Sel de la Terre n° 53, été 2005

3 articles :

Éditorial - Fatima, Benoît XVI et la crise dans l'Église

Le cardinal Ratzinger commente le message de Fatima

par le frère Pierre-Marie O.P.

La neutralisation du troisième secret de Fatima

par frère Louis-Marie O.P.

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Éditorial

Fatima, Benoît XVI et la crise dans l'Église

Ayez confiance, j'ai vaincu le monde (Jean 17, 33).

A la fin mon Cœur Immaculé triomphera (13 juillet 1917 à Fatima).

Il n'y a aucun problème, si difficile soit-il, temporel ou surtout spirituel, se référant à la vie personnelle de chacun de nous, de nos familles, des familles du monde ou des communautés religieuses, ou bien à la vie des peuples et des nations, il n'y a aucun problème, dis-je, si difficile soit-il, que nous ne puissions résoudre par la prière du saint Rosaire (Lucie au père Fuentès, 1957).

Le 17 octobre 1917 eut lieu le plus grand miracle de l'histoire de l'Église, du moins quant au nombre de personnes qui en furent les témoins. Il faut remonter à la sortie d'Égypte, quinze siècles avant notre ère, et à la grandiose manifestation du Sinaï, pour trouver quelque chose de comparable.

Si Dieu a voulu donner une telle «publicité» au message de Fatima, ce n'est pas sans raisons.

Pourtant ces raisons ne sont apparues clairement que dans la suite.

Sans doute, la sainte Vierge avait dit aux enfants de Fatima : «La Russie répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l'Église». Mais cette partie du message resta secrète jusqu'en 1941.

A partir de ce moment-là, l'importance du message de Fatima a commencé à devenir visible par tous : on comprenait que la sainte Vierge était venue nous prévenir du danger du communisme et nous donner les moyens de le vaincre.

Toutefois, il ne s'agissait pas seulement du communisme. Le message de Fatima contenait une troisième partie qui devait être révélée au plus tard en 1960, «parce qu'en 1960 cela apparaîtra plus clair[1]».

1960 a été en effet le début d'une nouvelle ère, d'un «nouvel âge» dans l'Église : Gaudium et spes, la joie et l'espoir de Vatican II, ont commencé à

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déferler sur la sainte Épouse de Notre-Seigneur Jésus-Christ, y produisant des dévastations infiniment plus graves que celle du communisme athée.

Depuis 1960, l'Église est engagée dans une crise qui est certainement la plus grave de toute son histoire et dont nous ne voyons pas la fin.

Pourtant nous pouvons avoir une certitude, et ce numéro du Sel de la terre voudrait le montrer : la solution à la crise actuelle est liée à Fatima.

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A Fatima, la sainte Vierge n'a pas demandé des choses extraordinaires. Essentiellement, ce qu'elle a demandé, c'est : 1°. La récitation quotidienne de notre chapelet. – 2°. La dévotion à son Cœur Immaculé. – 3°. La pratique de la dévotion des «cinq premiers samedis». – 4°. La consécration de la Russie à son Cœur Immaculé par le pape.

Le Ciel a envoyé des «signes» fort clairs aux papes pour les engager à obéir ses demandes. Rappelons-en quelques uns :

Le pape Pie XII fut consacré évêque le jour de la première apparition de Notre-Dame à Fatima, le 13 mai 1917 ; durant son pontificat, il bénéficia à plusieurs reprises, entre les 30 octobre et 8 novembre 1950 dans les jardins du Vatican II, d'un miracle semblable à celui de la danse du soleil du 13 octobre 1917.

Jean-Paul II, qui venait d'un pays soumis au communisme, subit un attentat le 13 mai 1981. Le pape a bien compris qu'il y avait là un lien avec Fatima, mais il n'en a pas tiré les conséquences pratiques.

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Or la hiérarchie de l'Église, surtout depuis 1960, n'a pas été dans le sens de la réalisation de ces demandes.

•      La dévotion au rosaire a considérablement régressé. Le pape Jean-Paul II, en ajoutant «5 mystères lumineux» a même rendu incompréhensible la demande de la sainte Vierge aux petits pâtres : celle-ci leur demandait de réciter «o terzo», le tiers du rosaire, comme disent les Portugais. Comment faire pour réciter le tiers du «nouveau rosaire» de 20 mystères ?

•      La dévotion au Cœur Immaculé de Marie a fortement diminué depuis 1960: la fête du Cœur Immaculé de Marie est passée au rang de simple mémoire. Les autorités romaines ignorent cette dévotion, et ce qu'elles en disent manifestent leur incompréhension, pour ne pas dire leur mépris (voir dans ce numéro l'article sur le commentaire du cardinal Ratzinger sur le message de Fatima).

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•      La pratique des cinq premiers samedis du mois n'a jamais été encouragée par Rome, ni même officiellement reconnue... Pourtant c'est une chose si simple[2]. Comment expliquer cela ?

•      La consécration de la Russie au Cœur Immaculé par le pape n'a jamais été faite comme la sainte Vierge l'avait demandée (voir l'article sur ce sujet dans ce numéro).

Ainsi, loin d'obéir aux demandes du Ciel, les autorités de l'Église, surtout depuis 1960, se sont engagées dans une voie diamétralement opposée : au lieu de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, ils ont propagé «le culte de l'homme»; et même, au lieu d'honorer la sainte Vierge, ils l'ont méprisée au Concile[3] ; au lieu de résister au communisme et d'encourager le témoignage de la foi jusqu'au martyre, ils se sont lancés dans l'Ostpolitik et la compromission avec les ennemis de l'Église ; au lieu de chercher à convertir les nations (la Russie notamment) ils ont enterré la doctrine du Christ-Roi et inventé une nouvelle doctrine de «liberté religieuse» ; au lieu de chercher à faire revenir les schismatiques orthodoxes dans le sein de l'Église, ils ont renoncé au «prosélytisme» à leur égard et rejeté, de facto, l'uniatisme[4].

Le nouveau pape Benoît XVI est confronté à Fatima depuis au moins vingt ans : en tant que préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, c'est lui qui devait s'occuper de ce dossier. Il était chargé de la garde du «troisième secret» – qu'il lut et qu'il fut ensuite chargé de publier –, il donnait les autorisations de visite à sœur Lucie, il fit mettre sous scellés la cellule de cette dernière quelques mois avant d'être élu pape, etc.

Comme ses prédécesseurs, il paraît mal disposé pour obéir aux demandes de Notre-Dame du Rosaire. Encore cardinal, il a affirmé que Fatima était une révélation privée, «dont il n'est nullement obligatoire de faire usage»[5] ; il semble ne pas comprendre ce qu'est la dévotion au Cœur Immaculé de Marie[6], et il partage la version «religieusement correcte» de la consécration de la Russie déjà faite par Jean-Paul II.

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Sans doute, Fatima reste une révélation privée ; sans doute, celle-ci n'a pas l'autorité de la foi : mais elle n'en a pas moins une très grande autorité.

Ne pas obéir à ce que Dieu demande à Fatima («il veut répandre la dévotion à mon Cœur Immaculé») n'est pas forcément une faute contre la foi, mais c'est une grave imprudence, voire une grave désobéissance.

La Providence a ses voies, elle a ses plans.

Tous les bons catholiques français savent que la Révolution de 1789 fut, entre autres, une punition pour le refus de la consécration de la France au Sacré-Cœur qui avait été demandée en 1689 à sainte Marguerite-Marie dans une révélation privée.

Le roi de France devait faire cette consécration, et il ne l'a pas faite. Les papes devaient obéir aux demandes du Ciel à Fatima, et ils ne l'ont pas fait : «Comme le roi de France, ils s'en repentiront, et ils le feront, mais ce sera bien tard»[7].

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Aujourd'hui, la crise est parvenue à un tel degré de gravité qu'il ne reste plus d'espoir que dans une intervention particulière de la Providence.

Il y a tout lieu de penser que cette intervention sera liée au Cœur Immaculé de Marie : d'une part parce que, selon Fatima, «Dieu veut répandre cette dévotion», d'autre part parce que dans les derniers temps doit éclater le triomphe de la sainte Vierge Marie (voir l'article sur Fatima et saint Louis-Marie Grignion de Montfort dans ce numéro).

Nous avons l'assurance qu'un jour le pape fera la consécration de la Russie demandée à Fatima («ils le feront»), et donc qu'il répondra enfin aux demandes du Ciel.

Le pape actuel, formé dans la nouvelle théologie, semble incapable de comprendre les raisons de la crise dans l'Église et, par conséquent, de prendre les mesures pour en sortir.

Mais la Providence a voulu lui donner un moyen simple, à sa portée, pour résoudre cette crise : obéir aux exigences de Fatima.

Un tel acte serait déjà un premier pas dans un retour vers la Tradition : l'acte de consécration de la Russie est un acte qui doit être imposé par le pape personnellement (contre la collégialité), qui affirme son autorité sur la Russie (contre le schisme orthodoxe), qui met en valeur la médiation de la sainte

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Vierge (contre le faux œcuménisme avec les protestants), auquel est attachée la conversion d'un pays en tant que pays (contre la liberté religieuse) ; la dévotion réparatrice des cinq premiers samedis du mois rappelle que le péché offense Dieu et que l'on doit prier et se sacrifier pour empêcher les âmes de tomber en enfer (contre la nouvelle théologie).

Dans son livre Fatima-Rome-Moscou[8], M. l'abbé Mura fait remarquer que la consécration au Cœur Immaculé de Marie s'oppose aux tentatives purement humaines de paix mondiale, et suppose une théologie d'un vrai retour à la foi de l'Église, car, par le retour des schismatiques à l'unité romaine qu'elle doit causer, elle est anti-œcuménique par excellence et est l'antidote de toute la réforme conciliaire.

Remarquons aussi que cette démarche ne serait pas humiliante pour Rome, car, dans la mesure où les autorités romaines pensent avoir déjà fait cette consécration, il leur suffit de la «renouveler», en respectant toutefois à cette occasion les conditions posées par la sainte Vierge à Fatima.

Mgr Fellay, dans un entretien avec la revue The Latin mass, déclarait que ce serait le premier conseil qu'il donnerait à la hiérarchie romaine, si le cas se présentait:

T.L.M. Si vous pouviez donner un conseil à la hiérarchie romaine, que lui diriez-vous ? Quels seraient les points les plus critiques qui auraient besoin d'être corrigés pour enrayer la crise de l'Église?

Mgr F. Avant tout, l'Église catholique est essentiellement surnaturelle et non pas humaine - bien que l'humain y tienne une place importante -, il faut donc que cette vision surnaturelle des choses soit rétablie. C'est appliquer la foi aux situations concrètes ; c'est compter sur l'aide de Dieu pour résoudre d'immenses problèmes. A ce niveau surnaturel, la consécration demandée par Notre-Dame à Fatima serait très importante[9].

Sans doute, la clef de la solution à la crise dans l'Église est dans les mains du pape. Mais chacun d'entre nous doit préparer et hâter ce triomphe du Cœur Immaculé de Marie, en connaissant et faisant connaître le message de Fatima, et en obéissant, autant qu'il est en nous, aux demandes de la Reine du très saint Rosaire.

