Table des matières du livre : Ils l'ont découronné
Chapitre 28 - La liberté religieuse de Vatican II
Selon Vatican II, la personne humaine aurait droit, au nom de sa dignité, à ne pas être empêchée d’exercer son culte religieux quel qu’il soit, en privé ou en public, sauf si cela gêne la tranquillité et la moralité publique[1]. Vous avouerez que la moralité publique de l’État "pluraliste" promu par le Concile n’est pas de nature à gêner beaucoup cette liberté, pas plus que le pourrissement avancé de la société libérale ne limiterait le droit à la liberté du "partenariat", s’il était proclamé indistinctement pour les couples en union libre et les couples mariés, au nom de leur dignité humaine !
Donc vous, musulmans, priez tranquillement au beau milieu de nos rues chrétiennes, construisez vos mosquées et vos minarets à côté des clochers de nos églises, l’Église de Vatican II assure que l’on ne doit pas vous en empêcher, de même pour vous, bouddhistes, hindouistes,...
Moyennant quoi, nous catholiques, nous vous demanderons la liberté religieuse dans vos pays, au nom de la liberté que nous vous accordons chez nous... Nous pourrons aussi défendre nos droits religieux face aux régimes communistes, au nom d’un principe déclaré par une assemblée religieuse si solennelle, et déjà reconnu par l’O.N.U. et la Franc-Maçonnerie... C’est du reste la réflexion que me fit le pape Jean-Paul II, lors de l’audience qu’il m’accorda le 18 novembre 1978 : " Vous savez, me dit-il, la liberté religieuse nous a été bien utile en Pologne, contre le communisme ! "
J’avais envie de lui répondre : " Très utile, peut-être, comme argument ad hominem, puisque les régimes communistes ont la liberté des cultes inscrite dans leurs Constitutions[2], mais non pas comme principe doctrinal de l’Église catholique ! "
I — LIBERTÉ RELIGIEUSE ET VERITÉ
C’est en tout cas ce que répondait par avance le P. Garrigou-Lagrange
" Nous pouvons (...) faire de la liberté des cultes un argument ad hominem contre ceux qui, tout en proclamant la liberté des cultes, persécutent l’Église (États laïcs et socialisants) ou empêchent son culte directement ou indirectement (États communistes, islamiques, etc.). Cet argument ad hominem est juste et l’Église ne le dédaigne pas, l’utilisant pour défendre efficacement le droit de sa liberté. Mais il ne s’ensuit pas que la liberté des cultes, considérée en elle-même, soit soutenable par les catholiques comme un principe, parce qu’elle est en soi absurde et impie : en effet, la vérité et l’erreur ne peuvent avoir les mêmes droits " [3].
J’aime répéter : seule la vérité a des droits, l’erreur n’a aucun droit, c’est l’enseignement de l’Église :
" Le droit, écrit Léon XIII, est une faculté morale, et, comme nous l’avons dit et comme on ne peut trop le redire, il serait absurde de croire qu’elle appartient, naturellement et sans distinction ni discernement, à la vérité et au mensonge, au bien et au mal. Le vrai, le bien, on a le droit de les propager dans l’État avec une liberté prudente, afin qu’un plus grand nombre en profite, mais les doctrines mensongères, peste la plus fatale de toutes pour l’esprit, (...) il est juste que la puissance publique emploie sa sollicitude à les réprimer, afin d’empêcher le mal de s’étendre pour la ruine de la société " [4].
Il est clair, à cette lumière, que les doctrines et les cultes des religions erronées n’ont de soi aucun droit à ce qu’on les laisse s’exprimer et se propager librement. — Pour contourner cette vérité de La Palice, on a objecté au Concile que la vérité ou l’erreur n’ont à proprement parler aucun droit : ce sont les personnes qui ont des droits, qui sont "sujets de droits". Par là, on tentait de gauchir le problème en le posant à un niveau purement subjectif, et en espérant ainsi pouvoir faire abstraction de la vérité ! Mais cette tentative devait être vaine, comme je vais maintenant vous le montrer, en me plaçant dans la problématique même du Concile.
Posée au niveau subjectif du "sujet du droit", la liberté religieuse, c’est le même droit accordé à ceux qui adhèrent à la vérité religieuse et à ceux qui sont dans l’erreur. Un tel droit est-il concevable ? Sur quoi le Concile le fonde-t-il ?
Les droits de la conscience ?
Au début du Concile, certains voulurent fonder la liberté religieuse sur les droits de la conscience : " La liberté religieuse serait vaine si les hommes ne pouvaient faire passer les impératifs de leur conscience dans des actes extérieurs et publics " , déclara Mgr De Smedt dans son discours introductif (Documentation catholique, 5 janvier 1964, col. 74-75). L’argument était le suivant : chacun a le devoir de suivre sa conscience, car elle est pour chacun la règle immédiate de l’action. Or ceci vaut non seulement pour une conscience vraie, mais aussi pour une conscience invinciblement erronée, celle en particulier de nombreux adeptes des fausses religions ; ceux-ci ont ainsi le devoir de suivre leur conscience et par conséquent on doit les laisser libres de la suivre et d’exercer leur culte.
La sottise du raisonnement fut vite dévoilée, et l’on dut se résigner à faire feu d’autre bois. En effet l’erreur invincible, c’est-à-dire non coupable, excuse bien de toute faute morale, mais elle ne rend pas l’action bonne[5] et dès lors elle ne donne aucun droit à son auteur ! Le droit ne peut se fonder que sur la norme objective de la loi, et en premier lieu sur la loi divine, qui règle en particulier la façon dont Dieu veut être honoré par les hommes.
