains)[48].

            En ce qui concerne la collecte de renseignements d’ordre scientifique, les Soviétiques considéraient la flatterie et la promesse d’une influence et d’un pouvoir accrus comme un hameçon plus efficace que la sexualité. Ainsi que l’auteur anglais Rebecca West le signale dans ses nombreux et excellents ouvrages sur la question de la trahison, Staline recevait somptueusement et traitait avec une feinte déférence d’éminents scientifiques étrangers[49].

            Au sujet d’Alan Nunn May et de Klaus Fuchs, deux savants atomistes et agents soviétiques condamnés, West souligne ce qui suit : « Il n’est guère défendable d’appliquer la politique consistant à juger le criminel d’une manière qui cache la nature du crime à ceux qui en patissent. Cela a bien aidé les communistes en leur permettant de présenter les scientifiques qui avaient espionné pour eux comme des altruistes ingénus ayant partagé des secrets avec une puissance étrangère au seul motif qu’ils étaient des scientifiques, qu’ils voulaient faire profiter leurs pairs de leurs découvertes, qu’ils ignoraient faire là le moindre mal et qu’ils savaient à peine ce qu’est une idéologie. C’est là le portrait qu’on a livré d’eux au monde, et c’est faux »[50].

            May était un marxiste notoire et un membre extrémiste de la branche de Cambridge de l’Union des travailleurs scientifiques ; quant à Klaus Fuchs, qui a transmis des secrets atomiques directement aux Soviétiques, c’était depuis longtemps un idéologue marxiste impliqué jusqu’au cou dans le réseau communiste, ajoute West[51]. Ces hommes se faisaient une idée démesurée de leur importance et de leur pouvoir, signale-t-elle, parce que leurs connaissances étaient en rapport avec des armes de destruction massive et qu’il était donc possible – dans ce domaine – de soumettre des gens par le chantage[52]. West conclut que toute leur défense – qui reposait sur l’idée que « la science est la raison et ne connaît donc pas la trahison » et que « les scientifiques ne peuvent faire du mal, parce que ce sont des scientifiques et que la science est dans le vrai » – était manifestement biaisée et subversive par rapport à la vérité comme par rapport à la nation[53].

Le « sexpionnage » soviétique, piège à miel pour faux-bourdons

            L’établissement d’un lien entre espionnage et sexualité remonte aux temps bibliques, mais c’est Staline qui devait élever le piégeage sexuel au rang des beaux-arts. L’hameçon sexuel soviétique se révéla être un moyen particulièrement efficace d’obtenir des renseignements militaires et politiques et des informations sur la défense nationale, ainsi que d’abattre des opposants politiques à l’Union Soviétique.

            Dans son exposé de 1976 intitulé Sexpionage – The Exploitation of Sex by Soviet Intelligence, David Lewis décrit la formation complexe, coûteuse et entièrement déshumanisante des « hirondelles » (agents femelles) et des « corbeaux » (agents mâles) soviétiques spécialisés dans le piégeage sexuel, que le KGB recrutait généralement au sein de respectables familles de la classe moyenne et qui possédaient des références professionnelles[54].

            En plus de leur formation idéologique, politique et technique de base, ces agents étaient soumis à un processus complet de désensibilisation sexuelle avant leur instruction formelle, qui portait sur toutes les formes d’actes sexuels, y compris l’homosexualité et le sadomasochisme.

            Lewis signale que les Soviétiques entretenaient comme agents à plein temps une vaste écurie d’homosexuels ayant notamment pour cibles des diplomates et des touristes étrangers[55]. Ces hommes étaient en  général de jeunes prostitués à qui l’on donnait le « choix » entre travailler pour le KGB ou aller en prison[56]. Selon un « diplômé » appelé Dimitri, que Lewis a interviewé et qui avait été formé au centre sexuel de Verkhonoïé, près de Kazan, ces prostitués mâles étaient extrêmement beaux, et certains « très jeunes »[57]. On les tenait à l’écart des autres recrues du KGB, déclara Dimitri. « Ils semblaient beaucoup souffrir des méthodes de formation déshumanisantes, et deux d’entre eux se sont suicidés pendant mon séjour dans ce centre », dit-il encore à Lewis[58].

            En 2001, Jamie Glazov, directeur et rédacteur en chef de FrontPage Magazine, révéla une des opérations d’arnaque homosexuelle les plus innovantes des services secrets soviétiques.

            La cible était John Watkins, Ambassadeur du Canada en Union Soviétique de 1954 à 1956[59]. Glazov raconte que lorsqu’il était en poste à Moscou, Watkins, homosexuel connu pour ses sympathies marxistes, recherchait régulièrement des partenaires sexuels anonymes. L’une de ses connaissances russes, dénommé Aliocha, employé du ministère soviétique des Affaires étrangères avec qui Watkins avait noué de forts liens d’amitié, n’était autre que le célèbre recruteur d’espions du KGB Oleg Gribanov, dont le succès légendaire dans les opérations de piégeage homosexuel ont permis à l’Union Soviétique de mettre la main sur presque tous les documents confidentiels de l’OTAN[60].

            Selon Glazov, tout en se faisant passer pour un ami de Watkin, Gribanov organisa dans un hôtel de Moscou une rencontre entre le malheureux ambassadeur et un « corbeau » du KGB. Les deux hommes furent filmés en flagrant délit d’ébats sexuels. Gribanov promit alors à Watkins de s’entremettre en sa faveur pourvu que l’ambassadeur puisse se résoudre à « gagner la confiance » de Dimitri Tchouvakine, son homologue soviétique au Canada, lorsqu’il retournerait à Ottawa au printemps suivant. Une fois que Watkins eut quitté son poste en URSS et fut rentré au Canada, il ne fit aucun effort pour informer les autorités qu’il était soumis à un chantage. On lui offrit le poste d’Assistant du ministre adjoint des Affaires étrangères, auquel il demeura jusqu’à sa retraite, indique Glazov.

            Entre-temps, trois transfuges soviétiques de haut rang passés aux États-Unis avaient informé la CIA, entre 1961 et 1964, qu’un ambassadeur homosexuel du Canada à Moscou faisait l’objet d’un chantage de la part des Soviétiques. En août 1964, après la conduite d’une enquête sur plusieurs personnes soupçonnées d’être l’ambassadeur en question, des fonctionnaires canadiens ordonnèrent à la Police montée royale canadienne d’aller chercher Watkin à son domicile pour lui faire subir un interrogatoire. Au cours de l’interrogatoire en question, mené par la Police montée, Watkin aurait eu une crise cardique, ce qui mit un terme propre et rapide à cette nauséabonde affaire. On ne sait toujours pas, cependant, si Watkin a servi ou non d’« agent d’influence » aux Soviétiques avant son décès prématuré. Ajoutons pour le dossier que comme le signale Glazov, David Johnson, qui remplaça Watkin comme Ambassadeur du Canada à Moscou, fut signalé lui aussi comme homosexuel[61].

            Les Soviétiques ont cependant constaté qu’auprès d’un grand nombre des traîtres homosexuels les plus efficaces qu’ils avaient recrutés à l’Ouest, il n’était pas nécessaire de mettre en œuvre des opérations de « sexpionnage » compliquées pour pousser les intéressés à trahir.

Les services de renseignement britanniques et américains

            Comme on le savait depuis les tentatives anglaises de pénétration des séminaires catholiques français durant l’ère élisabéthaine, les Anglais n’étaient pas manchots en matière d’espionnage et de renseignement.

            À la fin des années 1700, on vit se mettre en place l’ébauche d’une structure officielle pour les services secrets britanniques, avec la création d’un ministère de l’Intérieur (Home Office) et d’un ministère des Affaires étrangères (Foreign Office) au sein du Département d’État. Au cours des décennies qui suivirent, l’immense complexe des ambassades britanniques dans le monde devait fournir la couverture d’un service secret élargi à l’étranger, ainsi que d’un service intérieur de contre-espionnage spécialisé dans le décryptage et l’infiltration des services de renseignement ennemis, notamment ceux de la Russie et de la Prusse de Bismarck.

            Les services secrets modernes de la Grande-Bretagne (SIS), connus sous l’appellation de MI6, furent fondés en 1909. Ils étaient rattachés au ministère des Affaires étrangères et dirigeaient les opérations d’espionnage britanniques à l’étranger. Pendant la première Guerre mondiale, ils s’attachèrent à infiltrer les unités d’espionnage de l’Allemagne. Après la guerre, le SIS fut chargé d’aider les États-Unis à établir leur propre réseau de renseignement. Les Briltanniques et les Américains conclurent en outre un accord secret en vue du partage d’informations de contre-espionnage, ce qui devait ensuite offrir à Staline un boulevard de plus pour la collecte de renseignements, notamment en ce qui concerne la mise au point de la bombe atomique.

            L’une des plus fructueuses opérations antisoviétiques du SIS fut le raid qu’il conduisit en 1927 sur les bureaux londoniens de l’ARCOS (All Russia Cooperative Society Ltd.), délégation commerciale russe, et grâce auquel les Britanniques purent se procurer des milliers de documents secrets sur les activités et agents communistes en Angleterre.

            Ce raid fut opéré par le MI5, à savoir le Service de sécurité britannique rattaché au Home Office et s’occupant essentiellement de sécurité du territoire, notamment par la capture d’espions, de terroristes et d’insurgés étrangers sur le sol anglais. Ses principales activités comprenaient la tenue d’un registre central permettant de traquer les individus soupçonnés d’être des agents de l’ennemi, ainsi que celle d’une liste noire spéciale de contre-espionnage. Il existait, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du MI5 et du MI6, d’autres unités subsidiaires de renseignement spécialisées, dont la célèbre École gouvernementale du code et du chiffre (Government Code & Cypher School), réputée depuis pour avoir décrypté le code allemand (ULTRA) pendant la deuxième Guerre mondiale.

            En 1941, la Grande-Bretagne créa une division de sécurité ultra-secrète opérant dans l’hémisphère occidental, la British Security Coordination (BSC), qui servait de couverture légale à toutes ses autres unités de renseignement, y compris le MI5 et le MI6, le Special Operations Executive (SOE) et le Political Warfare Executive[62].

            Les services de renseignements intérieur et extérieur des États-Unis étaient structurés sur le modèle de leurs homologues britanniques. Jusqu’à la fin de la première Guerre mondiale, les responsabilités de la collecte et de l’interprétation des secrets diplomatiques, militaires et politiques de l’ennemi se répartissaient entre le Département d’État, avec ses réseaux d’ambassades et d’attachés d’ambassades, et les services de renseignement militaires des forces armées, dont l’Office of Naval Intelligence (ONI) et le G-2, division de renseignement du ministère de la Guerre. Au cours de la première Guerre mondiale, tant l’armée que la marine américaines entretinrent des bureaux séparés pour le décryptage et la lecture des communications étrangères et ennemies. En 1920, la section cryptographique secrète militaire des États-Unis, connue sous le nom de « Chambre noire », réussit à décrypter le code diplomatique japonais, ce qui, en matière d’espionnage, constituait un exploit. Mais cela n’empêcha pas le Secrétaire d’État Henry L. Stimson de fermer ce service en 1929 au motif que « des gentlemen ne lisent pas le courrier d’autres gentlemen »[63].

            Le 11 juillet 1941, afin de réduire les frictions et la concurrence qui s’intensifiaient entre les différents services de renseignement américains, le Président Franklin D. Roosevelt nomma William Donovan (surnommé « Wild Bill ») coordinateur d’une nouvelle agence civile centralisée pour le temps de guerre, le Bureau d’information (Office of Information), qui était calqué sur le SIS britannique et basé à la Maison Blanche. Donovan, diplômé de la faculté de droit de l’Université de Columbia, était un héros de la première Guerre mondiale et un membre de l’« Eastern Establishment » (la sphère influente de l’Est des États-Unis), qui se situait plutôt à gauche et au sein duquel il recruta une gande partie de la direction de l’OSS. Le Bureau du coordinateur de l’information (COI) était chargé de collecter des renseignements et de centraliser tout ce qui touchait à la sécurité nationale. Il ouvrit son bureau de Londres en novembre 1941.

             En juin 1942, le COI de Donovan subit une vaste réorganisation. Son personnel et son budget furent répartis en deux secteurs : d’une part un Bureau des services stratégiques (OSS) dirigé par Donovan, mais placé sous l’autorité des Chefs d’état-major réunis (JCS) avec son service secret de contre-espionnage à l’étranger ; d’autre part, le Service d’informations étrangères (FIS), placé sous la supervision directe de Roosevelt au sein de Bureau d’information de guerre nouvellement créé.

            L’OSS avait pour tâche générale de soutenir les opérations militaires sur le terrain en leur apportant son assistance en matière de recherche, de propagande et de forces commandos. Donovan nomma à la Section de recherche et d’analyse de l’OSS (la R&A) des membres d’élite réputés de l’Eastern Establishment, tandis que la Section des opérations spéciales (SO), qui menait des actions paramilitaires et la guerre psychologique en Europe et en Asie, représentait une force plus éclectique et plus multinationale qui aida les Alliés et les partisans pendant la deuxième Guerre mondiale. L’OSS établit aussi une Section secrète de renseignement (SI) placée sous l’autorité D’Allen W. Dulles, qui avait fait ses études à Princeton et qui opérait à partir de l’ambassade américaine à Berne (Suiss).

            Les professionnels du renseignement militaire convainquirent Roosevelt qu’il fallait interdire au général Donovan et à son OSS l’accès aux communications chiffrées hautement secrètes des Alliés à partir du Japon, qui supposaient l’utilisation d’un système de décodage surnommé MAGIC, ainsi qu’aux messages de l’Allemagne décodés à l’aide du système ULTRA. Mais la section de contre-espionnage de l’OSS (le X-2), qui partageait ses renseignements avec le SIS britannique, avait bel et bien accès aux renseignements allemands obtenus avec le système ULTRA. Cela devait se révéler être une erreur fatale.

            À la fin de la deuxième Guerre mondiale, l’OSS – que ses détracteurs surnommaient « Oh So Social » (Oh, comme c’est mondain !) – avait été infiltré par au moins quinze espions soviétiques, ainsi que par des éléments criminels de la Mafia sicilienne, ce qui faisait de l’OSS non seulement un service « secret » coûteux, corrompu et inefficace, mais aussi une dangereuse source de désinformation soviétique et d’infiltration d’agents soviétiques après la guerre. Bref, l’OSS était le plus profondément infiltré des services de renseignement des États-Unis, dont aucun ne comptait autant de taupes soviétiques en son sein[64].

            Le 1er octobre 1945, sous l’Administration Truman, l’OSS fut officiellement dissous. Son secteur R&A fut transféré au Département d’État, et le ministère de la Guerre absorba toutes ses autres sections, y compris la SI et le X-2. Deux ans après, Truman, avec l’approbation du Congrès, autorisa la création du Central Intelligence Group (CIG), renommé ensuite Central Intelligence Agency (CIA), en vertu de la loi de 1947 sur la sécurité nationale.  Comme avec l’OSS, les postes-clés de la CIA furent occupés par des universitaires et des hommes politiques présentant les meilleures lettres de recommandation de l’Eastern Establishment ; cela fit de la CIA un véritable « club de vieux copains » (Old Boys Club) non sans analogies avec celui qui allait donner naissance aux espions de Cambridge[65]

            Toutefois, le contre-espionnage intérieur demeura la tâche du Bureau fédéral d’investigation (FBI) dirigé par J. Edgar Hoover, de l’ONI et du G-2.

La genèse du cercle d’espions de Cambridge

            Plusieurs agents soviétiques passés aux États-Unis et en Angleterre ont signalé que quand Ivan Maisky, Ambassadeur d’URSS en Grande-Bretagne, émit l’idée novatrice de recruter de jeunes et ambitieux Anglais de la classe supérieure comme agents de renseignement soviétiques avant même qu’ils n’entrent dans les allées du pouvoir, Staline et Lavrenti Beria, chef du NKVD, affichèrent leur scepticisme quant aux chances de réussite d’un tel plan[66].

            Lorsqu’ils apprirent que beaucoup de ces recrues potentielles étaient des pédérastes et des homosexuels avérés, ils se montrèrent encore plus incrédules. Cependant, comme le GRU était déjà bien établi à Londres et que des résidents légaux et illégaux se trouvaient sur place, où ils pouvaient servir de superviseurs, Staline donna son feu vert au ministère soviétique des Affaires étrangères pour la mise en œuvre du plan. On était en 1932. Le service de renseignement soviétique, placé sous l’autorité du Komintern, commença d’identifier, de cultiver, d’évaluer, puis de recruter à Oxbridge des membres de la gauche antifasciste.

            À la grande surprise des Soviétiques, les choses fonctionnèrent comme par magie. Il apparut que Cambridge et, dans une moindre mesure, Oxford, les deux centres universitaires les plus prestigieux de Grande-Bretagne, étaient déjà bien mûrs pour devenir les épicentres de l’opération d’espionnage soviétique la plus réussie du vingtième siècle[67].

            Depuis plus d’un siècle, les croyances religieuses des étudiants des principales institutions d’enseignement supérieur d’Angleterre étaient minées par l’élite littéraire et intellectuelle d’Oxbridge. La morale chrétienne avait succombé aux violents assauts de l’hellénisme néo-païen. Les quelques serviteurs de la religion royale demeurés fidèles à cette dernière s’aperçurent de l’impossiblité où ils se trouvaient désormais ne serait-ce que de défendre le peu qui restait des croyances religieuses édulcorées qu’ils avaient opposées à la marée montante du modernisme dans leurs propres rangs cléricaux et laïques.

            Le satiriste britannique George Orwell (de son vrai nom Eric Blair) a écrit :

Culturellement […] l’intelligentsia britannique est européanisée. Elle emprunte sa cuisine à Paris et ses opinions à Moscou. Dans le patriotisme général du pays, elle forme une sorte d’île de la pensée dissidente. L’Angleterre est peut-être le seul grand pays dont les intellectuels aient honte de leur nationalité. Dans les cercles marxistes, on pense toujours qu’il y a quelque chose d’un peu déshonorant à être un Anglais et qu’on a le devoir de tourner en dérison toute institution anglaise, depuis les courses de chevaux jusqu’au Christmas pudding. C’est bizarre, mais il est indubitable que presque tous les intellectuels anglais auraient moins honte de piller un tronc d’église que de se tenir au garde-à-vous pendant qu’on joue le “God save the King”»[68].

            Durant les années 1930, le recrutement d’intellectuels et de scientifiques de gauche à Oxbride comme agents « dormants » aura été la phase finale de la subversion que les Soviétiques avaient inaugurée des décennies auparavant avec leurs attaques contre le système de classes de l’Angleterre ainsi qu’avec la pénétration des syndicats britanniques et du mouvement travailliste. Les communistes réussirent à « vendre » aux jeunes idéalistes d’Oxbridge le marteau et la faucille, autrement dit l’aspiration à préserver le monde de la menace du fascisme. Le marxisme éprouva pourtant des difficultés à concurrencer le socialisme fabien, qui était le plus convenable des mouvements collectivistes.

            Sur le campus, des communistes avoués tels que le professeur d’économie Maurice Sobb, qui devait contribuer à fonder la Cellule communiste de Cambridge, Piero Straffa, associé du dirigeant communiste italien Antonio Gramsci, et Roy Pascal, professeur d’allemand à Cambrige, introduisirent toute une génération de jeunes étudiants extrémistes d’Oxbridge dans la sphère d’influence soviétique.

            Les marxistes reçurent aussi l’aide et l’assistance du vaste réseau de sociétés secrètes quasi maçonniques qui s’étaient insinuées dans la haute classe britannique en général et à Oxbridge en particulier. La plus célèbre et aussi la plus sélecte de ces sociétés secrètes présentes sur le campus était la « Conversazione Society », connue simplement comme « the Society », ses membres étant surnommés les « Apôtres ».

Les « Apôtres », l’homosexualité et le marxisme

            La Conversazione Society, qui était basée au King’s College de Cambridge, a fait ses débuts en 1820. C’était alors un petit club privé d’étudiants des premières années fondé par George Tomlinson, du St. John’s College. Tomlison devait devenir ensuite évêque de Gibraltar[69]. Cette société exclusivement masculine et composée de douze membres se réunissait chaque samedi soir pour discuter des questions philosophiques du jour dans le contexte anti-autoritaire du Broad Church Movement, qui était de gauche et avait trouvé sa place tant bien que mal au sein de l’Église anglicane[70].

            Le groupe initial des « Apôtres » comprenait notamment le jeune poète victorien Alfred Tennyson (1809-1892), qui deviendrait un jour lord, et son très cher ami Arthur Henry Hallam (1811-1833). En brillaient par leur absence les étudiants des premières années qui excellaient dans le domaine scientifique, car à partir du dix-neuvième siècle, les « deux cultures » qu’étaient respectivement les sciences et la littérature avaient décidé d’aller chacune son chemin[71].

            Au milieu du siècle, le groupe des « Apôtres » était devenu une société secrète élististe ayant pour caractéristiques un fort homo-érotisme sous-jacent, un parfum d’agnosticisme particulièrement agressif et une politique nettement marquée par les idées de gauche et le pacifisme. Selon Richard Deacon, auteur de The Cambridge Apostles, l’ordre du jour des « Apôtres » comprenait « la laïcisation de l’Université et l’abolition des examens religieux pour les étudiants préparant ou ayant obtenu la licence »[72]. La putréfaction spirituelle se préparait. Deacon signale aussi que des membres du groupe tels que William Johnson (Cory), tuteur de Lord Rosebery, avaient déjà entrepris de recruter dans le Nouvel Ordre d’autres homosexuels actifs[73].

            Comme l’homosexualité, l’agnosticisme, l’athéisme et l’anti-impérialisme étaient généralement mal vus dans la société victorienne et faisaient obstacle à la progression d’une carrière, il était à la fois logique et nécessaire d’insister de plus en plus sur le secret.

            Selon Andrew Sinclair, autre expert des « Apôtres », leur société était une sorte de « Mafia de Cambridge […] tous les membres, une fois acceptés dans la société, devaient prêter le serment solennel de ne trahir celle-ci auprès d’aucun non-membre, sous peine d’avoir à se tordre éternellement dans d’inimaginables souffrances »[74].

            Aux yeux d’une grande partie des membres socialement aliénés du groupe, ce dernier était plus une famille qu’une organisation ; c’était surtout un lieu où ces perpétuels adolescents inadaptés, amoureux de leur supériorité et de leur importance supposées, n’avaient pas à livrer concurrence au monde réel pour se procurer des femmes, une situation professionnelle ou une position sociale[75].

            À la fin du siècle, les membres du groupe animés de désirs nettement pédérastiques, tel le célibataire endurci Goldsworthy Lowes Dickinson, disciple notoire de l’« amour socratique », en étaient à fonder le recrutement d’« embryons » moins sur les capactés intellectuelles des intéressés que sur leur bonne mine et leurs attributs physiques[76]. La nouvelle « High Church » [NdT : autre nom de la Tradition anglicane ou « anglo-catholicisme »] des « Apôtres » livrait dès lors une guerre ouverte au christianisme. Elle faisait grand cas de sa propre « succession apostolique » et de sa hiérarchie mystique, ainsi que de ses dogmes, de ses services religieux et de ses bénédictions, toutes choses destinées à tourner en dérision la doctrine et les sacrements chrétiens[77]. Elle remplaça l’Écriture Sainte par une nouvelle « bible » vantant les vertus de la « Haute Sodomie »[78]. Pour un grand nombre d’« Apôtres », le fait d’adopter un comportement sexuellement criminel devait renforcer leur sentiment de dépendance et de loyauté mutuelles, non seulement au cours de leurs années d’études, mais pendant toute leur vie.

La « Bloomsbury Connection »

            On ne peut expliquer le fonctionnement interne des « Apôtres » et les relations de leur société avec l’organisation d’espionnage de Cambridge sans mentionner brièvement au moins le Groupe Bloomsbury, auquel beaucoup de ses membres les plus influents étaient intimement liés. Cette coterie culturelle aussi sélecte qu’influente est née d’une série d’amitiés entre les riches enfants férus d’art et de littérature de Sir Leslie Stephen – Vanessa, Virginia, Julian, Thoby et Adrian – et leurs connaissances de Cambridge, parmi lesquels des « Apôtres » aussi éminents que John Maynard Keynes, Lytton Strachey, Duncan Grant et E.M. Forster[79]. La description par le romancier D.H. Lawrence des « Bloomsberries » comme étant de « petits egos grouillants » traduisait bien le caractère bizarre et narcissique du groupe qui se réunissait chaque jeudi soir à la résidence de Stephen, au 46, Gordon Square, dans le quartier bohême londonien de Bloomsbury[80].

            Les Bloomsbury étaient agnostiques, politiquement à gauche, pacifistes et sexuellement libérés. Les partenariats sexuels avaient une importance primorrdiale au sein de ce collectif fermé. Toutes les liaisons – homosexuelles, bisexuelles ou hétérosexuelles – y étaient dans un état permanent de fluctuation et de reconfiguration.

            À titre d’exemple, Vanessa Stephen était mariée au riche héritier du charbon Clive Bell, mais eut un enfant avec le beau peintre écossais de naissance Duncan Grant, qui était attiré par le frère de Vanessa, Adrian, mais qui eut aussi une série d’aventures homosexuelles avec les « Apôtres » Keynes et Strachey, lesquels s’étaient livré une furieuse concurrence pour obtenir les faveurs D’Arthur Lee Hobhouse, nouvelle acquisition de la société, lequel était tombé follement amoureux de Grant, lequel devait ensuite former un ménage à trois [NdT : en français dans le texte] avec David Garnett, son nouvel amant, et Vanessa.

            Lorsque éclata la première Guerre mondiale et que les jeunes gens disponibles se firent rares, certains des « pédés » de la mouvance « Apôtres » et Bloomsbury – comme Virginia Stephen Woolf les appelait – commencèrent à se consoler avec des compagnes, et quelques-uns découvrirent même « les joies de la vie domestique »[81]. C’est ainsi qu’au grand émoi de ses amis « Apôtres » et Bloomsbury, Keynes, qui était pourtant outrageusement porté sur la promiscuité masculine et que le très jaloux Strachey avait un jour surnommé « bicyclette de sécurité munie de génitoires », tomba plus tard amoureux de Lydia Lopkova, l’une des plus grandes étoiles du ballet russe Diaghilev, avec laquelle il alla jusqu’à contracter un mariage qui devait se révéler heureux[82].

            Étant donné l’importance générale des « Apôtres » et de leurs intimes du groupe Bloomsbury, ainsi que leur grande influence sur la vie de l’Université de Cambridge à la fin des années 1920 comme au début des années 1930, il était logique que les efforts du NKVD visant à recruter de riches jeunes gens de la haute classe en vue d’étendre leur cercle d’espions à Cambridge fussent fondés en partie sur le projet d’exploiter l’un et l’autre groupes.

            Comme le raconte Andrew Sinclair dans The Red and the Blue – Cambridge, Treason and Intelligence, la récupération des « Apôtres » par les Soviétiques se révéla être une opération relativement simple. À la fin des années 1920, « les affinités avec le marxisme » étaient devenues une condition d’appartenance à la société secrète qui avait autant d’importance qu’« une bonne mine et une vive intelligence »[83]. Sinclair signale que sur les vingt-six « Apôtres » élus entre 1927 et 1937, vingt – c’est-à-dire les trois quarts – étaient des socialistes, des sympathisants marxistes, des marxistes bon teint ou des communistes engagés ». « Cela représentait moins d’un pour cent de l’ensemble des étudiants », souligne-t-t-il[84].

            La conjonction de trois facteurs – l’hostilité active des « Apôtres » et des Bloomsbury envers le christianisme et la morale traditionnelle, leur réseau clandestin de relations sexuelles criminelles et illicites, ainsi que l’ordre du jour également interdit et subversif de la Révolution marxiste mondiale – devait s’avérer être mortelle pour la nation britannique. 