Ce numéro spécial devrait nous y encourager, car il explique – outre l'importance de Fatima pour la politique mondiale et pour l'Église universelle – son impact dans notre vie quotidienne : ce qu'est la dévotion réparatrice des premiers samedis du mois, la vie exemplaire de François et de

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Jacinthe, l'exemple de l'Armée bleue, etc. La lecture de ces pages sera une aide pour prier, vivre en famille, éduquer nos enfants, combattre l'ennemi et nous sanctifier de la manière que la sainte Vierge nous a indiquée à Fatima.

Remerciements

Au seuil de ce numéro spécial sur Fatima et le Cœur Immaculé de Marie, nous tenons à remercier tout spécialement M. l'abbé Fabrice Delestre, de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, pour son aide, son dévouement, sa documentation et ses précieux conseils.

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ÉTUDES

«Dites bien à vos religieux que la pensée du pape est contenue dans le message de Fatima. Dites-leur qu'ils continuent avec le plus grand enthousiasme à travailler à la propagande du culte de Notre-Dame du Rosaire à Fatima».

PIE XII, janvier 1953. au R.P. Suarez O.P. (maître de l'Ordre des frères prêcheurs).

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Le cardinal Ratzinger commente le message de Fatima

par le frère Pierre-Marie O.P.

Le 26 juin 2000, le Vatican publiait le «troisième secret de Fatima» en le faisant accompagner d'un «commentaire théologique du message de Fatima» rédigé par le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, devenu depuis le pape Benoît XVI[10].

Nous avons déjà attiré l'attention de nos lecteurs sur ce commentaire[11]. Nous y revenons ici. Il est en effet important de comprendre la lecture du message de Fatima que font les autorités romaines. Cela permet d'expliquer, en partie du moins, leurs réactions, ou absence de réactions, aux demandes de la sainte Vierge Marie.

La révélation, processus vital

Le cardinal commence par énoncer la distinction classique entre la Révélation publique et les révélations privées.

Ce qui est moins «classique», c'est la façon de présenter la Révélation publique :

Le terme «révélation publique» désigne l'action révélatrice de Dieu, qui est destinée à l'humanité entière et qui a trouvé son expression littéraire dans les deux parties de la Bible : l'ancien et le nouveau Testament.

On l'appelle «révélation» parce que, en elle, Dieu s'est fait connaître progressivement aux hommes, au point de devenir lui-même homme, pour attirer à Lui et réunir à Lui tout le monde, par Son Fils incarné, Jésus-Christ. Il ne s'agit donc pas de communications intellectuelles, mais d'un processus vital, par lequel Dieu s'approche de l'homme ; et dans ce processus, tout naturellement, se dévoilent aussi un contenu qui intéresse également l'intelligence et la compréhension du mystère de Dieu. Le processus concerne l'homme tout entier et donc aussi la raison, mais pas seulement cette dernière.

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Traditionnellement on présentait la Révélation comme étant formellement (essentiellement) une «supernaturalis locutio Dei ad hommes»[12], une «locutio Dei ad hommes [...] supernaturalis (...] immutabilis»[13].

Le cardinal ne nie pas que la Révélation soit aussi cela («le processus concerne [...] aussi la raison»), mais il affirme qu'elle n'est pas d'abord cela : il s'agit d'abord d'un «processus vital», qui «concerne l'homme tout entier»[14].

Pour un lecteur peu instruit du modernisme, ce petit changement pourrait paraître secondaire, insignifiant.

En réalité il est capital.

En effet, pour le modernisme, la foi n'est pas d'abord un assentiment de la raison à la parole de Dieu, mais un sentiment qui émerge des profondeurs du cœur sous l'influence d'une expérience du divin. Ensuite, dans un deuxième temps, le croyant transcrira cette expérience en formulations intellectuelles (les dogmes de foi).

La présentation du cardinal s'inscrit dans cette perspective moderniste : «Il ne s'agit donc pas de communications intellectuelles, mais d'un processus vital, par lequel Dieu s'approche de l'homme», nous dit-il.

Il ne s'agit pas d'une «communication intellectuelle», mais d'un processus - une expérience diraient les premiers modernistes - dans lequel «tout naturellement se dévoile aussi un contenu qui intéresse également l'intelligence». Un processus, ou une expérience, - nous prolongeons quelque peu la pensée du cardinal - qui se déroule en somme dans le fond de notre être, avant de devenir conscient dans notre intelligence : c'est-à-dire une expérience, ou un processus, subconscient.

Citons quelques passages de l'encyclique Pascendi qui montreront la parenté de cette conception avec celle des modernistes dénoncés par saint Pie X :

La foi, principe et fondement de toute religion, réside dans un certain sentiment intime engendré lui-même par le besoin du divin. Ce besoin, d'ailleurs, ne se trahissant que dans de certaines rencontres déterminées et favorables, n'appartient pas de soi au domaine de la conscience : dans le principe, il gît au-dessous, et, selon un vocable emprunté de la philosophie moderne, dans la subconscience, où il faut ajouter que sa racine reste cachée, entièrement inaccessible à l'esprit. [...]

Nous n'avons vu jusqu'ici, Vénérables Frères, aucune place faite à l'intelligence. Selon les modernistes, elle a pourtant sa part dans l'acte de foi, et il importe de dire laquelle. Le sentiment dont il a été question – précisément parce qu'il est sentiment et non connaissance – fait bien surgir Dieu en l'homme, mais si confusément encore que Dieu, à vrai dire, ne s'y distingue pas, ou à peine, de l'homme lui-même. Ce sentiment, il faut donc qu'une lumière le vienne irradier, y mettre Dieu en relief dans une certaine opposition avec le sujet. C'est l'office de l'intelligence, faculté de pensée et d'analyse, dont l'homme se sert pour traduire, d'abord en représentations intellectuelles, puis en expressions verbales, les phénomènes de la vie dont il est le théâtre.

De là ce mot devenu banal chez les modernistes : l'homme doit penser sa foi.

L'intelligence survient donc au sentiment et, se penchant en quelque sorte sur lui, y opère à la façon d'un peintre qui, sur une toile vieillie, retrouverait et ferait reparaître les lignes effacées du dessin ; telle est, à peu de chose près, la comparaison fournie par l'un des maîtres des modernistes.

Or, en ce travail, l'intelligence a un double procédé : d'abord, par un acte naturel et spontané, elle traduit la chose en une assertion simple et vulgaire ; puis, faisant appel à la réflexion et à l'étude, travaillant sur sa pensée, comme ils disent, elle interprète la formule primitive au moyen de formules dérivées, plus approfondies et plus distinctes. Celles-ci, venant à être sanctionnées par le magistère de l'Église, constitueront le dogme[15].

Il y aurait sans doute quelques différences à noter entre la présentation du cardinal et celle des premiers modernistes. Mais le point commun - capital -, c'est que la rencontre de Dieu et de l'homme ne se fait pas d'abord dans l'intelligence.

Les conséquences sont graves.

En effet c'est l'intelligence qui est la «faculté de l'être», c'est par l'intelligence que je peux connaître l'être, que je peux m'ouvrir à l'extérieur. Cela est vrai au niveau naturel, comme au niveau surnaturel : c'est pourquoi la foi, vertu qui se greffe sur la raison, est le fondement de la vie surnaturelle. C'est parce que je crois en Dieu, que je peux entrer en contact avec Lui.

Mais pour les modernistes, cette intellectualisme est un «système qui fait sourire de pitié, et dès longtemps périmé» (Pascendi). Nous avons d'abord quelque «expérience vitale», intime, inexprimable, de la réalité. Ensuite notre intelligence, travaillant sur cette expérience, la traduira en concepts, en mots, en phrases.

Le drame, c'est que cette «expérience», qui ne se situe pas au niveau de l'intelligence («il ne s'agit pas de communication intellectuelle»), est nécessairement subjective. Seule, nous l'avons dit, l'intelligence, permet de sortir du sujet pour atteindre l'objet «en soi», la réalité extra-mentale.

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Voilà pourquoi les modernistes, et les néomodernistes à leur suite, sont nécessairement relativistes : la vérité n'est pas l'adéquation à une réalité extérieure, immuable, elle est la traduction d'une expérience vitale - d'un processus vital -, elle est donc changeante, variable, «vivante».

Par là même, la vérité ne sera plus contraignante. Ou du moins, si elle exerce quelque contrainte, ce sera seulement pour un certain temps : car la vérité évolue, comme la vie, comme l'expérience vitale ou le processus vital, qui lui a donné naissance.

Sans doute les néomodernistes ne tireront pas toujours toutes les conséquences de leurs principes. Ils s'arrêteront parfois à mi-chemin, retenus - illogiquement - par quelques attaches à la religion du passé[16]. Mais les principes une fois posés, les conséquences suivront tôt ou tard.

Pour ceux qui voudraient approfondir cette question de la subjectivisation de la foi - point capital de la crise dans l'Église -, nous les renvoyons aux travaux des deux Symposiums de théologie de Paris[17].

Révélations privées : le subjectivisme s'accentue

Nous venons de voir que la Révélation publique a perdu une partie de son objectivité en devenant le résultat d'un «processus vital».

La tendance au subjectivisme s'accentue avec les révélations privée Tâchons de pénétrer la pensée du cardinal.

Déjà, nous dit-il, il y a un élément subjectif dans la connaissance par les sens externes :

Déjà dans les visions extérieures, il existe aussi un facteur subjectif : nous ne voyons pas l'objet pur, mais celui-ci nous parvient à travers le filtre de nos sens, qui doivent accomplir un processus de traduction.

Comme nous l'avons déjà analysé ailleurs[18], le cardinal part ici d'u présupposé de la philosophie idéaliste : nos facultés de connaissance ne sont pas de pures puissances, elles interfèrent dans tous nos actes de connaissance

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Ce que nous voyons, ce n'est pas «l'objet pur», l'objet tel qu'il est dans la réalité, c'est un produit déjà transformé par mon activité, le résultat d'un «processus de traduction».

«Processus vital» pour la Révélation, «processus de traduction» pour les sens externes : nous retrouvons le même facteur «subjectivisant». Le cardinal, sans doute influencé par la philosophie idéaliste allemande, ne conçoit pas qu'on puisse connaître l'objet tel qu'il est en lui-même.

Pourtant cela est nécessaire pour la véracité de notre connaissance : «La vérité de nos sens externes postule que ceux-ci atteignent leurs objets immédiatement dans leur présence "transsubjective"»[19]. Gredt parle de présence «transsubjective» [= au-delà du sujet] pour bien affirmer que ce que nous connaissons, c'est l'objet tel qu'il est en lui-même, et non pas tel qu'il serait produit (même partiellement) par notre faculté de connaissance. Si ce que je connais est, même partiellement, le produit de l'activité de mes sens, comme tout ce que je connais passe par mes sens, je ne pourrai jamais connaître l'objet tel qu'il est, et je ne pourrai jamais vérifier que mes sens ne me trompent pas : je suis acculé au scepticisme, à moins de m'en sortir par un «acte de foi». Mais alors, nous ne sommes plus dans la philosophie réaliste.