La dignité de la personne humaine ?
La conscience ne fournissant pas un fondement suffisamment objectif, on crut en trouver un dans la dignité de la personne humaine. " Le Concile du Vatican déclare (..) que le droit à la liberté religieuse a son fondement dans la dignité même de la personne humaine " (DH. 2). Cette dignité consiste en ce que l’homme, doué d’intelligence et de libre arbitre, est ordonné par sa nature même à connaître Dieu, ce qu’il ne peut pas faire si on ne le laisse pas libre6. L’argument est celui-ci : l’homme est libre donc on doit le laisser libre. Ou encore : l’homme est doué de libre arbitre, donc il a droit à la liberté d’action. Vous reconnaissez le principe absurde de tout libéralisme, comme l’appelle le cardinal Billot. C’est un sophisme : le libre arbitre se situe dans le domaine de l’ÊTRE, la liberté morale et la liberté d’action relèvent du domaine de l’AGIR. Autre est ce que Pierre est par sa nature, autre ce qu’il devient (bon ou mauvais, dans le vrai ou dans l’erreur) par ses actes ! La dignité humaine radicale est bien celle d’une nature intelligente, capable par conséquent de choix personnel, mais sa dignité terminale consiste à adhérer "en acte" au vrai et au bien. C’est cette dignité terminale qui mérite à chacun la liberté morale (faculté d’agir) et la liberté d’action (faculté de ne pas être empêché d’agir). Mais dans la mesure où l’homme adhère à l’erreur ou s’attache au mal, il perd sa dignité terminale ou ne l’atteint pas, et on ne peut plus rien fonder sur elle ! C’est ce qu’enseignait magnifiquement Léon XIII dans deux textes occultés par Vatican II. Parlant des fausses libertés modernes, Léon XIII écrit dans Immortale Dei :
" Si l’intelligence adhère à des idées fausses, si la volonté choisit le mal et s’y attache, ni l’une ni l’autre n’atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité native et se corrompent. Il n’est donc pas permis de mettre au jour et d’exposer aux yeux des hommes ce qui est contraire à la vertu et à la vérité, et bien moins encore de placer cette licence sous la tutelle de la protection des lois " [7].
Et dans Libertas, le même pape précise en quoi consiste la vraie liberté religieuse et sur quoi elle doit se fonder :
" Une autre liberté que l’on proclame aussi bien haut, c’est celle que l’on nomme liberté de conscience. Que si l’on entend par là que chacun peut indifféremment, à son gré, rendre ou ne pas rendre un culte à Dieu, les arguments qui ont été donnés plus haut suffisent à le réfuter[8]. Mais on peut l’entendre aussi en ce sens que l’homme a dans l’État le droit de suivre, d’après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d’accomplir ses préceptes[9] sans que rien ne puisse l’en empêcher. Cette liberté, la vraie liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression, elle a toujours été l’objet des vœux de l’Église et de sa particulière affection "[10].
A vraie dignité, vraie liberté religieuse ; à fausse dignité, fausse liberté religieuse !
La liberté religieuse, droit universel à la tolérance ?
Le P. Ph. André-Vincent, qui s’intéressait beaucoup à la question, m’écrivit un jour pour me mettre en garde : " attention, me disait-il, le Concile ne réclame pas pour les adeptes des fausses religions le droit "affirmatif" d’exercer leur culte, mais seulement le droit "négatif" de ne pas être empêchés dans l’exercice, public ou privé, de leur culte ". En somme Vatican II n’aurait fait que généraliser la doctrine classique de la tolérance.
En effet, quand un État catholique, pour la paix civile, pour la coopération de tous au bien commun, ou d’une manière générale pour éviter un plus grand mal ou procurer un plus grand bien, juge qu’il doit tolérer l’exercice de tel ou tel faux culte, il peut, soit "fermer les yeux" sur ce culte par une tolérance de fait en ne prenant aucune disposition coercitive à son encontre ; soit même accorder à ses adeptes le droit civil de ne pas être troublés dans l’exercice de leur culte. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un droit purement négatif. Les papes, du reste, ne manquent pas de souligner que la tolérance civile n’accorde aucun droit "affirmatif" aux dissidents, aucun droit d’exercer leur culte, car un tel droit affirmatif ne peut se fonder que sur la vérité du culte envisagé :
" Si les circonstances l’exigent, on peut tolérer les déviations à la règle, lorsqu’elles ont été introduites en vue d’éviter de plus grands maux, sans toutefois les élever à la dignité de droits, vu qu’il ne peut y avoir aucun droit contre les éternelles lois de la justice " [11].
" Tout en n’accordant de droits qu’à ce qui est vrai et honnête, l’Église ne s’oppose pas cependant à la tolérance dont la puissance publique croit devoir user à l’égard de certaines choses contraires à la vérité et à la justice, en vue d’un mal plus grand à éviter ou d’un bien plus grand à obtenir ou à conserver " [12].
" Aucun État, aucune communauté d’États, quel que soit leur caractère religieux, ne peuvent donner un mandat positif ou une autorisation positive[13] d’enseigner ou de faire ce qui serait contraire à la vérité religieuse ou au bien moral (...)
Une autre question essentiellement différente est celle-ci dans une communauté d’États peut-on, au moins dans des circonstances déterminées, établir la norme que le libre exercice d’une croyance ou d’une pratique religieuse en vigueur dans un État-membre ne soit pas empêché dans tout le territoire de la communauté au moyen de lois ou d’ordonnances coercitives de l’État ? "[14] (et le pape répond affirmativement : oui, "dans certaines circonstances" une telle norme peut être établie).