Anthony Blunt – Une vie « treasonable »

[NdT : jeu de mots intraduisible entre treason (trahison) et reasonable (raisonnable)]

Anthony Blunt

            Le 5 mai 1928, Anthony Frederick Blunt, étudiant de licence au Trinity College et âgé de dix-neuf ans, appelé à devenir le premier homme du cercle d’espions de Cambridge (qui en comporterait cinq), fut admis dans le saint des saints de la société des « Apôtres » sous le numéro 273[85]. Les prédécesseurs immédiats de Blunt dans la « ligne apostolique » de la société étaient Alister Watson et Philip Dennis Proctor, tous deux espions soviétiques ou appelés à le devenir[86].

            Anthony Blunt est né le 26 septembre 1907 dans la petite ville provinciale de Bournemouth (Hampshire) au sein d’une famille aisée de la classe moyenne supérieure fortement implantée dans l’Église d’Angleterre (ou Église Anglicane). Son grand-père paternel avait été évêque suffragant de Hull. Son père, le Révérend Arthur Stanley Vaughan Blunt, clerc anglican bien connu, lui aussi, fut nommé en 1912 aumônier de St. Michael, l’église de l’Ambassade de Grande-Bretagne à Paris, où Sir Francis Bertie était Ambassadeur[87]. C’est à Paris que le jeune Anthony conçut pour l’Art français de la Renaissance une passion qu’il devait cultiver toute sa vie.

            Selon Miranda Carter, l’un des biographes plus proches de l’époque de Blunt, les aspirations du petit garçon à la célébrité lui venaient du côté maternel de sa famille. Sa mère, Hilda Violet Master Blunt, appartenait en effet à la famille Masters, des propriétaires terriens de Barrow Green dont l’origine remontait au seizième siècle. Elle avait pour cousin issu de germain le Comte de Strathmore, père de la future Reine Elisabeth II[88].

            Dans la constellation familiale des Blunt, le « petit Anthony » était le plus faible de la portée et le favori de sa  mère, écrit Carter. Hilda raffolait de son enfant aux yeux bleus, si brillant, si ravissant, dont la santé « délicate » exigeait des soins supplémentaires et particulièrement attentifs. De son côté, Anthony conçut une affection qui devait durer toute la vie pour son frère aîné Wilfrid, avec qui il partageait – outre cette affection – un « tempérament artistique » naissant. Cela laissait tristement à l’écart Christopher, leur frère cadet, indique Carter[89].

            Lorsque chacun des garçons Blunt atteignit l’âge d’être mis en pension, Anthony fut renvoyé en Angleterre pour y étudier à Marlborough, l’une des « Grandes Écoles » britanniques, où étaient inscrits les fils de clergymen[90]. Il arriva dans cette prestigieuse école privée en janvier 1921, à l’âge de quatorze ans, tout prêt à éclairer l’établissement de sa brillante culture et de son attachement au dicton « Noblesse oblige » [NdT : en français dans le texte]. Las ! Ce fut un rude réveil pour le jeune homme de découvrir qu’à Marlborough, l’athlétisme était tout et qu’il n’était doué ni physiquement, ni par tempérament pour les sports organisés. En outre, les élèves faisant office de «prefects » [NdT : élève responsable, ayant jadis le droit d’administrer des châtiments corporels] régnaient sur tous les aspects de la vie scolaire.

            Robert Cecil, ancien condisciple de Blunt, a signalé que ce dernier savait triompher du système en satisfaisant aux besoins sexuels des grands élèves et des « prefects »[91]. Son témoignage a été corroboré par d’autres anciens élèves de Marlborough, dont l’universitaire John Hilton, qui a noté qu’à sa dernière année de scolarité, Blunt avait eu plusieurs aventures homosexuelles sérieuses et s’était constitué une écurie de favoris parfois surnommés les « Élus »[92]. Avec Blunt et le futur poète Louis MacNeice, autre fils de pasteur, Hilton avait formé un trio cultivant l’« esthétique wildéenne » [NdT : d’après le nom de l’écrivain homosexuel Oscar Wilde],  derrière l’écran duquel les trois garçons parvenaient à masquer leur rejet de leur patrimoine religieux[93]. Hilton a décrit le comportement d’Anthony au cours des dernières années que l’intéressé avait passées à Marlborough comme étant celui d’« un hédoniste austère […] vivant pour la satisfaction de ses sens, tout en appréciant l’estime d’autrui et en cherchant à s’ancrer dans un système de détails érudits »[94]. À un âge relativement jeune, Anthony était, semble-t-il, un rebelle ayant trouvé sa cause.

            Certains contemporains de Blunt ont rappelé qu’il était connu pour son caractère vindicatif et ses vendettas personnelles. D’autres ont insisté sur la froideur reptilienne. Tous sont d’accord pour dire qu’il était excessivement prétentieux quant à ses capacités intellectuelles, qui étaient d’ailleurs remarquables. Il est un mot qui n’a jamais franchi les lèvres des amis de Blunt – du reste peu nombreux – ou de ses ennemis pour décrire son caractère : le mot « aimable ». C’était un être égoïste et égocentrique.

            En octobre 1926, Blunt est entré au Trinity College de Cambridge avec une bourse de Marlborough. Lorsqu’il échoua à obtenir une mention en mathématiques, il se tourna vers les langues vivantes et se spécialisa en français[95]. Entre-temps, son intérêt pour l’art s’était rapidement accru, bien que dans ce domaine, il eût rencontré un autre motif de frustration. Blunt était très intelligent, mais selon le grand artiste Christopher Hughes, « il avait lui-même peu de dons artistiques »[96]. Créativement impuissant, il pansa les plaies de son ego meurtri en devenant par la suite historien d’art, critique d’art et révolutionnaire culturel.

            L’un des plus proches amis de Blunt était Knox Cunningham (appelé à être anobli), qui étudia au Fettes College d’Edimbourg, puis au Clare College de Cambridge. Cunningham devait mener ensuite une éminente carrière politique au Parlement et devenir le Secrétaire privé du Premier Ministre Harold Macmillan de 1959 à 1963. Il occupa aussi une position importante dans l’Ordre d’Orange et la Province maçonnique de Gloucester, ainsi que divers postes unionistes de l’Ulster, en Irlande du Nord. Selon l’écrivain bissexuel et irlandais de naissance Robin Bryans, qui avait pour pseudonyme Robert Harbinson et qui fit partie de la haute clique homosexuelle de Londres au milieu des années 1940, Cunningham était connu pour être une « folle » qui aimait « se faire baiser par des jeunes garçons »[97]. Bryans a signalé que Cunningham était resté en contact avec Blunt après ses années à Cambridge et qu’il s’était souvent rendu ensuite au domicile de Blunt, à Londres[98].

            En 1928, Les relations que Blunt entretenait avec Clive Bell et Roger Fry, critiques d’art qui étaient membres du groupe Bloomsbury, ainsi qu’avec Andrew Gow, professeur au Trinity College qui faisait autorité en matière d’art, ouvrirent à l’intéressé les cercles artistiques prestigieux de Londres[99]. En même temps, son appartenance au groupe des « Apôtres » lui donna accès à la société secrète et au réseau homosexuel les plus influents de Cambridge[100]. Le fait que Blunt était alors un marxiste bon teint fut confirmé par plusieurs sources fiables, dont Louis MacNeice[101].

            En 1932, Blunt fut élu chargé de cours au Trinity College. Il resta donc sur le campus, où il donnait des cours de français, et il commença une carrière d’histoire de l’art, avec une passion particulière pour l’œuvre du peintre français Nicolas Poussin.

            En 1933 ou 1934, avant, pendant ou aussitôt après un « voyage » universitaire à Moscou, Blunt fut officiellement recruté par les Soviétiques comme agent stipendié[102]. Il reçut pour noms de code YAN, JOHNSON et TONY[103].

            On ne peut songer sans une pointe d’ironie que si Blunt s’était seulement aventuré hors de l’hôtel pour faire un peu de « drague » homosexuelle pendant son séjour moscovite, il aurait pu s’apercevoir que les « prises » étaient maigres, si l’on excepte évidemment les « corbeaux » mâles formés par le KGB, qui visitaient régulièrement les pissotières et autres endroits hantés par des homosexuels étrangers. Cette faible disponibilité des jeunes Moscovites de sexe masculin tenait à ce qu’au début de 1933, Staline avait donné à l’OGPU (police politique) l’autorisation de raffler les homosexuels de Moscou pour les envoyer comme main-d’œuvre esclave dans des « camps de travail » pénitentiaires, tel celui connu sous le nom de « Troisième Ligne de Partage des Eaux », sur le canal de la mer Blanche à la mer Baltique, où étaient détenus environ trois mille homosexuels moscovites[104].

            Rien n’indique, pourtant, que Blunt ait jamais exprimé la moindre objection aux purges anti-sodomites ordonnées par Staline à Moscou, une fois que la nouvelle en fut devenue publique dans le monde clandestin de l’homosexualité londonienne. Rien n’indique non plus que les piégeages homosexuels opérés à Moscou, Londres ou Cambridge aient jamais contribué à obliger Blunt de trahir son pays. Il a trahi pour le seul plaisir de trahir.

            Grâce à ses nombreux protecteurs et proches amis influents, dont la très mondaine « locomotive » qu’était Victor Rothschild, Blunt vit croître son influence dans le domaine de l’art. De 1937 à 1939, il fit partie du personnel du Warbug Institute de l’Université de Londres, centre de recherche artistique « progressiste » et « révolutionnaire », et il écrivit son premier ouvrage sur l’art de la Renaissance, Artistic Theory in Italie, 1450-1600, qu’il dédia à son ami intime Guy Burgess[105].

            Selon Charles Saumarez Smith, qui recensait des livres pour The Observer, parmi les critiques les plus dures formulées contre Blunt figurent celles de Rebecca West, qui avait connu Blunt dans les années 1930 et « le considérait comme un poids mouche de l’intellect, un communiste notoire arborant toujours une cravate rouge et souvent ivre »[106].

            Lorsque l’Angleterre aborda la deuxième Guerre mondiale, Blunt se porta volontaire pour être incorporé dans l’armée britannique, fut nommé officier, servit brièvement au sein de la police de sécurité militaire, qui faisait partie des services de renseignement militaires, puis reçut des Soviétiques l’ordre d’entrer au MI5, c’est-à-dire le service de sécurité britannique[107].

            On notera qu’avant d’entrer au MI5, Blunt avait fait appel à l’influence de son frère Christopher afin d’entrer à Minley Manor, dans le Hampshire, et y suivre un cours de contre-espionnage à l’intention du personnel militaire. À l’époque, son supérieur était le colonel Shearer, qui lui déclara avoir reçu du War Office [NdT : le service administratif du ministère britannique de la Guerre] des ordres tendant à ce que Blunt ne soit pas affecté à des tâches de renseignement[108]. Ces ordres furent cependant annulés après qu’un haut fonctionnaire fut intervenu en  faveur de l’intéressé. Ce haut fonctionnaire n’était autre que Dennis Proctor (qui devait être anobli ultérieurement), lui-même « Apôtre » et agent soviétique, qui faisait office de secrétaire privé de l’ex-Premier Ministre Stanley Baldwin[109]. Blunt reçut aussi l’assistance de Victor Rothschild, qui travaillait pour le MI5, et de Guy Burgess, qui était affecté à la Section D du MI6[110].

            Le capitaine Maxwell Knight, homosexuel entré au MI5 en 1925, mit en garde les fonctionnaires du MI5 contre ce « pédé » de Blunt, mais sa voix solitaire resta ignorée. Malheusement, Knight lui-même n’était pas tout blanc, étant donné ses liens occultes avec le sataniste Aleister Crowley[111]. D’autre part, Knight était personnellement compromis par la passion obsessionnelle qu’il éprouvait pour Tom Driberg (Lord Bradwell), amant de Burgess et membre du Parlement, qui fut pendant douze ans un agent stipendié des Soviétiques[112].

            Les « arrangements » de Tom Driberg avec les Soviétiques remontaient à ce jour où il avait sollicité les faveurs sexuelles d’un homme dans une vespasienne publique, lors d’une de ses visites à Moscou. Cet homme se révéla être un agent du KGB membrfe de la deuxième Direction principale du SCD[113]. Après qu’on lui eut montré des photographies de ses actes sexuels avec des « corbeaux » soviétiques, il commença à travailler pour Moscou sour le nom de code d’AGENT ORANGE. Les Soviétiques se servirent de lui pour rassembler des renseignements politiques sur le Parti travailliste et promouvoir des mesures qui leur soient favorables dans les milieux politiques se trouvant dans sa sphère d’influence[114]. En outre, le KGB détenait des photographies d’ébats homosexuels entre Driberg et Guy Burgess[115].

            Au cours des cinq années au moins qui s’écoulèrent entre son recrrutement et son activation par son superviseur soviétique, en 1939, Blunt s’était déjà révélé être un bon « chasseur de têtes » et recruteur pour le compte des Soviétiques, bien que contrairement à une idée répandue, il n’eût pas recruté les trois autres membres connus de l’équipe de Cambridge, à savoir Guy Burgess, Donald Maclean et Harold « Kim » Philby.

            Malgré ses responsabilités professionnelles croissantes et ses activités d’agent double, Blunt réussit à mener une vie sexuelle satisfaisante et relativement notoire ; il eut, en particulier, toute une série d’aventures avec d’autres homosexuels de Cambridge de sa classe, y compris John Lehmann, un Estonien qui devint un messager clandestin des Soviétiques, et Peter Montgomery, amant de longue date de Blunt, cousin issu de germain du maréchal Montgomery, le héros britannique de la deuxième Guerre mondiale. Peter Montgomery devint directeur musical à la BBC, puis officier de renseignement de l’armée pendant la guerre. Le lecteur voudra bien se souvenir de lui, car nous parlerons en détail de Peter Montgomery et de son frère Hugh à la fin du présent chapitre.

            En fait de partenaires sexuels, Blunt préférait cependant ceux de la classe ouvrière s’offrant comme gitons, qui étaient ses inférieurs intellectuellement et socialement et sur qui il pouvait donc exercer son désir de pouvoir et de domination. Ce désir de pouvoir était un trait de caractère qui n’avait d’ailleurs pas échappé aux « chasseurs de têtes » soviétiques de Cambridge, lesquels trouvèrent chez le jeune Blunt toutes les caractéristiques d’un traître efficace : l’intelligence supérieure, mais « sous-estimée », l’impitoyable ambition, le solipsisme au suprême degré, l’homosexualité, qui est un vice exploitable, ainsi que la capacité de compartimenter sa vie et de jouer de multiples rôles. Loin des subtilités de la psychanalyse, David Pryce-Jones, auteur de recensions dans le New Criterion, est peut-être celui qui a le mieux résumé l’essence même de l’« être » de Blunt en une formule lapidaire et définitive : « Blunt était une merde intégrale »[116].  

Guy Burgess – L’« espion voyant »

Guy Burgess

            Dans ses souvenirs autobiographiques, l’espion de Cambridge Kim Philby a écrit sur son ancien condisciple : « Il [Burgess] est sans doute l’un des très rares individus qui se soient imposés dans le service spécial soviétique […] C’était vraiment un cas »[117]. Alors que les Soviétiques « tenaient manifestement à le recruter », écrit Philby, lui-même était d’avis que l’inaltérable capacité de Burgess de « se rendre voyant » le compromettrait comme agnt secret. Philby et « Otto », son superviseur soviétique, finirent cependant par conclure à juste titre qu’il valait mieux faire entrer Burgess dans leur cercle d’espions que de le laisser à lui-même, d’autant plus que de toutes manières, il risquait fort d’enfoncer la porte. C’est ainsi qu’à l’été 1934, Guy Francis de Moncy Burgess accéda aux annales de l’histoire comme étant le membre le plus « voyant » du cercle d’espions de Cambridge. Son nom de code était MÄDCHEN (en allemand, « jeune fille »).

            Guy Burgess était de bonne souche militaire. Né en 1911 dans la célèbre ville portuaire de Devonport (Plymouth), dans le sud-ouest du pays, Guy était le fils aîné d’un officier de marine, le capitaine de corvette (Lt. Commander) Malcolm Kingsforth Burgess et d’Evelyn Gillman Burgess. Il avait un frère cadet, Nigel[118].

            En janvier 1924, le jeune Burgess, âgé de treize ans, venait d’entrer au collège d’Eton lorsque son père décéda. Trois ans après environ, sa mère se remaria, mais Guy, qui était gâté et couvé, ne s’entendait guère avec son beau-père, le colonel John R. Bassett D.B.O., officier en retraite de l’armée britannique ; aussi se débarrassa-t-on de lui en l’inscrivant à une école militaire.

            Peu après son seizième anniversaire, conformément à la tradition de sa famille de marins, Guy fut envoyé au Collège de la Royal Navy, à Dartmouth, mais il ne devait jamais passer son diplôme. Trente-trois mois être entré dans cet établissement, il le quitta brusquement et retourna à Eton, officiellement pour cause d’insuffisance visuelle. La soudaineté et les circonstances de son départ accréditent cependant la théorie selon laquelle Burgess fut discrètement renvoyé de Dartmouth pour avoir tenté d’entraîner d’autres cadets dans des liaisons homosexuelles.

            Ce fut donc le retour à Eton, où le beau et brillant Burgess rafla les prix d’histoire Rosbery et Gladstone, ainsi qu’une bourse d’histoire au Trinity College de Cambridge, où il entra en octobre 1930.

            Il va de soi que son physique d’Adonis, son charme personnel, sa vive intelligence, son amour des jeunes gens, ainsi que ses sentiments antifascistes et pro-marxistes – qu’il affichait avec fierté – attirèrent bien vite sur lui l’attention des « Apôtres » infiltrés par les Soviétiques. Le 12 novembre 1932, il fut intronisé dans la société en même temps que son ami intime Victor Rothschild, l’un des rares scientifiques que les « Apôtres » aient jamais admis parmi eux. Burgess s’affilia également à la Société socialiste de l’Université de Cambridge (CUSS), que les communistes noyautaient peu à peu.

            Au mois de juin 1934, Burgess se rendit en Allemagne. Il se trouvait à Berlin au moment de la purge politique pratiquée par Hitler : la « nuit des longs couteaux ». Ensuite, Burgess se joignit à un petit groupe de « touristes » de Cambridge en voyage à Moscou, parmi lesquels Anthony Blunt et l’ami de Burgess Derek Blaikie, communiste d’Oxford qui devait se faire tuer pendant la deuxième Guerre mondiale[119].

            L’un des nombreux faits rapportés sur le séjour de Burgess à Moscou est la longue entrevue secret qu’il y eut avec Nikolaï Boukharine, membre puissant du Politburo soviétique et rédacteur en chef des Izvestia[120]. Tout bien considéré, c’est probablement à Moscou que Burgess et Blunt furent soumis à leur examen final par les agents de Staline. Guy Burgess avait réussi à prendre place parmi les espions de Cambridge.

            Burgess était certes politiquement tout feu tout flamme, mais sa plus grande passion était… la passion, autrement dit les rapports homosexuels. La séduction était son fort, en particulier auprès des hommes plus âgés que lui, bien que n’importe quel homme passant à sa portée représentait à ses yeux une cible potentielle d’avances sexuelles.

            Goronway Rees, l’un de ses camarades de classe à Cambridge, expliquait que Guy considérait les rapports sexuels « comme un mécanisme utile pour fabriquer du plaisir […] et il a couché avec la plupart de ses amis à un moment ou à un autre »[121]. Selon Rees :

            [Guy] était une sorte d’initiateur des autres élèves aux mystères du sexe, fonction qu’il remplissait presque dans un esprit de service public. Les aventures de ce genre ne duraient guère, mais Guy possédait l’art de conserver l’affection des garçons avec qui il avait couché, et aussi –  curieusement – celui de maintenir sur eux une sorte d’ascendant permanent : longtemps après qu’une aventure eut pris fin, il continuait d’aider son ex-partenaire dans sa vie sexuelle, souvent troublée et insatisfaisante, de l’écouter lui narrer ses difficultés affectives et, au besoin, de lui trouver un partenaire approprié. Pour ses anciens partenaires, il était tout à la fois un père, un confesseur et un entremetteur, au point qu’un très grand nombre d’entre eux devaient être ses obligés[122].

            Parmi les premières conquêtes de Burgess à Cambridge figuraient Anthony Blunt, qui s’était entiché de lui, le bisexuel efféminé Donald Maclean, qui fut recruté en même temps que lui, et même Kim Philby, coureur de jupons notoire, qui l’aida au recrutement. À l’instar de Blunt, Burgess recherchait des aventures avec des jeunes gens de la classe ouvrière, qu’il recommandait ensuite comme partenaires à ses amis homosexuels de Cambridge pour aider ceux-ci à se débarrasser de leurs complexes « bourgeois »[123].

            Jackie Hewit, qui fut l’un des concubins de Burgess, devait ensuite faire le va-et-vient entre le lit de Guy et celui d’Anthony après que Burgess se fut enfui à Moscou, et lorsque les services de renseignement britanniques l’interrogèrent sur ses relations avec le transfuge, il leur dit que Guy avait conservé toutes ses lettres d’amour, non comme moyen de chantage, mais « pour se prouver à lui-même son pouvoir de se faire aimer des hommes »[124]. Certes, le naïf Hewit ignorait si et comment les superviseurs de Burgess se servaient de ses lettres d’amour, mais il avait tout à fait raison de souligner que les aventures homosexuelles de Burgess faisaient partie du « jeu de pouvoir » pratiqué par celui-ci pour manipuler d’autres hommes. Il avait raison aussi de dire aux agents du SIS que « Aux yeux des agents majoritairement hétérosexuels du MI5 et du MI6, la dynamique du monde « gay » des années trente devait apparaître comme un incompréhensible écheveau d’imbrications relationnelles »[125]. Malheureusement pour les Britanniques, les Soviétiques connaissaient, eux, la portée et l’exploitabilité de l’Homintern à l’échelle mondiale et utilisèrent parfaitement cette connaissance contre leurs ennemis d’Angleterre, des États-Unis et d’Europe.

Kim Philby – Le maître espion

Kim Philby

            De tous les traîtres de Cambridge, Harold Adrian Russell Philby – étant donné sa parentèle et ses origines – aurait sûrement été élu comme étant « le plus capable de réussir » dans le métier d’espion.         

            Né le Jour de l’An 1912 à Ambâla, en Inde, où son père Sir John Philby était haut fonctionnaire du gouvernement indien, Philby était surnommé « Kim », comme le jeune héros de Kipling. Lorsque Sir John, cédant à l’appel du vagabondage, renia sa foi protestante pour suivre Mahomet à l’exemple de l’écrivain D.H. Lawrence, son épouse Dora prit en mains l’éducation de Kim et de ses trois sœurs. Les absences prolongées de Sir John – qui semblaient ne pas déranger sa femme –, ajoutées à son sens strict de la discipline et à son manque de chaleur vis-à-vis de ses enfants lorsqu’il était à la maison, créèrent des tensions familiales qui laissèrent une marque indélébile sur son fils. Sensible et sérieux, Kim contracta très tôt dans l’enfance un bégaiement qu’il devait garder toute sa vie. L’influence négative du père sur le fils transparaît aussi dans le cynisme égocentrique qui en vint à caractériser les relations de Philby avec ses contemporains, notamment les femmes, ainsi que dans sa duplicité et son instinct de conservation à tous prix, si nécessaires à tout bon espion[126]

            Le 18 septembre 1924, Kim, alors âgé de douze ans, entra à l’école de Westminster, la célèbre alma mater de son père. Il y excella, remportant le Prix Marshall Memorial pour l’histoire, et il se montra ensuite assez performant dans le sport. Toutefois, il restait affectivement chétif. Ses difficultés d’élocution devinrent pour lui une cause de gêne croissante et considérable. Son antipathie pour les observances de la religion protestante à l’école accrurent ses conflits religieux et moraux intérieurs. En tant que nouvel élève, il était soumis à une exploitation sexuelle de la part de ses anciens et des « prefects » – À Westminster, « On m’a “cassé le cul” et “cassé les pieds”» [NdT : traduction du jeu de mots très cru entre les verbes anglais « to bugger » et « to bug »], devait-il reconnaître ensuite[127]. Mais ce qui est peut-être le plus révélateur, c’est l’accusation qui fut portée contre le jeune Philby durant sa troisième année à Westminster, lorsqu’un de ses tuteurs, appelé Luce, signala aux autorités de l’établissement que l’intéressé avait développé une propension à l’insincérité, autrement dit, qu’il mentait ou trichait en de sérieuses matières[128]. De fait, Philby s’était déjà acquis auprès de ses camarades une réputation de duplicité. Cette question finit par être mise de côté, sans doute grâce à l’influence de Sir John, et Philby fut autorisé à rester à Westminster. Il passa sa license l’année suivante et obtint en même temps deux bourses, l’une pour le collège de Christ Church, à Oxford, l’autre pour le Trinity College, à Cambridge[129]. Sur l’insistance de son père, il choisit Trinity. Il avait dix-sept ans lorsqu’à monta à Cambridge, au printemps 1929.

            Bien que Kim eût été initialement attiré par une carrière politique, les résultats décevants qu’il obtint à ses examens d’histoire le contraignirent en octobre 1931 à remplacer l’histoire par l’économie comme matière principale[130]. Il continua cependant de s’intéresser à la politique. Étant donné les affinités de Sir John avec le socialisme, on ne doit pas s’étonner que son fils ait ensuite viré davantage à gauche en faisant siens les principes audacieux et révolutionnaires du marxisme. Pour commencer, Philby adhéra cet été-là à la Société socialiste de l’Université de Cambridge, avant d’en devenir un responsable.

            Par l’intermédiaire de Dennis Holmes Robertson (appelé à être anobli un jour), qui était le directeur d’études de Kim en économie et aussi un membre honteux du cercle d’universitaires homosexuels de Cambridge, Philby fut introduit auprès du tombeur le plus recherché du campus, Guy Burgess. Les deux hommes nouèrent une vive amitié, que vint renforcer l’entrée de Philby dans le groupe des « Apôtres » en 1932, année même où Burgess y était entré[131]. Bien que Philby ne fût pas homosexuel, il est permis de penser qu’étant donné l’assiduité avec laquelle Guy poursuivait ses proies sexuelles, étant donné aussi le tempérament aventureux de Kim, sa rébellion contre les mœurs des pouvoirs en place et sa propension à boire, les deux hommes ont peut-être eu ensemble une aventure éphémère à Cambridge[132].

            À l’été 1933, aussitôt après avoir passé son diplôme au Trinity College (avec mention bien en économie), Philby fit une demande pour être affecté au ministère des Affaires étrangères. L’automne suivant, il partit en vacances en Europe, où il mêla les idylles à son intérêt croissant pour le Komintern[133]. Sur la suggestion du professeur Maurice H. Dobb, recruteur marxiste à Cambridge, Philby rencontra à Paris des dirigeants communistes, dont Willi Münzenberg, recruteur pour le NKVD[134]. La commission de Paris lui indiqua des contacts communistes à Vienne, où il rencontra et – le 23 février 1934 – épousa Alice Friedman, appelé familièrement « Litzi », Juive polonaise de vingt-trois ans, divorcée et membre de plusieurs groupes révolutionnaires, dont le Mouvement socialiste sioniste et les Socialistes révolutionnaires, qui oeuvraient contre le gouvernement Dollfuss[135]. Litzi confirma l’engagement marxiste de Kim.

            Philby rencontra Dobb dès son retour en Angleterre, au mois d’avril suivant. En outre, il visita le siège du Parti communiste de Grande-Bretagne (sur King Street, à Londres) ; là, il déclara vouloir entrer au Parti, mais on lui demanda d’attendre. Peu après, il fut mis en contact avec « Otto », qui avait été chargé d’étudier son cas et de le superviser. Il fut informé qu’en aucune circonstance, il ne devait s’inscrire au Parti, car cela ferait obstacle à son entrée au ministère des Affaires étrangères. C’est ainsi que Philby devint un espion et une taupe soviétiques.

            L’une des premières missions de Philby fut d’espionner son propre père, que les Soviétiques soupçonnaient d’être un agent britannique. Philby éplucha dûment les papiers de Sir John dans la résidence de celui-ci, à Londres[136]. En même temps, il commença de dresser sa liste de recrues potentielles. Au bas de cette liste était nommé Guy Burgess, et parmi les noms placés en tête, il y avait celui de Donald Maclean.