Remarquons ici, pour répondre à une question d'un lecteur, que lorsque nous disons que nos sens atteignent «l'objet en soi», nous ne voulons pas dire qu'ils atteignent un objet à distance : ce que je vois, ce n'est pas la couleur qui est dans l'arbre, mais celle qui est au contact avec ma rétine. C'est cette couleur au contact avec ma rétine, extérieure à mes sens, que je connais. Je peux ensuite, par une série d'expérience, examiner s'il y a eu transformation de cette couleur dans le milieu transmetteur, et donc connaître avec certitude la couleur de l'arbre. Ce que je ne pourrais faire si ce que je vois n'est que le résultat «d'un processus de traduction réalisé par mes sens» comme le dit le cardinal, ou, pour prendre le langage de Kant qui est à l'origine de cet idéalisme moderne, le résultat d'une «forme a priori de ma sensibilité» s'appliquant à un «objet en soi» qui me serait toujours inaccessible.

Toutefois, nous ne sommes pas au bout de notre «subjectivisation» : dans le cas d'une apparition comme celle de Fatima, le cardinal nous affirme qu'intervient un nouveau «facteur subjectif» :

Il est clair que, dans les visions de Lourdes, Fatima, etc., il ne s'agit pas de la perception normale extérieure des sens : les images et les figures qui sont vues ne se trouvent pas extérieurement dans l'espace, comme s'y trouve par exemple un arbre ou une maison. Cela est absolument évident, par exemple, en ce qui concerne la vision de l'enfer (décrite dans la première partie du «secret» de

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Fatima) ou encore la vision décrite dans la troisième partie du «secret», mais cela peut se montrer très facilement aussi pour les autres visions, surtout parce que toutes les personnes présentes ne les voient pas, mais en réalité seulement les «voyants».

Le premier argument du cardinal est une «évidence absolue» : la vision de l'enfer ne saurait être une vision extérieure.

Nous ne voyons aucune évidence absolue là dedans... L'enfer est bien « une réalité qui se trouve extérieurement dans l'espace» (n'est-ce pas M. le cardinal ?). Le fait que l'enfer se trouve à une certaine distance et n'est pas normalement visible à nos yeux ne gêne pas la toute puissance divine. Nous sommes bien capables de transmettre des images à distance par des ondes électromagnétiques : Dieu (ou Ses anges, qui connaissent mieux que nous les lois de la transmission des ondes et peuvent intervenir dans notre monde avec la permission de Dieu) a très bien pu faire voir l'enfer à distance aux trois enfants, sans que les personnes situées autour ne le voient.

Le deuxième argument du cardinal est que «toutes les personnes présente: ne voyaient pas, mais en réalité seulement les "voyants"». Nous avons déjà répondu que cela n'est pas un problème pour la toute puissance divine. Saint Paul a bien vu Notre-Seigneur ressuscité sur le chemin de Damas, alors que ses compagnons ne le voyaient pas. Et il s'agissait bien d'une vision externe puisque saint Paul en est devenu aveugle.

Avec cet argument du cardinal, il nous faudrait dire que la «danse du soleil» le 13 octobre 1917 fut aussi une «vision intérieure» : en effet, seuls les personnes présentes sur les lieux et dans les environs ont vu le soleil bouger. A Paris, à Londres et à Rome, personne n'a rien remarqué.

Ou encore, il faudrait dire que les enfants n'ont pas réellement communie de la main de l'ange en 1916, mais qu'ils ont expérimenté un «toucher intérieur», croyant que leur langue touchait l'hostie ou le précieux sang. Ce n'est pas sérieux, M. le cardinal.

Il est bien clair qu'il s'est passé quelque chose d'extérieur à Fatima : non seulement la danse du soleil, non seulement la communion des trois pastoureaux, mais bien l'apparition de la sainte Vierge et les paroles qu'elle a prononcées. D'ailleurs le cardinal omet de nous dire que les personne présentes voyaient la branche du chêne-liège ployer sous le poids de l'apparition (peut-être M. le cardinal nous expliquera-t-il que le chêne-liège a aussi quelque «toucher intérieur» qui l'a fait se ployer ?), et qu'elle entendaient un susurrement (dont elles ne percevaient pas le sens).

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L'autorité du message de Fatima : nulle

Avec toute cette subjectivisation, les enfants ont beaucoup ajouté du leur :

Le sujet, le voyant, est engagé de manière encore plus forte [que dans les visions extérieures]. Il voit avec ses possibilités concrètes, avec les modalités représentatives et cognitives qui lui sont accessibles. Dans la vision intérieure, il s'agit encore plus largement que dans la vision extérieure d'un processus de traduction, de sorte que le sujet est de manière essentielle participant de la formation, sous mode d'images, de ce qui apparaît. L'image peut advenir seulement selon ses mesures et ses possibilités. Ces visions ne sont donc jamais de simples «photographies» de l'au-delà, mais elles portent aussi en elles-mêmes les possibilités et les limites du sujet qui perçoit. [...] Les images sont plutôt, pour ainsi dire, une synthèse de l'impulsion qui provient d'En Haut et des possibilités de ce fait disponibles du sujet qui perçoit, en l'occurrence des enfants. [...] La conclusion du «secret» rappelle des images que sœur Lucie peut avoir vues dans des livres de piété et dont le contenu provient d'anciennes intuitions de foi.

Sans doute le cardinal ne nie pas qu'il y a eu, ou qu'il y a pu y avoir, une intervention du Ciel à Fatima. Toutefois, comme «le sujet est de manière essentielle participant de la formation, sous mode d'images, de ce qui apparaît», on comprend qu'il est impossible de savoir exactement ce qui vient du Ciel et ce qui vient de l'imagination des voyants. Il est possible, par exemple, que la vision du feu de l'enfer soit simplement une image que «sœur Lucie peut avoir vues dans des livres de piété» : il n'y a pas lieu de trop prendre cela à la lettre.

Le cardinal en tire deux conclusions :

C'est pour cela que le langage imaginatif de ces visions est un langage symbolique.

Ainsi la description de l'enfer utilise un «langage symbolique» ; de même, sommes-nous invité à penser, la demande de consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Cela laisse évidemment une grande place à l'interprétation, tâche que se réserve le Vatican : «L'interprétation ne me regarde pas, elle regarde le pape»[20].

Mais ce n'est pas tout : étant le résultat d'un tel travail de subjectivisation, les révélations privées vues par le cardinal n'ont plus aucun caractère d'obligation :

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Un tel message peut être une aide valable pour comprendre et mieux vivre l'Évangile à l'heure actuelle; c'est pourquoi il ne doit pas être négligé. Il est une aide qui est offerte, mais dont il n'est nullement obligatoire de faire usage.

Voilà sans doute où l'on voulait en venir : Fatima ne nous oblige à rien. Ni à propager la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, ni à répandre la pratique des cinq premiers samedis du mois, ni à faire la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Non, le cardinal, maintenant devenu pape, nous l'a dit : «il n'est nullement obligatoire de faire usage» du message de Fatima.

Nous voilà prévenu : à vues humaines, il n'y aura pas de consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie sous le pontificat de Benoît XVI.

Le Cœur Immaculé de Marie vu par le cardinal

D'ailleurs, pourquoi une telle consécration, pourquoi même la dévotion au Cœur Immaculé de Marie ? Cela paraît surprenant au cardinal :

Comme chemin vers ce but [le salut des âmes], est indiquée - de manière surprenante pour des personnes provenant de l'ère culturelle anglo-saxonne et allemande - la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.

Aussi, sans doute pour rassurer les «personnes provenant de l'ère culturelle anglo-saxonne et allemande», le cardinal explique ce qu'il entend par Cœur Immaculé de Marie, c'est-à-dire le résultat du «processus vital» ou du «processus de traduction» qu'il opère pour le rendre acceptable à l'Église conciliaire œcuménique (il ne faut pas choquer nos «frères séparés») :

Pour comprendre cela, une brève indication suffira ici. «Cœur» signifie dans le langage de la Bible le centre de l'existence humaine, la jonction entre la raison, la volonté, le tempérament et la sensibilité, où la personne trouve son unité et son orientation intérieure. Le «Cœur immaculé» est, selon Mt 5, 8, un cœur qui, à partir de Dieu, est parvenu à une parfaite unité intérieure et donc «voit Dieu». La «dévotion» au Cœur Immaculé de Marie est donc une façon de s'approcher du comportement de ce cœur, dans lequel le flat - que ta volonté soit faite - devient le centre qui informe toute l'existence.

Remarquons-le : dans son «indication» sur la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, le cardinal ne parle pas de Notre-Dame. On a même l'impression qu'il esquive le sujet. Si bien qu'être dévot au Cœur Immaculé de Marie - du point de vue du cardinal - ne signifie pas réciter son chapelet[21], ni se

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consacrer au Cœur Immaculé de Marie, ni même aimer la sainte Vierge, non, cela signifie chercher une «parfaite unité intérieure» qui permet de «voir Dieu», et par là s'approcher du comportement de Marie.

Certains penseront que le Zen ou la méditation transcendantale sont plus appropriés que le chapelet pour arriver à ce but.

Il y a une deuxième (et dernière) mention du Cœur Immaculé de Marie un peu plus loin :

Je voudrais enfin reprendre encore une autre parole-clé du «secret» devenue célèbre à juste titre : «Mon Cœur Immaculé triomphera». Qu'est-ce que cela signifie ? Le Cœur ouvert à Dieu, purifié par la contemplation de Dieu, est plus fort que les fusils et que les armes de toute sorte. Le fiat de Marie, la parole de son cœur, a changé l'histoire du monde, parce qu'elle a introduit le Sauveur dans le monde - car, grâce à son «oui», Dieu pouvait devenir homme dans notre monde et désormais demeurer ainsi pour toujours.

Remarquons que le cardinal, dans les deux passages où il parle du Cœur Immaculé de Marie, n'explique pas la véritable signification de cette expression : la sainte Vierge a un cœur immaculé, parce qu'elle est absolument pure de tout péché, y compris le péché originel (et non pas parce qu'elle à un cœur «ouvert à Dieu, purifié par la contemplation de Dieu»).

Ces explications du cardinal paraissent même forcées. On a l'impression qu'il est dans l'embarras[22].

En fait, le cardinal nous donne ici le résultat d'un «processus de traduction» qui déforme considérablement la réalité. «Traduttore, traditore», dit l'aphorisme.

Ainsi, en citant sœur Lucie, le cardinal a laissé de côté le début de la phrase : «A la fin, mon Coeur Immaculé triomphera».

Il ne s'agit pas, dans le message de Fatima, du fiat de la sainte Vierge, prononcé il y a plus de 2000 ans. Il s'agit du triomphe du Cœur Immaculé de Marie qui doit arriver «à la fin», après la consécration de la Russie.

Consécration que nous souhaitons voir réalisée le plus tôt possible, car il est déjà tard.

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La neutralisation du troisième secret de Fatima

par frère Louis-Marie O.P.

La question ici abordée est complexe et fort débattue. L'article qui suit n'entend pas la trancher de façon définitive, mais apporter des éléments d'information et de réflexion.