Le P. Baucher résume cette doctrine d’une façon excellente : " en décrétant la tolérance, écrit-il, le législateur est censé ne pas vouloir créer au profit des dissidents le droit ou la faculté morale d’exercer leur culte, mais seulement le droit de ne pas être troublés dans l’exercice de ce culte. Sans jamais avoir le droit de mal agir, on peut avoir le droit de ne pas être empêché de mal agir, quand une loi juste prohibe cet empêchement pour des motifs suffisants " [15].
Mais il ajoute à juste titre : " autre chose est le droit civil à la tolérance, quand celle-ci est garantie par la loi en vue du bien commun de telle ou telle nation, dans des circonstances déterminées ; autre chose est le droit prétendu naturel et inviolable à la tolérance pour tous les adeptes de toutes les religions, par principe, donc, et en toute circonstance ! "
Le droit civil à la tolérance, en effet, même si les circonstances qui le légitiment semblent se multiplier de nos jours, reste néanmoins strictement relatif à celles-ci :
" La tolérance du mal, écrit Léon XIII, appartenant aux principes de la prudence politique, doit être rigoureusement circonscrite dans les limites exigées par sa raison d’être, c’est-à-dire par le salut public. C’est pourquoi, si elle est nuisible au salut public, ou qu’elle soit pour l’État la cause d’un plus grand mal, la conséquence est qu’il n’est pas permis d’en user, car, dans ces conditions, la raison du bien fait défaut "[16] .
Il aurait donc été bien difficile à Vatican II, en s’appuyant sur les actes du magistère antérieur, de proclamer un droit naturel et universel à la tolérance. On évita du reste soigneusement le mot "tolérance" qui semblait beaucoup trop négatif, car ce qu’on tolère, c’est toujours un mal ; or, on voulait mettre en avant les valeurs positives de toutes les religions.[17]
La liberté religieuse, droit naturel à l’immunité ?
Sans invoquer la tolérance, le Concile a donc défini un simple droit naturel à l’immunité : le droit de ne pas être troublé dans l’exercice de son culte, quel qu’il soit.
L’astuce, ou du moins la démarche astucieuse, était patente : ne pouvant définir un droit à l’exercice de tout culte, puisqu’un tel droit n’existe pas pour les cultes erronés, on s’ingénia à formuler un droit naturel à la seule immunité, qui vaille pour les adeptes de tous les cultes. Ainsi tous les "groupes religieux" (appellation pudique voilant la Babel des religions) jouiraient naturellement de l’immunité de toute contrainte dans leur "culte public de la Divinité suprême" (de quelle divinité s’agit-il, grand Dieu ?) ; et bénéficieraient aussi du " droit de ne pas être empêchés d’enseigner et de manifester leur foi (quelle foi ?) publiquement, de vive voix et par écrit " (DH. 4).
Peut-on imaginer une plus grande confusion ? Tous les adeptes de toutes les religions, de la vraie comme des fausses, réduits absolument à un pied d’égalité, jouiraient d’un même droit naturel, sous prétexte que ce n’est qu’un "droit à l’immunité". Est-ce concevable ?
II est assez évident que de soi, au simple titre de leur religion erronée, les adeptes de celle-ci ne jouissent d’aucun droit naturel à l’immunité. Laissez-moi illustrer cette vérité par un exemple concret. Si jamais l’envie vous prenait d’empêcher la prière publique d’un groupe de musulmans dans une rue, ou même de troubler leur culte dans une mosquée, vous pécheriez éventuellement contre la charité et assurément contre la prudence, mais vous ne causeriez à ces croyants aucune injustice. Ils ne seraient lésés dans aucun des biens auxquels ils ont droit, ni dans aucun de leurs droits à ces biens[18] : dans aucun de leurs biens, car leur vrai bien n’est pas d’exercer sans entraves leur faux culte, mais de pouvoir un jour exercer le vrai — dans aucun de leurs droits, car ils ont droit précisément à exercer le " culte de Dieu en privé et en public " [19] et à ne pas en être empêchés ; mais le culte d’Allah n’est pas le culte de Dieu ! Dieu a en effet révélé lui-même le culte dont il veut être exclusivement honoré, qui est le culte de la religion catholique[20].
Si donc, en justice naturelle, on ne lèse nullement ces croyants en troublant ou empêchant leur culte, c’est qu’ils n’ont aucun droit naturel à ne pas être troublés dans son exercice.
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On va m’objecter que je suis "négatif", que je sais ne pas considérer les valeurs positives des cultes erronés. J’ai répondu à cette prétention en vous parlant plus haut de la "recherche"[21]. — On me rétorquera alors que l’orientation fondamentale des âmes des adeptes des faux cultes reste droite et qu’on doit la respecter, et respecter de même le culte dans lequel elle est engagée. Je ne saurais m’opposer au culte sans briser ces âmes, sans rompre leur orientation vers Dieu. Donc au titre de son erreur religieuse, l’âme en question n’a certes pas le droit d’exercer son culte ; mais du fait qu’elle est quand même, je dirais "branchée sur Dieu", à ce titre-là, elle aurait droit à l’immunité dans l’exercice de son culte. Tout homme aurait ainsi un droit naturel à l’immunité civile en matière religieuse.
