Table des matières du livre : Ils l'ont découronné

Chapitre 9 - La liberté de conscience et des cultes

" Sous le nom séducteur de liberté du culte, ils proclament l’apostasie légale de la société " .
Léon XIII

C’est dans son encyclique Libertas que le pape Léon XIII passe en revue les libertés nouvelles proclamées par le libéralisme. Je suivrai son exposé pas à pas[1].

" Il est bon, dit le pape, que nous considérions séparément les diverses sortes de libertés que l’on donne comme des conquêtes de notre époque " .

La liberté des cultes (ou liberté de conscience et des cultes) est la première : elle est, comme l’explique Léon XIII, revendiquée comme une liberté morale de la conscience individuelle et comme une liberté sociale, un droit civil reconnu par l’État.

" Et d’abord à propos des individus, examinons cette liberté si contraire à la vertu de religion, la liberté des cultes, comme on l’appelle, liberté qui repose sur ce principe qu’il est loisible à chacun de professer telle religion qui lui plaît, ou même de n’en professer aucune. — Mais, tout au contraire, c’est bien là, sans nul doute, parmi tous les devoirs de l’homme, le plus grand et le plus saint, celui qui ordonne à l’homme de rendre à Dieu un culte de piété et de religion. Et ce devoir n’est qu’une conséquence de ce fait que nous sommes perpétuellement sous la dépendance de Dieu, gouvernés par la volonté et la Providence de Dieu, et que, sortis de Lui, nous devons retourner à Lui " .

Si en effet l’individu-roi est censé être la source de ses propres droits, il est logique qu’il attribue à sa conscience une pleine indépendance par rapport à Dieu et à la religion.Léon XIII passe alors à la liberté religieuse en tant que droit civil[2] :

" Envisagée au point de vue social, cette même liberté veut que l’État ne rende aucun culte à Dieu, ou n’autorise aucun culte public, que nulle religion ne soit préférée à l’autre, que toutes soient considérées comme ayant les mêmes droits, sans même avoir égard au peuple, lors même que ce peuple fait profession de catholicisme " .

Si en effet la société n’est qu’une collection purement conventionnelle d’individus-rois, elle ne doit rien non plus à Dieu, et l’État se considère affranchi de tous devoirs religieux ; ce qui est manifestement faux, dit Léon XIII :

" On ne saurait mettre en doute, en effet, que la réunion des hommes en société ne soit l’œuvre de la volonté de Dieu, et cela qu’on la considère dans ses membres, dans sa forme qui est l’autorité, dans sa cause ou dans le nombre et l’importance des avantages qu’elle procure à l’homme. C’est Dieu qui a fait l’homme pour la société et qui l’a uni à ses semblables, afin que les besoins de sa nature, auxquels ses efforts solitaires ne pourraient donner satisfaction, pussent la trouver dans l’association. C’est pourquoi la société civile, en tant que société, doit nécessairement reconnaître Dieu comme son principe et son auteur, et, par conséquent, rendre à sa puissance et à son autorité l’hommage de son culte. Non, de par la justice ; non, de par la raison, l’État ne peut être athée, ou, ce qui reviendrait à l’athéisme, être animé à l’égard de toutes les religions, comme on dit, des mêmes dispositions, et leur accorder indistinctement les mêmes droits ".

Et Léon XIII se garde bien de négliger une précision nécessaire : quand on parle de la religion d’une manière abstraite, on parle implicitement de la seule vraie religion, qui est celle de l’Église catholique :

" Puisqu’il est donc nécessaire de professer une seule religion dans la société, il faut professer celle qui est la seule vraie et que l’on reconnaît sans peine, surtout dans les pays catholiques, aux signes de vérité dont elle porte en elle l’éclatant caractère " .

Par conséquent l’État doit reconnaître la vraie religion comme telle et faire profession de catholicisme[3]. Les lignes qui suivent condamnent sans appel le prétendu agnosticisme de l’État, sa prétendue neutralité en matière religieuse :

" Cette religion, les chefs de l’État doivent donc la conserver et la protéger, s’ils veulent, comme ils en ont l’obligation, pourvoir prudemment et utilement aux intérêts de la communauté. Car la puissance publique a été établie pour l’utilité de ceux qui sont gouvernés, et quoiqu’elle n’ait pour fin prochaine que de conduire les citoyens à la prospérité de cette vie terrestre, c’est pourtant un devoir pour elle de ne point diminuer, mais d’accroître, au contraire, pour l’homme la faculté d’atteindre à ce bien suprême et souverain dans lequel consiste l’éternelle félicité des hommes, ce qui devient impossible sans la religion ".

Je reviendrai sur ces lignes qui contiennent le principe fondamental qui règle les relations de l’État avec la religion — j’entends toujours la vraie religion.

L’encyclique Libertas est du 20 juin 1888. Un an plus tard, Léon XIII revenait sur la liberté des cultes pour la condamner de nouveau en des termes admirables et avec un zèle tout apostolique, dans sa Lettre à l’Empereur du Brésil[4]. En voici des extraits, qui montrent l’absurdité et l’impiété de la liberté des cultes, puisqu’elle implique nécessairement l’athéisme de l’État :

" La liberté de culte, considérée dans son rapport à la société, est fondée sur ce principe que l’État, même dans une nation catholique, n’est tenu de professer ou de favoriser aucun culte ; il doit rester indifférent au regard de tous et en tenir un compte juridiquement égal. Il n’est pas question ici de cette tolérance de fait, qui en des circonstances données, peut être concédée aux cultes dissidents ; mais bien de la reconnaissance accordée à ceux-ci des droits mêmes qui n’appartiennent qu’à l’unique vraie religion, que Dieu a établie dans le monde et a désignée par des caractères et des signes clairs et précis, pour que tous puissent la reconnaître comme telle et l’embrasser.
Aussi bien, une telle liberté place-t-elle sur la même ligne la vérité et l’erreur, la foi et l’hérésie, l’Église de Jésus-Christ et une quelconque institution humaine ; elle établit une déplorable et funeste séparation entre la société humaine et Dieu son Auteur ; elle aboutit enfin aux tristes conséquences que sont l’indifférentisme de l’État en matière religieuse, ou, ce qui revient au même, son athéisme
".