Il s'inspire librement des travaux publics ou privés de différents auteurs, parmi lesquels nous tenons à remercier spécialement messieurs les abbés Fabrice Delestre, François Knittel et Gérard Mura - quelles que puissent être les divergences d'appréciation sur certains détails.

Le Sel de la terre.

Bref historique du secret de Fatima

Les trois parties d'un même secret

C’est le 13 juillet 1917, lors de sa troisième apparition à la Cova da Iria, que la très sainte Vierge confie aux enfants de Fatima ce que l'on appelle couramment le secret de Fatima (Lucie et Jacinthe seules entendent les paroles de Notre-Dame ; François voit, mais n'entend pas).

En juillet-août 1941, rédigeant son troisième Mémoire sur les apparitions, sœur Lucie précise, pour la première fois, que ce secret comprend trois éléments différents : «Le secret comprend trois choses distinctes, écrit-elle, et j'en dévoilerai deux».

Elle livre alors la description de la vision de l'enfer (premier élément du secret) puis les paroles que prononça Notre-Dame après cette vision (deuxième élément[23]).

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Quelques mois plus tard cependant, en octobre-décembre 1941, rédigeant son quatrième Mémoire, Lucie ajoute une petite phrase à la fin des paroles de Notre-Dame : «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la vraie foi» («Em Portugal se conservard sempre o dogma da fé»). Elle fait suivre cette phrase d'un «etc.» qui tient, à n'en pas douter, la place de la troisième partie du secret.

Ces huit mots feront couler beaucoup d'encre. D'abord, à cause de leur signification implicite (une telle promesse laisse entendre qu'il n'en sera pas ainsi en d'autres pays[24]). Mais surtout à cause de leur proximité avec la troisième partie. Ce petit bout de phrase, qui se rattache difficilement à ce qui précède, annoncerait-il le thème de ce qui suit ?

Lucie rédige la troisième partie (janvier 1944)

C'est en 1944 seulement que sœur Lucie met par écrit le troisième secret[25]. Le 7 octobre 1941, pressée par le chanoine Galamba, elle avait répondu qu'elle n'avait pas encore reçu la permission du Ciel. Mais en octobre 1943, Mgr da Silva lui donne formellement l'ordre de le faire. Sœur Lucie, écartelée entre l'obéissance à l'évêque et l'obéissance au Ciel (qui n'a toujours pas donné son accord) ressent pendant presque trois mois une terrible agonie. Le 2 janvier 1944, Notre-Dame lui apparaît à l'infirmerie de Tuy, la réconforte et lui

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confirme l'autorisation divine. Le lendemain, Lucie rédige donc le secret. Le 17 juin, elle fait transmettre à Mgr da Silva l'enveloppe qui le contient. L'évêque n'ose pas l'ouvrir. Le 8 décembre 1945, il insère l'enveloppe de sœur Lucie dans une autre enveloppe, cachetée à la cire, qu'il gardera dans le coffre de la curie épiscopale jusqu'en 1957.

La date de 1960

Quand doit donc être révélée cette troisième partie du secret ? Sœur Lucie l'a précisé à plusieurs témoins : en 1960[26]

Pourquoi à cette date ? Sœur Lucie répond : «Parce que la sainte Vierge le veut ainsi»[27]. Et au cardinal Ottaviani qui lui rend visite à Coïmbra le 17 mai 1955, Lucie précise : «Parce que, alors, il apparaîtra plus clair».

La date fatidique approche et, fin 1956 ou début 1957, le Saint-Office réclame le manuscrit que Mgr da Silva n'a pas voulu lire. Mgr Venancio porte en mars 1957 au nonce apostolique à Lisbonne l'enveloppe scellée contenant le secret. L'enveloppe parvient au Vatican le 4 avril. Pie XII ne l'ouvre pas, mais la range dans son bureau personnel, dans un petit coffre portant la mention Secretum Sancti Officii. Il meurt le 9 octobre 1958, sans avoir lu le secret.

Son successeur, Jean XXIII, qui a annoncé la convocation de Vatican II le 25 janvier 1959, prend connaissance du secret au mois d'août. «Cela ne concerne pas les années de mon pontificat», déclare-t-il d'emblée[28]. Il le fait lire au cardinal Ottaviani et décide de ne pas le publier. Le 8 février 1960, un communiqué de l'agence de presse portugaise A.N.I. annonce : «Le Vatican fait savoir que le secret ne sera pas divulgué».

Jean XXIII dénonce les «prophètes de malheur» dans son discours d'ouverture du Concile en 1962 et meurt le 3 juin 1963, sans avoir fait de déclaration publique au sujet du secret.

Cette même année, Luis Elrich publie dans le journal allemand Neues Europa une fausse version du secret qui parle d'une guerre terrifiante ; elle est reproduite dans différents journaux (Agora, de Lisbonne ; El Pueblo, de Madrid ; La Voz de Espafia, de Saint-Sébastien, etc.) et ressortira régulièrement (elle circule encore sur Internet).

Paul VI lit le vrai secret le 27 mars 1965, en compagnie du substitut, Mgr Angelo Dell'Acqua ; il décide de ne pas le publier. On ne sait si son successeur, Jean-Paul Ier eut le temps d'en prendre connaissance, mais il avait été très mar‑

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qué par le long entretien qu'il avait eu avec sœur Lucie le 11 juillet 1977, peu avant son élection au souverain pontificat.

Jean-Paul II, élu pape en 1978, lut-il personnellement le secret avant l'attentat du 13 mai 1981 ? Les témoignages divergent. Il eut en tout cas connaissance de sa teneur, même s'il ne semble pas, sur le coup, y avoir prêté grande attention[29]. Interrogé par des pèlerins à Fulda, en Allemagne, en novembre 1980, il confie :

Étant donné la gravité de son contenu, pour ne pas encourager la puissance mondiale du communisme à accomplir certains actes, mes prédécesseurs dans la charge de Pierre ont préféré par diplomatie surseoir à sa publication. [...] Combien de fois la rénovation de l'Église s'est opérée dans le sang ! Il n'en sera pas autrement cette fois-ci[30].

Le 13 mai 1981, sur la place Saint-Pierre, le terroriste turc Ali Agça tire deux coups de feu contre Jean-Paul II. L'attentat attire l'attention du pape sur Fatima. Il lit, à l'hôpital, les différents écrits de sœur Lucie, et se fait apporter durant l'été le texte original du secret, ainsi que sa traduction italienne. Avant son pèlerinage du 13 mai 1982 à Fatima, Jean-Paul II, visiblement intrigué, consulte un prêtre portugais de la Curie et se fait traduire le secret selon les nuances de la langue. Il en parle avec sœur Lucie, et décide de ne pas le révéler «de peur qu'il soit mal interprété».

Cependant, les réclamations se font de plus en plus pressantes.

Un spécialiste de Fatima, le père Joaquin Maria Alonso, s'interrogeant sur le refus persistant de Rome de révéler ce troisième secret, et constatant en même temps l'effrayante progression de la crise dans l'Église, a l'idée que les deux faits pourraient être liés. Il est confirmé dans cette hypothèse par l'attitude de sœur Lucie, qui est très affectée par la perte de la foi, et en parle souvent à ses visiteurs. Le père Alonso en vient à penser que le secret pourrait même mettre en cause les responsabilités de la hiérarchie dans cette crise (ce qui expliquerait le silence de celle-ci). Sa thèse, exprimée dès 1976, est résumée dans une petite brochure intitulée : La Verdad sobre el secreto de Fatima[31]. Adoptée par beaucoup de spécialistes de Fatima, cette opinion est vulgarisée dans les pays franco‑

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phones et anglophones par les travaux du frère Michel de la Sainte-Trinité, de la C.R.C., et de son continuateur, frère François de Marie-des-Anges.

Parallèlement, de nombreux fidèles continuent à demander la consécration de la Russie, que Jean-Paul II n'a jamais pu se résoudre à réaliser de la façon demandée par la sainte Vierge. Fatima se révèle ainsi, de plus en plus, un pôle de résistance à Vatican II, et Rome s'emploie à briser cette résistance. Sœur Lucie, qui a de nombreuses fois déclaré que la consécration n'a pas été faite comme le voulait la sainte Vierge, reçoit l'ordre de se taire, et même, à partir de 1989, de déclarer explicitement le contraire[32]. Le père Nicolas Grüner, qui défend vaillamment le message de Fatima au Canada et aux États-Unis, est persécuté par la hiérarchie[33]. La demande persistante de la consécration de la Russie et celle de la révélation du troisième secret se renforcent l'une l'autre. Pour les briser, le Vatican finit par décider de couper l'herbe sous le pied de ceux qu'il appelle les «fatimistes», en employant ce qui était sans doute, tout compte fait, le meilleur moyen d'occulter le secret : le révéler pour mieux l'enterrer.

Un enterrement de première classe

Tout à coup, le 13 mai 2000, tombe la nouvelle que l'on n'attendait plus : le cardinal Sodano annonce, sur ordre de Jean-Paul II, que la troisième partie du secret de Fatima sera rendue publique dans les prochains jours par la congrégation pour la Doctrine de la foi. Avant même que le texte soit connu, il se charge d'en fournir l'interprétation : le secret annonçait les persécutions contre l'Eglise et particulièrement l'attentat du 13 mai 1981 contre Jean-Paul II. Il insiste sur ce qui est, pour lui, le point essentiel : «Les situations auxquelles fait référence la troisième partie du secret de Fatima semblent désormais appartenir au passé». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la révélation a lieu en cette année 2000 : il s'agit d'en finir avec Fatima - qui concernait uniquement le XXè siècle. Tout ayant désormais été dit sur le sujet (la consécration est faite, le secret révélé et la Russie convertie) on peut maintenant tourner la page et aborder sereinement le XXIè siècle.

Le commentaire que doit préparer la congrégation pour la Doctrine de la foi semble cependant poser plus de difficultés que prévu car on annonce, le 15 juin, que la conférence de presse prévue pour le divulguer est reportée au 26 juin.

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Le père Christian Duquoc dévoile dans La Croix l'objectif réel poursuivi dans cette publication du secret : «Sa publication a pour but, de manière courtoise et fine, de lui retirer tout pouvoir»[34].

Le cardinal Ratzinger, dans son commentaire, insiste à son tour lourdement sur le fait que le secret se rapporte à des événements passés. Il juge utile de citer à nouveau, sur ce point, les dires du cardinal Sodano :

[...] Nous sommes ainsi arrivés à une ultime interrogation : que signifie dans son ensemble (dans ses trois parties) le «secret» de Fatima ? Que nous dit-il à nous ? Avant tout, nous devons affirmer avec le cardinal Sodano : «Les situations auxquelles fait référence la troisième partie du "secret" de Fatima semblent désormais appartenir au passé». Dans la mesure où des événements particuliers sont représentés, ils appartiennent désormais au passé. Ceux qui attendaient des révélations apocalyptiques excitantes sur la fin du monde et sur le cours futur de l'histoire seront déçus [...][35].

Mgr Bertone, dans l'introduction du document, fait de même : «La décision du pape Jean-Paul II de rendre publique la troisième partie du "secret" de Fatima conclut une période de l'histoire» (souligné par nous).