Admettons pour l’instant cette soi-disant orientation naturellement droite de toute âme vers Dieu dans l’exercice de son culte. Il n’est pas du tout évident que le devoir de respecter son culte pour cette raison soit un devoir de justice naturelle. Il me semble bien plutôt qu’il s’agit d’un pur devoir de charité ! S’il en est ainsi, ce devoir de charité n’attribue aux adeptes des faux cultes aucun droit naturel à l’immunité, mais suggère au Pouvoir civil de leur accorder un droit civil à l’immunité. Or précisément le Concile proclame pour tout homme, sans rien prouver, un droit naturel à l’immunité civile. Il me semble au contraire que l’exercice des cultes erronés ne peut dépasser le statut d’un simple droit civil à l’immunité, ce qui est tout autre chose !
Distinguons bien d’une part la vertu de justice qui, en assignant aux uns leurs devoirs, donne aux autres le droit correspondant, c’est-à-dire la faculté d’exiger, et d’autre part la vertu de charité qui, certes, impose aux uns des devoirs, sans attribuer cependant aux autres aucun droit.
Une orientation naturelle de tout homme vers Dieu ?
Le Concile (DH. 2-3) invoque outre la dignité radicale de la personne humaine, sa quête naturelle du divin : tout homme, dans l’exercice de sa religion quelle qu’elle soit, serait en fait orienté vers le vrai Dieu, en recherche même inconsciente du vrai Dieu, "branché sur Dieu", si l’on veut, et à ce titre il aurait un droit naturel à être respecté dans l’exercice de son culte.
Donc si un bouddhiste fait brûler des bâtons d’encens devant l’idole de Bouddha, selon la théologie catholique, il commet un acte d’idolâtrie, mais à la lumière de la nouvelle doctrine découverte par Vatican II, il exprime "l’effort suprême d’un homme pour chercher Dieu"[22]. Par conséquent cet acte religieux a droit au respect, cet homme a droit à ne pas être empêché de l’accomplir, il a droit à la liberté religieuse.
D’abord il y a une évidente contradiction à affirmer que tous les hommes adonnés aux faux cultes sont de soi, naturellement, tournés vers Dieu. Un culte erroné, de soi, ne peut que détourner les âmes de Dieu, puisqu’il les engage dans une voie qui, de soi, ne conduit pas à Dieu.
On peut admettre que, dans les fausses religions, certaines âmes puissent être orientées vers Dieu, mais c’est parce qu’elles ne s’attachent pas aux erreurs de leur religion ! Ce n’est pas par leur religion qu’elles se tournent vers Dieu, mais malgré elle ! Par conséquent, le respect qu’on devrait à ces âmes n’impliqueraient pas que l’on doive le respect à leur religion.
De toute façon l’identité et le nombre de telles âmes, que Dieu daigne tourner vers Lui par sa grâce, restent parfaitement cachés et inconnus. Ce n’est certainement pas le grand nombre. Un prêtre originaire d’un pays de religion mixte me faisait un jour part de son expérience de ceux qui vivent dans les sectes hérétiques ; il me disait sa surprise de constater combien ces personnes sont d’ordinaire très entêtées dans leurs erreurs et peu disposées à examiner les remarques que peut leur faire un catholique, peu dociles à l’Esprit de Vérité...
L’identité des âmes vraiment orientées vers Dieu dans les autres religions reste donc le secret de Dieu et échappe au jugement humain. Il est donc impossible de fonder là-dessus aucun droit naturel ou civil. Ce serait faire reposer l’ordre juridique de la société sur de pures suppositions hasardeuses voire arbitraires. Ce serait en définitive fonder l’ordre social sur la subjectivité d’un chacun et construire la maison sur du sable...
J’ajouterai ceci : j’ai été suffisamment en contact avec les religions d’Afrique (animisme, Islam), mais on peut en dire autant de la religion de l’Inde (hindouisme), pour pouvoir affirmer que l’on constate chez leurs adeptes les conséquences lamentables du péché originel, en particulier l’aveuglement de l’intelligence et la crainte superstitieuse. A cet égard, soutenir comme le fait Vatican II, une orientation naturellement droite de tous les hommes vers Dieu, c’est un irréalisme total et une pure hérésie naturaliste ! Dieu nous délivre des erreurs subjectiviste et naturaliste ! Elles sont la marque inéquivoque du libéralisme qui inspire la liberté religieuse de Vatican II. Mais elles ne peuvent aboutir qu’au chaos social, à la Babel des religions !
La mansuétude évangélique
La révélation divine, pourtant, assure le Concile, " montre en quel respect le Christ a tenu la liberté de l’homme dans l’accomplissement de son devoir de croire à la parole de Dieu (DH. 9) ; Jésus "doux et humble de cœur" ordonne de "laisser croître l’ivraie jusqu’à la moisson", "il ne brise pas le roseau froissé et n’éteint pas la mèche fumante " (DH. 11, cf. Mt. 13, 29 ; Isa. 42, 3).
Voici la réponse. Quand le Seigneur ordonne de laisser pousser l’ivraie, il ne lui accorde pas un droit de ne pas être arrachée, mais il donne ce conseil aux moissonneurs " afin de ne pas arracher en même temps le bon grain ". Conseil de prudence : il vaut mieux parfois ne pas scandaliser les fidèles par le spectacle de la répression des infidèles ; mieux vaut parfois éviter une guerre civile que susciterait la non-tolérance. De même, si Jésus ne brise pas le roseau froissé et en fait une règle pastorale à ses apôtres, c’est par charité envers les égarés, afin de ne pas les détourner davantage de la vérité, ce qui pourrait arriver si on usait contre leurs cultes de moyens coercitifs. C’est clair, il y a parfois un devoir de prudence et de charité, de la part de l’Église et des États catholiques, envers les adeptes des cultes erronés ; mais un tel devoir ne confère de soi à autrui aucun droit ! Faute de distinguer la vertu de justice (celle qui attribue des droits), de la vertu de prudence et de celle de charité (qui ne confèrent de soi que des devoirs), Vatican II sombre dans l’erreur. Faire de la charité une justice, c’est pervertir l’ordre social et politique de la cité.