Donald Maclean – l’implacable « innocent »

Donald Maclean

            Les armoiries du clan écossais Maclean portent la devise « Honneur, ma Vertu ». Or l’espion de Cambridge Donald Maclean (1913-1983) n’aura cultivé ni l’« Honneur », ni la « Vertu » de ses ancêtres[137].

            Considéré comme le type même du jeune diplomate ambitieux, Donald Maclean (noms de code WISE, LYRIC, HOMER et STUART) était le fils cadet de Sir Donald Maclean, loyal presbytérien et député du Parti libéral, qui fut ministre de l’Éducation dans le gouvernement national de Stanley Baldwin et Président du Board of Trade (Conseil du commerce) dans le gouvernement de coalition nationale de Ramsey MacDonald, en 1931.`

            L’aspect physique et le tempérament du jeune Donald – fluet, blond, efféminé et gentil – reflétaient davantage la beauté et l’amabilité de sa mère que les traits sévères et intimidants de son père. Dans le sillage de son frère aîné, Ian, Donald fut inscrit à la Gresham’s School, établissement d’élite situé à Holt, sur la côte de Norfolk.  À leur sortie, la grande majorité des élèves de l’école Gresham accédaient chaque année aux principales universités britanniques, dont Cambridge, Oxford, Balliol et Christ Church. Maclean n’y fit pas exception[138]. Malheureusement, lorsqu’il quitta Gresham pour le Trinity College de Cambridge, en 1931, il avait déjà contracté deux virus révolutionnaires : l’un politique (le communisme), l’autre sexuel (l’homosexualité).

Maclean, le charmeur, se retrouva bientôt en compagnie de Burgess, Blunt et Philby ; le premier ne tarda pas à l’ajouter à la liste de ses conquêtes, tandis que le dernier prêta la main à son recrutement comme espion soviétique[139]. Bien que dans son enthousiasme, Maclean eût l’intention d’émigrer dans le « Paradis des Travailleurs », il se laissa finalement persuader de passer l’examen de la fonction publique pour obtenir un poste au ministère des Affaires étrangères ; il y parvint au mois d’octobre 1935, en grande partie grâce à la réputation de son père, décédé peu de temps avant.

            Le premier poste occupé par Maclean au Foreign Office fut celui de secrétaire du Département occidental, qui comportait des responsabilités relatives aux « low countries » (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg), à la Suisse, à l’Espagne et au Portugal, mais comme l’avaient prévu les Soviétiques,  le « réseau de vieux copains » de Whitehall ne tarda pas à le promouvoir au poste de secrétaire de l’Ambassade de Grande-Bretagne à Paris[140].

            Là, Maclean commença de transmettre à Moscou des secrets et informations diplomatiques sur la politique étrangère britannique. C’est à Paris que l’intéressé, qui était sexuellement ambivalent, rencontra et épousa l’héritière américaine Melinda Marling. Au début de la deuxième Guerre mondiale, Maclean et sa nouvelle épouse, qu’il avait informée de sa qualité d’agent soviétique, retournèrent en Angleterre, où il continua de fournir à Moscou des documents « top secret », tout en attendant sa prochaine affectation diplomatique.

Les taupes de Cambridge s’enfouissent en vue du maximum d’impact

            En 1935, lorsque Staline ordonna que les agents communistes à l’étranger entrent dans la clandestinité ou, si besoin était, feignent de se convertir au fascisme, les espions de Cambridge furent obligés de changer leurs batteries politiques et de s’enfoncer plus encore dans leurs trous. Cela les amusa beaucoup.

            Quand nous avons laissé Blunt, il était entré au MI5, où il avait entrepris de gravir les échelons de la hiérarchie. Entre 1940 et 1945, et même avant la fin de la guerre, Blunt a commencé de transmettre à Moscou des documents ultra-secrets du MI5 comme du MI6, ainsi que des messages codés allemands qu’il avait déchiffrés à Bletchley Park, soit au total 1.700 pièces environ de documentation confidentielle, parmi lesquelles de précieuses informations sur les mesures vitales envisagées par les Alliés, pour après la guerre, en ce qui concerne la Pologne, la Lettonie et la Tchécoslovaquie, informations grâce auxquelles les Soviétiques furent à même de mettre en place le Rideau de Fer en Europe[141]. Blunt fournit également aux Soviétiques les noms de milliers d’expatriés russes vivant en Grande-Bretagne, dont beaucoup – avec femmes et enfants – furent contraints de retourner en Russie, où Staline, fort des dispositions des accords de Yalta, les fit massacrer systématiquement.

            Blunt et Philby communiquèrent aux Soviétiques des renseignements détaillés sur le Débarquement des Alliés en Normandie au mois de juin 1944, ainsi que sur diverses opérations du MI5 telles que le « retournement » d’agents allemands et soviétiques parmi lesquels Anatoli Gorski, premier secrétaire de l’Ambassade d’URSS à Londres, qui se trouvait justement être le superviseur de Blunt[142].

            En plus d’avoir envoyé des milliers d’étrangers à la mort, Blunt, qui possédait une mémoire quasi photographique, était fier d’avoir communiqué aux Soviétiques les noms de tous les agents du MI5, sans exception[143]. Il avait eu accès aussi aux dossiers des examens de sécurité que faisait passer le MI5, information qui parvint également à Moscou[144].

            Selon John Costello, écrivain spécialisé dans le renseignement et auteur de Mask of Treachery, Blunt était la personnification même de l’« agent d’influence ». Il aida à contrecarrer l’enquête interne qui avait été ouverte au sein du MI5 et du MI6 en créant de fausses pistes qui éloignaient les enquêteurs de Burgess, Maclean et Philby, « quand ceux-ci étaient encore opérationnels, et même après qu’ils furent passés à Moscou »[145].

            Blunt recruta aussi d’éminents universitaires de Cambridge, dont le brillant linguiste John Cairncross, souvent considéré comme le cinquième homme du cercle d’espions de Cambridge, quand bien même plus d’une dizaine d’agents soviétiques d’Oxford auraient sans doute pu revendiquer ce titre, y compris une poignée d’agents du MI5 et du MI6. Blunt recruta, en outre, Leo Long, « Apôtre » et agent de renseignement militaire auprès du MI14, qui était spécialisé dans le décodage et le renseignement d’origine électromagnétique (ROEM)[146].

            Juste avant la fin de la guerre, le roi George VI chargea Blunt d’une mission hautement secrète en Allemagne. La nature exacte de cette mission, qui devait durer jusqu’en 1947, reste entourée de mystère (bien que ce ne soit pas faute de théories à son sujet), mais ce qu’on sait, en revanche, c’est que Blunt connaissait la teneur des documents privés dont la récupération lui incombait et qu’il a probablement communiqué cette information à son superviseur soviétique[147].

            Selon Costello, le fait que Blunt ait réussi à se procurer les « dossiers de Windsor » devait ensuite se révéler être une « une police d’assurance en or » contre toute poursuite pour haute trahison pendant les trente-quatre années suivantes et, en fait, pour le reste de la vie de l’intéressé »[148].

            Après la guerre, Blunt poursuivit sa double carrière : historien et critique d’art d’une part, traître de l’autre. Entre 1945 et 1979, il occupa le poste de Conservateur des tableaux du Roi (ensuite, de la Reine), et administra en cette qualité les vastes collections de la famille royale[149]. En 1947, il fut nommé directeur du Courtauld Institute of Art. Trois ans après, il fut élu chargé de cours à la British Academy, et en 1960, il devint professeur d’histoire de l’art à l’Université de Londres. Il avait été fait chevalier en 1956.

            Durant les années de sa « folle jeunesse », Blunt faisait en quelque sorte partie des meubles des palais de Buckingham et Windsor, où des bureaux étaient à sa disposition. Il devint classique de dire, en manière de plaisanterie, que lorsque Blunt circulait dans les couloirs, les gardes du palais soulignaient avec piquant la nécessité de « garder le dos au mur » sur son passage, rapporte Costello[150]. Manifestement, l’hnomosexualité n’empêchait pas d’être employé par la famille royale et ne l’a du reste jamais empêché. Les valets de chambre et les courtisans homosexuels de la maison royale, comme les diplomates du Foreign Office, présentaient même un net avantage par rapport aux hommes mariés et pères de famille, nécessairement « distraits » par les soucis du foyer. Il pouvaient se permettre d’être excessivement généreux de leur temps et de leurs attentions, et ils étaient toujours disponibles. Certains valets de chambre et autres domestiques de la maison royale étaient connus aussi pour les services sexuels qu’ils rendaient à leurs maîtres[151].

            Là où Blunt et Burgess organisèrent une grande partie des « réceptions » auxquelles ils conviaient des agents et employés du MI5 et du MI6, ce fut leur résidence du 5 Bentinck Street, immeuble de trois étages qui était muni d’installations permettant d’enregistrer et de filmer et qui appartenait à Victor Rothschild. Parmi leurs invités ont figuré le Major General (général de division) Sir Stewart Menzies, chef du MI6 de 1939 à 1952, Sir Dick White, chef du MI5 de 1953 à 1956, puis directeur du MI6 de 1956 à 1968, Sir Roger Hollis, surnommé « Monsieur Inertie » et réputé pour être bisexuel, directeurr du MI5 de 1956 à 1965, et le capitaine Guy Maynard Liddell, directeur adjoint du MI5[152].

            Le fait que Liddell et Hollis ont fréquenté régulièrement et si longtemps des homosexuels comme Blunt et Burgess devait ensuite faire de l’un et de l’autre des candidats au titre de cinquième homme ou de « super-taupe » du MI5[153]. La critique formulée à l’encontre de ces deux hommes – à savoir qu’aucun directeur de service de renseignement n’a le droit d’être aussi naïf et confiant – s’applique cependant à presque tous les échelons du renseignement britannique pendant les années quarante et cinquante.

            Blunt s’était aussi lié d’amitié avec Sir Dick White, et tous deux avaient pour habitude de passer les fêtes de Noël avec Victor Rothschild dans la demeure des Rothschild, à Cambridge. Le baron Rothschild et sa deuxième femme, Teresa Mayor (« Tess »), ancienne employée des services de renseignement britanniques, se rendaient aussi de temps à autre chez Blunt et Burgess, dans la maison de la rue Bentinck.

            Blunt connaissait absolument tous ceux qu’il valait la peine de connaître. Son éducation et ses contacts privilégiés lui attiraient un grand nombre d’amis et de protecteurs haut placés et influents. Mais ce qui était particulièrement précieux pour les Soviétiques, c’était sa connaissance des haute et basse sociétés homosexuelles londoniennes, des multiples réseaux attachés à chacune et de la manière de les utiliser au mieux.

            Selon Costello, parmi les lieux de rendez-vous homosexuels que fréquentaient Blunt et Burgess, ainsi que leurs amis sodomites de la classe supérieure, il y avait le pub Pakenham, situé au centre de Londres, à Whitehall, le palais de Buckingham, ainsi que les casernes de la Household Cavalry (cavalerie royale) et des gardes du palais[154]. L’écrivain irlandais Robin Bryans, que Burgess trouva à Oxford en 1944 et qui devait devenir ensuite un élément régulier du cercle sodomite formé autour de Blunt et Burgess au pub Pakenham, a raconté que Blunt était très fier de ses relations royales et de toutes ses associations aussi importantes qu’imbriquées les unes aux autres, au point d’en parler ouvertement au pub[155]. Blunt avait coutume également de participer, à l’institut Courtauld, à des orgies homosexuelles se prolongeant jusqu’à des heures tardives et attirant toujours une foule de jeunes artistes et d’étudiants des dernières années à la fois beaux, sexuellement désirables et politiquement exploitables.

            Il apparaît que les Soviétiques étaient tout à fait disposés à tolérer les excentricités sexuelles des espions de Cambridge pour autant qu’elles leur fussent profitables, mais il est hautement improbable qu’ils aient vraiment fait confiance à un seul d’entre eux. En effet, aucun de ces individus n’occupa un poste de véritable importance au sein des services secrets soviétiques après sa défection. Philby resta colonel du KGB, mais de nom seulement. Blunt soupçonnait que tel serait le cas pour lui aussi, ce pourquoi il refusa finalement d’échanger son somptueux appartement de directeur à l’hôtel particulier Courtauld ou ses bureaux dans les palais royaux contre un triste appartement des faubourgs de Moscou, comme le firent Maclean, Burgess et Philby[156].

La métamorphose de Guy Burgess

            L’un des aspects les plus remarquables de la vie de Burgess – ivrogne invétéré, homosexuel, marxiste et traître – est que l’intéressé n’a jamais manqué de travail ou de protecteurs.

            Dans le courant de 1934, après que Burgess eut manqué l’examen qui aurait dû lui permettre de devenir professeur à Cambridge, Victor Rothschild engagea ce goy mal dégrossi comme « conseiller financier » pour un salaire mensuel de cent livres sterling. Il importait peu, semble-t-il, que Burgess fût un universitaire spécialisé en histoire alors que les Rothschild étaient une dynastie bancaire légendaire existant depuis trois générations[157].

            Cette ruse compliquée, quoique parfaitement transparente, avait naturellement pour but de faciliter à Burgess, marxiste notoire, sa transformation en sympathisant néofasciste et pro-nazi, conformément à la directive de Staline tendant à ce que les agents soviétiques à l’étranger passent dans la clandestinité et, au besoin, changent apparemment de bord.

            Rothschild – il faut s’en souvenir – avait le même ennemi ostensible que Saline : Hitler. Lorsque les intérêts de Staline correspondaient aux siens, il semblait désireux de coopérer avec les Soviétiques contre l’Allemagne nazie, et même contre les Etats-Unis.

            En 1936-1937, Rothschild nomma Burgess rédacteur en chef en titre d’un nouveau bulletin d’information portant sur le commerce et l’investissement et spécialisée dans les finances allemandes. Mais le baron engagea ensuite un communiste allemand expatrié et homosexuel du nom de Rudolf Katz (« Rolf »), qui était aussi un agent du Komintern, pour faire office de « nègre » et de rédacteur en chef professionnel[158].

            La nomination de Burgess à ce poste fictif, joint à la « rumeur » adroitement répandue selon laquelle l’intéressé avait subi une conversion idéologique à la suite de son voyage à Moscou, facilita l’entrée du susdit au Parti conservateur et dans d’autres cercles parlementaires de droite.

            Burgess cibla plusieurs parlementaires bisexuels et homosexuels connus pour fréquenter le Café Royal, illustre débit de boisson qui avait vu passer Oscar Wilde et Lord Alfred Douglas. L’une de ses conquêtes les plus réussies fut le parlementaire conservateur Harold Nicolson, qui devint son ange gardien. Le couple dînait régulièrement au Reform Club, respectable établissement britannique appelé à devenir une cible importante de la subversion soviétique. Nicolson était marié et avait des enfants, mais il ressentait apparemment le besoin d’avoir des liaisons homosexuelles pour épicer sa vie.

            Burgess rendit service, ce dont il fut récompensé par des contacts plus influents au sein du Parlement et du Foreign Office, parmi lesquels Sir Joseph Ball, directeur de recherche du Parti conservateur, Archibald Clark Kerr (Lord Inverchapel), homosexuel marié possédant une vaste collection pornographique homosexuelle, et un valet de chambre soviétique nommé Evgueni Yost.

            Archibald Kerr fut ambassadeur de Grande-Bretagne aux Etats-Unis de mai 1947 à mai 1948 et devint à la fois le pire ennemi et l’antithèse de J. Edgar Hoover[159].

            C’est par le biais d’hommes influents tels que Rothschild, Nicolson et Ball que Burgess put inflitrer l’Anglo-German Fellowship (confrérie anglo-allemande pro-fasciste) créée par Hitler pour améliorer les relations entre l’Angleterre et l’Allemagne et préconiser une alliance entre les deux pays contre l’Union Soviétique. Cette confrérie était présidée par Charles Edward, duc de Saxe-Cobourg-Gotha, qui avait fait ses études à Eton. Elle comptait parmi ses membres d’influents aristrocrates anglais nourrissant des sympathies pour l’Allemagne.

            Bien qu’il n’ait pu obtenir un poste au bureau central du Parti conservateur, Burgess réussit à devenir secrétaire et « assistant personnel » du parlementaire conservateur (« Tory ») John Robert MacNamara, connu de ses amis sous le surnom de « Captain Jack ». Cet ancien garde de trente-deux ans, homosexuel et membre de la confrérie, succomba bien vite aux charmes de Burgess. Leur aventure devait déboucher sur une autre conquête de Burgess, celle du Vénérable J.H. Sharp, archidoyen anglican pour l’Europe du Sud-Est[160]. Au printemps 1936, Burgess accompagnait MacNamara, Sharp et Tom Wylie, jeune fonctionnaire du ministère de la Guerre, dans un voyage en Rhénanie organisé par le Conseil des relations extérieures de l’Église d’Angleterre. Ils devaient escorter un groupe d’écoliers pro-fascistes jusqu’à un camp des jeunesses hitlériennes[161].

            Lors d’une halte à Paris, « Captain Jack » présenta Guy à Édouard Pfeiffer, un proche d’Édouard Daladier, futur Président du Conseil de la France. Selon Costello, « Comme amateur de décadence homosexuelle, Pfeiffer avait peu de rivaux, même à Paris. Exerçant des responsabilités dans le mouvement scout français, il consacrait sa vie privée à séduire des jeunes gens »[162]. Les deux hommes devinrent des intimes, et Pfeiffer rendait visite à Burgess à Londres quand ce dernier s’y trouvait, rapporte Costello. En 1938, lorsque Pfeiffer obtint un poste élevé au sein du gouvernement Daladier, Burgess put lui soutirer des informations sensibles sur la position du Cabinet français vis-à-vis de l’Allemagne nazie[163].

            Le riche Américain Michael Straight, un autre « Apôtre » recruté par Blunt, s’est souvenu qu’au cours d’un dîner avec Burgess, celui-ci lui apprit qu’il accompagnait chaque soir Pfeiffer et deux membres du Cabinet français dans un bordel masculin de Paris. « Ils chantaient et riaient, ils dansaient autour d’une table à laquelle était ligoté un garçon nu, qu’ils frappaient avec des fouets en cuir », écrit Straight[164].`

            À mesure que Burgess jouait ses multiples rôles – messager pour le compte de Rothschild, taupe soviétique, néo-fasciste, amant d’hommes importants –, ses relations avec l’Homintern se développèrent rapidement sur le continent. De même, il ne cessait d’allonger la liste que les Soviétiques l’avaient chargé de tenir sur les recrues potentielles et sur les personnes influentes pouvant être sexuellement compromises[165].

            Jackie Hewit, « poule » de Burgess et fin observateur des opérations de l’Homintern international, décrivait ce dernier comme « une franc-maçonnerie intellectuelle gay »[166]. Il le comparait aux cinq cercles entremêlés du symbole olympique [NdT : Détail amusant : le baron Pierre de Coubertin, père des Jeux Olympiques modernes, était homosexuel et néo-païen]. Selon lui, « un membre de tel cercle connaissait un membre de tel autre cercle, et c’est ainsi que les gens se rencontraient »[167].

Burgess infiltre le MI6

            En 1936, Burgess obtint un poste d’animateur dans « Talks », émission de radio hebomadaire de la BBC qui comprenait des interviews de parlementaires[168]. Il y fut nommé par George Barnes, son ancien camarade du King’s College d’Eton, directeur adjoint de l’émission, dont on chuchotait qu’il entretenait à la fois un « petit ami » (Burgess) et une « maîtresse »[169].

            À l’aide des ondes hertziennes britanniques, Burgess put ainsi promouvoir la propagande soviétique, notamment en ce qui concerne l’intervention de Moscou dans la guerre d’Espagne, qui venait d’éclater. À l’occasion, il fit venir Blunt pour une interview[170]. Par le biais des contacts qu’il avait établis à ce poste et de ses liens avec le « club de vieux copains », Burgess réussit à infiltrer en 1939 les services secrets britanniques, à savoir la Section D du MI6, bien qu’il eût été appréhendé peu de temps auparavant par la police métropolitaine de Londres pour sollicitations homosexuelles dans les toilettes publiques de la gare de Paddington[171].

            Au sein du département de propagande européenne du MI6, l’une de ses tâches consistait à collaborer avec les Polonais que les Britanniques entraînaient au sabotage avant de les envoyer en Pologne et en Union Soviétique. Rebecca West a signalé que ces hommes étaient des catholiques romains et des anticommunistes extrêmement courageux, virils et pieux, tout prêts à risquer leur vie pour leur patrie. Elle était furieuse à l’idée que les Britanniques allaient les livrer à un homosexuel flamboyant et (peut-être) à un communiste comme Burgess[172]. Quant à celui-ci, il inscrivait méthodiquement leurs noms sur sa liste à l’attention de Moscou. Après la guerre, cette liste devint une véritable sentence de mort pour beaucoup des Polonais en question et de leur proches qui avaient été rapatriés derrière le Rideau de Fer stalinien. Lors de la suppression de la Section D, en juillet 1940, Burgess se retrouva sans emploi, mais pas pour longtemps.

            Il retourna à la BBC et y reprit son travail de journaliste jusqu’à juin 1944, moment où il décrocha un poste au service de presse du Foreign Office. C’est alors qu’il eut la chance de voir son bon ami parlementaire Hector McNeil devenir secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le gouvernement travailliste. McNeil lui demanda de devenir son secrétaire privé. En 1946, lorsque McNeil obtint le portefeuille de ministre des Affaires étrangères, il garda Burgess avec lui. Ainsi promu en même temps que son patron, Burgess servit McNeil encore deux ans, pendant lesquels il eut accès à presque tous les dossiers de la sécurité nationale britannique, ainsi qu’à des secrets diplomatiques[173]. Il en profita pour communiquer aux Soviétiques le texte intégral des rapports de plusieurs commissions parlementaires et des documents confidentiels du ministère de la Défense[174].

            Ensuite, il passa à la Division de l’Extrême-Orient du Foreign Office, où il se mit dans le pétrin après avoir fait une virée pédérastique et très arrosée alors qu’il se trouvait en mission officielle à Gibraltar et Tanger. Ce honteux incident aurait dû mettre fin à sa carrière au sein du gouvernement, et tel aurait été le cas si Burgess n’avait pas été un protégé d’Hector McNeil, qui était à présent secrétaire d’État pour l’Écosse. Aussi, plutôt que de le virer carrément, les fonctionnaires du Foreign Office préférèrent lui infliger une promotion. Le « type à problème » fut donc promptement envoyé en poste aux États-Unis comme deuxième secrétaire de l’Ambassade britannique à Washington, D.C. pour servir sous les ordres de Sir Oliver Franks, qui avait remplacé l’homosexuel Archibald Clark Kerr comme Ambassadeur auprès des États-Unis.

            Burgess resta à ce poste juqu’au mois de mai l951. Il fut alors soudain rappelé en Angleterre, puis « disparut mystérieusement » avec son collègue espion Donald Maclean. Les services de sécurité britanniques ne devaient revoir l’un et l’autre que le 12 février 1912, lorsqu’ils refirent surface à Moscou au cours d’une conférence de presse organisée par le KGB et à l’occasion de laquelle ils proclamèrent leur allégeance à l’Union soviétique, non sans dénoncer l’impérialisme occidental.

            Les Soviétiques savaient qu’ils prenaient des risques en faisant entrer Burgess dans le cercle des espions de Cambridge, mais ce fut un risque qui s’avéra finalement payant. Durant les douze années qu’il avait passées au cœur du ministère britannique des Affaires étrangères, Burgess était devenu l’un des espions et agents d’influence les plus productifs de Moscou[175].

            Il avait réussi à infléchir plusieurs actions du Foreign Office en faveur de l’Union Soviétique. En outre, il avait permis au Kremlin d’acquérir une connaissance interne de toutes les tactiques et stratégies anglo-américaines[176].

            Lorsqu’il était aux États-Unis, Burgess transmit aux Soviétiques des renseignements vitaux sur les circonstances critiques des débuts de la guerre de Corée[177]. Selon Costello, Burgess porta des tonnes de documents à l’ambassade soviétique à Washington, D.C. pour les y faire photographier. Les télégrammes et la valise diplomatique servirent à transmettre d’autres précieuses infomations à Moscou[178]. Depuis l’ambassade de Grande-Bretagne aux États-Unis, Burgess fournit aux Soviétiques des données ultra-secrètes sur l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et la recherche nucléaire américaine.

            On a dit que lorsque les agents du MI5 étaient arrivés dans l’appartement de Burgess à New Bond Street pour y perquisitionner, parmi les objets que l’intéressé avait laissés sur place figurait un carton contenant les lettres de ses anciens partenaires sexuels[179]. Burgess avait adressé là un message aux services secrets britanniques, mais le MI5 n’y vit que du feu.

Les aventures de Philby à l’étranger

            Après le retour de Philby en Angleterre, à l’été 1934, la vie de taupe soviétique de l’intéressé (qui avait pour noms de code SÖHNCHEN, TOM et STANLEY) devait prendre une tournure quelque peu différente de la route suivie par Burgess et Blunt.

            Le superviseur soviétique de Philby avait décidé que le meilleur moyen pour celui-ci de servir Moscou serait de troquer sa casquette communiste contre une casquette fasciste et d’entreprendre une carrière de correspondant de presse à l’étranger, où il pourrait mettre à profit ses talents linguistiques.

            Philby prit donc un emploi mal rémunéré de rédacteur en chef adjoint et de chroniqueur pour une publication de gauche « fauchée », Review of the Reviews, tout en suivant des cours de langue à la London School of Oriental Studies[180]. Lorsque cette publication cessa de paraître, en 1935, la transformation de Philby d’« homme de gauche » en « homme de droite » était suffisante pour lui permettre d’être admis au sein de la Confrérie anglo-allemande et d’aspirer au poste de rédacteur en chef d’un nouveau journal commercial anglo-allemand, aspiration qui ne devait cependant jamais aboutir[181].  

            Lorsque la guerre d’Espagne éclata, en 1936, Philby reçut son accréditation de correspondant de presse de plusieurs journaux britanniques, dont le London General Press[182]. Il partit d’Angleterre le 3 février 1937, soi-disant pour couvrir les opérations du front en tant que reporter, mais en fait pour organiser sur place l’assassinat du général Francisco Franco, chef de l’opposition au Frente Popular[183].

            En fin de compte, Franco ne fut pas assassiné, mais par un ironique retour des choses, Philby réussit à se faire décorer de la croix rouge espagnole du mérite militaire pour faits de bravoure, que Franco en personne épingla sur la poitrine de l’agent soviétique[184].

            En 1939, lorsque éclata la deuxième Guerre mondiale, Philby fut envoyé auprès du corps expéditionnaire britannique en France en tant que correspondant de guerre chevronné. Il s’arrangea pour s’introduire dans les bonnes grâces des services britanniques en leur communiquant de précieuses informations sur diverses initiatives allemandes, informations que le NKGB lui avait fournies précisément à cette fin[185].`

            Bien que la loyauté de Philby envers Moscou fût affectée par la Pacte de non-agression germano-soviétique et les purges staliniennes comportant la mise à mort de certains de ses anciens amis du NKGB, il resta dans le giron communiste et poursuivit sur la voie qui allait faire de lui un « maître espion » pour le compte de l’Union Soviétique.

            En juillet 1940, Philby entra à la Section D du SIS, où il était sous les ordres de Burgess. Peu après fut formée une nouvelle agence de sabotage et de subversion, la Special Operations Executive (SOE), qui absorba la Section D. Burgess fut viré, mais Philby resta en place grâce à l’influence du colonel Valentine Vivian, vieil ami de son père et agent de contre-espionnage à la Section V. Le SOE était chargé de mener des opérations clandestines contre les nazis dans l’Europe occupée.

            En septembre 1941, Philby fut affecté à la Section V du MI6, où il reçut la responsabilité des opérations clandestines de contre-espionnage dans la Péninsule ibérique et les îles de l’Atlantique[186].