Que peut-on penser de l'interprétation proposée dans de telles conditions ? C'est ce que nous verrons plus loin. Il faut auparavant répondre à une autre question : Quel crédit peut-on apporter au texte ainsi révélé par le Vatican ? Et cette question peut elle-même se décomposer en deux autres :

1. — Le texte donné le 26 juin 2000 est-il authentique ?

2. — Et, ensuite, est-il complet ?

Mais avant toute analyse, commençons par prendre connaissance de ce texte tel qu'il fut révélé le 26 juin 2000[36] :

Le texte révélé le 26 juin 2000

J.M.J.

La troisième partie du secret révélé le 13 juillet 1917 dans la Cova de Iria-Fatima.

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J'écris en obéissance à vous, mon Dieu, qui me le commandez par l'intermédiaire de son Exce Rév.me Monseigneur l'évêque de Leiria et de votre très sainte Mère, qui est aussi la mienne.

Après les deux parties que j'ai déjà exposées, nous avons vu sur le côté gauche de Notre-Dame, un peu plus en hauteur, un ange avec une épée de feu dans la main gauche ; elle scintillait et émettait des flammes qui, semblait-il, devaient incendier le monde ; mais elles s'éteignaient au contact de la splendeur qui émanait de la main droite de Notre-Dame en direction de lui ; l'ange, indiquant la terre avec sa main droite, dit d'une voix forte : Pénitence ! Pénitence ! Pénitence ! Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu : «Quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir quand elles passent devant», un évêque vêtu de blanc, «nous avons eu le pressentiment que c'était le Saint-Père». Divers autres évêques, prêtres, religieux et religieuses monter sur une montagne escarpée, au sommet de laquelle il y avait une grande croix en troncs bruts, comme s'ils étaient en chêne-liège avec leur écorce ; avant d'y arriver, le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d'un pas vacillant, affligé de souffrance et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu'il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande croix, il fut tué par un groupe de soldats qui tirèrent plusieurs coups et des flèches[37]; et de la même manière moururent les uns après les autres les évêques, les prêtres, les religieux et religieuses et divers laïcs, hommes et femmes de classes et de catégories sociales différentes. Sous les deux bras de la croix, il y avait deux anges, chacun avec un arrosoir de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des martyrs et avec lequel ils irriguaient les âmes qui s'approchaient de Dieu.

Tuy - 3-1-1944.

[Fin du texte de sœur Lucie révélé le 26 juin 2000 par le Vatican.]

Avons-nous le vrai secret ? Le texte est-il authentique ?

Première question : ce texte est-il authentique ? Les garanties offertes (révélation solennelle faite par les plus hauts cardinaux de la curie, du vivant de sœur Lucie, et avec publication du texte original en fac-similé) permettent-elles

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de compenser la légitime méfiance éprouvée par les catholiques envers la Rome conciliaire ?

De fait, l'authenticité a immédiatement été contestée, avec des arguments de très inégale valeur. Laurent Morlier, dans une brochure éditée par la D.F.T.[38], défend l'idée d'une «fausse sœur Lucie» employée par le Vatican pour authentifier le «faux secret»[39]. Certains arguments sont trop visiblement fondés sur des paralogismes ou des interprétations arbitraires pour mériter une réfutation détaillée[40]. Mais ce n'est pas le cas de tous. Plusieurs démonstrations ne font que reprendre les thèses développées, avant le 13 mai 2000, par les meilleurs spécialistes de Fatima (thèses popularisées en France par les ouvrages de la C.R.C.). Elles méritent donc d'être prises au sérieux. Si l'on admet que le texte révélé en l'an 2000 par le Vatican est authentique, il convient en effet d'expliquer comment et pourquoi l'ensemble des spécialistes a pu, avant cette révélation, aiguiller les fidèles sur une fausse piste.

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Nous avons ainsi distingué onze arguments principaux, que nous commencerons par exposer, avant de les examiner en détail.

Onze arguments contre l'authenticité

1. Le texte publié par le Vatican, «à peine compréhensible», « ne cadre ni avec le contenu ni avec le style des deux premières parties » (p. 23)[41].

2. Le texte n'apporte rien de nouveau par rapport au deuxième secret qui parlait déjà de persécutions contre l'Église et de souffrances pour le pape ; il est donc inutile ; or Dieu ne fait rien d'inutile. «Il est de la plus élémentaire logique que le troisième secret contienne l'annonce d'événements bien différents de ceux déjà décrits dans le deuxième secret» (p. 25). D'ailleurs, le père Alonso spécialiste de Fatima, déclarait : «Faim, guerre, persécutions pour l'Église et pour le Saint-Père, rien de tout cela ne sera répété dans le texte de la troisième partie» (p. 26-27).

3. Le texte publié par le Vatican ne rend pas raison de la mystérieuse et terrible agonie éprouvée par Lucie pendant trois mois, lorsqu'elle dut rédiger le secret (p. 43-44).

4. Le thème de ce texte ne correspond pas au membre de phrase que sœur Lucie avait ajouté en 1941 au texte du deuxième secret : «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi». Or «il est certain que sœur Lucie ne l’a pas inséré là à la légère, mais dans l'intention expresse de laisser transparaître, de manière voilée, le contenu essentiel du troisième secret». (p. 30). La chose semble confirmée par Lucie elle-même qui a déclaré en 1943, à propos du secret, que «d'une certaine façon, elle l'avait dit»[42]. On note d'ailleurs que le Vatican gêné par cette phrase du quatrième mémoire, la renvoie en note, sans aucun( explication (note 7)[43].

5. Cette phrase semble elle-même inachevée. Or on n'en trouve pas la suite dans le secret révélé par le Vatican.

[Le fameux etc.] vient de sœur Lucie elle-même, pour bien montrer que la phrase a une suite. Si elle voulait désigner par là une autre vision annexe, sans rapport avec cette phrase, elle aurait placé ce «etc.» bien après sa phrase, après

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le point qui termine sa phrase, et avec un E majuscule : «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi. Etc.» [Laurent Morlier[44]]

6. Le troisième secret doit d'ailleurs nécessairement contenir des paroles, et non une simple vision puisque, juste après, Notre-Dame dit à Lucie et Jacinthe : «A François, vous pouvez le dire» (13 juillet 1917). «Si le troisième secret pouvait être dit à François, c'est qu'il ne contenait pas de vision [...]. Argument décisif qui, à lui seul, convainc de mensonge le Vatican». (p. 47). «On peut maintenant d'ailleurs mieux comprendre pourquoi François fut privé de la grâce d'entendre la sainte Vierge. La raison restait jusqu'à ce jour mystérieuse. Or, ce "handicap" sert aujourd'hui à dévoiler une énorme imposture !» (p. 46). D'ailleurs, «le communiqué de presse de l'agence A.N.I., du 8 février 1960, annonçant que "le secret ne serait pas publié" avançait, comme "troisième raison donnée pour justifier sa non-divulgation", que, "bien que l'Eglise reconnaisse les apparitions de Fatima, elle ne désire pas prendre la responsabilité de garantir la véracité des paroles que les trois pastoureaux dirent que la Vierge leur avait adressées"»

7. Au témoignage de Mgr Venancio (qui, en 1957, regarda par transparence l'enveloppe contenant le secret) comme du cardinal Ottaviani (qui lut ce secret), le texte rédigé par Lucie tenait sur une seule feuille (le frère François de Marie-des-Anges en concluait qu'il devait contenir vingt à vingt-cinq lignes[45]). Or le texte publié par le Vatican comprend quatre pages (soit au moins deux feuilles) et compte 62 lignes.

8. En novembre 1984, le journaliste italien Vittorio Messori, publiait dans la revue Jésus, page 79, une interview du cardinal Ratzinger, préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi, dans laquelle ce dernier déclarait à propos du troisième secret : «"Oui, je l'ai lu". — "Pourquoi n'est-il pas révélé ?" — "Parce que, selon le jugement des papes, cela n'ajoute rien d'autre à tout ce qu'un chrétien doit savoir de la Révélation : un appel radical à la conversion, la gravité absolue de l'histoire, les périls qui menacent la foi et la vie du chrétien, et donc du monde, et puis l'importance des derniers temps" [...]». Or, seize ans après, nous ne retrouvons aucune de ces quatre remarques dans le dossier proposé par le même cardinal Ratzinger.

9. La date de 1960, à laquelle le secret devait être révélé parce que, selon les paroles de sœur Lucie, «il paraîtra plus clair» semble n'avoir aucun rapport avec le secret dévoilé.

10. Les meilleurs experts de Fatima (père Alonso, père Sébastien Martins dos Reis, père Antonio Martins S.J.), et même de moins bons comme l'abbé

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Laurentin, ont admis que le troisième secret devait concerner la crise de la foi. L'évêque de Leiria-Fatima, Mgr do Amaral, l'a d'ailleurs confirmé le 10 septembre 1984: «Son contenu ne concerne que notre foi. Identifier le secret avec des annonces catastrophiques ou avec un holocauste nucléaire, c'est déformer le sens du message. La perte de la foi d'un continent est pire que l'anéantissement d'une nation ; et il est vrai que la foi diminue continuellement en Europe». Frère Michel de la Sainte Trinité pouvait commenter : «L'ultime secret de Notre-Dame n'annonce ni la fin du monde ni la guerre atomique : il concerne notre foi, la foi catholique ; et plus précisément la perte de cette foi, ″a perda da fé", nous précise l'évêque de Fatima. C'est désormais pour nous non seulement une hypothèse solidement fondée, et d'ailleurs la seule pleinement: Vraisemblable, c'est une vérité sur laquelle nous pouvons nous appuyer avec certitude, parce qu'elle est rigoureusement démontrable. Comment cela ? Par la simple analyse de ce qui nous a été révélé du secret»[46].

11. Enfin, Laurent Morlier cite une analyse graphologique disponible sur un site Internet américain, qui tend à considérer le document publié en fac-similé par le Vatican comme un faux[47].

Examen des onze arguments

1. Le style et le contenu du troisième secret détonnent-ils par rapport ceux des deux premiers ? Il semble qu'une telle appréciation résulte davantage de la surprise causée par un secret imprévu (on attendait des paroles de Notre-Dame, et l'on se trouve avec le récit de deux visions successives) que d'un examen objectif de la réalité. En fait, comme l'a justement remarqué M. l'abbé Delestre[48], sœur Lucie parle, dans sa première présentation publique du secret non pas de trois parties, mais de trois choses distinctes :

Le secret comporte trois choses distinctes («três coisas distintas»), et je vais en révéler deux.

La première fut la vision de l'enfer. [...]

Ensuite, nous levâmes les yeux vers Notre-Dame, qui nous dit avec bonté et tristesse [...][49].

Autrement dit, le secret contient trois choses de nature différente quoique formant un tout harmonieux. Or, c'est bien ce que nous retrouvons après la publication du dernier texte le 26 juin 2000 :

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Première partie : une vision, celle de l'enfer.

Deuxième partie : des paroles de Notre-Dame, qui présentent au monde les moyens de salut offerts par la miséricorde infinie de Dieu pour notre temps ; si l'on n'utilise pas ces moyens, Dieu offensé abattra sur le monde les terribles châtiments de sa justice.