Ce sont là des paroles en or ! Ce sont des paroles qu’on devrait presque apprendre par cœur. La liberté des cultes implique l’indifférentisme de l’État vis-à-vis de toutes les formes religieuses. La liberté religieuse signifie nécessairement l’athéisme de l’État. Car professant reconnaître ou favoriser tous les dieux, l’État n’en reconnaît en fait aucun, surtout pas le vrai Dieu ! Voilà ce que nous disons, quand on nous présente la liberté religieuse de Vatican II comme une conquête, comme un progrès, comme un développement de la doctrine de l’Église ! L’athéisme est-il donc un progrès ? La " théologie de la mort de Dieu " s’inscrit-elle dans la ligne de la tradition ? La mort légale de Dieu ! C’est inimaginable !
Et vous voyez bien que nous en mourons actuellement c’est au nom de la liberté religieuse de Vatican II qu’on a supprimé les États encore catholiques, qu’on les a laïcisés, qu’on a rayé des constitutions de ces États le premier article qui proclamait la soumission de l’État à Dieu son auteur, ou dans lequel l’État faisait profession de la vraie religion[5]. De cela, les francs-maçons n’en voulaient plus ; alors ils ont trouvé le moyen radical : contraindre l’Église, par la voix de son magistère, à proclamer la liberté religieuse, rien de plus ; mais par là serait acquise, par une conséquence inéluctable, la laïcisation des États catholiques.

Vous savez bien, c’est un fait historique, quia été publié par les journaux de New York à ce moment-là, que le cardinal Bea à la veille du concile, est allé rendre visite aux B’nai B’rith : les " fils de l’Alliance " , une secte maçonnique réservée aux seuls juifs, très influents dans le mondialisme occidental[6]. En sa qualité de Secrétaire du Secrétariat pour l’unité des chrétiens tout juste fondé par Jean XXIII, il leur a demandé : — Francs-maçons, que voulez-vous ? Ils lui ont répondu : — la liberté religieuse : proclamez la liberté religieuse, et l’hostilité cessera entre la franc-maçonnerie et l’Eglise catholique ! — Eh bien, ils l’ont eue, la liberté religieuse ; par conséquent la liberté religieuse de Vatican II est une victoire maçonnique ! Et ceci est corroboré par le fait qu’il y a quelques mois, le Président Alfonsin d’Argentine, reçu officiellement à la Maison Blanche à Washington, et par les B’nai B’rith à New York, a été décoré par ces francs-maçons de la médaille de la liberté religieuse, parce qu’il a instauré un régime de liberté des cultes, de liberté de religion[7]. Alors, nous refusons la liberté religieuse de Vatican II, nous la rejetons dans les mêmes termes que les papes du XIXe siècle l’ont rejetée, nous nous appuyons sur leur autorité et rien que sur leur autorité : quelle plus grande garantie pouvons-nous avoir d’être dans la vérité, que d’être forts de la force même de la tradition, de l’enseignement constant des papes Pie VI, Pie VII, Grégoire XVI, Pie IX, Léon XIII, Benoît XV, etc., qui tous ont condamné la liberté religieuse, comme je vous le montrerai dans notre entretien suivant.


Je me contenterai de conclure ce chapitre en vous citant encore ce passage de la Lettre E giunto où le pape Léon XIII fait preuve encore une fois d’une clairvoyance et d’une force admirables dans son jugement sur la liberté religieuse (qu’il appelle ici liberté des cultes) :

" Mais il serait superflu d’insister sur ces réflexions. A plusieurs reprises déjà, dans des documents officiels adressés au Monde Catholique, Nous avons démontré combien est erronée la doctrine de ceux, qui sous le nom séducteur de liberté du culte, proclament l’apostasie légale de la société, la détournant ainsi de son Auteur divin " .

La liberté religieuse, c’est l’apostasie légale de la société retenez-le bien ; car c’est cela que je réponds à Rome, chaque fois qu’on veut m’obliger à accepter globalement le Concile ou spécialement la déclaration sur la liberté religieuse. Le 7 décembre 1965, j’ai refusé d’apposer ma signature au bas de cet acte conciliaire, et vingt ans plus tard, mes raisons de refuser toujours cette signature n’ont fait que croître. On ne signe pas une apostasie !

  1. PIN. 201 sq.
  2. On se reportera aux textes cités dans le chapitre précédent, des Encycliques lmmortale Dei de Léon XIII et Quanta Cura de Pie IX ; et au chapitre suivant.
  3. C’est-à-dire inscrire dans sa Constitution le principe de cette reconnaissance. Lettre E giunto, du 19 juillet 1889, PIN 234-237.
  4. Cf. plus loin, chap. XXXII, note 11.
  5. Cf. H. le Caron, op. cit. p. 46.
  6. "Journal de Genève", samedi 23 mars 1985.

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