            Entre-temps, il avait transmis aux Soviétiques une liste presque complète des agents du MI6 opérant dans le monde entier, ainsi que les tableaux et manuels organisationnels et opérationnels mondiaux du MI6[187]. Parmi les rapports les plus bizarres, voire ésotériques rédigés par Philby, il y en avait un qui portait sur les orgies homosexuelles, la toxicomanie et les messes noires ayant cours dans la haute société britannique[188].

            Sur le plan mondain, l’étoile de Philby ne cessait de monter, comme en témoigne l’invitation qui lui fut faite d’adhérer à l’Athenaeum, l’un des clubs les plus prestigieux d’Angleterre, qui avait les préférences de Whitehall et de l’élite cléricale anglaise[189].

            À l’été 1944, l’espion soviétique Kim Philby fut nommé chef d’un nouveau service de renseignement, la Section IX du MI6, chargée du contre-espionnage antisoviétique ! Une fois Philby en poste, les chances d’intercepter des espions soviétiques étaient pratiquement nulles, à moins que le NKVD ne voulût sacrifier ceux-ci délibérément. Philby était devenu un homme très dangereux.

            En août 1945, le colonel du KGB Constantin Volkov, nouveau consul d’Union Soviétique en Turquie, se rendit à l’ambassade britannique à Istanbul et y demanda l’asile contre rémunération. En retour, il proposa de révéler les noms de deux espions soviétiques en poste au Foreign Office britannique (Burgess et Maclean) et celui d’un membre du contre-espionnage britannique (Philby), entre autres renseignements. Volkov fut placé en détention tandis que des membres de l’ambassade appelaient Londres au téléphone. Les services de renseignement britanniques furent avertis de cette défection, et Steward Menzies, directeur du MI6, chargea Philby de « débriefer » Volkov. Après avoir alerté les services secrets soviétiques, Philby retarda son arrivée en Turquie pour donner au SMERSH soviétique le temps de kidnaper Volkov et de le ramener en URSS, où Staline ordonna son exécution[190]. SMERSH est un acronyme dérivé de « smert’ shpionam » (mort aux espions)[191]. Peu après son arrivée à Istanbul, Philby informa dûment ses supérieurs du MI6 que l’affaire avait avorté.

            Quelques mois après, le 20 novembre 1945, Philby informa ses contacts au NKGB qu’Elizabeth Bentley, l’un des principaux agents soviétiques en Amérique, était passée à l’Ouest et se trouvait entre les mains du FBI[192].

            En août 1949, après avoir passé deux ans comme chef de station en Turquie, où le MI6 l’avait affecté pour y collecter des renseignements soviétiques en rapport avec les intérêts pétroliers britanniques au Moyen-Orient, Philby et ses patrons soviétiques virent se dessiner leur première chance de frapper un grand coup : Philby fut informé qu’il allait être envoyé en poste à Washington, D.C. comme agent de liaison du MI6 avec la CIA et le FBI.

            Avant de quitter Londres pour l’Amérique, Philby reçut des informations détaillées sur le code VENONA, secret le mieux gardé des services de renseignement alliés pendant la Guerre froide. Comme il est très souvent fait allusion à VENONA dans le présent chapitre, une brève explication de son histoire, de sa portée et de son importance devrait être utile au lecteur.

            En février 1943, l’Agence de renseignement électronique de l’armée américaine (SSA) entreprit la réalisation d’un projet très restreint et très secret qui devait recevoir ensuite le nom de code VENONA. Le but de ce projet était de déchiffrer les télégrammes diplomatiques soviétiques que l’armée collectait depuis 1939, année où Staline et Hitler avaient signé leur Pacte de non-agression. Malheureusement, la complexité du système de déchiffrage en deux parties ne permit à la SSA de lire ces télégrammes qu’à partir de 1946, soit après la fin de la guerre. Alors seulement, la SSA se rendit compte que sur les 750.000 télégrammes interceptés, qu’on croyait tous porteurs de données commerciales et diplomatiques banales, un peu moins de la moitié étaient en fait des communiqués soviétiques secrets, c’est-à-dire des messages échangés entre, d’une part le NKVD (la police secrète soviétique) et le GRU (le service de enseignement militaire soviétique), d’autre part leurs agents en poste aux États-Unis et dans le reste du monde[193].

            Aujourd’hui, on sait qu’avant même d’avoir reçu le rapport de Philby sur VENONA, les Soviétiques avaient placé une taupe au sein du SSA. Son nom était William Weisband, et c’était un agent du NKGB (nom de code ZHORA)[194]. Cela signifie qu’en 1949, les Soviétiques étaient déjà en train de changer leur code. Toutefois, ils ne pouvaient rien faire pour les télégrammes envoyés avant le changement, c’est-à-dire entre 1940 et 1948. Or, ces télégrammes révélaient les noms de code de centaines d’Américains qui avaient espionné ou espionnaient pour l’Union Soviétique avant, pendant, et après la deuxième Guerre mondiale et dont la plupart avaient été recrutés par la Parti communiste des États-Unis[195]

Philby aux États-Unis

            Une fois Kim et Aileen (Furse), la deuxième de ses quatre épouses, installés dans leur magnifique demeure de Washington, D.C., au 5228 Nebraska Avenue, cette demeure devint célèbre pour les brillantes réceptions qui s’y donnaient, où les spiritueux coulaient à flots et auxquelles se rendaient des agents de grade élevé de la CIA et du FBI (ainsi que leurs épouses) ; ceux-ci – les vapeurs d’alcool aidant – laissaient échapper à l’occasion une précieuse information qui n’était perdue ni pour Philby, ni pour Moscou[196]. Parmi ceux qui sympathisaient avec Philby figurait James Jesus Angleton, chef du contre-espionnage à la CIA[197].

            En août 1950, Lorsque le Foreign Office britannique largua Burgess sur les États-Unis, celui-ci s’installa avec Kim, Aileen et leur petite famille. Bien que le comportement écœurant et l’anti-américanisme de Burgess fussent devenus légendaires dans les milieux de la CIA et du FBI, son image bien établie de butor alcoolique et homosexuel empêchait qu’on l’identifiât comme agent soviétique. Il ne correspondait tout simplement pas au profil classique de l’espion russe.

            En janvier 1951, lors d’une réception donnée par Philby, Burgess arriva en état d’ébriété et sans avoir été invité, et il se mit à dessiner une caricature obscène de l’épouse de l’invité d’honneur, Bill Harvey, expert résident du contre-espionnage au FBI. Il s’ensuivit une bagarre, et Libby Harvey quitta la réception suivie de son mari, qui était furieux. Harvey n’oublia jamais l’incident, mais chose curieuse, sa bête noire devint Philby, et non Burgess[198]. Un invité qui était resté pour la nuit, le professeur Wilfrid Basil Mann, savant atomiste britannique de naissance, déclara que le lendemain matin, il avait vu Philby et Burgess au lit ensemble, avec une bouteille de champagne, mais fort opportunément, il ne signala l’incident à Angleton, de la CIA, qu’un an après, alors que Burgess était à l’abri à Moscou[199].     

            Pendant ce temps, la trahison continuait.

            Dès 1946, Philby avait appris que les services de renseignement britanniques souhaitaient conduire des opérations clandestines contre Staline en Europe de l’Est dans le cadre de la stratégie de la Guerre froide. Cela signifiait qu’avec les Soviétiques, il se trouvait aux premières loges pour déjouer l’invasion de l’Albanie, une opération conjointe du SIS et de la CIA. La série de tragiques mésaventures que connut la guerrilla albanaise entre 1949 et 1953 devait entraîner pour des milliers d’Albanais la mort, l’emprisonnement, la torture et la détention en camp de travail[200].

            En septembre 1949, juste avant son départ pour l’Amérique, Philby avait été briefé par le MI6 sur les grandes lignes de la mission albanaise en question, et il ne manqua pas de transmettre l’information à ses contacts soviétiques avant de quitter Londres. À leur tour, les Soviétiques prévinrent la Sigurimi (police secrète albanaise) et ses conseillers russes que les Britanniques et les Américains se disposaient à envoyer en Albanie des insurgés albanais anticommunistes[201].

            De 1949 à 1951, Philby, en tant que « joint commander » (commandant des forces mixtes) et agent de liaison pour l’American Office of Policy Coordination (OPC), bras armé subversif antisoviétique du National Security Council (NSC) et fer de lance de la mission ultra-secrète menée en Albanie, fournit aux Soviétiques et à la Sigurimi l’identité des membres des différents commandos albanais, les types d’armes dont ces derniers étaient équipés, ainsi que les dates et les lieux de leur débarquement. Quels que fussent le lieu et le moment où les insurgés pénétraient en Albanie – par mer, par voie terrestre ou par parachutage –, ils étaient toujours attendus par la police secrète et les forces de sécurité albanaises. Un grand nombre de ces volontaires – dont le légendaire Zenel Kadrijal, capitaine de la garde du roi d’Albanie en exil Zog – furent abattus sur place ou jugés et condamnés à la mort par pendaison, ou encore emprisonnés pour une durée d’au moins sept ans, quand ce n’était pas la perpétuité[202]. On rafla leurs proches et amis aux fins d’interrogatoire. Certains furent carrément abattus, d’autres croupirent en prison ou furent expédiés en Sibérie, où beaucoup – y compris des enfants – moururent de malnutrition. Les Américains comprirent alors qu’il y avait anguille sous roche – une anguille nommée Philby.

            En juin 1951, deux mois après la « disparition » mystérieuse de Burgess et Maclean, Philby fut aussi rappelé à Londres. En débit des exigences répétes de Walter Bedell Smith, chef de la CIA, tendant à ce que Philby ne fasse plus partie des services de renseignement, et malgré les preuves accumulées au fil du temps selon lesquelles Philby était une taupe soviétique, on permit à l’intéressé de prendre une semi-retraite jusqu’à 1953, année où il fut réaffecté à un autre poste de renseignement. De façon plutôt ironique, beaucoup de ses collègues du MI6 le croyaient victimes du « MacCarthysme » et considéraient sa rétrogradation comme une injustice.

            Bien que Britanniques et Américains fussent très conscients que leur mission albanaise avait été compromise dès le début, les opérations clandestines se poursuivirent jusqu’en 1953. Les résultats en furent assez prévisibles : les Albanais ne firent plus jamais confiance à l’Occident ; quant aux services de renseignement britanniques et américains, ils se firent de sanglants reproches mutuels. Et pendant ce temps, Philby poursuivait ses activités d’espionnage pour les Soviétiques, y compris en les conseillant sur l’évolution au jour le jour de VENONA. Pour lui, c’était de la routine.

            Des années après, Philby niait souvent avoir jamais été un « agent double ». « Toute ma vie, je n’ai travaillé que pour un seul et unique service de renseignement : celui de l’Union Soviétique », a-t-il dit à Rufina, son épouse russe[203].

Maclean, le diplomate anglais modèle

            Lorsque nous avons laissé Maclean, il avait quitté Paris pour retourrner à Londres au début de la deuxième Guerre mondiale. Il arriva en compagnie d’une nouvelle épouse et attendit patiemment un nouveau poste correspondant à son rang social élevé. Sa patience s’avéra payante. Bien qu’il bût de plus en plus et fût connu pour ses liaisons homosexuelles, les relations qu’il entretenait avec le « club de vieux copains » lui suffirent à se remettre en selle[204]

            En 1944, Maclean précéda Philby et Burgess aux États-Unis en tant que premier secrétaire de Lord Halifax à l’Ambassade britannique. En 1946, Lord Inverchapel, qui était l’un des protecteurs homosexuels de Burgess et qui nourrissait des opinions nettement prosoviétiques, remplaça l’Ambassadeur Halifax. Les Soviétiques ne purent croire à leur bonne fortune ! Le nouveau poste de Maclean allait en effet lui donner (de même qu’à Staline) accès à tous les secrets militaires, scientifiques, politiques et diplomatiques des États-Unis, ainsi qu’à ceux des puissances alliées durant la période critique de l’après-guerre. Et Maclean ne les déçut pas.

            Alors que la deuxième Guerre mondiale touchait à sa fin et que la Guerre froide se mettait en place, Maclean fournit aux Soviétiques tous les plans militaires des États-Unis en Europe. Il leur révéla notamment que les troupes américaines s’arrêteraient à l’est de l’Elbe, permettant ainsi aux Soviétiques d’arriver les premiers à Berlin. Il transmit aux Soviétiques toutes les communications télégraphiques entre Churchill et Roosevelt, puis entre Truman et Churchill. Il leur signala que VENONA avait cassé leur code de guerre et rendit compte de tous les messages qui avaient été ainsi décryptés. Grâce à lui, Staline sut à l’avance ce que seraient les positions alliées aux conférences de Yalta et Postdam et jusqu’où il pourrait aller pour demander aux Alliés des concessions territoriales et politiques après la guerre, y compris le rapatriement forcé de milliers de citoyens et de soldats russes qui avaient trouvé refuge à l’Ouest. Staline put ainsi se permettre de bluffer tout à son aise sur la route de la victoire dans l’Europe d’après guerre, car il savait, grâce à Maclean, que la bombe atomique ne figurait pas encore dans l’arsenal militaire des États-Unis.

            En 1947, Maclean fut nommé représentant de la Grande-Bretagne auprès du Combined Policy Committee on Atomic Development, avec plein accès aux informations confidentielles de l’Armed Services and Atomic Energy Commission (AEC), le tout « sans escorte », privilège que le directeur du FBI lui-même (J. Edgar Hoover) s’était vu refuser. Plus tard, il fournit aux Soviétiques des données sur les achats américains d’uranium auprès du Canada et du Congo belge. Ces informations permirent aux Soviétiques de connaître approximativement le nombre de bombes atomiques que produisaient les États-Unis[205]

            En 1948, alors qu’il se préparait à retourner en Grande-Bretagne, Maclean continua encore de communiquer aux Soviétiques des documents ultra-secrets américains et alliés, parmi lesquels les plans prévoyant la mise en place de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), à savoir le pacte de défense mutuelle en Europe auquel allaient adhérer douze pays et qui fut créé en avril 1949[206].

            Lorsque Maclean rejoignit le Foreign Office, à Londres, il fut nommé chef du Département américain, où il continua à suivre de près les activités de l’OTAN pour le compte de L’Union Soviétique. En 1950, il prit part à l’élaboration de la politique anglo-américaine concernant la guerre de Corée. C’est lui qui apprit à Staline que les États-Unis avaient décidé de ne pas utiliser d’armes atomiques, sauf dans les circonstances les plus extrêmes, information qui se révéla déterminante pour décider la Chine à intervenir dans cette guerre[207].

            Quant au vide laissé dans le renseignement soviétique par le départ de Maclean pour l’Angleterre, il fut vite comblé – comme on l’a vu ci-dessus – par l’arrivée de Philby, puis celle de Burgess.

            Au printemps 1951, bien que les agents du FBI et de la CIA eussent informé les services de renseignement britanniques que Maclean était une taupe soviétique, celui-ci et Burgess purent s’échapper en direction de Moscou avec l’assentiment du SIS, lequel avait reçu des consignes dans ce sens de la part de Whitehall (le gouvernement), qui s’était lui-même vu intimer par Buckingham l’ordre direct de ne pas s’opposer à la fuite des deux traîtres, car la famille royale ne voulait pas d’un scandale et d’un procès public.

            Philby, qui avait pourtant, lui aussi, fait l’objet de soupçons précis en raison de sa longue association avec Burgess et Maclean, put tenir encore onze années de plus. Finalement, le 23 janvier 1963, alors qu’il était en poste à Beyrouth pour le compte du SIS, on lui permit également de fuir pour Moscou à bord d’un bateau à destination d’Odessa, sur la mer Noire[208].

            C’est Blunt qui réussit à se maintenir le plus longtemps. Après la défection de Philby, Youri Modine, le superviseur de Blunt, lui offrit un aller simple pour une « vie confortable » dans le Paradis Soviétique des Travailleurs, mais Blunt coupa court à la conversation en disant : « Sans doute pourrez-vous aussi me garantir un accès total au château de Versailles chaque fois que j’aurai besoin de m’y rendre pour mon travail ? »[209] Travailler pour l’Union Soviétique était une chose, y vivre en était une autre. Modin déclara ensuite que cette répartie l’avait laissé « sans voix »[210].

            Au printemps 1964, le SIS finit par appréhender Blunt pour le soumettre à un interrogatoire[211]. Le gouvernement britannique offrit à l’espion l’immunité vis-à-vis de toute poursuite, à deux conditions : d’abord, qu’il ait cessé de servir l’Union Soviétique après la deuxième Guerre mondiale ; Blunt mentit et déclara que tel avait été le cas ; ensuite, qu’il soit d’accord pour fournir des renseignements sur les services qu’il avait longtemps fournis aux Soviétiques, ce qu’il ne fit jamais. En outre, il n’exprima jamais le moindre regret pour avoir trahi son pays[212]. Ce n’est qu’après avoir été assuré de l’immunité qu’il est « passé aux aveux ». Ensuite, il fut soumis à six années de debriefing long et fastidieux. Blunt connaissait assez les plus noirs secrets de la famille royale pour être à l’abri de tout. On lui permit du reste de garder son titre et sa position de Conservateur de la collection d’art de la Reine, ainsi que la direction de l’Institut Courtauld jusqu’à sa retraite, en 1972.      

            L’étouffement de la « catastrophe Blunt » par Sir Roger Hollis, chef du MI5 avec l’approbation au moins tacite, sinon officielle de Whitehall et de la famille royale consistait, notamment, à faire en sorte que de nombreux fonctionnaires du Cabinet continuent d’ignorer l’étendue de la trahison de Blunt et les dégâts qu’il avait causés à la sécurité nationale[213]. Avant de quitter son poste en 1965, Hollis ordonna qu’on détruisît les centaines d’heures d’enregistrement du témoignage de Blunt et qu’on n’en laissât subsister que des rapports sommaires[214]. Les sévères lois britanniques sur la diffamation contribuèrent pour un temps à tenir la presse à l’écart de Blunt.

            Youri Modine a exprimé plus tard l’opinion que la Reine Elisabeth avait voulu étouffer entièrement le scandale à cause des relations étroites que Blunt avait entretenues avec son père, le Roi George VI. Selon lui, elle aurait octroyé de facto une grâce secrète à Blunt[215].

            Le public fut tenu dans l’ignorance de toute cette affaire jusqu’au 15 novembre 1979, lorsque le Premier Ministre Margaret Thatcher prit la parole au Parlement et confirma des rapports de presse aux termes desquels Blunt était le quatrième homme du cercle de Cambridge. Un débat houleux eut lieu le 21 novembre 1979. Alors seulement fut révoqué l’acte d’ennoblissement de Blunt. Celui mourut d’une crise cardiaque le 26 mars 1983, dans sa maison de campagne. Il était âgé de soixante-quinze ans et millionnaire.

            Burgess, son ami le plus proche, devait connaître des temps plus difficiles à Moscou.

            Une nuit que Burgess traînait dans les rues de la ville vêtu de son tweed anglais à la recherche de prostitués masculins, il perdit « la moitié de ses dents après s’être fait rosser par un stiliagui soviétique désireux de montrer à ce rupin d’Angliski ce que de vrais hommes font à des zvolotchi dans son genre »[216]. Finalement, les Soviétiques fournirent à Burgess un giton à demeure, mais cela ne sembla pas apaiser son mal du pays. Il mourut d’une maladie du foie le 19 août 1963. Son jeune frère Nigel prit l’avion pour Moscou afin d’assister aux obsèques et rentra en Angleterre avec une urne contenant les cendres de Guy, qu’il répandit à proximité de l’église St. John the Evangelist, dans le Hampshire, en Angleterre, où se trouvait le caveau de la famille[217].

            Le 6 mars 1983, Donald Maclean mourut d’une crise cardiaque dans son appartement de Moscou. Il avait soixante-neuf ans. Maclean, le plus motivé idéologiquement des espions de Cambridge, avait lui aussi le mal du pays. Comme Burgess, il fut incinéré, et ses cendres furent rapportées en Angleterre pour y être ensevelies.

            Philby eut un peu plus de chance dans son pays d’adoption. À l’instar de Burgess et de Maclean, il reçut une pension à vie. Le KGB l’aida dans ses écrits sur le métier d’espion et lui attribua un rôle mineur dans le renseignement. En 1970, après une pénible période marquée par l’alcoolisme, une dépression nerveuse et une tentative de suicide, il rencontra, puis épousa Rufina, sa quatrième femme, qui se trouvait à son chevet lorsqu’il mourut, le 11 mai 1988. Lors de ses obsèques au cimetière de Kuntsevo, à l’ouest de Moscou, qui était traditionnellement réservé aux généraux, son cercueil fut salué par un détachement de gardes du KGB, bien que comme le note Modine, et contrairement à ce qui a été dit à l’Ouest, Philby n’ait jamais été promu au grade de général du KGB[218].

Victor Rotshschild – L’éléphant dans le salon

Victor Rotshschild

            Il pourrait sembler impossible, bien que maints écrivains sur le sujet l’aient réellement fait, d’entamer une étude sur les espions de Cambridge sans avoir au moins examiné superficiellement le rôle joué par un de leurs patron les plus intimes et les plus actifs – Victor Rothschild de la fameuse dynastie bancaire Rothschild.

            Nathaniel Mayer Victor Rothschild, quatrième baronnet et troisième baron était né le 31 Octobre 1910. D’une famille de quatre enfants, seul fils de Charles et Rozsika Rothschild des Rothschild de Londres. Charles avait hérité de la fortune familiale, mais non du titre. Celui-ci revint à son frère plus âgé, l’excentrique et célibataire Lionel Walter. Les deux frères préféraient la science à la banque – un trait que Victor et sa soeur plus âgée avaient en commun.

            Victor, qui n’était pas particulièrement proche de ses parents, avait à peine quatorze ans lorsque son père se suicida le 12 Octobre 1923 après une lutte de six ans contre la maladie du sommeil, alors incurable.[xii]

            Devenu un homme, Victor adopta les sentiments d’un Juif non pratiquant et pro Sioniste du clan Rothschild, lequel se consacrait à l’établissement d’un Etat Juif en Palestine ainsi qu’à divers autres projets révolutionnaires de prédilection.[xiii]

            Venant de Harrow, Rothschild entra au Trinity College de Cambridge. Il fut plus tard élu comme Fellow of Trinity. La science, et particulièrement la zoologie, était son divertissement, et il y était aussi bon qu’au cricket.

            A Cambridge, son tuteur de Français occasionnel n’était autre que le jeune et débonnaire Anthony Blunt.[xiv] Comme Blunt, Victor était un Apostole choisi malgré que la Société refusasse habituellement les jeunes hommes de science quel que soit leur talent. Ce fut aussi l’année où quelques spectateurs suggérèrent  à Rothschild de devenir membre du Parti Communiste Britannique, un secret qu’il supposait inconnu de sa famille, bien qu’on se demande pourquoi il s’en inquiétait.[xv] Sachant qu’il engagea l’agent du Kominterm Rudolf "Rolf" Katz comme nègre de Burgess, il ne fait aucun doute que Rothschild était en étroite relation avec les réseaux Communistes du Continent et à l’intérieur du Mouvement Sioniste.[xvi] Pour mémoire, en 1940, Katz fut chassé d’Angleterre "pour avoir eu des contacts homosexuels avec du personnel naval Britannique", rapporte Costello.[xvii]

            On rapporte aussi qu’il a étroitement travaillé avec la Haganah, force de résistance Sioniste clandestine et réseau d’espionnage secret- le précurseur du Central Institute for Intelligence and Special Duties (Mossad Letafkidim Meouychadim) connu communément comme le Mossad, auquel on dit que Rothschild fut attaché ultérieurement.[xviii]

            Le triumvirat d’espionnage de Rothschild fut complet lorsqu’il obtint  un poste dans l’Unité d’Espionnage Commercial de la Section B du MI5,

            Victor avait aidé Burgess à obtenir un poste au MI6, et plus tard, Burgess grâce à son amitié avec le Directeur Délégué Guy Liddell aida Rothschild à obtenir un poste au MI5. Victor était au courant des progrès du projet Enigma à Bletchley Park grâce à sa soeur aînée, Miriam, qui travaillait là. Sa seconde femme, Teresa "Tess" Georgina Mayor travaillait également pour les services secrets Britanniques.

            D’année en année, Victor Rothschild devint un visiteur régulier de tous les bureaux des services secrets Britanniques et but et dîna avec tous les Directeurs et Directeurs Adjoints du MI5 et du MI6, y compris Guy Liddell en son manoir de Tring Park, de même qu’avec un assortiment de premiers ministres passés ou présents, de membres de l’Administration, du Parlement, de la famille Royale et, naturellement des espions de Cambridge. Après la guerre en 1948, le manoir Rothschild de Whaddesdon Hall dans le Hertforshire fut utilisé par les services secrets Britanniques pour analyser plus de 400 tonnes de documents en provenance du Centre de Documents Allié à Berlin.

            Avec des ressources financières illimitées, des relations sociales scientifiques et politiques illimitées, il existait peu de secrets d’État auxquels Rothschild n’avait pas accès, peu de portes sur les allées du pouvoir qui lui soient fermées.

            Comme noté précédemment, Rothschild garda sous le coude son cher ami et camarade Apostole Burgess et se servit de lui et de Blunt comme garçons de courses sur le Continent. Victor avait présenté Burgess à Robert Vansittard, un Sous Secrétaire au Foreign Office qui servait de chien de garde au MI6.[xix] Il organisait aussi les séjours de Guy dans les cercles politiques "Conservateurs", particulièrement ceux qui avaient des relations avec les Nazi. C’était Rothschild qui avait recommandé Blunt pour une situation au MI5 et Kim Philby pour un poste à la Section D du MI6. Lorsque Kim Philby était à Paris, il séjournait à la maison Rothschild de l’avenue Marigny.[xx] Lorsque Philby rédigea sa liste originelle d’agents possibles du Komintern, naturellement le nom de Victor y figurait.[xxi]

            La maison Rothschild du 5 Bentinck Street, où logeaient Burgess et Blunt était un paradis pour maître chanteur.[xxii] Tout révolutionnaire digne de ce nom y est entré à un moment ou un autre.[xxiii] Le fameux écrivain de Cambridge et converti au Catholicisme Malcom Muggeridge (1903-1990) dont la femme Kitty était apparentée aux Maires, visita un jour l’appartement du sous-sol de Rothschild et dit que la compagnie d’"intellectuels déplacés" puait la "décadence et la dissolution".[xxiv] "Muggers" fut particulièrement choqué par Guy Burgess qu’il considérait comme un "lépreux moral".[xxv]

            Après la guerre, Muggeridge, qui avait servi dans l’Intelligence Corps de l’armée, était à Paris et participait à une réception donnée par Victor dans son hôtel particulier de l’avenue Marigny. Il raconta qu’il avait entraîné son hôte et un autre invité, Kim Philby, dans une discussion à propos du bien fondé de la décision de Churchill supprimer Staline des données vitales d’Enigma (Staline ayant déjà accès à la plupart). Muggeridge qui était un des rares écrivains Britanniques à parler des purges de Staline et des famines consécutives, disait qu’on ne pouvait pas faire confiance au dictateur. Victor et Kim, qui avaient pas mal bu, maintenaient que les Soviétiques devaient avoir un accès total à tous les messages Allemands décodés.[xxvi]

            Entre le moment où Burgess et Maclean passèrent à Moscou en 1951 jusqu’à la fuite de Philby à Moscou et la découverte de Blunt comme espion de Cambridge, Rothschild fut interrogé pas moins de 11 fois par les services secrets Britanniques et même par la Brigade des Crimes Graves de Scotland Yard. Comme pour Blunt, ces "échanges" ne donnèrent rien.