Troisième partie : deux visions successives, dont la seconde est vue «dans une lumière immense qui est Dieu».

Quant au style, on retrouve également celui de sœur Lucie, jusque dans ses essais pour décrire - de façon nécessairement inadéquate - certaines réalités surnaturelles auxquelles elle fut confrontée. Le texte publié le 26 juin 2000 emploie ainsi la comparaison du «miroir» (espelho en portugais), en une explication quelque peu embarrassée :

Et nous avons vu dans une lumière immense qui est Dieu - «quelque chose de semblable à la manière dont se voient les personnes dans un miroir quand elles passent devant» - un évêque vêtu de blanc [...]

Or cette comparaison est classique chez Lucie[50]. On la trouve par exemple dans le treizième point de l'interrogatoire que le père José Pedro da Silva envoya à Lucie en juillet 1947 :

- Pouvez-vous, de quelque manière, décrire la lumière que Notre-Dame vous a « mise dans la poitrine »    (deuxième apparition, 13 juin 1917) ?

     - Je ne peux pas, parce que je ne connais pas de parole qui la décrive.

     - D'où partait-elle ?

- Des mains de Notre-Dame.

- Quelle était sa couleur, était-elle d'un jet fort ?

- Je ne sais décrire, avec exactitude, comment c'était.

- Comment est-ce que vous vous êtes vus en Dieu... Qu'était cette lumière... ?

- Je ne sais pas décrire.

- Vous avez vu Dieu d'une forme sensible, ou vous avez seulement expérimenté un sentiment de présence, une      union intime de quasi-identification avec lui ?

- Nous nous vîmes en lui. Comment : je ne sais pas l'expliquer.

- Comment vous êtes-vous vus dans cette lumière «qui restait longtemps sur la terre» ?

- Je n'ai pas vu qu'elle restait longtemps, ni qu'elle restait peu ; j'ai seulement vu que j'étais dans la lumière qui se      répandait sur la terre.

- Ce fut une illumination dans l'intelligence, qui accompagna cette vision, ou bien quelque voix sensible ?

- Il me semble que ce ne fut ni l'un ni l'autre. Nous nous vîmes dans cette lumière, que nous sentions être Dieu,      quelque chose de semblable à la façon dont nous nous voyons dans un miroir. L'explication n'est pas exacte,     mais c'est celle qui me paraît donner la meilleure idée. Avec la différence que, dans un miroir,

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nous voyons notre figure ; et, dans cette lumière, nous nous voyions et nous nous sentions personnellement en      elle[51].

Sœur Lucie emploie aussi la comparaison du miroir dans ses Mémoires, en parlant de l'apparition du 13 mai 1917 :

Elle ouvrit la première fois les mains et nous communiqua, comme par un reflet qui émanait d'elles, une lumière si intense que, pénétrant notre cœur et jusqu'au plus profond de notre âme, elle nous faisait nous voir nous-mêmes en Dieu qui était cette lumière, plus clairement que nous nous voyons dans le meilleur des miroirs[52].

L'expression se retrouve encore dans son dernier livre, Apelos da Mensagem de Fâtima, publié en langue portugaise le 13 décembre 2000[53].

De même, le texte publié le 26 juin 2000 parle deux fois du «Saint-Père» («Santo Padre») pour désigner le pape. On peut noter que c'est aussi le terme ployé par Notre-Dame dans la deuxième partie du secret du 13 juillet 1917, que c'est celui que Lucie utilise toujours dans ses Mémoires, - à l'exclusion de celui de «papa» qui existe pourtant en portugais[54].

On retrouve dans le fac-similé publié par le Vatican jusqu'aux fautes d'orthographe habituelles à sœur Lucie (elle n'a appris à lire et écrire que fort tard). M. l'abbé Delestre en donne un recensement minutieux, et peut conclure :

En ce qui concerne l'orthographe et la grammaire, après comparaison avec d'autres manuscrits publiés de Lucie datant à peu près des mêmes années (les quatre premiers Mémoires sont rédigés entre décembre 1935 et décembre 1941, le texte publié le 26 juin 2000 fut écrit le 3 janvier 1944), on retrouve les mêmes fautes, la même écriture phonétique, les mêmes expressions ou difficultés à mettre par écrit le langage parlé, ce qui montre clairement que c'est la même personne qui a rédigé ces différents écrits[55].

En définitive, non seulement rien ne permet de mettre en doute, sur ce point, l’authenticité du texte publié le 26 juin 2000, mais un examen attentif en donne au contraire plusieurs marques difficilement imitables.

2. Le troisième secret se contente-t-il de répéter d'une autre façon, ce que disait déjà le deuxième ? La chose pourrait se soutenir si l'on s'en tenait à l'interprétation qu'en donne le Vatican (le troisième secret représenterait les persécutions du XXè siècle et l'attentat du 13 mai 1981). Mais c'est une interprétation

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très peu objective, nous le verrons. De toute manière, ce genre d'argument, s'il pouvait servir à donner une plus ou moins grande vraisemblance à telle ou telle hypothèse avant que le secret soit révélé, ne saurait avoir de force contraignante. La sainte Vierge n'a-t-elle pas le droit de se répéter lorsqu'elle veut insister sur un sujet - et ne l'a-t-elle pas fait à plusieurs reprises (parlant par exemple du rosaire à chacune de ses apparitions) ?

3. La terrible agonie éprouvée par sœur Lucie avant la rédaction du troisième secret a souvent été présentée comme une preuve du caractère particulièrement dramatique de ce secret. Et parce que le deuxième secret annonçait déjà de terribles persécutions contre l'Église, on en concluait que le troisième secret devait se rapporter à un mal d'une gravité encore supérieure. Il n'y avait pas besoin d'aller très loin pour découvrir un tel mal : ce devait être la terrible crise actuelle de la foi[56]. - En réalité, cependant, aucun texte ne prouve que le trouble de sœur Lucie ait été directement causé par le contenu du troisième secret. Il s'explique très bien par le dilemme posé à sœur Lucie, écartelée entre l'obéissance au Ciel, qui ne lui avait pas encore donné la permission de le révéler, et l'obéissance à son évêque, qui la pressait de le faire. Le 2 janvier 1944, une apparition de Notre-Dame vint la délivrer de cette perplexité, et elle rédigea le texte dès le lendemain[57].

4. La phrase «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi», est d'une interprétation difficile, non en elle-même (elle est, de soi, très claire[58]), mais dans son rapport avec le contexte. Jusqu'à l'an 2000, quatre indices pouvaient paraître en faire la clé du troisième secret :

1) le fait qu'elle n'ait guère de rapport avec ce qui la précédait (elle devait donc, concluait-on, en avoir avec ce qui        suit);

2) le fait que sœur Lucie ne l'ait pas citée lorsqu'elle révéla pour la première fois le deuxième secret, mais qu'elle    l'ait rajoutée plus tard (on en inféra que le texte n'appartenait pas vraiment au second secret) ;

3) le fait que la crise dans l'Église s'aggrava de façon inquiétante au moment même où le secret aurait dû être ré    vélé (1960) ;

4) tandis que Rome s'ensevelissait dans un silence persistant à son sujet.

Avec le recul, on perçoit mieux la fragilité de ces présomptions – que l'on a trop souvent présentées comme des certitudes («Il est certain que sœur Lucie ne l'a pas inséré là à la légère, mais dans l'intention expresse de laisser transparaître, de manière voilée, le contenu essentiel du troisième secret»[59]). Pensons d'abord à la chronologie des événements et à la psychologie de sœur Lucie. Si celle-ci a eu, en 1943, de longues crises de scrupules avant de se résoudre à

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mettre par écrit le troisième secret, et s'il a fallu une intervention de Notre-Dame pour l'y décider, comment imaginer qu'elle en ait volontairement révélé, dès 1941, la teneur essentielle (fût-ce en n'en livrant que la première phrase) ?

Par ailleurs, une réflexion logique sur les deux premiers indices mentionnés plus haut mène à une conclusion analogue. Pourquoi en effet Lucie n'a-t-elle pas mentionné la phrase sur le Portugal lorsqu'elle a révélé pour la première fois le texte du second secret (dans son troisième Mémoire, achevé le 31 août 1941) ? On admettra sans peine que c'est vraisemblablement parce que cette phrase n'avait pas de lien visible avec ce qui précédait. Mais en ce cas, comment expliquer que Lucie l'ait ensuite ajoutée dans le quatrième Mémoire, alors qu'on l'avait pressée de rédiger un nouveau récit des apparitions qui soit le plus précis et le plus complet possible ? N'est-ce pas à l'évidence que cette phrase un peu mystérieuse lui a paru, à la réflexion, avoir encore moins de lien avec ce qui suivait - et qui était le troisième secret ?

Sans jeter la pierre à quiconque (il est toujours facile de critiquer après coup !), on peut aussi constater que les mêmes personnes qui accordaient tant d’importance à un argument principalement basé sur l'emplacement de cette petite phrase (c'est parce que la sentence sur la conservation de la foi est située juste avant le troisième secret qu'elle doit en indiquer le thème) s'accordaient au même moment la liberté de déplacer à leur guise la même petite phrase, pour les besoins de leur démonstration. Le père Alonso comme le frère Michel de la Sainte-Trinité butaient en effet sur les deux promesses que Lucie avait placées à la fin du second secret : «A la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et un certain temps de paix sera accordé au monde». Comment expliquer que cette annonce - qui ressemble à une conclusion générale - soit ainsi placée avant le troisième secret ? Si le troisième secret contient une vision - et non des paroles de Notre-Dame - la chose est parfaitement compréhensible. Mais si l'on veut à toute force trouver dans le troisième secret d'autres paroles de Notre-Dame et une annonce explicite de la crise dans l’Eglise, rien ne va plus. Nos auteurs sont donc contraints de déplacer leur fameuse «phrase décisive» pour la placer avant cette annonce du triomphe final. Et ils justifient cet audacieux transfert par l'«évidence» de sa nécessité :

Dans son quatrième Mémoire, en dévoilant discrètement la première phrase du troisième secret, sœur Lucie ne l'a pas située à sa place logique. Elle l'a ajoutée tout à la fin du secret, alors que sa place réelle est évidemment [c'est nous qui soulignons] entre la seconde partie et la conclusion générale[60].

Grâce à cette translation, la phrase est maintenant située dans le contexte qui permet de la bien comprendre : l'annonce des châtiments. Et le frère Michel peut conclure :

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Ainsi, le sens obvie des premiers mots du troisième secret considérés dans leur contexte immédiat n'est guère douteux[61].

Pour renforcer encore l'idée que cette phrase sur le Portugal annonce bien le thème du troisième secret, les partisans de cette thèse aiment rappeler comment, lorsque Mgr da Silva lui demanda de rédiger le troisième secret, sœur Lucie répondit que «d'une certaine façon, elle l'avait dit»[62]. Mais rien n'indique que sœur Lucie aurait ici fait allusion à la sentence sur le Portugal. Elle pouvait tout aussi bien se référer à l'annonce déjà contenue dans la deuxième partie du secret : «Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir».