Et même si par impossible on devait considérer que Notre-Seigneur donne quand même à l’ivraie un droit "à ne pas être arrachée", ce droit demeurerait tout relatif aux raisons particulières qui le motivent, ce ne serait jamais un droit naturel et inviolable ! " Là où il n’y a pas à craindre d’arracher en même temps le bon grain, écrit saint Augustin, que la sévérité de la discipline ne dorme pas "[23], que l’on ne tolère pas l’exercice des faux cultes ! Et saint Jean Chrysostome lui-même, si peu partisan de la suppression des dissidents, n’exclut pourtant pas la répression de leurs cultes : " Qui sait d’ailleurs, dit-il, si une certaine partie de cette ivraie ne se changerait pas en bon grain ? Si donc vous l’arrachiez présentement, vous nuiriez à la moisson prochaine, en arrachant ceux qui pourront changer et devenir meilleurs. Il (le Seigneur) ne défend pas, assurément, de réprimer les hérétiques, de leur fermer la bouche, de leur refuser la liberté de la parole, de dissiper leurs assemblées, de répudier leurs serments, ce qu’Il défend c’est de répandre leur sang et de les mettre à mort "[24]. L’autorité de ces deux Pères de l’Église me semble suffire pour réfuter l’interprétation abusive que le Concile donne de la mansuétude évangélique. Sans doute Notre-Seigneur n’a pas prêché les dragonnades, mais ce n’est pas une raison pour le déguiser en apôtre du tolérantisme libéral !
La liberté de l’acte de foi
On invoque enfin la liberté de l’acte de foi (DH. 10). II y a là un double argument, dont voici le premier : Imposer, pour des raisons religieuses, des limites à l’exercice d’un culte dissident, ce serait indirectement contraindre ses adeptes à embrasser la foi catholique. Or l’acte de foi doit être exempt de toute contrainte : " que personne ne soit contraint d’embrasser la foi catholique contre son gré " (Droit canon de 1917, can. 1351).
Je réponds, avec la saine théologie morale, qu’une telle contrainte est légitime, selon les règles du volontaire indirect. Elle a en effet pour objet direct de limiter le culte dissident, ce qui est un bien[25], et pour effet seulement indirect et éloigné, d’inciter certains non-catholiques à se convertir, avec le risque que quelques-uns deviennent catholiques plus par crainte ou convenance sociale, que par conviction : chose qui n’est pas désirable en soi, mais qui peut être permise quand il y a une raison proportionnée.
Le second argument est beaucoup plus essentiel et demande quelque développement. Il repose sur la conception libérale de l’acte de foi. Selon la doctrine catholique[26], la foi est un assentiment, une soumission de l’intelligence à l’autorité de Dieu qui révèle, sous l’impulsion de la volonté libre, elle-même mue par la grâce. D’une part, l’acte de foi doit être libre, c’est-à-dire doit échapper à toute contrainte extérieure qui aurait pour but ou pour effet direct de l’extorquer contre le gré du sujet[27]. D’autre part, l’acte de foi étant une soumission à l’autorité divine, nul pouvoir ou nulle tierce personne n’a le droit de contrecarrer la bienfaisante emprise de la Vérité Première, qui a un droit inaliénable à illuminer l’intelligence du croyant. Il s’ensuit que le croyant a droit à la liberté religieuse : nul n’a le droit de le contraindre et nul n’a le droit de l’empêcher d’embrasser la révélation divine ou de poser prudemment les actes cultuels extérieurs correspondants.
Or, oublieux du caractère objectif, tout divin et surnaturel, de l’acte de foi divine, les libéraux, et à leur suite les modernistes, font de la foi l’expression de la conviction subjective du sujet[28] au terme de sa recherche personnelle[29] pour tenter de répondre aux grandes interrogations que lui fait poser l’univers[30]. Le fait de la révélation divine extérieure, sa proposition par l’Église, font place à l’invention créatrice du sujet, ou du moins la seconde doit s’efforcer d’aller à la rencontre de la première...[31]. S’il en est ainsi, la foi divine est ravalée au rang des convictions religieuses des non-chrétiens, qui se figurent avoir une foi divine, alors qu’ils n’ont qu’une persuasion humaine : leur motif d’adhérer à leur croyance n’étant pas alors l’autorité divine révélante, mais le libre jugement de leur esprit. Or, c’est là leur inconséquence fondamentale, les libéraux prétendent conserver à cet acte de persuasion tout humaine les caractères d’inviolabilité et d’exemption de toute contrainte, qui n’appartiennent qu’à l’acte de foi divine ! Ils assurent que par les actes de leurs convictions religieuses, les adeptes des autres religions sont mis en relation avec Dieu et que dès lors, cette relation doit être soustraite à toute contrainte qui y attenterait. "Toutes les fois religieuses sont respectables et intangibles", disent-ils.