            Selon l’ancien agent du MI6 James Rusbridger, Peter Wright et une autre source du MI5, Rothschild reçut en 1962 des informations qui finirent "au mauvais endroit", c’est à dire au KGB à l’Ambassade Soviétique de Londres. Mais comme la plupart des preuves contre Rothschild, cela fut considéré comme accessoire. Pour finir, Victor Rothschild évita le scandale, mais il demeura pour le restant de sa vie soupçonné d’avoir été le "Cinquième Homme" du groupe d’espionnage de Cambridge.[xxvii]

Les Malheurs de l’Espionnage Britannique Continuent

            Entre 1951 lorsque Burgess et Maclean se réfugièrent à Moscou et 1979 lorsque Blunt fut publiquement dénoncé comme espion Soviétique, le Royaume Uni fut frappé par une succession de scandales d’espionnage qui laissaient penser que Whitehall[219] et les services secrets Britanniques restaient "criminellement négligents". Presque tous ces cas étaient en rapport avec la Défense Nationale.

            En premier lieu, il y eut l’affaire d’espionnage de Portland où apparaissait Konon Trofimovitch Molody, alias Gordon Lonsdale, un clandestin Soviétique opérant à Londres et son équipe d’espions ; Harry K. Houghton, un employé de la Marine aux risques sécuritaires connus qui fut affecté en 1952 au projet Britannique top secret de sous-marin nucléaire à la base de Portland  et sa maîtresse (et plus tard épouse) Ethel Gee qui avait un certificat de haute sécurité à la base. Un transfuge Polonais de la CIA, Michael Golenewski identifia Houghton en tant qu’espion. Ce qui entraîna l’arrestation, le procès et la condamnation de Lonsdale, Gee et Houghton ainsi que d’Helen et Peter Kroger alias Morris et Lona Cohen, une équipe de communication du KGB qui avait aussi opéré aux Etats Unis.[xxviii]

            Le prochain espion Soviétique à faire ses débuts publics fut George Blake. Blake qui s’identifiait lui-même comme un Juif Hollandais "cosmopolite", était un officier de carrière au MI6 dont le père avait combattu pour le Royaume Uni durant la Première Guerre Mondiale. Blake suivait une formation d’officier à la Royal Navy Reserve lorsque ses compétences linguistiques exceptionnelles attirèrent l’attention du SIS, bien que, comme le faisait remarquer Rebecca West, il y avait suffisamment de preuves de ses liens communistes pour plaider contre sa nomination au MI6.[xxix]

            Au départ, Blake fut charger d’espionner les Russes en Allemagne de l’Est. Il fut alors renvoyé à Londres pour apprendre le Russe à Cambridge. Son affectation suivante fut la direction du bureau du MI6 en Corée du Sud où Blake décida de "changer de côté" et de travailler pour le grand dictateur humanitaire Staline. C’était en 1951. Blake disait que "ce serait mieux pour l’humanité si le système Communiste prévalait".[xxx] Ce fut à ce moment que prit forme le mythe médiatique selon lequel il avait eu le "cerveau lavé" pour devenir un espion Soviétique.

            Les références de Blake au MI6 lui obtinrent un siège aux négociations Anglo- Américaines du Tunnel de Berlin – un projet audacieux conçu pour sécuriser les communications militaires de haut niveau Soviétiques et d’Allemagne de l’Est. Cela signifie que les Soviétiques étaient sur les schémas élaborés et coûteux des opérations Gold (Berlin) et Silver (Vienne) au tout début des étapes de conception. Cependant, la plus grande contribution de Blake à la cause Communiste se trouvait dans les informations qu’il fournit sur les agents du MI6 et les opérations mondiales et qui provoquèrent la mort de 600 agents Britanniques et Américains et de leurs contacts et informateurs.[xxxi]

            Les indices provenant de l’effondrement de la cellule Lonsdale amenèrent par la suite à la capture de Blake et sa condamnation à 42 ans le 3 Mai 1961 – la plus longue peine de prison prononcée par une cour Britannique. Son incarcération fut de courte durée quand en 1966, un groupe d’"activistes de la paix" l’aidèrent à s’évader de la prison de Wormwood Scrubs pour Moscou où il rejoignit ultérieurement Lonsdale qui avait été échangé par les Britanniques contre l’un de leurs espions hommes d’affaires. Bien qu’il semblât satisfait du traitement que lui avaient accordé les Soviétiques à Moscou, Blake n’obtint jamais de poste au KGB. A part le fait qu’Ethel Gee ait été folle d’un homme et enchaînée à un Houghton mûr et compromis qui avait eu une maîtresse Polonaise alors qu’il était en poste à l’ambassade Britannique de Varsovie au début de sa carrière navale, le sexe ne semble pas avoir joué de rôle majeur  dans les épisodes d’espionnage de Lonsdale ou de Blake. Cependant, cet état de chose changea rapidement avec les affaires de "sexpionnage" de Vassall et Profumo qui suvirent rapidement ces révélations. 

John Vassall- La "Miss Mary" de l’Amirauté

            William John Christopher Vassall, né le 20 Septembre 1924 à Londres, venait d’un solide milieu Anglican. Son père était un clerc Anglican et ses parents avaient des racines dans la haute société, mais sans l’argent qui va avec. Ceci peut expliquer la vanité personnelle et le snobisme du jeune Vassall et son insatiable besoin d’ascension sociale, et sa façon de s’insinuer les riches, les célébrités et les puissants. Il était un jeune homme ambitieux, une "tapette" efféminée avec plein de charme et une multitude d’intérêts, talents et aptitudes sociales.

            Cependant, sans titre ou fortune, il fut forcé de débuter sa carrière professionnelle au bas de l’échelle. Son premier travail de fonctionnaire fut un emploi de Niveau II et de photographe pour la Royal Air Force. Plus tard il entra dans la Navy et travailla un moment pour le War Registry, le centre maître de communication de l’Amirauté.[xxxii]

            Dans sa vie privée, il était un partenaire très sophistiqué auprès de la coterie homosexuelle de la classe supérieure. A l’occasion, il voyageait à l’étranger en compagnie de riches homosexuels et passait alentour de l’un à l’autre tout à fait comme Burgess avait passé Jack Hewit à ses influents associés.[xxxiii] Vassal pensait que ses "yeux de chambre à coucher" et son apparence de gamine effrontée attiraient les hommes à lui.[xxxiv]

            En 1954, à la grande surprise de ses amis, Vassall annonça qu’il prenait un poste d’employé au bureau de l’attaché Naval à Moscou – un emploi considéré comme une brimade dans un pays où la sodomie était un crime passible de poursuites. En fait, l’affectation de Moscou amena à Vassall une source de revenus entièrement nouvelle de même que quelques grandes occasions de sexe.

            Dans les jours qui suivirent son arrivée à Moscou, le KGB fut prévenu du potentiel d’espionnage de Vassall. L’informateur était très probablement Sigmund Mikhailsky, un Polonais et agent du KGB, qui travaillait sous couverture, au sens littéral et figuré, à l’ambassade Britannique comme homme toutes affaires, homme à tout faire, et fournisseur de faveurs hétérosexuelles et homosexuelles. L’entreprenant Sigmund est réputé avoir été entraîné au centre Soviétique de ‘sexpionnage’ de Verkhonoye.[xxxv]

            Les Britanniques savaient naturellement que Mikhailsky était une taupe –virtuellement tous les employés fournis par les Soviétiques  aux ambassades étrangères l’étaient – et avaient prévenu le personnel contre  les relations personnelles avec eux. Vassall n’en tint aucun compte et prit rapidement Mikhailsky comme amant. En dépit du fait qu’une Miss Wynne ait remplit un rapport pour la direction de l’ambassade stipulant que Mikhailsky lui avait confié que Vassal était l’une de ses quatre cibles désignées, la liaison put continuer sans être interrompue. Il y avait aussi la preuve que Vassal avait des relations sexuelles avec un autre diplomate d’une autre ambassade à Moscou.[xxxvi]

            Les Soviétiques attendirent l’hiver 1955 avant que l’on puisse dire qu’ils refermèrent leur piègent. Le Général Oleg Gribanov, alors chef du Second Conseil du KGB fut chargé du "piégeage" de Vassall. Ce fait indique à lui seul quelle importance les services secrets Soviétiques attachaient à Vassall.

            Le KGB filma un Vassall ivre en flagrant délit avec plusieurs hommes lors d’une soirée organisée par Mikhailsky à l’hôtel Berlin.[xxxvii] A son procès, Vassall répéta que les Soviétiques le menaçaient d’annuler son immunité diplomatique et de le jeter en prison s’il ne coopérait pas avec eux. Cependant, les déclarations de Vassall  ne concordaient pas avec ses antécédents qui démontraient clairement qu’il trahissait son pays volontairement et avec une grande habileté et de l’enthousiasme. Les photos de chantage supposé produites par Vassall à son procès furent considérées comme sentant la mise en scène. La tête de Vassal était toujours visible. Le scénario le plus vraisemblable est que les Soviétiques obtinrent Vassall en faisant appel à sa vanité, en nourrissant ses ressentiments et lui fournissant au noir des espèces sonnantes et trébuchantes. Le KGB donna à Vassal le non de code MISS MARY.

            Victime ou non d’un chantage, Vassall se mit rapidement à glisser subrepticement des documents top secrets du bureau de l’Attaché Naval dans sa serviette pour qu’ils soient photographiés par les Soviétiques puis remis dans les dossiers le matin suivant. Personne à l’ambassade ne semble avoir remarqué que le train de vie de Vassall était soudain devenu luxueux. Ainsi son espionnage quotidien à l’ambassade Britannique de Moscou se poursuivit jusqu’en Juillet 1956, lorsqu’il retourna à Londres et fut affecté à un nouveau poste à la Division des Renseignements de l’Amirauté.

            En 1958, Vassall fut nommé assistant au secrétariat privé de M. Thomas G.D. Galbraith, le Civil Lord de l’Amirauté et membre du Parlement pour la Hillhead Division de Glasgow.[xxxviii] Le mouvement d’informations secrètes vers les Soviétiques se poursuivit, comprenant des rapports de recherche provenant de l’Etablissement de Recherche  d’Armes Sous-marines de l’Amirauté à Portland.[xxxix]

            En Octobre 1959, Vassall  obtint une promotion substantielle à la Fleet Section of Military Branch II. Les Soviétiques avaient trouvé le filon ! Vassall avait dorénavant accès à des secrets d’une haute importance concernant la Flotte Britannique et l’OTAN, touchant aux informations sur la flotte de l’Amirauté à travers le monde, y compris ses systèmes de communications navales et d’opérations, et les dernières percées des systèmes anti sous-marins et de technologie radar.[xl] Vassall fournit également aux Soviétiques des détails sur les derniers développements des porte-avions de la classe Invincible de la Royal Navy.

            Désormais, Vassall était devenu si expert dans sa profession qu’il était capable de photographier les milliers de documents top secrets qu’il amenait chez lui, ce qui diminuait le temps nécessaire à la transmission du matériau au Centre du KGB au 2 place Dzerzhinsky  à Moscou.

            Dans le même temps, personne à l’Amirauté ne se posait la question de savoir comment Vassall pouvait s’offrir son coûteux appartement de Dolphin Square merveilleusement garni de meubles anciens de prix. Ni comment Vassall s’arrangeait pour s’offrir des costumes sur mesure, des chaussures et des accessoires avec son modeste salaire d’employé.[xli]

            Malheureusement pour Vassall, en 1961 les services secrets Britanniques furent mis en "Alerte Rouge" par un transfuge Soviétique, le Major Anatoli Golitison, qui rapportait qu’il y avait une taupe dans le Bureaux de l’Amirauté à Londres.[xlii] Dix huit mois plus tard, en Septembre 1962, Vassall était arrêté par des officiers de la Special Branch sur des accusations d’espionnage après qu’il ait été surpris quittant son bureau avec un attaché case plein de documents secrets. Lorsque son appartement fut fouillé, les officiers de renseignement découvrirent 176 documents top secrets cachés dans un tiroir secret de son bureau en même temps qu’un équipement photographique sophistiqué. Contrairement  aux espions de Cambridge, Vassall fit une confession complète qui comprenait une déclaration selon laquelle il était poussé à espionner pour le compte des Russes parce qu’il trouvait que ses talents étaient sous estimés par ses supérieurs.

            Durant son procès, Vassall joua sa carte du "chantage", et, par coïncidence, il avait les photographies mentionnées plus haut pour le prouver. Il fit alors appel à la pitié de la cour, mais le juge était plutôt impressionné  par son important compte en banque, qui montrait que la vieille cupidité était le vrai motif sous tendant la carrière d’espionnage de Vassall.

            Durant les auditions, il fut révélé qu’un courrier en retard des Renseignements de la Marine aurait pu empêcher le "contrôle positif" de Vassall. Une des lettres de recommandation trouvée dans son dossier  provenait d’une amie d’un certain âge suggérant que le jeune homme ne paraissait pas intéressé par le sexe opposé, mais cette allusion aux penchants homosexuels de Vassall était apparemment passée par dessus la tête des contrôleurs à Whitehall. Au travail, son comportement déloyal de poule mouillée fut un objet d’amusement et de commérage, mais non de soupçon.

            La seule contribution de Fleet Street[220]  fut de brouiller la vérité en décrivant Vassall comme une "pédale" velléitaire, "une poule mouillée homosexuelle" et un "parfait imbécile", oubliant naturellement que pendant sept ans ce "parfait imbécile" avait, selon les mots de Rebecca West, " chaque soir tranquillement emprunté le chemin de Whitehall jusqu’à son appartement de Dolphin Square, avec une enveloppe pleine de documents secrets dans son pardessus, passant des soirées méticuleuses et compétentes à les photographier minutieusement pour le gouvernement Soviétique, et de nouveau chaque matin tranquillement emprunté le chemin jusqu’à Whitehall et l’Amirauté, prenant cinq minutes méticuleuses et compétentes pour remettre les documents dans leurs dossiers".[xliii]

            Les recherches ultérieures révélèrent qu’à la Military Branch où Vassall travaillait, les armoires de sûreté s’ouvraient avec des clés ordinaires et que le matériel hautement classifié n’était pas séparé ou stocké dans des environnements plus sûrs.[xliv] Vassall avait son propre jeu de clés. Les préposés à la sécurité stationnés aux entrées des bureaux effectuaient rarement  des vérifications au hasard des 9.000 employés qui passaient les portes de l’Amirauté chaque jour.[xlv]

            A la fin, Vassall fut déclaré coupable de violation de l’Officials Secrets Act et condamné à 18 ans de prison par le Président de la Haute Cour, mais il fut libéré sur parole après seulement dix ans. John Vassall mourut le 18 Novembre 1996.

            Inévitablement, la question des responsabilités fut mise en avant. Après la bombe d’espionnage Burgess, Maclean et Philby, le public était convaincu que Vassall était protégé par quelque(s) officiel(s) influent(s) à Whitehall. Le parti Travailliste d’opposition dont la débâcle de l’espion Vassall était le jour de chance politique, suggéra que Lord Peter Carrington, le Premier Lord de l’Amirauté devait démissionner.

            L’Administration Kennedy mit son grain de sel dans l’affaire Vassall en suggérant naïvement que le Premier Ministre Harold Macmillan vire tous les homosexuels connus liés à des poste gouvernementaux en rapport avec la défense et la sécurité nationale. Macmillan, trop bien au courant du grand nombre d’homosexuels de haut rang à Whitehall, au Foreign Office et dans les Services de Renseignements Britanniques, rétorqua qu’il ne s’abaisserait pas à des méthodes à la McCarthy.

            Cependant, le Premier Ministre Macmillan, nomma à contre cœur un Tribunal formel dirigé par Lord Radcliffe, Président de la Cour d’Appel, pour conduire une enquête approfondie sur les circonstances dans lesquelles les forfaits de Vassall avaient été commis, ainsi que sur d’autres allégations impliquant des ministres, des officiers de marine et des employés civils censés être en rapport avec l’affaire.[xlvi] Particulièrement intéressantes furent les 23 lettres de Galbraith trouvées dans les affaires de Vassall et qui furent rédigées en 1957. Pour quelle raison un Ministre de la Couronne aurait une correspondance privée avec son secrétaire assistant ?[xlvii]

            Cependant, le principal intérêt du Tribunal semblait être de remonter la piste de deux articles de journaux sur l’affaire Vassall qui prétendaient 1) que Vassall avait deux protecteurs à l’Amirauté qui avaient masqué deux éléments importants du processus de contrôle et 2) Que Vassall revêtait parfois des vêtements féminins lors d’excursions dans le West End.[xlviii] Lorsque Reg Foster du Daily Sketch et Brendan Mulholland du Daily Mail, qui rédigèrent les articles originaux, refusèrent de citer leurs sources, Foster fut condamné à six mois de prison et Mulholland à trois mois pour outrage au tribunal.

            Bientôt les affaires reprirent comme d’habitude à l’Old Boy’s Club.

            Macmillan et son gouvernement Conservateur s’arrangèrent pour survivre au scandale Vassall, pour être seulement descendus par l’Affaire Profumo qui frémissait dans les coulisses. Le scandale sexuel de 1963 largement publié n’impliquait pas d’homosexualité, au moins directement. Cependant, j’ai inclus un bref synoptique qui fera connaître au lecteur le Dr. Stephen Ward, qui, comme Peter Montgomery, cité plus haut avec son amant Anthony Blunt, figurera en pointe à la fin de ce chapitre sur les liens du Vatican avec les espions de Cambridge.

Le scandale Profumo – Proxénètes, Call Girls et Espions

            Dans sa version mondialement diffusée, c’était fondamentalement l’histoire d’une fille rencontrant un type avec une complication majeure. Le "type" était le très marié, très distingué, diplômé de Harrow-Oxford et ancien MP, John "Jack" Profumo, le Secrétaire d’État à la Guerre Britannique. La "fille" était un jeune et joli mannequin et prostituée à temps partiel nommée Christine Keeler, qui venait des écuries du socialiste-ostéopathe-proxénète bien connu Dr. Stephen Ward. Et la "complication" était le capitaine Yevgeny "Eugène" Ivanov, un officier du GRU (Renseignements Militaires Soviétiques) se faisant passer pour attaché naval à l’ambassade Soviétique de Londres. Keeler était aussi la maîtresse d’Ivanov. L’affaire entière aurait probablement été balayée sous le tapis, comme tant d’autres affaires impliquant des personnages importants de l’Establishment avec des filles beaucoup plus jeunes, si Profumo n’avait pas commis l’impardonnable erreur – non pas d’avoir commis un adultère et peut-être mis la sécurité nationale en péril -  mais d’avoir nié les faits dans un discours à la Chambre des Communes.

            Profumo fut forcé de se retirer dans le déshonneur, mais fit en sorte de sauvegarder quelque amour propre en dirigeant une oeuvre de charité dans l’East End, ce pourquoi la Reine lui décerna une des plus hautes distinctions nationales, comme Commandeur de l’Empire Britannique. Keeler gagna neuf mois de prison pour une accusation de parjure sans rapport, des tonnes de publicité, et de nombreux contrats avec des feuilles à scandale pour révéler son "histoire". Ivanov fut rappelé à Moscou, après avoir réussi à abattre le gouvernement de Macmillan, et on n’entendit plus jamais parler de lui.

            Stephen Ward, qui avait présenté Profumo à Keeler, paya la plus grosse note. Il est censé s’être suicidé dans des circonstances suspectes le 30 Juillet 1963, dernier jour de son procès pour proxénétisme. L’Establishment Britannique pouvait beaucoup mieux dormir la nuit, le gardien de leurs noirs secrets était mort.

            Pendant que la titillation de l’Affaire Profumo s’éteignait et que l’affaire Vassall devenait lointaine, Philby s’était mis à l’abri à Moscou pendant que Blunt empruntait toujours librement les portes de l’Institut Courtauld.

Les espions de Cambridge – Le Bilan

            Il est impossible de discerner lequel des espions de Cambridge était le plus important pour les Soviétiques ou causa le plus de dommages aux intérêts nationaux de la Grande Bretagne, des États-Unis et de leurs alliés. Chacun, dans son propre domaine, contribua à la destruction en masse des services de renseignement de l’Ouest qui connurent une hémorragie de plus de 30 ans. Il ne fait aucun doute aujourd’hui que pour Staline, virtuellement chaque service de renseignement de Grande Bretagne et des États-Unis était un livre ouvert.[xlix]

            Le bilan est clair. Les Soviétiques ont eu connaissance de chaque opération majeure de renseignement conduite contre eux entre 1945 et 1963. Ils eurent connaissance (à l’avance) de chaque mouvement des Allemands pendant la guerre grâce à leur pénétration de Bletchey Park où les spécialistes de code Britanniques brisèrent le code de la machine Allemande Enigma. Ils connurent la date exacte du débarquement – un secret que Churchill avait essayé de cacher à Staline. Ils avaient accès à toute communication électronique textuelle entre Roosevelt et Churchill, et plus tard entre Truman et Churchill. Les scientifiques Soviétiques avaient suffisamment de données pour construire une bombe atomique. Staline connaissait les agendas diplomatiques de toutes les conférences des Quatre Grands sur l’Europe d’après guerre, et ainsi de suite, grâce aux espions de Cambridge.

            Les espions de Cambridge ont non seulement envoyé à la mort des milliers de compatriotes, mais aussi des Américains et d’autres membres des forces Alliées. De plus, aucun n’a connu le gibet pour leur trahison. Aucun non plus n’a passé un seul jour en prison. Whitehall fit son possible pour rendre la vie de Burgess et Maclean à Moscou aussi financièrement insouciante que possible en attribuant aux traîtres le "statut d’émigrant" qui leur permettait de tirer des livres sterling de leurs comptes privés auprès de la Banque d’Angleterre via la Banque d’État Russe.

            En effet les preuves établissent que Burgess, Maclean et Philby purent s’échapper derrière le Rideau de Fer afin d’éviter un scandale public. Si Whitehall et Buckingham Palace avait voulu les attraper, ils les auraient attrapés. Le laxisme Britannique en matière de sécurité, mais à qui la faute ?

            Le fameux auteur de romans d’espionnage John le Carré, qui avec Rebecca West et John Costello, partage une vision réaliste des traîtres, appela un jour le MI5 et le MI6 des "sanctuaires pour laissés pour compte masculins". Dans le travail de renseignement comme dans toute la vie politique Britannique, les positions de pointe et l’avancement rapide étaient principalement fonction  de la classe sociale. Il y avait beaucoup d’employés très qualifiés au MI5 et MI6 qui n’étaient pas corrompus, mais les postes élevés et les promotions rapides étaient le privilège exclusif de la classe dirigeante Britannique – leaders politiques, hauts fonctionnaires gouvernementaux et membres influents du Parlement. Que certains soient des pédérastes et/ou des Communistes confirmés n’avait pas d’importance.[l] C’était un système qui garantissait que les renseignements Britanniques s’auto détruiraient, et c’est ce qui arriva avec les espions de Cambridge. L’étape suivante était de tenter une dissimulation de l’Establishment pour protéger le Old Boy’s Club et cacher au public Britannique l’étendue des dommages causés à la nation par les espions de Cambridge. Le vieil instinct de survie avait joué. En cas de soupçon de difficulté, s’asseoir fermement, ne rien dire et espérer que le désastre se dissipera, telle était la "Loi du Club". Les Soviétiques comptaient dessus et ils ne furent pas déçus.[li]

Leçons pour l’Église Catholique

            En plus d’offrir un exemple concret du développement et de la colonisation du "Homintern"[221] émergeant à l’Ouest durant la première moitié du 20ième siècle, la trahison de la Grande Bretagne et du peuple Britannique par les espions de Cambridge permet d’autres aperçus applicables à l’actuelle situation dans laquelle se trouve l’Église Catholique Romaine elle-même assiégée par le  "Homintern" clérical.

            Comme l’écrivit dernièrement John Costello, "Si l’on doit tirer une leçon de la carrière d’Anthony Blunt et de ses collègues conspirateurs de Cambridge, c’est que la déontologie de la conspiration et les motivations à trahir, ne sont pas simplement idéologiques, mais intemporelles et sans fin".[lii]

            Est-ce que la dissimulation des horribles forfaits des espions de Cambridge par l’Establishment Britannique diffère tellement de la dissimulation des forfaits criminels de ses clercs et religieux pédérastes et homosexuels par les évêques Américains ? Le "Homintern" clérical Catholique n’est-il pas capable d’infliger d’aussi grands dommages à l’Église et aux fidèles que ne le firent les espions de Cambridge au peuple et au gouvernement Britanniques sous la direction du Komintern Communiste ?

            Bien que le problème de l’infiltration du Vatican et de l’Église Américaine par le Communisme comme agent de la montée de l’"Homintern" dans l’Eglise soit traité au Chapitre 18, "Précurseurs du Vingtième Siècle", il est bon de faire ici quelques observations générales basées sur l’expérience de Cambridge.[liii]

            En premier lieu, rien d’efficace ne peut être fait à l’encontre du Réseau "Homintern" au sein de l’Église Catholique Romaine jusqu’à ce que ce réseau soit reconnu et bien compris. "Subversion et trahison de l’intérieur" combinées à une "attaque de l’extérieur" sont une parfaite recette de désastre pour l’Église, comme ce le fut pour la Grande Bretagne durant l’ère des espions de Cambridge.

            Le fait que les séminaires, le clergé et les communautés religieuses Catholiques constituent des sociétés relativement "fermées" ne garantit pas qu’elles ne puissent être effectivement pénétrées et colonisées par des forces hostiles. Après tout, le Japon était une société relativement "fermée" durant les années 1930 et 1940, et pourtant elle fut effectivement pénétrée par l’un des plus grands maîtres espions de  Staline, le Russe d’origine Richard Sorge. Son groupe d’espionnage Japonais  pénétra jusqu’aux plus hauts niveaux les renseignements Japonais qui étaient jugés impénétrables par les agents étrangers.[liv]

            Un contrôle soigneux est aussi essentiel à la prêtrise Catholique et à la vie religieuse qu’aux services de renseignements nationaux, et plus encore car l’enjeu pour les premiers est l’éternité. L’actuel scandale d’abus sexuels dans la prêtrise Catholique et les communautés religieuses aux États-Unis et à l’étranger en est l’ample démonstration.

            Comme dans l’ordre séculier, la prévention est le meilleur remède au désordre moral. Une fois que le cancer de l’homosexualité a métastasé un séminaire ou une maison religieuse, les demi mesures sont en général inadéquates pour contrôler le mal et l’institution doit être totalement fermée.

            Cependant, comme dans le cas spécifique du traître de Cambridge Anthony Blunt, un contrôle compétent peut être défait par la corruption de ceux qui exercent le pouvoir et l’autorité ultime. Les évêques Américains possèdent leur propre version de l’Old Boy’s Club Britannique – La Conférence des Évêques Catholiques des États-Unis (USCCB) – et tel qu’elle est actuellement constituée, elle a été profondément compromise et corrompue par le "Homintern".[lv] Le réseau homosexuel à l’USCCB ne fonctionne pas différemment du réseau homosexuel à Cambridge, Londres et Whitehall qui a rendu possible le groupe des espions de Cambridge. Le Old Boy’s Club s’auto protège.

            Il y a une ressemblance entre la haine d’un traître laïque pour l’Ordre Social et la nation qui l’a nourri, et la haine du prêtre homosexuel pour l’Église Catholique Romaine avec ses absolus, ses restrictions morales et ses représentations d’autorité. Une fois le prêtre ou le religieux absorbé par le "Homintern", son allégeance et son assujettissement envers lui remplace toute autre fidélité antérieure. Sa dévotion à sa famille et à sa foi est atrophiée.

            Comme l’abbé Rueda l’a dit, cette nouvelle allégeance est capable de dissoudre efficacement les liens normalement plus forts de l’affiliation religieuse. Les prêtres et religieux homosexuels non seulement apportent la discorde dans l’Église en matière de morale sexuelle,  ils se servent également de l’Église et de ses ressources pour répandre les enseignements et la propagande du "Homintern".[lvi]

            Ni l’État ni l’Église ne peuvent supporter d’ignorer la présence du vice dans leur sein. La classe supérieure Britannique a eu des défaillances vis à vis de la violation de la loi morale sur l’homosexualité et a payé le prix fort pour sa faiblesse. De même l’Église ne peut être indifférente au vice dans les rangs de la prêtrise et s’attendre à rester indemne des conséquences de ses actes.