En définitive, si le texte révélé le 26 juin 2000 laisse demeurer quelques zones d'ombre (notamment sur la portée exacte et la raison d'être de la phrase sur le Portugal), il n'a rien d'irrecevable. Il n'implique aucune contradiction avec les données dont nous disposons par ailleurs. Et en cela, il se révèle finalement plus plausible que l'hypothèse selon laquelle Lucie aurait, dès 1941, livré le thème essentiel du troisième secret en une petite phrase volontairement déplacée hors de son contexte «afin de ne pas attirer l'attention sur elle avant le moment opportun».

5. Quant au fait que le «etc.» qui conclut la phrase sur le Portugal soit précédé d'une virgule et non d'un point (ce qui prouverait, selon Laurent Morlier, que la phrase de Notre-Dame est inachevée, et qu'on en doit trouver la suite dans le troisième secret), on nous permettra de l'écarter d'un revers de main : sœur Lucie n'était pas une correctrice professionnelle, pesant les virgules et les points-virgules. L'expression «etc.», ordinairement destinée à clore une énumération, est, dans ce cas, systématiquement précédée d'une virgule (c'est du moins la recommandation des bons grammairiens[63]). La voyante de Fatima l'emploie ici, un peu maladroitement, pour signifier qu'elle interrompt son récit de l'apparition et que la suite appartient au troisième secret. On ne saurait s'étonner de ce qu'elle l'ait, suivant la règle générale, fait précéder d'une virgule.

6. Le fait que le communiqué de presse de l'agence A.N.I., du 8 février 1960 ait mentionné des «paroles» de Notre-Dame que contiendrait le troisième secret, ne prouve qu'une chose : son auteur croyait (comme tout le monde à l'époque) que ce secret contenait de telles paroles. Mais comme cet auteur est resté anonyme, et que rien ne permet de supposer qu'il avait eu accès au secret,

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l'argument manque de poids. Quant à la consigne de Notre-Dame : A François, vous pouvez le dire», il n'y a aucune raison contraignante de l'entendre exclusivement de la troisième partie du secret. Elle peut très bien se rapporter aux paroles prononcées par Notre-Dame au cours de la deuxième partie[64]. L'argument est donc, là encore, sans portée.

7. Les auteurs ayant cherché, avant l'an 2000, à deviner le contenu du troisième secret se sont effectivement appuyés sur le témoignage de Mgr Venancio et du cardinal Ottaviani pour affirmer qu'il tenait sur une seule feuille. Ils ont en revanche méconnu la déclaration du secrétaire de Jean XXIII, Mgr Capovilla, qui le lut avec le pape en 1960, et expliqua ensuite à la presse qu'il contenait «quatre ou cinq petites pages»[65]. Or ce témoignage vient d'un homme qui a non seulement pu voir avec certitude combien de pages contenait ce secret, mais a également expressément voulu dire ce qu'il avait vu. Double qualité qui vient souligner la fragilité des deux autres témoignages : Mgr Venancio n'a pas bien voir, tandis que le cardinal Ottaviani n'a pas manifesté sa volonté de répondre à cette question.

Mgr Venancio n'a pu que palper et regarder par transparence à travers deux enveloppes (la grande enveloppe de l'évêque et, à l'intérieur, celle de Lucie). Il lui était donc très facile de se tromper et de ne voir qu'une seule feuille de papier pliée, là où il y en avait deux pliées ensemble. Son témoignage manque donc de poids. On peut s'y fier, en revanche, quant aux dimensions du papier - car il a pu les discerner avec certitude et les a soigneusement notées[66]. Or les dimensions qu'il a notées correspondent exactement à celles du document publié par le Vatican.

Quant au cardinal Ottaviani, il s'est contenté de dire en passant que sœur Lucie, pour obéir à la sainte Vierge, avait «écrit sur une feuille, en portugais» le fameux secret (conférence du 11 février 1967). Devant un juge d'instruction, une telle phrase aurait immédiatement entraîné une demande de précision : «Le secret a-t-il donc été écrit sur une seule feuille de papier ?», et le témoin aurait confirmé ou infirmé. De fait, aucune question n'a été posée. Personne ne peut donc garantir que le cardinal (qui employait évidemment l'article indéfini [«une»], et non l'adjectif numéral) entendait réellement affirmer l'unicité de la feuille de papier et n'usait pas du singulier par simplification et commodité de langage.

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Qu'on veuille bien ne pas voir là une échappatoire ! Quiconque a dû, au cours de sa vie, confronter des témoignages sait la prudence dont il convient d'user en la matière. Le cardinal Ottaviani, malgré sa haute autorité, n'échappe pas à la règle. C'est un fait que son intervention du 11 février 1967 sur le secret de Fatima manquait de rigueur. Il est d'ailleurs amusant de noter que le même frère Michel de la Sainte-Trinité qui invoque l'autorité du cardinal pour affirmer que le secret tient sur une feuille[67] critique férocement, quelques pages plus loin, les imprécisions, erreurs, infidélités historiques et inventions du même prélat («Une fois de plus, le cardinal invente»[68]). De fait, on est assez surpris d'entendre le vieux cardinal présenter Lucie comme la sœur de François et Jacinthe ! Lorsqu'il en vient ensuite à raconter que Lucie, pour obéir à la sainte Vierge «a écrit sur une feuille, en portugais, ce que la sainte Vierge lui avait demandé de dire au Saint-Père», le frère Michel de la Sainte-Trinité fait suivre la phrase d'un «sic» désapprobateur, car il sait bien (c'est un des thèmes majeurs de son livre) que le secret de Fatima n'était pas exclusivement destiné au Saint-Père. Qui peut donc, dans ces conditions, nous garantir que l'expression «sur une feuille» serait plus rigoureuse ? Cet argument est vraiment bâti sur du sable.

8. L'entretien accordé en 1984 à Vittorio Messori par le cardinal Ratzinger a souvent été évoqué par ceux qui cherchaient à en deviner le contenu. Le cardinal avait déclaré : «Cela n'ajoute rien d'autre à tout ce qu'un chrétien doit savoir de la Révélation : un appel radical à la conversion, la gravité absolue de l'histoire, les périls qui menacent la foi et la vie du chrétien, et donc du monde, et puis l'importance des derniers temps»[69]. On ne voit rien, dans ces propos, qui contredise le texte publié le 26 juin 2000 (surtout si l'on garde à l'esprit que le cardinal n'entendait aucunement révéler le secret, mais, au contraire, éluder la question). Par ailleurs, on est obligé de constater que le frère Michel de la Sainte-Trinité qui accordait tant d'importance à ces propos du cardinal Ratzinger (voulant même y voir «une confirmation de nos démonstrations»[70]) écartait en revanche d'un revers de main d'autres témoignages allant en sens contraire : ceux portés par le cardinal Ottaviani en 1967 et par Jean-Paul II en 1980.

Le cardinal Ottaviani - qui savait sans doute à quoi s'en tenir, ayant déjà lu le troisième secret, mais s'efforçait de présenter les choses comme s'il ne l'avait pas lu, en se basant uniquement sur les dires de sœur Lucie - commentait ainsi le mot de sœur Lucie disant qu'en 1960, le secret apparaîtrait plus clair :

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Ce qui me fait penser que le message était de ton prophétique, parce que, précisément, les prophéties, comme on le voit dans la sainte Écriture, sont recouvertes d'un voile de mystère. Elles ne sont généralement pas exprimées en langage manifeste, clair, compréhensible à tout le monde. [...] Il est cependant vrai comme on le voit dans tant de prophéties - parce que j'imagine que le message de Fatima a un ton de prophétie puisque Lucie a dit qu'en 1960 il paraîtrait plus clair - qu'il y a là un signe qui est comme voilé, ce n'est pas un langage qui est tout à fait manifeste et clair[71].

Un tel passage se comprend très bien si le cardinal Ottaviani a lu le même texte que nous, celui qui a été révélé le 26 juin 2000 : il éprouve, à sa lecture, les mêmes doutes et les mêmes interrogations que chacun d'entre nous, et il les exprime. Mais cela ne correspond pas à la thèse du frère Michel de la Sainte-Trinité ; aussi, tout en le citant honnêtement, il s'emploie à discréditer ce témoignage : «Cherchant visiblement à égarer ses auditeurs, le cardinal mêle à plaisir la vérité et les insinuations erronées»[72].

Jean-Paul II, lui, séjourna en novembre 1980 à Fulda. Il y fut abordé par un groupe de pèlerins qui l'interrogèrent notamment sur le secret de Fatima. La revue allemande Stimme des Glaubens a donné ce compte-rendu de la réponse du pape :

Étant donné la gravité de son contenu, pour ne pas encourager la puissance mondiale du communisme à accomplir certains actes, mes prédécesseurs dans la charge de Pierre ont préféré par diplomatie surseoir à sa publication. [...] Nous devons nous préparer à subir sous peu de grandes épreuves qui exigeront de nous la disposition de sacrifier jusqu'à notre vie, et une soumission totale au Christ et pour le Christ. Par votre prière et la mienne, il est encore possible de diminuer cette épreuve, mais il n'est plus possible de la détourner, parce que c'est de cette manière seulement que l'Église peut être effectivement rénovée. Combien de fois la rénovation de l'Église s'est opérée dans le sang ! Il n'en sera pas autrement cette fois-ci. Nous devons être forts, nous préparer, nous confier au Christ et à sa très sainte Mère, être assidus, très assidus à la prière du rosaire[73].

Là encore, la correspondance avec le texte révélé le 26 juin 2000 est frappante ; lu en 1980, en pleine époque de guerre froide, ce texte pouvait sembler annoncer une invasion de Rome par les Russes, ceux-ci détruisant à moitié la ville avant de martyriser pape, évêques et chrétiens dont le sang, recueilli par les anges, régénérerait l'Eglise. Les propos attribués à Jean-Paul II s'insèrent parfaitement dans une telle perspective. Sont-ils authentiques ? On en a discuté, et le bureau de presse du Saint-Siège intervint pour le contester, mais la rédac‑

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tion de Stimme des Glaubens maintint fermement l'authenticité des propos, dont elle possédait l'enregistrement[74]. De plus, le cardinal Ratzinger, interrogé à ce sujet par Vittorio Messori, en 1984, ne mit aucunement en doute l'authenticité de ces paroles ; elles sont citées dans la version définitive des Entretiens sur la foi, qui furent pourtant révisés de près avant publication. Ces propos jouissent donc d'une forte présomption d'authenticité, et l'on est obligé de constater, a posteriori, qu'ils correspondent étonnamment au texte révélé en l'an 2000. Mais ils ne correspondent pas, en revanche, à la thèse du frère Michel de la Trinité. Aussi ce dernier les qualifie de «discours invraisemblable», et les écarte à ce titre[75].

On doit conclure, une fois encore, que rien dans les déclarations des personnes ayant lu le secret avant l'an 2000 ne permet de douter du texte révélé par le Vatican. Au contraire, les déclarations du cardinal Ottaviani (1967) et de Jean-Paul II (1980) semblent plutôt confirmer cette version.