Mais ces dernières allégations sont manifestement fausses, car par leurs convictions religieuses, les adeptes des autres religions ne font qu’adhérer aux excogitations de leur propre esprit, productions humaines qui n’ont en soi rien de divin, ni dans leur cause, ni dans leur objet, ni dans le motif d’y adhérer.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait rien de vrai dans leurs convictions, ou qu’elles ne puissent pas conserver des traces de la révélation primitive ou postérieure. Mais la présence de ces semina Verbi ne suffit pas à elle seule à faire de leurs convictions un acte de foi divine ! D’autant que cet acte surnaturel, si Dieu voulait le susciter par sa grâce, serait dans la plupart des cas empêché par la présence des multiples erreurs et superstitions auxquelles ces hommes continuent d’adhérer.
Face au subjectivisme et au naturalisme des libéraux, nous devons réaffirmer aujourd’hui le caractère objectif et surnaturel de la foi divine qui est la foi chrétienne et catholique. Elle seule a un droit absolu et inviolable au respect et à la liberté religieuse.
II VATICAN II ET LA CITÉ CATHOLIQUE
Faisons le point. La déclaration conciliaire sur la liberté religieuse s’avère d’abord être contraire au magistère constant de l’Église[32]. En outre elle ne se situe pas dans la ligne des droits fondamentaux définis par les papes récents[33]. De plus nous venons de voir quelle ne repose sur aucun fondement, rationnel ou révélé. Il importe en dernier lieu d’examiner si elle est en accord avec les principes catholiques qui règlent les rapports de la cité temporelle avec la religion.
Limites de la liberté religieuse
Vatican II précise tout d’abord que la liberté religieuse doit être restreinte à de "juste limites" (DH. I), " selon les règles juridiques (...), conformes à l’ordre moral objectif, qui sont requises pour sauvegarder efficacement les droits de tous (...) l’authentique paix publique (...) ainsi que la protection due à la moralité publique " (DH. 7) — Tout cela n’est que très raisonnable, mais laisse de côté la question essentielle, que voici : l’État n’a-t-il pas le devoir, et par conséquent le droit, de sauvegarder l’unité religieuse des citoyens dans la vraie religion et de protéger les âmes catholiques contre le scandale et la propagation de l’erreur religieuse et, pour ces seules raisons, de limiter l’exercice des faux cultes, de le prohiber même si besoin est ?
Telle est pourtant bien la doctrine de l’Église, exposée avec force par le pape Pie IX dans Quanta Cura, où le Pontife condamne l’opinion de ceux qui, " contrairement à la doctrine de l’Écriture, de l’Église et des saints Pères, ne craignent pas d’affirmer que "le meilleur gouvernement est celui où l’on ne reconnaît pas au pouvoir l’office de réprimer par la sanction des peines les violateurs de la religion catholique, si ce n’est lorsque la paix publique le demande " (PIN. 39 ; Dz 1690). Le sens obvie de l’expression "violateurs de la religion catholique" est : ceux qui exercent publiquement un culte autre que le culte catholique, ou qui, publiquement, n’observent pas les lois de l’Église. Pie IX enseigne donc que l’État gouverne d’une façon meilleure quand il se reconnaît l’office de réprimer l’exercice public des cultes erronés, pour la seule raison qu’ils sont erronés, et pas seulement pour sauvegarder la paix publique ; pour le seul motif qu’ils contreviennent à l’ordre chrétien et catholique de la Cité, et pas seulement parce que la paix ou la moralité publiques en seraient affectées.
C’est pourquoi on doit dire que les "limites" fixées par le Concile à la liberté religieuse ne sont que de la poudre aux yeux, masquant le défaut radical dont elles souffrent et qui est de ne plus tenir compte de la différence entre la vérité et l’erreur ! On prétend contre toute justice, attribuer le même droit à la vraie religion et aux fausses, et ensuite on s’efforce artificiellement de limiter les dégâts par des barrières qui sont loin de satisfaire aux exigences de la doctrine catholique. Je comparerais volontiers "les limites" de la liberté religieuse aux glissières de sécurité des autoroutes, qui servent à contenir les divagations des véhicules dont les conducteurs ont perdu le contrôle. Il s’agirait pourtant en tout premier lieu de s’assurer qu’ils sont disposés à suivre le code de la route !
Falsification du bien commun temporel
Venons-en maintenant à des vices plus fondamentaux de la liberté religieuse. L’argumentation conciliaire repose au fond sur une fausse conception personnaliste de bien commun réduit à la somme des intérêts particuliers, ou comme on dit, au respect des droits des personnes ; au détriment de l’œuvre commune à accomplir pour la plus grande gloire de Dieu et le bien de tous. Déjà Jean XXIII dans Pacem in terris tend à adopter cette vue partielle et par conséquent faussée :
" Pour la pensée contemporaine, écrit-il, le bien commun réside surtout dans la sauvegarde des droits et des devoirs de la personne humaine " [34].
Sans doute Pie XII, affronté aux totalitarismes contemporains, y opposa légitimement les droits fondamentaux de la personne humaine[35], mais cela ne signifie pas que la doctrine catholique s’y limite. A force de tronquer la vérité en un sens personnaliste, on finit par entrer dans le jeu de l’individualisme forcené que les libéraux ont réussi à introduire dans l’Église. Comme l’ont souligné Charles de Koninck (De la primauté du bien commun contre les personnalistes) et Jean Madiran (Le principe de totalité), ce n’est pas en exaltant l’individu, que l’on lutte authentiquement contre le totalitarisme, mais en rappelant que le vrai bien commun temporel est ordonné positivement, même si c’est indirectement, au bien de la cité de Dieu d’ici-bas et du Ciel ! Ne nous faisons pas complices des personnalistes dans leur sécularisation du droit !