            Les exploits perfides des espions de Cambridge amenèrent une hémorragie massive de renseignement vers les Soviétiques et des dommages immenses aux intérêts nationaux Britanniques. Les exploits perfides des pédérastes et homosexuels cléricaux dans l’Église se sont traduits par une hémorragie massive de confiance envers l’Église et un sentiment de trahison dans les coeurs de chaque laïque ou prêtre Catholique fidèle.

            Mais encore plus nuisible que les actes immondes d’une poignée de mécréants dans la prêtrise et la vie religieuse, fut la dissimulation de ces traîtres à la Foi par la hiérarchie Américaine comprenant elle-même de ces traîtres dans ses rangs. De même que le traître laïc, l’évêque homosexuel pédéraste devrait être condamné comme un paria moral par ses collègues évêques et méprisés et ostracisés par eux. En dernier lieu, le Vatican devrait retirer à l’évêque coupable toute position d’autorité, lequel serait défroqué et réduit à l’état laïc.

            Dame Rebecca West commentant les sentiments généralement associés aux traîtres comme les espions de Cambridge notait que "Tout le monde savait qu’ils étaient Communistes, mais très peu de gens le croyaient vraiment", disait-elle. Pour beaucoup, continue West, "Le Communisme est comme un rêve, quelque chose dont vous pouvez vous souvenir... un trait d’une région vulgaire du monde de l’imagination... et dont il paraît ridicule  de penser à lui comme à une vraie menace". "Maintenant, même les médias et les journaux, avec la relation quotidienne de l’affaire Burgess et Maclean, ont réalisé que ce complot international du Communisme, aussi réel que les accidents de chemin de fer qu’ils relatent, était bien plus dangereux pour la nation", concluait-elle.[lvii]

            De même, de nos jours, pratiquement tout le monde dans l’Église Catholique sait qu’il y a des pédérastes homosexuels dans la prêtrise, les communautés religieuses, la hiérarchie du pays et au Vatican, malgré tout très peu de gens le croient réellement. Ce n’est que lorsque les médias laïcs commencèrent à exposer des affaires judiciaires concrètes sur des abus sexuels commis par des clercs Catholiques que des Catholiques commencèrent à réaliser la menace réelle contre la Foi et les fidèles constituée par le "Homintern" clérical. Tout n’est peut-être pas perdu, cependant, si, pour paraphraser Dame West, les dirigeants de l’Église ont la volonté de d’échanger leurs humiliations et leur fierté blessée contre "un peu de la très souhaitable sagesse".[lviii]

Les Espions de Cambridge et la Vatican Connection

            La meilleure approche de la connexion du Vatican avec les espions de Cambridge se fait indirectement à travers le personnage central du DR Stephen Ward, qui a déjà été présenté au lecteur à propos de l’Affaire Profumo. Durant plus d’une décade, Ward fut le courtier en sexe d’un grand nombre de membres riches et influents de l’Establishment Britannique. Il fournissait également des call grils de grande classe pour les Services de Renseignements Britanniques, certaines étant utilisées dans divers montages de pièges amoureux pour répondre aux besoins sexuels de dignitaires en visite.[lix]

            Ward, comme on peut le deviner, n’était pas le proxénète classique cherchant l’argent. Rebecca West le décrit comme un bouffon de cour qui prenait un plaisir indirect comme entremetteur hétérosexuel pour ses clients de haute volée dont il habitait les maisons – plus particulièrement Cliveden, la fameuse propriété Anglaise du Buckinghamshire des Anglo-américains Astors qui était un lieu de réunion exclusif pour les individus riches et bien introduits – politiciens, diplomates, analystes politiques et leurs semblables. La relation de John Profumo et de Christine Keeler, une création de Ward, commença à la piscine de Cliveden, et les Renseignements Britanniques utilisaient quelquefois la résidence des Astor pour recevoir des hôtes étrangers.[lx]

            Homme aux talents variés, Ward était par profession un ostéopathe prospère formé en Amérique, un remarquable joueur de bridge et un portraitiste professionnel dont les clients comprenaient des membres de la famille Royale. Il attirait un grand nombre de patients de la classe supérieure à son bureau des quartiers résidentiels de Cavendish, comprenant des membres de la famille Churchill et d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement et similaires, des truands du vice bien connus et des célébrités internationales. Ward était également connu pour pratiquer en plus des avortements.[lxi] Son quatrième talent était le proxénétisme et l’organisation de parties fines exclusives qui recevaient la sophistiquée et sadomasochiste communauté occulte de Londres.[lxii] Parmi les amis proches de Ward se trouvait Bill Astor, l’aîné des quatre garçons Astor, et l’un des riches et puissants patrons de Ward qui avait des goûts sexuels peu conventionnels. Un aspect moins connu  du monde quasi secret de Ward était ses relations avec les réseaux homosexuels et lesbiens de la classe supérieure de Londres qui comprenaient d’importants diplomates et religieux, des fonctionnaires de Whitehall, et des membres des cercles littéraires et artistiques de Oxbridge et Londres.

            Une des liaisons les plus intimes de Ward était Bobbie Shaw, demi frère de Bill Astor d’un premier mariage de sa mère Nancy. Homosexuel actif et alcoolique, l’élégant et charmant Bobbie avait été honteusement chassé des Blues, les Horse Guards Royaux, pour ivresse en service et fut plus tard arrêté et emprisonné pour délit homosexuel. Il mit fit lui-même à ses jours.[lxiii]

            Parmi les diplomates homosexuels Britanniques en vue et les fonctionnaires avec lesquels fricotait Ward se trouvait Sir John Gilbert Laithwaite, le premier Ambassadeur du Royaume Uni auprès de l’Irlande et Sous Secrétaire d’État Délégué au Bureau de Relations du Commonwealth pour l’Inde.

            Laithwaite était un membre en vue de l’élite du Traveler’s Club qui traitait les voyageurs distingués et où la fine fleur des homosexuels de Londres partageaient les boissons, les idées et les potins.[lxiv] Sir Gilbert entretenait des relations homosexuelles avec de nombreux fonctionnaires du Foreign Office dispersés autour du monde comme diplomates haut placés. Comme Bobbie Shaw, il était redevable à Ward qui l’avait présenté à de jeunes partenaires homosexuels qui étaient amenés à Cliveden.

            Ward était aussi en amitié avec le dynamique trio de Cambridge de Guy Burgess, Antony Blunt et Peter Montgomery, le jeune amant et le plus proche ami et confident de Blunt.

            Peter Montgomery était né en 1909 dans une distinguée famille Irlandaise ayant des liens importants avec l’Ordre Protestant d’Orange et une grande propriété à Blessingbourne, Fivemiletown en Irlande du Nord.[lxv] Comme beaucoup de gentlemen Irlandais de la classe supérieure, il était un produit du système scolaire Anglais qui comprenait le Wellington College et Cambridge. Élégant et assez timide jeune homme avec une apparence féminine, Montgomery, avec ses goûts artistiques demeura le partenaire soumis et adorateur de Blunt tout au long de leur courte romance et de leur longue amitié.

            Au début de la Seconde Guerre Mondiale, à l’étonnement de tous ses amis, Peter décida de suivre la tradition de la famille Montgomery et embrassa la carrière militaire au Royal Intelligence Corps, 21ième Army Group.[lxvi] En 1945, il fut fait aide de camp d’Archibald Percival Wavell, le Vice-roi et Gouverneur Général des Indes.[lxvii]

            Après la fin de la guerre, Peter retourna à ses premières amours, art et musique, et politique Irlandaise.

            Musicien talentueux et chef d’orchestre naturel accompli, il fut nommé au Conseil Général Consultatif de la BBC (1952-1971) et devint Président du Conseil des Arts de l’Irlande du Nord où il officia de 1964 à 1974. En 1964 il fut fait High Sheriff du Comté de Tyrone et plus tard, Vice Lieutenant de Sa Majesté pour le Comté de Tyrone.[lxviii]

            Bien que dans ses dernières années, Peter Montgomery fut rapporté avoir dit aux Renseignements Britanniques, qui enquêtait sur les relations Soviétiques de Blunt, qu’il n’avait jamais reçu de secrets de la part d’Anthony, la question reste posée de savoir s’il a jamais partagé des informations secrètes, sciemment ou inconsciemment, avec Blunt alors qu’il était militaire.

            À Londres, Peter résidait avec  Anthony à l’Institut Courtauld et fut introduit dans les relations Royales de Blunt à Buckingham et Westminster et auprès des jeunes "gay"  invités des parties de Blunt.[lxix]

            En échange, Blunt visita occasionnellement Peter dans la propriété de famille d’Irlande du Nord où l’espion de Cambridge fut introduit dans le circuit homosexuel des "maisons de campagne" Irlandaises.[lxx] Il est possible qu’on ait fourni à Peter et Anthony de jeunes garçons Irlandais des orphelinats locaux ou des centres d’assistance sociale comme le Kincora Boys’ Hostel à Belfast Est. En 1980, le scandale pédéraste de Kincora éclata dans les journaux.[lxxi] Le "patriarche" de l’orphelinat, William McGrath, surnommé "La Bête de Kincora", fut arrêté, jugé et condamné pour viol et sodomie sur mineurs sous sa garde. Un des noirs secrets qui apparut à la lumière durant le procès fut que McGrath, qui avait servi comme agent secret du MI5 et était actif dans les aventures paramilitaires de l’Ulster, avait été financé jusqu’à la mi-1976 par nul autre que Sir Knox Cunningham, ami commun de Blunt et Peter Montgomery et camarade homosexuel depuis Cambridge.[lxxii]

Hugh Montgomery et Battista Montini

            Ce qui est peu connu à propos de Hugh Montgomery, le frère de Peter, nous est largement parvenu par l’écrivain Irlandais Robin Bryans qui, bien que lui-même d’origine modeste, fit par la suite partie de la clique homosexuelle Londonienne qui incluait tous les personnages mentionnés plus haut. Dans leur ensemble, les observations et les souvenirs de Bryans se sont avérés relativement exacts et il a conservé une correspondance importante pour étayer ses mémoires.

            Selon Bryans, Hugh Montgomery, comme son frère Peter, était un membre de la clique homosexuelle de Ward. L’ancien amant de Hugh était Sir Gilbert Laithwaite qui appuya sa candidature dans l’élitiste Traveler’s Club.

            Au milieu des années 30, Hugh Montgomery, jeune et futur membre du corps diplomatique Britannique,  servait de Chargé d’Affaires de Sir Alec Randall, le représentant Britannique auprès du Vatican. Ce fut à cette époque que Hugh rencontra un diplomate du Vatican aussi ambitieux et plein d’avenir ayant pour nom Mgr Giovanni Battista Montini. Plus tard, Hugh se converti au Catholicisme, entra au Beta College et fut ordonné prêtre Catholique. Harbinson déclarait que Hugh lui avait dit qu’à un moment lui et Montini avaient été amants.[lxxiii]

            Hugh Montgomery disait-il la vérité sur sa relation avec le futur Pape Paul VI ou exagérait-il le degré d’intimité de leur amitié ? Hugh discuta-t-il de cette affaire présumée à l'égard de Montini avec son frère Peter ? Dans ce cas, Peter avait-il transmis l’histoire à son amant Anthony Blunt, qui, sans aucun doute, aurait transmis l’information à son contrôleur Soviétique pour un possible chantage ? En bref, y a-t-il un lien entre le réseau d’espions de Cambridge et le Vatican ? Ce sont des questions importantes autant que mystérieuses qui seront pleinement étudiées au Chapitre V qui comprend une analyse détaillée des accusations d’homosexualité qui ont été dirigées contre le Pape Paul VI.       

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[1] Claire Sterling, Octopus : The Long Reach of the Sicilian Mafia (New York : W.W. Norton an d Co., 1990), p. 314.

[2] John Costello, Mask of Treachery – The First Documented Dossier on Blunt, MI5, and Soviet Subversion (London : William Collins Sons & Co. Ltd, 1988), p. 8.

[3] Rueda, p. 249 et 250.

[4] Martin Dies, The Trojan Horse in America (le cheval de Troie en Amérique) (New York : Arno Press, 1977 ; réédition, New York : Dodd, Mead and Company, 1940), p. 224. La note finale paraphrase le commentaire classique de Dies : « Les ennemis intérieurs d’un pays constituent un plus grave danger que toute force étrangère : ils représentent la trahison de l’intérieur aidée par l’invasion de l’extérieur. »

[5] Radosh and Milton, Introduction.

[6] Alexander Orlov, Handbook of Intelligence and Guerrilla Warfare (Ann Arbor, Mich. : University of Michigan Press, 1963), p. 25. Avant la deuxième Guerre mondiale, Orlov était un des chefs des services soviétiques d’espionnage et de contre-espionnage. Après être passé à l’Ouest, il donna de nombreux cours sur les tactiques et la stratégie soviétiques de renseignement et de contre-espionnage. En 1936, il avait écrit un manuel destiné à être utilisé dans les écoles que le NKVD venait d’ouvrir à l’usage de ses agents secrets, ainsi qu’à l’École militaire centrale de Moscou. En 1963, il fut chargé de récrire ce manuel par l’Université du Michigan d’Ann Arbor.

[7] Ibid., p. 94

[8] Ibid., p. 95.

[9] Ibid.

[10] Victor Ostrovsky and Claire Hoy, By Way of Deception – The Making and Unmaking of a Mossad Officer (Comment faire et défaire par la tromperie un agent du Mossad) (New York : St. Martin’s Press, 1990), p. 98.

[11] Ibid.

[12] H. Bradford Westerfield, ed., Inside CIA’s Private World – Declassified Articles from the Agency’s International Journal 1955-1992 (New Haven : Yale University Press, 1995), p. 79 et 80.

[13] Ibid., p. 80.

[14] Ibid., p. 75.

[15] Ibid.

[16] Déclaration de Klaus Fuchs, l’espion de la bombe atomique, rapportée dans l’ouvrage de William Stevenson ayant pour titre Intrepid’s Last Case (New York : Villard Books, Random House, Inc., 1983). Voir aussi Radosh and Milton, p. 30. La compartimentation est le signe distinctif de l’espion comme de l’homosexuel. Klaus Fuchs, l’espion de la bombe atomique, a déclaré qu’il se servait de sa « philosophie marxiste pour établir dans mon esprit deux compartiments séparés : l’un dans lequel je me permettais de nouer des amitiés […] pour aider les gens et pour être à tous égards le genre d’homme que je voulais être […] Je savais que l’autre compartiment ferait surface si j’approchais du seuil dangereux […] J’avais réussi, dans l’autlre compartiment, à me rendre entièrement indépendant des forces sociales environnantes. A posteriori, il semble préférable de décrire cela comme de la schizophrénie contrôlée ». De même, Harry Gold (Golodnitsky), diplômé de la Xavier University et agent de l’Union Soviétique convaincu d’espionnage industriel et atomique aux Etats-Unis, a témoigné que pour supporter les terribles tensions et inconvénients inhérents à la vie d’agent communiste, il avait développé une double personnalité. Il a déclaré que lorsqu’il partait en mission d’espionnage, il oubliait entièrement sa vie ordinaire, son foyer, sa famille, son travail et ses amis pour devenir un automate mû par une seule idée. Puis, lorsqu’il rentrait chez lui, il enclenchait mentalement la marche arrière et enfouissait dans son esprit tout ce qu’il avait faite cette nuit-là ou au cours de cette mission-là.

[17] Westerfields, p. 75.

[18] Ibid., p. 80.

[19] Ib id., p. 75.

[20] Zvi Y. Gitelman, Jewish Nationality and Soviet Politics – the Jewish Section of the CPSU, 1917-1930 (Princeton, N.J. : Princeton Press, 1972), p. 172. L’auteur a mené ses recherches sous les auspices de l’Institut des affaires communistes de l’Université de Columbia. Voir aussi Louis Rapoport, Stalin’s War Against the Jews (New York : Maxwell Macmillan International, 1990).

[21] Ibid.

[22] Ibid.

[23] Ibid.

[24] Ibid., p. 118.

[25] Radosh and Milton, p. 23 à 25.

[26] Ibid., p. 338 et 339.

[27] Rueda, p. 127.

[28] William R. Corson and Robert T. Crowley, The New KGB – Engine of Soviet Power (New York : William Morrow and Co., 1985), p. 14.

[29] Bray, p. 19.

[30] Voir Andrew Boyle, The Fourth Man (New York : Dial Press/James Wade, 1979), p. 221.

[31] John Barron, KGB The Secret Work of Soviet Agents (New York : Reader’s Digest Press, E.P. Dutton & Co., 1974), p. 207. Voir le chapitre X, « Treasures from the Vault », où est racontée une extraordinaire histoire d’espionnage.

[32] Gerard J.M. van den Aardweg, Ph.D., The Battle for Normality – A Guide for (Self-) Therapy for Homosexuality (La lutte pour la normalité – Guide (auto-)thérapeutique pour l’homosexualité) (San Francisco : Ignatius Press, 1997), p. 68 et 69.

[49] Ibid., p. 69.

[34] Deacon, The French Secret Service, p. 17.

[35] Ibid., p. 17 à 20.

[36] David Lewis, Sexpionage – The Exploitation of Sex by Soviet Intelligence (New York, London : Harcourt, Brace, Jovanovich, 1976), p. 25.

[37] Chapman Pincher, Inside Story (New York : Stein and Day, 1979), p. 28.

[38] On trouvera une excellente analyse des purges massives de Staline dans l’ouvrage de Robert Conquest intitulé The Great Terror – A Reassessment (New York : Oxford University Press, 1990).

[39] Philip Knightley, Bruce Page, David Leitch, The Philby Conspiracy (Garden City, New York : Doubleday & Co., 1968), p. 14.

[40] Ibid.

[41] Ibid.

[42] Pour une analyse nouvelle et naïve des origines de la deuxième Guerre mondiale, voir l’ouvrage d’Ernst Topitsch intitulé Stalin’s War (New York : St. Martin’s Press, 1985).

[43] Orlov, p. 15.

[44] Ibid., p. 17.

[45] Ibid., p. 15.

[46] Ibid.

[47] Costello, p. 216.

[48] Le laxisme des services secrets britanniques vis-à-vis de la présence d’homosexuels notoires à des postes sensibles du gouvernement ou de ces mêmes services est évoqué dans l’ouvrage d’Andrew Hodges intitulé « The Military Use of Alan Turing », que l’on peut consulter à l’adresse Internet http://www.turing.org.uk/publications/mathswar3.html.

[49] West, p. 172.

[50] Ibid.

[51] Ibid., p. 103.

[52] Ibid., p. 142.

[53] Ibid., p. 173.

[54] Lewis, p. 44 et 45.

[55] Ibid., p. 36.

[56] Ibid.

[57] Ibid., p. 56.

[58] Ibid.

[59] Jamie Glazov, « A Homosexuel and Naïve Canadian Ambassador to Moscow : A serious No-No in the Cold War », FrontPageMagazine.com, July 25, 2001, à l’adresse Internet http://www.frontpagemag.com/Articles/Printable.asp?ID=993.

[60] Ibid.

[61] Ibid.

[62] West, p. 216.

[63] Lewis, p. 4 et 5.

[64] Voir John Earl Haynes et Harvey Klehr, VENONA : Decoding Soviet Espionage in America (New Haven, Conn. : Yale University Press, 1999). Pour plus d’informations sur l’infiltration soviétique de l’OSS, voir également l’adresse Internet http://members.iglou.com/jtmajor/Venona1.htm.

[65] L’OSS a formé une grande partie de ceux qui deviendraient les premiers membres et dirigeants de la CIA, parmi lesquels Allen Dulles, Richard Helms, William Colby et William Casey. James Jesus Angleton, Chef du service de contre-espionnage de la CIA, avait commencé sa carrière d’espion au sein de l’OSS en travaillant avec son père en Italie. Dans The CIA and the Cult of Intelligence (La CIA et la religion du renseignement) (New York : Alfred A. Knopf, 1974), Victor Marchetti et John D. Marks décrivent en ces termes le « club de vieux copains » qu’était la CIA : « Ses saints sont les professionnels de la clandestinité. Ses patrons et protecteurs sont les hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral. Sa composition dépasse les cercles gouvernementaux, puisqu’elle s’étend jusqu’aux centres de pouvoir de l’industrie, du commerce, de la finance et du travail. Ses amis sont nombreux dans les milieux importants : le monde universitaire et les moyens de communications. La religion du renseignement est pratiquée par une fraternité secrète de l’aristocratie politique américaine ». Les liens étroits qui existent entre la CIA et l’Eastern Establishment (lequel collabore de très près avec les groupes de la droite « conservatrice ») apparaissent dans le procès-verbal d’une réunion privée entre membres en activité et anciens membres de la CIA qui eut lieu le 8 janvier 1969 à la Harold Press House, siège du quasi secret Council on Foreign Relations (Conseil sur les relations extérieures). La réunion en question avait pour objet d’examiner le rôle de la CIA dans les « opérations clandestines » menées à l’étranger. Il est significatif qu’elle n’ait pas eu lieu au siège officiel de la CIA, qui se trouve à Langley (Virginie). À cette réunion de très haut niveau participaient presque uniquement des personnalités de l’« Establishment » « WASPs » (« white, Anglo-Saxon protestants » : protestants blancs et anglo-saxons), ce qui est typique du recrutement des hiérarques de la CIA depuis la création de cette dernière en 1947. Le procès-verbal confidentiel des réunions de 1968 a été découvert en 1971, lorsque des étudiants extrémistes mirent à sac le Centre des affaires internationales de l’Université de Harvard et y trouvèrent ce document parmi les papiers de William Harris, associé du Centre.

[66] Corson and Crowley, p. 193. Voir aussi Christopher Andrew et Vasili Mitrikhin, The Sword and the Shield – The Mitrokhin Archive and the Secret History of the KGB (New York : Basic Books, 1999), p. 57.

[67] Il est vrai que le GRU entretenait en Grande-Bretagne plusieurs autres cercles d’espionnage indépendants. Mais tous, y compris celui d’Oxford, étaient dépourvus du moteur clandestin – les « Apôtres » – qui faisait tourner le manège de Cambridge et assurait un accès automatique aux arcanes du pouvoir, de même qu’un avancement rapide jusqu’au sommet de l’échelle dans le service de renseignement et le gouvernement. Parmi les membres du cercle d’espions soviétiques d’Oxford figuraient les individus suivants : Patrick Day ; Phoebe Pool, messagère du cercle d’Oxford et collègue de Blunt au Courtauld Institute, qui devait se suicider en se jetant sous un train ; Peter Floud, directeur du Victoria and Albert Museum ; Bernard Floud, parlementaire chevronné qui fut recruté par James Klugman et devait se suicider en 1967 ; Herbert Hart, qui épousa un agent communiste (Jennifer Hart) et qui partageait son bureau au MI5 avec Blunt ; Sir Andrew Cohen, diplomate de premier plan qui mourut d’une crise cardiaque au terme d’un interrogatoire sur ses activités de renseignement ; enfin, Arthur Wynn, qui joua un rôle actif dans les milieux syndicaux et accomplit son service militaire, ainsi que Sir Peter Chalmers Mitchell, du Christ Church College. VENONA révéla sussi les noms de code d’autres espions britanniques – DAN, LEAF, JACK – et de la mystérieuse équipe DAVID and ROSA, ce qui laissait entendre qu’il existait, travaillant pour l’URSS, un réseau d’espions britanniques plus vaste qu’on ne le soupçonnait auparavant. Voir à l’adresse Internet http://www.trinity.ox.ac.uk/ian.yeung/spy.htm. Goronway Rees, membre du collège All Souls et diplômé d’Oxford, était un ami intime de Blunt et un marxiste avéré, mais il n’accepta pas la proposition de Blunt de devenir un agent soviétique. Costello révèle du reste qu’après 1939, Rees aida les services de renseignement britannique. En 1956, Rees écrivit pour The Sunday People une sensationnelle série d’articles anonymes dans lesquels il soulignait que le chantage et l’homosexualité avaient contribué à la forte infiltration marxiste du système de sécurité britannique. Selon Rees, Blunt jouait un rôle d’éminence gris auprès de Burgess et d’autres disciples, dont la plupart faisaient partie des « Apôtres », et il manipulait ses amis par le biais du barbouze Burgess. Parmi les avantages que Cambridge possédait sur Oxford en matière de recrutement de haut niveau figuraient évidemment les « Apôtres ». En outre, Cambridge pouvait compter sur son laboratoire Cavendish, un des principaux centres de recherche du monde dans le domaine de la physique. En 1921, Staline expédia à Cambridge le savant russe Piotr Kapitza. Celui-ci y fonda le Kapitza Club, qui encourageait le « partage » des découvertes scientifiques par-delà les divergences idéologiques. Lorsque Kapitza reçut de Staline l’ordre de rentrer à Moscou, il emporta avec lui tous ses équipements de Cavendish – y compris les horloges et autres installations – qui furent emballés et expédiés par bateau vers son nouveau laboratoire soviétique. Les informations communiquées par les espions soviétiques en poste en Grande-Bretgagne et aux Etats-Unis font pâle figure auprès du « volumineux matériel collecté au vu et su de tous au Kapitza Club », souligne Andrew Sinclair. Stephen Spender convient que « ces scientifiques communistes ont été victimes de l’aveuglement moral particulier qui caractérisait depuis longtemps la science, mais qu’on ne saurait excuser en aucun cas ».

[68] George Orwell, The Lion and the Unicorn : Socialism and the English Genius, Part I, « England Your England » (London, 1941), que l’on peut consulter à l’adresse Internet http://www.k-l-com/Orwell.lion.htm.

[69] Richard Deacon, The Cambridge Apostles (New York : Farrar, Straus & Giroux, 1986), p. 1. Malgré l’excellence de ses recherches sur les « Apôtres » en tant que groupe, Deacon professe par ailleurs des opinions politiques peu objectives. Par exemple, il parle de la « campagne anticommuniste virulente et ridicule » du sénateur Joseph McCarthy, alors qu’en réalité, les accusations de McCarthy étaient tout sauf ridicules, ainsi que l’ont confirmé les révélations de VENONA. Voir aussi Dennis O’Keefe, « Cambridge, Right or Wrong », article paru dans le numéro de mai 1987 de la revue World and I et pouvant être consulté à l’adresse Internet http://www.worldlandi.com/public/1987/may/bk5.cfm.

[70] Robert Skidelsky, John Maynard Keynes, Vol. I, « Hopes Betrayed 1883-1920 » (Espoirs trahis entre 1883 et 1920) (New York : Viking Penguin, Inc., 1986), p. 39 et 144.

[71] Deacon, p. 3.

[72] Deacon, p. 40.

[73] Ibid. p. 55.

[74] Andrew Sinclair, The Red and the Blue – Cambridge, Treason and Intelligence (Boston : Little, Brown and Company, 1986), p. 39 et 144.

[75] Skidelsky, p. 119.

[76] Costello, p. 143.

[77] Michael Holroyd, Lytton Strachey – The Unknown Years 1880-1910, Vol. I (New York : Holt, Rinehart and Winston, 1967), p. 167.

[78] Ibid.

[79] John Maynard Keynes (1883-1946) étudia à Eton et au King’s College de Cambridge. Comme l’a signalé son principal biographe, Robert Skidelsky, Keynes fut initié en février 1903 dans la société des « Apôtres » sous le numéro 243. Pendant une grande partie de sa vie de jeune adulte, Keynes, comme étudiant et universitaire, mena une existence très compartimentée entre sa vie privéE et sa vie professionnelle publique. Skidelsky souligne que pendant ses années à l’Université, Keynes eut de nombreuses aventures homosexuelles, y compris des rendez-vous crapuleux, dont un au moins qui dégénéra en une affaire de chantage. Parmi ses « grandes amours » figurait un bizut de Trinity du nom d’Arthur Hobhouse, que Keynes introduisit ensuite dans la société. Après la première Guerre mondiale, Keynes joua un rôle déterminant à la Conférence de paix de Versailles. Au cours de sa vie, il occupa de nombreux postes économiques clés au gouvernement et devint président de la National Mutual Life Assurance Society, qui « le plaça au centre de l’oligarchie financière de l’Angleterre ». Giles Lytton Strachey (1880-1932) était un rival sexuel de Maynard Keynes. Selon son biographe, Michael Holroyd, Strachey était un enfant intelligent, mais maladif et nerveux. Il devint l’un des homosexuels les plus notoires du Trinity College. De 1904 à 1914, il tint la rubrique littéraire du magazine The Spectator, mais son principal écrit fut Eminent Victorians, publié en 1918 et qui allait devenir un classique. L’artiste Dora Carrington tomba amoureuse de Strachey, qui ne lui rendit pas, et s’occupa de lui jusqu’à sa mort, bien qu’elle fût mariée à Ralph Partridge. Le 14 mars 1932, sept semaines après le décès de Lytton, elle mit fin à ses jours. Carrington était une de ces femmes que les homosexuels appellent aujourd’hui des « filles à pédés » (NdT : l’anglais est beaucoup plus offensant : « fag hags », soit  harpies, sorcières à pédés…), c’est-à-dire des femmes qui nouent une relation à sens unique avec des homosexuels connus. Duncan James Corrower Grant (1885-1978), membre éminent du mouvement des peintres post-impressionnistes anglais, était un partenaire sexuel très recherché parmi les « Apôtres » comme parmi les Bloomberry. Il est né le 21 janvier 1885 au sein d’une excellente famille écossaise, dans la maison ancestrale du comté d’Inverness. Ayant déjà voyagé en Inde et en Birmanie avant l’âge de neuf ans, il fit ses études à l’École primaire Hillbrow de Rugby, puis à la l’École des beaux-arts de Westminster, et enfin au Trinity College de Cambridge. Il avait pour cousin Lytton Strachey. Selon son biographe, Douglas Blair Turnbaugh, le « grand amour » de sa vie fut Paul Roche, que Grant rencontra lorsque Roche venait d’être ordonné prêtre de l’Église catholique et nommé vicaire dans une paroisse de Chelsea. Grant aima aussi Vanessa Stephen Bell, qui resta sa confidente pendant plus de cinquante ans et avec qui il eut une fille, Angelica (Bell). Il mourut à l’âge de quatre-vingt-treize ans et fut enterré auprès de Vanessa dans le petit cimetière paroissial de Firle. David « Bunny » Garnett, qui était un des partenaires de Grant, épousa Angelica Bell en 1942. Une personnalité importante, mais plus marginale de la mouvance Bloomsburry était l’écrivain Edward Morgan (E.M.) Forster (1879-1970). Il est né à Dorset Square, Londres, de parents appartenant à la classe moyenne. Son père mourut alors qu’il avait un an, et il grandit dans un foyer dominé par les femmes. Il fut pensionnaire à Tonbridge Wells, ce qu’il trouva détestable. En 1897, il s’inscrivit au King’s College de Cambridge, ce qui lui plut beaucoup. Devenu « Apôtre » avec l’aide d’un autre étudiant de licence, H.O. Meredith, il fut un homosexuel déclaré. Bien qu’il eût de nettes faiblesses pour les garçons des classes inférieures, il ne confondit jamais « l’amour individuel des hommes et l’amour des masses » ; autrement dit, ce n’était pas un marxiste. Ses ouvrages les plus marquants furent A Room With a View, Howards End et A Passage to India. L’un des protégés de Forster fut le jeune écrivain et dramaturge Joseph Randolph (J.R.) Ackerly (1896-1967), qui étudiait le droit à Cambridge lorsque les deux jeunes gens firent connaissance. L’autobiographie posthume d’Ackerly – My Father and Myself (New York : Poseidon Press, 1968) offre quelques-uns des aperçus les plus mémorables jamais publiés sur la promiscuité homosexuelle. Ackerly y écrit que ses activités masturbatoires solitaires et collectives ont commencé à l’école primaire de Rossall et se sont poursuivies tout au long de ses études secondaires dans le Lancashire. Sa vie sexuelle ultérieure à Cambridge, puis ailleurs encore l’amena à fréquenter sexuellement des centaines de jeunes ouvriers et de soldats. Assez curieusement, Ackerly se disait monogame et de mœurs légères, non sans ajouter qu’il avait seulement eu « une malchance tenace… » l’empêchant de trouver son « ami idéal ». Dans ses relations avec des Horse Guards, qui, à l’en croire, étaient portés au vol et à la violence contre les « tapettes », les « travelos » et les « tantes » comme lui, l’écrivain souligne qu’il choisissait délibérément des garçons « sans beaucoup de caractère » ou même « sans caractère du tout ». Au milieu des années trente, il avait commencé à tenir un journal de ses errances nocturnes, mais c’était si ennuyeux qu’il renonça à y écrire au sujet de ces individus. Il signale qu’une quinzaine d’années après, il tomba par hasard sur ce journal et le perçut « comme quelque chose de mal ». « Le mal était dans la misère », précise-t-il. « Il ne contenait aucune trace de plaisir ou de joie, aucune réflexion philosophique, pas même une plaisanterie ; c’était un récit empli de mélancolie et d’abattement sans remède, de monotonie mortelle, de frustration, de solitude, d’auto-appitoiement, de “bonnes fortunes” suant l’ennui, de chances merveilleuses étouffées par la peur, de verrous tournés nuit après nuit pour rentrer dans un appartement froid, sombre et vide, d’emportements contre le sort pour la vacuité et la totale médiocrité de mon existence. Il contenait – chose la plus navrante de toutes – des remarques critiques sur ma première rencontre avec ce garçon gallois aujourd’hui disparu, son manque d’intérêt et ses pieds qui sentaient mauvais ». Le bonheur arriva à Ackerly sous la forme d’une chienne berger allemand répondant au nom de Tulip. Elle lui donna, dit-il, « la dévotion constante, sincère, incorruptible, inconditionnelle » que sa vie sexuelle ne lui avait jamais fait connaître. En définitive, son « ami idéal » se révéla être « le meilleur ami de l’homme ». Ackerly n’abandonna cependant pas entièrement sa vie homosexuelle et continua de rechercher les occasions de rencontre, notamment lorsqu’il se rendait à l’étranger.

[80] Les autres membres du groupe Bloomsbury étaient : Clive Bell (1881-1964),  propriétaire terrien millionnaire, diplômé du Trinity College et critique d’art, qui écrivait dans le New Stateman and Nation et qui épousa Vanessa Stephen  en 1907; Leonard Woolf (1880-1969), diplômé du Trinity College et fonctionnaire à Ceylan, qui épousa Virginia Stephen ; Saxon Sydney-Turrner (1886-1934), diplômé du Trinity College, « Apôtre » et longtemps fonctionnaire au ministère des Finances britannique ; Roger Fry (1866-1934), diplomé du King’s College, éminent critique d’art et amant de Vanessa Stephen ; enfin, le journaliste et rédacteur en chef Desmond MacCarthy (1877-1952) et son épouse Molly. MacCarthy fit ses études au Trinity College et fut membre des « Apôtres ». C’était un ami intime du philosophe George Edward (G.E.) Moore (1873-1958), dont l’ouvrage révolutionnaire Principia Ethica (1903) eut une grande influence sur le groupe Bloomsbury. Moore fut un étudiant de l’«Apôtre »  Bertrand Russell.

[81] Skidelsky, p. 329.

[82] Ibid., p. 193. Skideslky rapporte que selon Strachey, Keynes a conservé un carnet de rendez-vous excessivement pornographique sur les aventures homosexuelles qu’il avait eues pendant ses années aux King’s College de Cambridge. Cependant, pour se faire un idée du nouvel amour de Keynes, voir – chez Polly Hill et Richard Keynes éd. – Lydia and Maynard – The Letters of John Maynard Keynes and Lydia Lopokova (New York : Charles Scribner’s Sons, NY, 1989). Il semble à l’auteur de ces lignes qu’aucune personne de bonne volonté et d’intelligence normale qui lit la délicieuse correspondance et les lettres d’amour échangées par Keynes et sa future épouse entre 1918 et 1925 ne peut soutenir que les homosexuels soient incapables de changer l’objet de leurs désirs.

[83] Sinclair, p. 189.

[84] Ibid.

[85] Entre les auteurs ayant écrit sur le cercle d’espions de Cambridge, il y a toujours eu controverse quant à l’ordre de recrutement et à l’importance relative des cinq hommes – Anthony Blunt, Guy Burgess, Kim Philby et Donald Maclean, ainsi que le mystérieux « cinquième homme », au sujet duquel ont été formulées d’interminables suppositions. En ce qui me concerne, je préfère les énumérer par ordre de naissance, en commençant par Blunt, le plus âgé de ces traîtres, et en finissant par Donald Maclean, le plus jeune, mais en aucun cas le moindre des « Apôtres ».

[86] Costello, p. 145. Après avoir quitté le Trinity College, Alister Watson travailla pour le Radar and Signals Establishment de la Royal Navy, puis devint chef de la Station de détection et de recherche des sous-marins au Laboratoire de recherches de l’Amirauté, où il eut accès à de nombreux secrets ; il fut toutefois transféré ensuite à un poste moins sensible lorsque le MI5 découvrit ses convictions marxistes. Il ne devait jamais avouer ses forfaits. Voir, par Andrew Hodges, « The Military Use of Alan Turing », à l’adresse Internet http://www.turing.org.uk/publications/mathswar3.html. En 1965, Dennis Proctor était Secrétaire permanent au ministère des Carburants et de l’Électricité. En tant que haut fonctionnaire, il contribua à faire passer outre les recommandations du MI5 tendant à ce qu’Anthony Blunt fût exclu des services de renseignement britanniques en raison de ses accointances marxistes, qui s’étaient traduites notamment par un voyage en Union Soviétique. C’est là un exemple de la capacité qu’avaient les Soviétiques de placer l’homme qu’il fallait à l’endroit qu’il fallait et au moment qu’il fallait.

[87] Les informations biographiques sur les jeunes années de Blunt ont été puisées à plusieurs sources, dont Miranda Carter, Anthony Blunt, His Lives (New York : Farrar, Strauss and Giroux, 2002).

[88] Ibid., version en ligne.

[89] Ibid. Wilfrid Blunt s’est remémoré son enfance et les premiers émois homosexuels qu’il connut en tant que professeur dans Married in a Single Life – An Autobiography, Years 1901-1938 (London : Michael Russell Ltd., 1983). Contrairement à son frère Anthony, Wilfrid semble avoir eu un caractère simple et aimable, un sens développé de l’humour et une conscience droite (bien qu’agnostique). C’était un pédéraste partiellement sublimé qui est demeuré en quelque sorte un « innocent » tout au long de sa vie.

[90] Ibid. dans le système d’enseignement de Marlborough, les fils de clergymen ne payaient que 60% des droits versés par les enfants de laïcs.

[91] Costello, p. 60.

[92] Ibid., p. 66.

[93] Ibid., p. 77 et 78.

[94] Ibid., p. 77.

[95] Ibid., p. 130.

[96] Ibid., p. 86.

[97] Les commentaires de Bryan au sujet de Cunningham sont reproduits dans l’ouvrage de Chris Moore intitulé The Kincora Scandal (Dublin : Marino, 1996), p. 89.

[98] Ibid., p. 88 et 89..

[99] Julian, fils de Clive Bell, était un des amants de Blunt.

[100] Costello, p. 147.

[101] Voir David Pryce-Jones, « A complete moral void », recension critique de l’ouvrage de Miranda Carter Anthony Blunt : His Lives from The New Criterion Online, Vol. 20, n° 7, mars 2002, disponible à l’adresse Internet

http://www.newcriterion.com/archive/20/mar02/blunt.htm. Comme le signale Pryce-Jones, Carter ne critique pas la trahison de Blunt et aurait voulu pouvoir le faire « réhabiliter ».

[102] Ibid. Le fait que seuls Blunt, Burgess, Maclean et Philby ont été stipendiés pour leur trahison a été confirmé par Oleg Gordievsky, ancien agent résident du KGB à Londres et officier du KGB le plus élevé en grade à être passé à l’Ouest. Selon Gordievsky, il entrait dans ses tâches de tenir le registre des versements reçus par les espions de Cambridge.

[103] Ibid.

[104] Voir Dan Healy, Homosexual Desire in Revolutionarys Russia – The Regulation of Sexual and Gender Dissent (Chicago : University of Chicago Press, 2001), p. 185. Voir aussi Conquest, p. 317. En mars 1934, le Soviet Suprême officialisa cette purge en remettant en honneur les lois russes anti-sodomites à titre de « mesure d’hygiène sociale antifasciste » ayant pour but de réprimer les pédérastes qui « corrompaient » la jeunesse soviétique.

[105] En art comme en politique, la Révolution mondiale coûte cher, et les Warburg étaient assez riches pour la financer dans l’un et l’autre domaines. Aby Warburg (1866-1929) fonda en Allemagne l’Institut Warburg, qui fut transféré de Hambourg à Londres en 1934. Les frères d’Aby financèrent la Révolution mondiale sous sa forme nazie comme sous sa forme marxiste. Paul M. Warburg, partenaire de Kuhn, Loeb & Company et représentant de la dynastie bancaire des Rothschild en Angleterre et en France, aida à financer les bolcheviques russes, et son frère Max Warburg était à la tête du consortium bancaire Warburg en Allemagne et aux Pays-Bas. Voir à cet égard les chefs-d’œuvre d’Anthony Sutton Wall Street and the Bolshevik Revolution (Virginia : Arlington House, 1974) et Wall Street and the Rise of Hitler (Ill. : Bloomfield Boods, 1976).

[106] Voir Charles Saumarez Smith, « Scholar, gentleman, prig, spy », The Observer, 11 novembre 2001. Cette recension de la biographie de Blunt par Miranda Carter se trouve à l’adresse Unlimited Online

http://books.guardian.co.uk/whitbread2002/story/0,12605,842777,00.html.

[107] Costello, p. 369.

[108] Nigel West et Oleg Tsarev, The Crown Jewels – The British Secrets at the Heart of the KGB Archives (New Haven : Yale University Press,k 1998), p. 132.

[109] Ibid.

[110] Costello, p. 369.

[111] Ibid. p. 368.

[112] Ibid. Voir aussi Christopher Andrew, Her Majesty’s Secret Service – The Making of the British Intelligence Community (New York : Viking Press, 1986), p. 403.

[113] Andrew, p. 403.

[114] Ibid., p. 401.

[115] Chapman Pincher, Their Trade in Treachery, Revised ed. (New York : Bantam Books, Inc., 1982), p. 245.

[116] Pryce-Jones. Le mythe selon lequel Blunt, quoique corrompu dans son existence personnelle et sa vie d’espion, se serait montré honorable dans son rôle professionnel d’historien d’art et d’expertiseur d’œuvres d’art, est mis à mal par Igor Golomstock dans « The Forger and the Spy », Commentary, mai 1999, qui peut être consulté à l’adresse Internet

http://www.findarticles.com/cf_0/m1061/5_107/54561433/print.jhtml. Golomstock révèle qu’Eric Hebborn, peintre anglais de naissance, homosexuel et ancien amant d’Anthony Blunt, qui tenait sa propre galerie d’art à Rome, avait en sa possession plusieurs certificats d’authenticité émis par Blunt pour ses copies de chef-d’œuvre vendues dans de célèbres garleries d’art de par le monde. Lorsque son délit fut découvert et que furent révélées ses relations intimes avec l’espion soviétique, Hebborrn prétendit n’avoir jamais demandé à Blunt d’authentifier aucun des faux qu’il avait apportés d’Italie en Angleterre. Selon Golomstock, toutefois, il se trouve dans les mémoires d’Hebborrn plusieurs passages confirmant que Blunt a bel et bien joué un rôle important dans l’authenfication des faux du peintre. Hebborn est mort dans un hôpital romain en 1996 peu après avoir retrouvé dans un parc public de Rome, victime d’une violente attaque cérébrale. 

[117] Les remarques de Kim Philby sur le jeune Guy Burgess ont été rapportées par son épouse Rufina dans l’ouvrage de Rufina Philby, Hayden Peake et Mikhail Lyubimow intitulé The Private Life of Kim Philby (New York : Fromm International, 2000), p. 230 et 231.

[118] Contrairement aux autres traîtres de Cambridge, les premières données biographiques sur Burgess, y compris sa vie de famille et sa petite enfance, sont curieusement absentes du dossier concernant l’intéressé. L’auteur a trouvé certaines informations concernant le début de la vie de Burgess sur le site Internet de la famille Dwyer-Laye, à l’adresse http://www.geocities.com/layedwyer. Ce site a été créé par Patrick Paskiewicsz, qui enseigne l’anglais à l’institut Henry Ford d’Oakland, et dans les Schoolcraft Community Colleges.

[119] Yuri Modin, My 5 Cambridge Friends, Burgess, Maclean, Philby, Blunt dans Cairncross (New York : Farrar Strauss & Giroux, 1994), p. 72. Yuri Modin, superviseur KGB des espions de Cambridge – y compris Guy Burgess de 1947 à 1953 – confirme les détails concernant la visite de Guy à Moscou dans ses souvenirs sur les espions de Cambridge.

[120] Deacon, p. 119.

[121] Barrie Penrose et Simon Freeman, Conspiracy of Silence : The Secret Life of Anthony Blunt (New York : Farrar Strauss & Giroux, 1987), p. 319 et 320.

[122] Ibid.

[123] Costello, p. 203.

[124] Penrose and Freeman, p. 320.

[125] Ibid., p. 206.

[126] On trouvera un excellent portrait de Sir John Philby et de son fils dans l’ouvrage d’Anthony Cave Brown intitulé Treason in the Blood (La trahison dans le sang) (Boston : Houghton Mifflin Company, 1994). Voir également, par Phillip Knightley, Bruce Page et David Leitch, The Philby Conspiracy (Garden City ; N.Y. : Doubleday & Co., 1968) et, par Philip Knightley, The Master Spy – The Story of Kim Philby (New York : Alfred A. Kopf, 1989).

[127] Brown, p. 133.

[128] Ibid., p. 134 et 135.

[129] Ibid., p. 135.

[130] Ibid., p. 138.

[131] Ibid.

[132] Ibid., p. 140.

[133] Modin, p. 49.

[134] Ibid.

[135] Rufina Philby, Peake, et Lyubimov, p. 404.

[136] Ibid., p. 407.

[137] Voir le site Internet du clan à l’adresse http://www.electricscotland.com/webclans/m/maclean2.html.

[138] Les célèbres hommes de lettres homosexuels W.H. Auden et Christopher Interwood étaient d’anciens élèves de l’école Gresham.

[139] Voir Costello, p. 307. Voir aussi Rufina Philby, Peake, et Lyubimov, p. 406.

[140] Voir Dr. Diana M. Henderson, « Scots at War/Secret, War/Soviet Spies », qui peut être consulté à l’adresse Internet http://www.scotsatwar.org.uk/secret/soviet.html, Trust, Édimbourg, Écosse.

[141] Pryce-Jones. Le chiffre de 17.000 repose sur des informations extraites des archives soviétiques, mises depuis peu à la dispositon des chercheurs occidentaux. Burgess, Maclean et Cairncross auraient communiqué chacun trois fois ce chiffre à Moscou.

[142] Costello, p. 432 et 412.

[143] E. Michael Jones, « Homosexual as Subversive : The Double Life of Sir Anthony Blunt », Fidelity Magazine (mai 1988), p. 29.

[144] Costello, p. 432 et 412.

[145] Ibid., p. 606.

[146] Ibid., p. 407.

[147] Voici quelques-unes des diverses théories émises quant à la nature exacte de la mission royale de Blunt : 1. elle aurait consisté à récupérer certaines lettres intimes et gênantes émanant de membres de la famille royale ; 2. Blunt et le bibliothécaire royal du château de Windsor auraient été chargés de se rendre au vieux château de Kronberg en mai 1945 pour recevoir d’officiers de l’armée américaine qui y étaient stationnés deux caisses censées contenir des documents secrets, mais contenant en réalité des pierres précieuses ; 3. il aurait été ordonné aux deux hommes de récupérer des dossiers nazis concernant une éventuelle alliance secrète avec l’Allemagne et l’Angleterre contre Staline.

[148] Costello, p. 369 et 443 à 471.

[149] Ibid., p. 4.

[150] Ibid., p. 465.

[151] Ibid., p. 466.

[152] Voir Vivian Bird, « Homosexuality in Britain gets Increasing Acceptance » (L’homosexualité de plus en plus admise en Grande-Bretagne), Spotlight, 29 février 1988.

[153] Guy Liddell, directeur adjoint du MI5 chargé de la division « B », celle du contre-espionnage, menait une vie conjugale désastreuse lorsque Blunt en fit son ami. Comme Blunt, Liddell avait une parentèle aristocratique éloignée. Son père était, paraît-il, du genre militaire strict, et sa mère l’avait trop gâté. Selon John Costello, auteur spécialisé dans le renseignement, Liddell avait une vision négative de la société britannique. Ses amitiés « imprudentes » et sa « malheureuse » association en temps de guerre avec des homosexuels notoires faisaient de lui une denrée exploitable par les Soviétiques, souligne Costello. Étant donné, selon Costello, que les premiers résultats obtenus par Liddell au MI5 ont été émaillés de très nombreuses « anicroches » et irrégularités et que la pénétration par Moscou du contre-espionnage britannique a atteint son point culminant sous sa direction, de trois choses l’une : ou bien l’intéressé était affligé d’une « inconcevable malchance », ou bien il était « d’une incompétence confinant à la négligence criminelle », ou bien encore c’était carrément une taupe soviétique. Quoi qu’il en soit, souligne Costello, des espions compromis et « passifs » peuvent être « en tous points aussi néfastes que des espions actifs ». Hollis représentait un cas différent. Né en 1905, Roger Hollis était fils de pasteur, comme Blunt. Il fit ses études au Worcester College d’Oxford, où il vira à gauche. Parmi ses amis d’Oxford figuraient Claud Cockburn, communiste engagé, Maurice Richardson et Thomas Driberg, homosexuel notoire qui devait devenir ensuite agent communiste. Hollis travailla un certain temps à la Standard Bank de Londres, puis se rendit en Chine, où il entra en contact avec la communiste engagée Agnes Smedley. Hollis, qui s’est marié à trois reprises, était considéré un peu comme un coureur de jupons et un « collectionneur d’aventures à risques ». Son incompétence en tant que directeur général du MI5 était légendaire. Selon Chapman Pincher, Hollis joua un rôle « désastreux » dans l’affaire de l’espion Fuchs et traita en dépit du bon sens le scandale Profumo, ainsi que l’interrogatoire critique de Philby. Il était en poste lorsque le commandant Lionel Crabb, plongeur de la Royal Navy, fut tué et que son corps décapité fut retrouvé sur le rivage à la suite d’une mission d’espionnage mal conduite contre un navire soviétique à Portsmouth. À un certain moment de sa carrière au MI5, Hollis tenta de détruire le journal de Liddell qui rendait compte intégralement des activités du MI5 pendant la guerre. Chose intéressante, les allégations selon lesquelles Hollis pourrait être un espion soviétique émanaient de ses propres collègues au sein du MI5. Lors de son interrogatoire ultérieur, Hollis donna une piètre idée de lui-même, mais aucune question ne fut jamais réglée. Dans le cas de Hollis comme dans celui de Liddell, l’incompétence générale ne semble avoir nui ni à l’avancement, ni à l’anoblissement ultérieur de l’intéressé. Hollis eut une vie très agréable. On notera que Costello et Pincher, parmi d’autres auteurs et chercheurs spécialisés dans le renseignement, sont convaincus de l’existence d’un commencement de preuve qu’il y a eu à cette époque, dans les services de renseignement britanniques, une taupe extérieure au cercle d’espions de Cambridge.

[154] Costello, p. 466 et 27. L’un des partenaires sexuels de Blunt était John Gaskin, un ancien garde, avec qui Blunt eut une liaison longue et instable ; cette liaison prit fin lorsque Gaskin se tua en tombant d’un balcon.

[155] Ibid.

[156] Ibid., p. 561.

[157] Rothschild prétendait que sa mère, née hongroise, payait Burgess pour qu’il la conseille en matière financière.

[158] Costello, p. 305.

[159] Ibid., p. 660 à 663. La biographie d’Inverchapel écrite par Donald Gillies sous le titre Radical Diplomat : The Life of Archibald Clark Kerr, Lord Inverchapel, 1882-1951 (New York : St. Martin’s Press, 1999) ne dit mot des penchants homosexuels de l’intéressé, si l’on excepte une rapide allusion au fait que le diplomate vieillissant préférait la compagnie des hommes, « notamment les orateurs jeunes et à la vive intelligence », à celle de sa jeune et ravissante épouse, Tita, qui avait près de trente ans de moins que lui et qu’il avait épousée en secondes noces après un divorce ayant duré deux ans. Donald Maclean fut l’un des futurs premiers secrétaires – encore subalternes – de l’ambassade de Grande-Bretagne à Washington, D.C. qui servaient sous les ordres de Lord Inverchapel. John Costello critique davantage que Gillies la politique pro-communiste d’Inverchapel, son admiration béate de Staline et sa conduite peu morale, qui l’exposait au chantage. Selon Costello, lors de ses débuts dans la diplomatie, Kerr noua une série de liens intimes avec des agents soviétiques connus, dont Stig Wennestrom, attaché militaire soviétique qu’il avait rencontré lorsqu’il était ambassadeur en Chine et qui se révéla être un général du KGB. S’il ne fut pas vraiment un espion ou un informateur, Lord Inverchapel fut à tout le moins un « agent d’influence » efficace des Soviétiques, conclut Costello.

[160] Costello, p. 300.

[161] Ibid.

[162] Ibid., p. 315.

[163] Ibid., p. 318.

[164] Michael Whitney Straight, After Long Silence (New York, London : W.W. Norton and Co., 1983), p. 142.

[165] Andrew et Mitrokhin, p. 61 et 62.

[166] Jones, p. 27.

[167] Ibid.

[168] Robert J. Lamphere et Thomas Shachtman, The FBI-KGB War – A Special Agent’s Story (New York : Random House, 1986), p. 167.

[169] Costello, p. 317.

[170] Ibid., p. 318.

[171] Ibid., p. 333.

[172] Rebecca West, p. 225.

[173] Lamphere et Shachtman, p. 235.

[174] Modin, p. 143.

[175] Costello, p. 473.

[176] Ibid.

[177] Ibid., p. 537.

[178] Ibid. p. 474.

[179] Pincher, Their Trade is Treachery, p. 141.

[180] Rufina Philby, Peake et Lyubimov, p. 406 et 407.

[181] Lamphere et Shachtman, p. 233. voir aussi Rufina Philby, Peake et Lyubimov, p. 407.

[182] Lamphere et Shachtman, p. 23.

[183] Voir aussi Rufina Philby, Peake et Lyubimov, p.408.

[184] Lamphere et Shachtman, p. 233.

[185] Ibid., p. 24.

[186] Ibid., p. 235.

[187] Rufina Philby, Peake et Lyubimov, p. 412.

[188] Knightley, Page, Leitch, p. 316.

[189] Ibid., Costello, p. 421.

[190] Lamphere et Shachtman, p. 235.

[191] Le SMERSH faisait partie de la neuvième Division du KGB, agence de contre-espionnage spécialisée dans la terreur et la diversion. Voir à l’adresse Internet http://search.yahoo.com/bin/search?p=SMERSH.

[192] Rufina Philby, Peake et Lyubimov, p. 414.

[193] La récente déclassification du projet VENONA, l’un des secrets les mieux gardés de la Guerre froide, a dévoilé l’étendue de l’espionnage soviétique et des opérations d’influence dirigées contre les Etats-Unis. Grâce à ce projet, qui nécessitait l’intervention de cryptographes consciencieux, les Américains réussirent à lire les communications codées que les établissements soviétiques de New York et Washington échangeaient avec Moscou, surtout entre 1943 et 1947. Au total, cependant, il ne purent décrypter entièrement ou partiellement que trois mille messages en l’espace de plusieurs années. Plus de cent agents soviétiques furent démasqués, beaucoup n’étant identifiés que par leur nom de code, et à ce jour encore, certains n’ont pu être identifiés positivement. La plupart avaient été recrutés par l’intermédiaire du Parti communiste des Etats-Unis. Voir Hayden B. Peake, « The VENONA Progeny » (été 2000), accessible à l’adresse Internet http://www.nwc.navy.mil/press/Review/2000/summer/re2-Su0.htm.