En d’autres termes et concrètement, avant de se préoccuper de savoir si les personnes des musulmans, des Krishna et des Moon ne sont pas trop brimées par la loi, l’État (je ne parle pas des pays non chrétiens) doit veiller à sauvegarder l’âme chrétienne du pays, qui est l’élément essentiel du bien commun d’une nation encore chrétienne — Question d’accentuation, dira-t-on ! — Non ! Question fondamentale : la conception globale de la cité catholique est-elle oui ou non une doctrine catholique ?
Ruine du droit public de l’Église
Le pire, je dirais, de la liberté religieuse de Vatican II, ce sont ses conséquences : la ruine du droit public de l’Église, la mort du règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ, et enfin l’indifférentisme religieux des individus. L’Église, selon le Concile, peut encore jouir de fait d’une reconnaissance spéciale de la part de l’État, mais elle n’a pas un droit naturel et primordial à cette reconnaissance, même dans une nation en grande majorité catholique : c’en est fini du principe de l’État confessionnel catholique, qui avait fait le bonheur des nations restées catholiques. La plus claire application du Concile a été la suppression des États catholiques, leur laïcisation en vertu des principes de Vatican II et à la demande même du Vatican. Toutes ces nations catholiques (Espagne, Colombie, etc.) ont été trahies par le Saint Siège lui-même en application du Concile ! La séparation de l’Église et de l’État a été vantée comme le "régime idéal" par le cardinal Casaroli et par Jean-Paul II, lors de la réforme du concordat italien !
L’Église se trouve réduite par principe au droit commun reconnu par l’État à toutes les religions ; par une impiété sans nom, elle se trouve sur le même pied d’égalité que l’hérésie, la perfidie et l’idolâtrie. Son droit public est donc anéanti radicalement.
Rien ne subsiste en doctrine et en pratique, de ce qui avait été le régime de relations publiques de la société civile avec l’Église et les autres religions, et qui peut se résumer par ces mots : reconnaissance de la vraie religion, tolérance éventuelle et limitée des autres religions. Ainsi, le Fuero de los espanoles, la charte fondamentale des droits et des devoirs du citoyen espagnol prévoyait sagement dans son article 6, avant le Concile :
" La profession et la pratique de la religion catholique, qui est la religion de l’État espagnol, jouiront de la protection officielle. — Personne ne sera inquiété ni pour ses croyances religieuses, ni dans l’exercice privé de son culte. — Ne seront permises ni cérémonies ni manifestations extérieures autres que celles de la religion de l’État " [36].
Cette non-tolérance très stricte des cultes dissidents, est parfaitement justifiée : d’une part, elle peut s’imposer à l’État au nom de sa cura religionis, de son devoir de protéger l’Église et la foi de ses membres ; d’autre part, l’unanimité religieuse des citoyens dans la vraie foi est un bien précieux et irremplaçable, qu’il faut garder à tout prix ne serait-ce que pour le bien commun temporellui-même d’une nation catholique. C’est ce qu’exprimait le schéma sur les relations entre l’Église et l’État rédigé pour le Concile par le cardinal Ottaviani. Ce document exposait simplement la doctrine catholique sur cette question, doctrine applicable intégralement dans une nation catholique :
" Ainsi donc, de même que le pouvoir civil s’estime en droit de protéger la moralité publique, de même, afin de protéger les citoyens contre les séductions de l’erreur, afin de garder la Cité dans l’unité de la foi, ce qui est le bien suprême et la source de multiples bienfaits mêmes temporels, le pouvoir civil peut, de lui-même, régler et modérer les manifestations publiques d’autres cultes et défendre les citoyens contre la diffusion des fausses doctrines qui, au jugement de l’Église, mettent en danger leur salut éternel " [37].
Les confusions entretenues révèlent l’apostasie latente !
Le Fuero de los espanoles tolère, comme nous l’avons vu, l’exercice privé des cultes erronés, mais il n’en tolère pas les manifestations publiques. Voilà une distinction tout à fait classique que Dignitatis humanae s’est refusé à appliquer. Le Concile a défini la liberté religieuse comme un droit de la personne en matière religieuse, " en privé comme en public, seul ou associé à d’autres " (DH. 2). Et le document conciliaire justifiait ce refus de toute distinction : " La nature sociale de l’homme requiert en effet elle-même qu’il exprime extérieurement les actes internes de religion, qu’en matière religieuse il ait des échanges avec d’autres, qu’il professe sa religion sous une forme communautaire " (DH. 3).
Sans aucun doute, la religion est un ensemble d’actes non seulement intérieurs à l’âme (dévotion, oraison) mais extérieurs (adoration, sacrifice), et non seulement privés (prière familiale) mais aussi public (offices religieux dans les édifices cultuels — disons les églises — processions, pèlerinages, etc.). Mais le problème n’est pas là. La question est de savoir de quelle religion il s’agit : si c’est la vraie, ou si c’est une fausse ! Quant à la vraie religion, elle a le droit d’exercer tous les actes susdits "avec une liberté prudente", comme dit Léon XIII[38] c’est-à-dire dans les limites de l’ordre public, de façon non intempestive.