[194] En 1949, Weisband se plaignit auprès de Moscou parce que, selon lui, les services soviétiques avaient changé de code brusquement, ce qui donnait lieu de craindre que les Américains ne se doutent de la présence d’un espion parmi leurs casseurs de code. Voir à l’adresse Internet http://members.iglou.com/jtmajor/HaunWood.htm.

[195] Pour plus amples informations sur VENONA, voir, d’Allen Weinstein et Alexander Vassiliev, The Haunted Wood : Soviet Espionage in America – The Stalin Era (New York : Random House, 1999 ; de Harvey Klehr, John Earl Haynes et Fridrikh Igorevich Firsov, The Secret World of American Communism (New Haven : Yale University Press, 1995) ; de John Earl Haynes et Harvey Klehr, VENONA : Decoding Soviet Espionage in America (New Haven : Yale University Press, 1999 ; enfin, de Herbert Romerstein et Eric Brindel, The VENONA Secrets (Washington, D.C. : Regency Publishing Co., 2000). Le professeur Harvey Klehr a été assez aimable pour répondre à plusieurs questions de l’auteur sur VENONA. L’histoire de VENONA appelle une intéressante précision. Dans leur ouvrage publié en 1992 sous le titre The American Communist Movement Storming Heaven Itself et écrit avant que les universitaires puissent accéder aux informations concernant VENONA, l’historien John Haynes, de la bibliothèque du Congrès, et le professeur d’histoire Harvey Klehr, de l’Université Emory, avaient écrit que bien que les « communistes américains étaient loyaux avant tout à la patrie du communisme plus qu’aux Etats-Unis […] en pratique, peu de communistes américains ont été des espions ». Et ils concluaient que percevoir « le Parti communiste américain essentiellement comme un instrument d’espionnage ou une sorte de cinquième colonne, c’est méconnaître son principal but ». Ils devaient toutefois changer d’avis après avoir étudié les télégrammes décryptés par VENONA et découvert que « Non pas une poignée, mais des centaines de communistes américains […] ont prêté la main à l’espionnage soviétique aux Etats-Unis durant les années 1930 et 1940 ». Voir à l’adresse Internet http://www.nwc.navy.mil/press/Review/2000/summer/re2-Su0.htm. L’ouvrage de Haynes et Klehr sur VENONA reste à ce jour le plus objectif qu’on ait écrit sur la question.

[196] Lorsque Aileen et Kim Philby se marièrent, le 25 septembre 1946, elle était enceinte du premier de leurs cinq enfants. En septembre 1956, Philby commença une liaison avec Eleanor Pope Brewer. Après le décès d’Aileen en décembre 1957, Philby épousa Eleanor le 24 janvier 1959. Selon Chapman Pincher, quand Philby apprit la mort d’Aileen, il était à un cocktail ; il leva alors son verre en disant : « Buvons tous à cette grande nouvelle : Aileen est morte ! » Après qu’il fut passé à Moscou, et alors qu’Eleanor était en visite aux Etats-Unis, Philby fit la noce avec la femme de Maclean, Melinda. En 1965, Eleanor quitta Moscou et Philby, qui était hospitalisé, pour ne jamais revenir. La quatrième femme de Philby, Rufina, était d’origine russo-polonaise. Philby a eu en tout quatre petits-enfants.

[197] James Angleton (1911-1980) entama sa carrière d’agent de renseignement en travaillant avec son père, qui était dans l’OSS en Italie à la fin de la deuxième Guerre mondiale. Très tôt, il noua des liens étroits avec les dirigeants du mouvement clandestin sioniste appelé à devenir le Mossad, autrement dit les services secrets israéliens. En tant que chef de l’unité de contre-espionnage, il se spécialisa dans la lutte contre les taupes et espions étrangers. Bien qu’Angleton dînât et bût régulièrement avec Philby et semblât être en bons termes avec le représentant du M16, il le soupçonnait d’être un agent soviétique, et il communiqua ce soupçon à ses supérieurs, qui le mirent sereinement sur le compte de la « paranoïa » d’Angleton et de son « obsession » des taupes et agents doubles. Lorsque William Colby reprit la CIA, en 1974, Angleton était pratiquement au rencart, et il finit par démissionner. Colby démantela alors la section de contre-espionnage de la CIA. Or, cela se révéla être une funeste erreur, ce que devaient confirmer les ravages opérés ensuite par Aldrich Ames et Robert Hamsen, qui espionnaient pour l’Union Soviétique. Voir à l’adresse Internet http://www.angelfire.com/dc/1spy/Angleton.html.

[198] Costello, p. 539 et 540.

[199] William Stevenson, Intrepid’s Last Case (New York : Villard Books, Random House, Inc., 1983), p. 187.

[200] Cette malheureuse opération du SIS et de la CIA est décrite en détail dans l’ouvrage de Nicholas Bethell intitulé Betrayed (New York : Times Books, Random House, 1984).

[201] Bethell, 111.

[202] Ibid. ,p. 202.

[203] Rufina Philby, Peake et Lyubimov, p. k275.

[204] Le FBI avait suivi de près les maraudes homosexuelles de Maclean aux États-Unis.

[205] Lamphere et Shachtman, p. 235.

[206] Ibid.

[207] Pour plus amples informations sur les activités de Maclean aux États-Unis, voir Knightley, page et Leitch.

[208] Dès février 1962, la famille royale et le gouvernement avaient résolu de ne pas accuser Philby de trahison. Au lieu de cela, il s’agissait de lui offrir l’immunité à condition qu’il dévoile tous les détails de ses liens avec les Soviétiques et le KGB. Pour le cas où il aurait refusé de coopérer, les autorités constituées avaient décidé qu’il valait mieux lui laisser la possibilité de passer à Moscou qu’affronter le spectre d’un scandale et d’un procès public.

[209] Modin, p. 222.

[210] Ibid.

[211] Selon Penrose et Freeman, tant la loi sur les secrets d’État (OSA) que la loi britannique sur la diffamation ont été conçues pour protéger la classe dirigeante de Grande-Bretagne, « ce groupe aux multiples connexions internes qui domine depuis toujours la fonction publique, la politique, les universités, la City, les arts et les sciences ». l’OSA initiale fut votée en 1889, mais c’est la loi de 1911, votée à toute vitesse par le Parlement, qui a déclenché l’attaque contre le droit de savoir des citoyens. En effet, ce texte érige en infraction, non seulement le fait pour un fonctionnaire de révéler sans autorisation toute information qu’il a obtenue dans le cadre de son emploi, d’autre part celui de recevoir une telle information, même involontairement. Il n’est prévu à cela aucune exception « dans l’intérêt public ». L’espionnage est donc un crime très difficile à prouver en l’absence d’aveux de la part d’un espion ou d’arrestation de celui-ci en train de transmettre des renseignements secrets à une puissance étrangère hostile.

[212] Pincher, Their Trade is Treachery, p. 150 et 151.

[213] L’une des théories sur les raisons pour lesquelles Blunt n’a jamais été poursuivi est évoquée dans War of the Windsors – A Century of Unconstitutional Monarchy (La guerre des Windsor – Un siècle de monarchie inconstitutionnelle), par Stephen Prior, Clive Prince, Lynne Picknett et Robert Brydon (Mainstream Publishing, Edinburgh, 2002). Selon les auteurs, Blunt était peut-être un bâtard né d’amours illégitimes du roi George V. Toutefois, ce scénario semble hautement improbable eu égard à l’éducation et aux fermes convictions religieuses de Hilda Master, la mère de Blunt. Une théorie plus plausible serait que Blunt avait réussi à compromettre sexuellement un membre de la famille royale. Costello, par exemple, signale que selon ce que lui a dit Harbinson (Bryans), le duc de Kent, mouton noir de la famille royale, était toxicomane et attiré par des partenaires des deux sexes. Blunt fut présenté au duc de Kent par le prince du Siam Chula Chakrabongse lorsque les trois jeunes gens étudiaient au Trinity College. Si Blunt a effectivement eu des relations sexuelles avec le fils benjamin et rétif de la Reine Mary, cela a suffi à le protéger des loups du MI5 et du M16. Le duc de Kent, qui était blond et grand, fut tué en 1942 dans un accident d’avion de la Royal Airforce.

[214] Ibid., p. 152.

[215] Modin, p. 241.

[216] Cet incident est rapporté par Joseph T. Major dans sa recension du livre de Stephen Koch The Terrible Secret (New York : Free Press, 1994), qui peut être consultée à l’adresse Internet http://members.iglou.com/jtmajor/2Lives.htm.

[217] Communication privée de Patrick Paskiewicz. Nigel a décrit un jour son frère comme « alliant la répulsion et le charme en un extraordinaire mélange ». Voir Verne W. Newton, « The Cambridge Spies », à l’adresse Internet

http://members.iglou.com/jtmajor/2Lives.htm.

[218] Modin, p. 268.

[219] L’Administration Britannique, NdT

[220] Par extension la Presse dans son ensemble.

[221] Néologisme décrivant l’internationale homosexuelle par analogie au Komintern, l’Internationale Communiste.



[i] Ernest Volkman et Blaine Bagget, Secret Intelligence – The inside Story of America’s Espionage Empire (Garden City, N.Y. :Doubleday, 1989), 161.

[ii] Costello 182-183.

[iii] Andrew Boyle, The Fourth Man (New York : Dial Press, James Wade, 1979), 450.

[iv] Costello, 615.

[v] Voir, par Harry Hay, membre du Parti Communiste, la description de l’organisation des premiers réseaux homosexuels aux Etats Unis dans The Trouble With Harry Hay – Founder of the Modern Gay Movement de Stuart Timmons (Boston : Alyson Publications, 1990).

[vi] Richard Sorge naquit dans l’état Caucasien de l’Azerbaïdjan, une ancienne république Soviétique. Son père était Allemand et sa mère Russe, mais Richard était profondément Russe et fervent bolchevique. Il espionna pour Staline à Shanghai puis vint à Tokyo où il passait pour un honorable journaliste Allemand. Il tissa alors de forts liens d’amitié à l’Ambassade d’Allemagne à Tokyo avec le Lt. Colonel Ott, officier de liaison avec le Troisième Régiment d’Artillerie Japonais. C’était un gros buveur et coureur de jupons qui ne cachait pas ses sentiments antinazis. Déjà, agissant par son ami Ott, il pouvait avoir accès  à des renseignements diplomatiques et militaires extrêmement précieux et aux messages codés des Allemands aussi bien que des Japonais. Sorge fut par la suite arrêté par le gouvernement Japonais. Il pensait que les Soviétiques l’échangeraient contre un autre prisonnier, mais ils ne le firent pas. Il fut exécuté en tant qu’espion étranger le 7 Novembre 1944 à la prison de Sugamo. Vingt ans plus tard, le 6 Novembre 1964 il fut fait Héros de l’Union Soviétique. Voir Gordon W. Prange, Target Tokyo – The Story of Sorge Spy Ring (New York : MacGraw-Hill, 1984). Dans son essai "Le Commerce de la Tromperie", le Professeur Revilo P. Oliver notait que grâce aux renseignements fournis par Sorge, Staline put obtenir des victoires militaires importantes durant la Seconde Guerre Mondiale en déplaçant ses importantes troupes massées le long de la frontière Mandchoue pour les employer contre les Allemands. Oliver observait que Sorge fut capable de masquer efficacement ses activités d’espionnage dernière un vernis extérieur de vie mondaine et immédiate. En bref, il se construisit un "personnage" qui était "ostensiblement adonné aux plaisirs ‘sociaux’, plutôt que s’intéressant à la politique". Voir http://www.revilo-oliver.com/rpo/Business_of_Deception.html.

[vii] Rev. Paul J. Shaughnessy, "The Gay Priest Problem – What Needs to Be Done, and Why it Won’t Be", Catholic World Report, (Novembre 2000), 54-58. L’abbé Shaughnessy, un aumônier de la Navy et du Corps des Marines écrivait "Je définis comme corrompue, au sens sociologique, toute institution qui a perdu la capacité de s’amender de son propre chef et grâce à ses propres ressources, une institution qui est incapable de découvrir et expulser ses propres mécréants. En ce sens, la raison principale pour laquelle l’action nécessaire à résoudre le problème ne sera pas entreprise est que l’épiscopat aux Etats Unis est corrompu, et c’est aussi vrai pour la majorité des communautés religieuses. Il est important de souligner que c’est une exigence sociale et non morale". Le texte complet est disponible sur http://www.sdenewsnotes.com/ed/articles/2000/1200ps.htm.

[viii] Rueda, 78.

[ix] Rebecca West, 237.

[x] Ibid, 99.

[xi] Dorrill, 38. Dans le texte, Dorrill qui interviewa Robin Bryans, Aka Rober Harbinson, fait erreur en affirmant que Montini devint le Pape Jean Paul I au lieu de Paul VI.

[xii] Roland Perry, The Fifth Man : The Soviet Super Spy (London : Sidgwick and Jackson, 1994), 27.

[xiii] Dès que l’Etat d’Israël fut formé, Rothschild aida Chaïm Weizmann à mettre sur pied un programme nucléaire top secret  à Rehovoth. En 1947, aux Nations Unies, l’Union Soviétique comme les Etats Unis votèrent en faveur de l’établissement d’un état Juif en Palestine. Les "khiboutz" étaient la contribution d’Israël à l’expérience du Socialisme Communiste dans le nouvel état nation.

[xiv] Ibid., 36.

[xv] Ibid., 41.

[xvi] Ibid., Costello, 305.

[xvii] Ibid, 293.

[xviii] De plus, selon l’ancien membre du Mossad Victor Ostrovsky, la banque Rothschild agissait comme "bank sayanim", c’est à dire qu’elle assistait le Mossad en fournissant à tout moment une assistance financière, de nuit comme de jour en cas d’urgence et gratuitement.

[xix] Modin, 77.

[xx] Costello, 249.

[xxi] Rufina Philby, Peake et Lyubimov, 436.

[xxii] Sinclair, 85.

[xxiii] Ibid, 89.

[xxiv] Marcom Muggeridge Chronicles of Wasted Time – The Green Stick, Vol. 1, William Morrow & Co., 1973, 107.

[xxv] Ibid.

[xxvi] Ibid, 109.

[xxvii] Les renseignements de VENONA indiquent que les noms de code David et ROSA pourraient être Tess et Victor Rothschild. Victor Rothschild était-il le "Cinquième Homme" du groupe d’espions de Cambridge ? A mon sens, la question est mal formulée. Si Rothschild collabora avec et fournit aux Soviétiquex des renseignements secrets des Britanniques et des Américains avant, pendant et après la Seconde Guerre Mondiale, il ne le fit pas en tant qu’employé des Soviétiques comme dans le cas de Burgess, Maclean, Blunt et Philby. Rothschild n’était pas l’un des cinq. Il surpassait tout le monde. Ses relations avec les Soviétiques comme avec tous les provocateurs de la Révolution Mondiale avec lesquels il collaborait, fonctionnait à un niveau et une échelle totalement différents. La question qu’il aurait mieux valu poser – quels intérêts représentait Victor Rothschild et envers quelle hiérarchie ou quelle organisation était-il loyal.  Certainement ces intérêts englobaient ceux de sa famille, sa dynastie financière, sa race, et la création et la survie de la patrie Juive en Palestine. A la différence de ses amis de Cambridge, Rothschild n’était mu par aucun baratin sur la suprématie de l’idéologie Communiste. Pas plus qu’il ne se fit d’illusions sur la nature et l’issue de la guerre de Staline contre les Juifs telle que documentée dans le livre de Louis Rapoport portant le même nom (Stalin’s War Against the Jews (New York : Maxwell Macmillan International, 1990). Au contraire, l’"arrangement" de Victor Rothschild avec les Soviétiques aura été probablement strictement pragmatique – renseignements et secrets scientifiques, données militaires et politiques du Royaume Uni, de l’Amérique et d’ailleurs en échange de 1) L’appui Soviétique aux Nations Unies pour la création de l’Etat Socialiste d’Israël. 2) La garantie d’armes atomiques pour défendre le nouvel état dans l’environnement Arabe hostile et 3) La libération des Juifs Russes de derrière le Rideau de Fer pour repeupler Israël. Connaissances scientifiques, armes de destruction massive, services de renseignements performants, appuis internationaux, argent et gens, tout était nécessaire à Israël pour survivre. Rothschild fournit généreusement tout cela, même si en le faisant il allait contre les intérêts Britanniques. Que les Rothschild et le gouvernement Israélien fussent capables de telles actions est démontré par l’Affaire Pollard qui concernait la vente de renseignements Américains hautement classifiés à l’Union Soviétique par des agents Israéliens. En 1986, un Juif Américain, Jonathan Pollard qui travaillait pour les renseignements de la Marine U.S. fut arrêté pour espionnage en faveur d’Israël. Le jour de son arrestation Il était en possession de soixante documents U.S. classifiés. Les Israéliens donnaient des renseignements Américains aux Soviétiques et aux nations du Bloc de l’Est en échange de la libération des Juifs de ces pays. Pour ce qui est des autres intérêts de Rothschild, il est fascinant de remarquer que, lorsque la Guerre Froide se termina, Victor Rothschild, comme si c’était le bon moment, prit en charge une cause singulière – la soi-disant "explosion démographique". La guerre contre le Communisme s’était muée en guerre contre la prolifération des peuples et Rothschild était prêt à mener la charge dans la nouvelle phase de la marche soutenue de la Révolution Mondiale. Voir Richard Deacon, The Cambridge Apostoles (New York : Farrar, Straus & Giroux, 1986), 178.

[xxviii] Voir Gordon Lonsdale, Spy : Twenty Years of Secret Service, Memoirs of Gordon Lonsdale (New York: Hawthorn, 1965. Aussi http://intellit.muskingum.edu/uk_folder/ukspycases_folder/ukspycases&l.html.

[xxix] Rebecca West, New Meaning of Treason, 297.

[xxx] Voir l’interview de PBS à http://www.pbs.org/redfiles/kgb/deep/interv/k_intgeorge_blake.htm.

Voir aussi George Blake, No Other Choice : The Cold War Memoirs of the Ultimate Spy (London : Jonatham Cape Limited, 1990).

[xxxi] "George Blake, le dernier survivant des ‘taupes’ légendaires du KGB", Pittsburgh Press, 16 Janvier 1992. Après la débâcle Blake, le comité Radcliffe fut créé pour examiner les mesures de sécurité dans le service public. Le rapport final du comité insistait sur le principe de la "nécessité de savoir" mais apparemment le MI5 et le MI6 ne reçurent pas le message. La porte restait ouverte pour d’autres activités d’espionnage étrangères  contre le Gouvernement et la Couronne Britanniques.

[xxxii] Rebecca West, 316. Voir aussi Rebecca West, "L’affaire Vassall", Sunday Telegraph, Londres, 4 Juillet 1963.

[xxxiii] Ibid, 317.

[xxxiv] Ibid.

[xxxv] Lewis, 18.

[xxxvi] Rebecca West, 320.

[xxxvii] Lewis, 89.

[xxxviii] Ibid, 90.

[xxxix] Ibid.

[xl] Rebecca West, 321.

[xli] A ce qu’on dit, les Soviétiques effectuaient des paiements mensuels de £ 700 à Vassall qui doublaient en cas de documents provenant de l’Amirauté.

[xlii] Pincher, 75. En réalité, Golitsin déclarait qu’il y avait deux taupes à l’Amirauté, mais après le procès Vassall, les Renseignements Britanniques ignorèrent cet avertissement.

[xliii] Rebecca West, 323.

[xliv] Ibid, 328.

[xlv] Ibid.

[xlvi] Voir "La Commission Warren du point de vue de la procédure" avec des notes sur la Tribune Radcliffe par Arthur L. Goodheart, New York University Law Review, Vol 40 (Mai 1965) 404-423, disponible sur http://karws.gso.uri.edu/JFK/History/WC_Period/Legal_views_of_WC/Goodheart-from_procedural-standpt.html.

[xlvii] Ibid.

[xlviii] Ibid.

[xlix] Ernest Volkman et Blaine Bagget, Secret Intelligence – The inside Story of America’s Espionage Empire (Garden City, N.Y. :Doubleday, 1989), 161.

[l] Costello 182-183.

[li] Andrew Boyle, The Fourth Man (New York : Dial Press, James Wade, 1979), 450.

[lii] Costello, 615.

[liii] Voir, par Harry Hay, membre du Parti Communiste, la description de l’organisation des premiers réseaux homosexuels aux Etats Unis dans The Trouble With Harry Hay – Founder of the Modern Gay Movement de Stuart Timmons (Boston : Alyson Publications, 1990).

[liv] Richard Sorge naquit dans l’état Caucasien de l’Azerbaïdjan, une ancienne république Soviétique. Son père était Allemand et sa mère Russe, mais Richard était profondément Russe et fervent bolchevique. Il espionna pour Staline à Shanghai puis vint à Tokyo où il passait pour un honorable journaliste Allemand. Il tissa alors de forts liens d’amitié à l’Ambassade d’Allemagne à Tokyo avec le Lt. Colonel Ott, officier de liaison avec le Troisième Régiment d’Artillerie Japonais. C’était un gros buveur et coureur de jupons qui ne cachait pas ses sentiments antinazis. Déjà, agissant par son ami Ott, il pouvait avoir accès  à des renseignements diplomatiques et militaires extrêmement précieux et aux messages codés des Allemands aussi bien que des Japonais. Sorge fut par la suite arrêté par le gouvernement Japonais. Il pensait que les Soviétiques l’échangeraient contre un autre prisonnier, mais ils ne le firent pas. Il fut exécuté en tant qu’espion étranger le 7 Novembre 1944 à la prison de Sugamo. Vingt ans plus tard, le 6 Novembre 1964 il fut fait Héros de l’Union Soviétique. Voir Gordon W. Prange, Target Tokyo – The Story of Sorge Spy Ring (New York : MacGraw-Hill, 1984). Dans son essai "Le Commerce de la Tromperie", le Professeur Revilo P. Oliver notait que grâce aux renseignements fournis par Sorge, Staline put obtenir des victoires militaires importantes durant la Seconde Guerre Mondiale en déplaçant ses importantes troupes massées le long de la frontière Mandchoue pour les employer contre les Allemands. Oliver observait que Sorge fut capable de masquer efficacement ses activités d’espionnage dernière un vernis extérieur de vie mondaine et immédiate. En bref, il se construisit un "personnage" qui était "ostensiblement adonné aux plaisirs ‘sociaux’, plutôt que s’intéressant à la politique". Voir http://www.revilo-oliver.com/rpo/Business_of_Deception.html.

[lv] Rev. Paul J. Shaughnessy, "The Gay Priest Problem – What Needs to Be Done, and Why it Won’t Be", Catholic World Report, (Novembre 2000), 54-58. L’abbé Shaughnessy, un aumônier de la Navy et du Corps des Marines écrivait "Je définis comme corrompue, au sens sociologique, toute institution qui a perdu la capacité de s’amender de son propre chef et grâce à ses propres ressources, une institution qui est incapable de découvrir et expulser ses propres mécréants. En ce sens, la raison principale pour laquelle l’action nécessaire à résoudre le problème ne sera pas entreprise est que l’épiscopat aux Etats Unis est corrompu, et c’est aussi vrai pour la majorité des communautés religieuses. Il est important de souligner que c’est une exigence sociale et non morale". Le texte complet est disponible sur http://www.sdenewsnotes.com/ed/articles/2000/1200ps.htm.

[lvi] Rueda, 78.

[lvii] Rebecca West, 237.

[lviii] Ibid, 99.

[lix] Stephen Dorrill and Anthony Summers, Honeytrap-The Secret Worlds of Stephen Ward (London: Weidenfeld and Nicolson, 1987), 48.

[lx] Ibid.

[lxi] Ibid., 52.

[lxii] Ibid., 28.

[lxiii] Ibid., 36-37.

[lxiv] Penrose and Freeman, 254, 484.

[lxv] Le père de Peter Montgomery était le Major-Général Hugh Maude de Fallenberg Montgomery. Son oncle était le Field-Marshal Sir Archibald Montgomery-Massingberd, Chef de l’Imperial General Staff. Son second cousin était Bernard Montgomery, le chef légendaire de la Deuxième Guerre Mondiale.

[lxvi] Penrose et Freeman, 254, 484.

[lxvii] Ce fut probablement grâce à ses relations familiales que Peter obtint son poste auprès de Wavell aux Indes. Aucune des biographies de Wavell ne mentionne le nom de Peter Montgomery.

[lxviii] Chris Moore, The Kincora Scandal (Dublin : Marino, 1996), 88.

[lxix] Carter, 384.

[lxx] Costello, 466.

[lxxi] Le home de garçons de Kincora fut ouvert en 1958 pour servir de refuge de transition pour les adolescents à problèmes et les orphelins de la région de Belfast. Le directeur choisi pour Kincora, Joseph Mains, était un pédéraste homosexuel actif. Il fut rejoint en 1964 par Raymond Semple, un autre "amateur de garçons". Les deux hommes transformèrent la résidence en un enfer vivant pour nombre de jeunes garçons qui étaient placés à Kincora par l’Etat comme dans un endroit sûr. Lorsque William McGrath rejoignit l’équipe en 1971, l’enfer à Kincora fut complet. Le 24 Janvier 1980, le reporter de Dublin Peter McKenna de l’Irish Independent écrivit un article dénonçant que la dissimulation officielle d’abus sexuels sur de jeunes garçons et adolescents au Home de Garçons de Kincora avait duré plus de 20 ans. De plus, McKenna rapportait que divers organismes publics avaient été informés des activités criminelles à Kincora et qu’ils n’avaient rien fait pour arrêter les abus. Chris Moore, auteur de The Kincora Scandal  insistait sur le fait que bien que les garçons de Kincora aient été violés et sodomisés par McGrath, Mains et Semple – tous ayant reçu de sévères peines de prison après leurs procès de Décembre 1981 – il n’y avait pas de réseau de prostitution opérant en dehors du foyer. McKenna cependant rapportait qu’il y avait un réseau organisé de pédérastes opérant en dehors de Kincora et que certains garçons avaient été pris à l’orphelinat et envoyés près de Birr Castle pour servir de chair fraîche à des pédérastes et homosexuels en vue de la classe supérieure de Belfast et Londres. Nous savons que McGrath était un agent du MI5 en Irlande du Nord aussi bien qu’un dirigeant de l’Ordre d’Orange avant son arrestation. Nous savons qu’il se rendait fréquemment à Londres et fréquentait les cercles politiques élevés. Cependant, les Renseignements Britanniques (MI5) clôturèrent leur enquête avant que les pédérastes et homosexuels présumés de Belfast et de Grande Bretagne puissent être identifiés et interrogés. Le fait que l’ami et compagnon sodomite de Blunt, Sir Knox Cunningham, qui mourut en 1976, était en relation étroite avec MacGrath tend à appuyer la possibilité que des garçons de McGrath aient été abusés sexuellement par d’autres hommes que McGrath, Mains et Semple. A moins que la Couronne ou Whitehall ou le Parlement Britannique décide de rouvrir L’Affaire de Kincora, il est peu probable que la vérité complète soit jamais révélée au public Irlandais et Britannique. Blunt aurait-il fourni à ses commanditaires Soviétiques, des informations sur Kincora, s’il en eut, cela risque de demeurer enterré. En addition au livre de Moore, le défenseur du Parti Travailliste Paul Foot a fourni des informations supplémentaires sur le scandale de Kincora dans Who Framed Colin Wallace ? (Macmillan, London, 1989).

[lxxii] Moore, 88-89.

[lxxiii] Dorrill, 38. Dans le texte, Dorrill qui interviewa Robin Bryans, Aka Rober Harbinson, fait erreur en affirmant que Montini devint le Pape Jean Paul I au lieu de Paul VI.