Mais les actes des cultes erronés doivent être soigneusement distingués les uns des autres. Les actes purement internes échappent par leur nature même à tout pouvoir humain[39]. Les actes privés externes en revanche peuvent être parfois soumis à la réglementation d’un État catholique s’ils troublaient l’ordre catholique : par exemple des réunions de prières de non-catholiques dans des appartements privés. Enfin, les actes cultuels publics tombent de soi sous le coup des lois qui visent éventuellement à interdire toute publicité aux cultes erronés. Mais comment le Concile pouvait-il accepter de faire ces distinctions, puisqu’il refusait d’emblée de distinguer la vraie religion des fausses et également de distinguer entre État catholique, État confessionnel non catholique, État communiste, État pluraliste, etc. Au contraire le schéma du cardinal Ottaviani ne manquait pas d’opérer toutes ces précisions absolument indispensables. Mais justement, et c’est là qu’on saisit l’inanité et l’impiété du dessein conciliaire, Vatican II a voulu définir un droit qui pût convenir à tous les "cas de figure", indépendamment de la vérité ! C’est ce qu’avaient demandé les francs-maçons. Il y avait là une apostasie latente de la Vérité qui est Notre-Seigneur Jésus-Christ !
Mort du Règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ
Or si l’État ne se reconnaît plus un devoir singulier envers la vraie religion du vrai Dieu, le bien commun de la société civile n’est plus ordonné à la cité céleste des bienheureux, et la Cité de Dieu sur terre, c’est-à-dire l’Église, se trouve privée de son influence bénéfique et unique sur toute la vie publique ! Qu’on le veuille ou non, la vie sociale s’organise en dehors de la vérité, en dehors de la loi divine. La société devient athée. C’est la mort du Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ.
C’est bien ce que Vatican II a fait, quand Mgr De Smedt, rapporteur du schéma sur la liberté religieuse, a affirmé à trois reprises : " L’État n’est pas une autorité compétente pour porter un jugement de vérité ou de fausseté en matière religieuse " [40]. Quelle plus monstrueuse déclaration de ce que Notre-Seigneur n’a plus le droit de régner, de régner seul, d’imprégner toutes les lois civiles de la loi de l’Évangile ! Combien de fois Pie XII n’avait-il pas condamné un tel positivisme juridique[41], qui prétendait qu’on doit séparer l’ordre juridique de l’ordre moral, parce que l’on ne saurait exprimer en termes juridiques la distinction entre la vraie et les fausses religions ! — Relisez le Fuero de los espanoles !
Bien plus, impiété insurpassable, le Concile a voulu que l’État, libéré de ses devoirs envers Dieu, devienne désormais le garant de ce qu’aucune religion " ne soit empêchée de manifester librement l’efficacité singulière de sa doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine " (DH. 4). Vatican II invite donc Notre-Seigneur à venir organiser et vivifier la société, de concert avec Luther, Mahomet et Bouddha ! c’est ce que Jean-Paul II a voulu réaliser à Assise ! Projet impie et blasphématoire !
Jadis, l’union entre l’Église et l’État catholique eut pour fruit la Cité catholique, réalisation parfaite du Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ. Aujourd’hui, l’Église de Vatican II, mariée à l’État qu’elle veut athée, enfante de cette union adultère la société pluraliste, la Babel des religions, la Cité indifférentiste, objet de tous . les désirs de la Franc-Maçonnerie !
Le règne de l’indifférentisme religieux
"A chacun sa religion !" dit-on, ou encore "La religion catholique est bonne pour les catholiques, mais la musulmane est bonne pour les musulmans !" Telle est la devise des citoyens de la Cité indifférentiste. Comment voulez-vous qu’ils pensent autrement, quand l’Église de Vatican II leur enseigne que d’autres religions "ne sont pas dépourvues de signification et de valeur dans le mystère du salut"[42]. Comment voulez-vous qu’ils considèrent autrement les autres religions, quand l’État leur accorde à toutes la même liberté. La liberté religieuse engendre fatalement l’indifférentisme des individus, déjà Pie IX condamnait dans le Syllabus la proposition suivante :
" Il est faux que la liberté civile de tous les cultes, et le plein pouvoir laissé à tous de manifester ouvertement et publiquement toutes les pensées, jettent plus facilement les peuples dans la corruption des mœurs et de l’esprit, et propagent la peste de l’indifférentisme " [43].
C’est ce que nous vivons : depuis la déclaration sur la liberté religieuse, la grande majorité des catholiques sont persuadés que " les hommes peuvent trouver le chemin du salut éternel et obtenir le salut, dans le culte de n importe quelle religion " [44]. Là encore le plan des francs-maçons est accompli ; ils ont réussi, par un Concile de l’Église catholique, à " accréditer la grande erreur du temps présent, laquelle consiste à (...) mettre sur un pied d’égalité toutes les formes religieuses " [45].
Se sont-ils rendu compte, tous ces Pères conciliaires qui ont donné leur suffrage à Dignitatis humanæ et ont proclamé avec Paul VI la liberté religieuse, qu’ils ont, en fait, découronné Notre Seigneur Jésus-Christ en lui arrachant la couronne de sa royauté sociale ? Ont-ils réalisé qu’ils ont très concrètement détrôné Notre Seigneur Jésus-Christ du trône de sa divinité ? Ont-ils compris que, se faisant l’écho des nations apostates, ils faisaient monter vers Son trône ces blasphèmes exécrables : " Nous ne voulons pas qu’il règne sur nous " (Lc, 19, 14) ; " Nous n’avons d’autre roi que César " (Jn. 19, 15) ?
Mais Lui, se riant du murmure confus qui montait de cette assemblée d’insensés, Il leur retirait son Esprit.