9. Quant à la date de 1960, il faut distinguer deux choses. Le fait que la sainte Vierge ait elle-même inspiré cette date pour la révélation du secret paraît certain. Le chanoine Barthas rapporte la réponse que sœur Lucie lui fit à ce sujet en 1946 : «Parce que la sainte Vierge le veut ainsi»[76]. - Mais autre chose est la réponse que sœur Lucie fit le 17 mai 1955 au cardinal Ottaviani :

Je demandai à sœur Lucie : «Pourquoi cette date ?» Et elle me répondit : «Parce que, alors, il apparaîtra plus clair».

Ici, sœur Lucie ne prétend pas transmettre une explication qu'elle aurait reçue telle quelle de la bouche de Notre-Dame. Sa réponse «Alors, il apparaîtra plus clair» semble plutôt une réflexion de bon sens face à une question dont la répétition devait devenir lassante. Comme une façon de dire : La sainte Vierge sait ce qu'elle fait. Si elle a demandé sa divulgation en 1960, c'est qu'à cette date, il sera utile.

Il convient de ne pas donner à cette petite phrase plus d'autorité qu'elle n'en a. Il semble exagéré d'en vouloir faire, comme la C.R.C., la base d'une démonstration.

Reste évidemment le premier fait : la date de 1960 indiquée par Notre-Dame. Mais rien ne garantit que cette date corresponde au début de la réalisation de la prophétie[77]. Elle peut très bien ne désigner que le moment où la hiérarchie de

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l’Église aura besoin de cet avertissement pour éviter de s'engager dans une voie qui mènera (peut-être beaucoup plus tard) au malheur annoncé[78]. Dans cette perspective, la date de 1960 paraît claire. Sans même entrer dans l'interprétation du secret, il suffit de remarquer que sa tonalité générale ne va pas du tout dans sens de l'euphorie conciliaire. Sa révélation en 1960 aurait sans doute freiné – et peut-être même empêché - l'«ouverture au monde» prônée par Vatican II. Mais Jean XXIII préféra, lui, dans son discours d'ouverture, fustiger les «prophètes de malheur».

10. Le fait que l'hypothèse du père Alonso ait été adoptée par beaucoup des meilleurs experts de Fatima ne change rien à la valeur des arguments sur lesquels elle s'appuyait, et que nous venons d'examiner. En tant que conjecture,et  au vu des éléments dont on disposait à l'époque, elle était raisonnable. Mais elle demeurait une simple conjecture, fondée sur des indices et des présomptions, non sur des preuves contraignantes.

Le grand tort de la C.R.C. fut de la présenter comme une certitude absolue. Les travaux du frère Michel de la Sainte-Trinité (et leur résumé par le frère François de Marie-des-Anges) ont réalisé - personne ne peut le nier - un bien immense, tant en France que dans les pays anglophones[79]. Ils ont fait connaître et aimer Fatima ; ils ont éclairé toute l'histoire du XXè siècle à la lumière de cette apparition ; ils ont suscité dans bien des âmes la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Mais ils n'ont pas échappé (le troisième tome, surtout) à cet esprit «thésiste» qui marque jusqu'aux meilleures œuvres de l'abbé de Nantes. L'hypothèse séduisante du père Alonso fut embrassée et défendue de façon trop systématique, avec volonté d'y plier à toute force la réalité. Il fallait à tout prix prouver que le troisième secret dénonçait explicitement la responsabilité de la hiérarchie actuelle dans la crise de la foi. Pour cela, les arguments du père Alonso étaient non seulement repris, mais majorés. Lorsque par exemple il se contentait de suggérer, à propos du secret : «Peut-être même y a-t-il référence aux défaillances de la haute hiérarchie de l'Eglise», on ne manquait pas de sou‑

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ligner la phrase en gras, et de la faire précéder d'une phrase affirmant que l'auteur «nous laisse entendre qu'il en sait sur ce sujet beaucoup plus long qu'il ne peut en dire»[80] (ce qui changeait nettement la portée du propos).

Aujourd'hui, la C.R.C. a changé de thèse. Elle soutient désormais - avec le même esprit systématique - que le troisième secret se rapporterait, tout compte fait, au pape Jean-Paul Ier. Elle n'a cependant pas pris la peine d'effectuer une critique méthodique de ses anciens travaux ; les arguments qu'elle avait massivement diffusés pendant vingt ans pour défendre sa thèse précédente sont toujours en circulation, repris et utilisés par tous ceux qui contestent l'authenticité du secret de l'an 2000. Mais le simple fait que cette construction argumentaire, apparemment si cohérente et si bien charpentée, ait été si brusquement abandonnée par ceux-là même qui l'avaient édifiée ne suffit-il pas à lui ôter beaucoup de sa vraisemblance ?

11. Dernier argument des «négationnistes» : une analyse graphologique disponible sur un site Internet américain[81]. L'auteur y étudie la façon dont sont formés, dans le texte publié par le Vatican, les N et les S majuscules, le sigle «J.M.J.» [Jésus, Marie, Joseph], les g et les h minuscules, etc. Dans chaque cas, il fournit, côte à côte, des extraits du texte révélé le 26 juin 2000 et des extraits d'autres lettres de sœur Lucie. Il faut reconnaître que, à première vue, et quand on ne dispose que des éléments ainsi fournis, la comparaison peut jeter le doute, tant les dissemblances semblent nombreuses. Et cependant ces doutes disparaissent dès que l'on prend la peine de consulter, par exemple, le fac-similé du quatrième Mémoire de sœur Lucie (rédigé en 1941)[82] : on s'aperçoit alors que, dans ce quatrième mémoire, toutes les lettres en question (N et S majuscules, sigle «J.M.J.», g et h minuscules, etc.) concordent tout à fait avec celles du troisième secret publié par le Vatican. On se demande comment Laurent Morlier, qui connaît cette édition des manuscrits de sœur Lucie (il s'y réfère) ne s'en est pas aperçu. En tout cas, l'enquête graphologique tend donc, finalement, à prouver le contraire de ce qu'assurent ses commanditaires. Ceux-ci présentent cependant une seconde étude, beaucoup moins détaillée que la première (et sans même indiquer le nom de son auteur)[83]. Celle-ci conclut (sans donner de véritables preuves) qu'il peut s'agir d'un faux, et, pour confirmer ses dires, affirme que le texte semble avoir été écrit par une personne ayant appris à écrire à l'âge adulte. Précision à la fois étonnante et précieuse car... c'est justement le cas de sœur Lucie !

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Conclusion : le texte est authentique

Au terme de cette enquête, et au regard tant de la critique externe que de la critique interne, il nous semble pouvoir affirmer avec certitude, comme M. l'abbé Delestre, que le texte publié le 26 juin 2000 par le Vatican est authentique. Est-il intègre ? C'est une autre question que nous étudierons ci-dessous ; mais l’authenticité paraît, elle, certaine. Des dix arguments avancés contre l'authenticité, un seul garde une certaine portée : l'étrangeté de la phrase «Au Portugal conservera toujours le dogme de la foi» insérée par sœur Lucie entre le deuxième et le troisième secret. Mais une difficulté d'interprétation ne saurait être un motif suffisant pour rejeter un texte. De toute manière, cette phrase un peu obscure n'est pas contenue dans le texte révélé le 26 juin, mais dans le quatrième Mémoire de sœur Lucie. En toute rigueur, s'il y a un problème, c'est un problème d'exégèse concernant le quatrième Mémoire de sœur Lucie ; rien de plus.

Pour qui éprouverait encore quelque doute, nous voudrions ajouter deux arguments :

- D'abord, le texte en question a été publié du vivant même de sœur Lucie, cinq ans avant sa mort. Quelles que soient les sévères restrictions imposées depuis 1955 aux communications avec sœur Lucie et quelle que soit la scrupuleuse obéissance de celle-ci à la hiérarchie, la publication solennelle d'un faux caractérisé aurait été, de la part du Vatican, une grave imprudence. Le péril était trop grand que la vérité ne finisse par filtrer - ou, tout au moins, que la désapprobation de sœur Lucie soit remarquée. Les autorités vaticanes ne pouvaient courir un tel risque. Elles étaient nécessairement, sur ce plan-là au moins, sûres de leur fait.

- Par ailleurs - et cet argument nous semble, à lui seul, décisif - le texte du secret correspond si peu à ce que le commentaire officiel veut lui faire dire, il contient des détails tellement inattendus - et que les interprètes du Vatican ont tellement de mal à contourner - (par exemple, l'emploi de flèches contre l'«évêque en blanc») qu'il apparaît impossible qu'il ait été forgé pour l'occasion.

Intégralité

Deuxième question : avons-nous désormais, en joignant le texte révélé le 26 juin 2000 à ce que sœur Lucie avait dévoilé en 1941, l'intégralité du secret révélé le 13 juillet 1917 par Notre-Dame ?

Officiellement, et à première vue, la réponse est : oui.

Trois hypothèses ont cependant été avancées pour défendre l'idée qu'il resterait quelque chose à révéler, et elles méritent d'être brièvement présentées ici :

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1) L'hypothèse d'un texte amputé (le texte révélé le 26 juin 2000 serait authentique, mais aurait été amputé par le Vatican de quelques passages gênants) ;

2) L'hypothèse d'un troisième secret en deux morceaux (le texte publié le 26 juin 2000 serait authentique et intégral ; mais il existe un autre texte, rédigé séparément, qui le complète et qui reste à révéler) ;

3) L'hypothèse d'un deuxième secret incomplet (le troisième secret serait désormais complètement révélé, mais le deuxième ne l'était pas ; l'incise «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi» ne serait pas le début du troisième secret de Fatima, mais bien le commencement d'une partie encore inconnue du deuxième secret).

Examinons brièvement ces trois suppositions

Un texte tronqué ?

L'hypothèse selon laquelle le texte révélé le 26 juin 2000 aurait été amputé de certains passages est, pour ainsi dire, la fille naturelle des travaux de la C.R.C. Le secret révélé ne correspondant pas à ce qu'il devait être, on entrevit une solution dans l'existence de passages censurés par le Vatican. Cette hypothèse vaut donc ce que valaient les arguments de la C.R.C., que nous avons déjà examinés. Son seul avantage théorique serait de relier le troisième secret à la petite phrase «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi», et donc d'expliquer celle-ci. Mais en pratique, et en considérant le texte qui nous a été livré, on ne voit guère comment la chose est possible, puisque la première phrase fait directement le lien entre les deux parties précédemment révélées et la vision[84], sans laisser de place pour d'éventuelles paroles de Notre-Dame. On ne voit guère où s'inséreraient les passages omis. Par ailleurs, on sait par divers témoignages que le troisième secret doit être relativement court ; or des ajouts l'allongeraient nécessairement encore.

En bref, cette hypothèse, qui ne se fonde sur aucune preuve ou indice positif, pose davantage de difficultés qu'elle n'en résout.

Un troisième secret en deux morceaux ?

L'hypothèse d'un troisième secret en deux morceaux, qui auraient été rédigés séparément par sœur Lucie et transmis séparément au Saint-Siège a été envisa‑

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gée par Andrew M. Cesanek. Elle a déjà été présentée dans Le Sel de la terre[85]. Elle était fondée sur une ambiguïté de la traduction anglaise d'une lettre de sœur Lucie, ainsi que sur les divergences opposant certaines sources quant à la date de transfert du secret à Rome, la date de sa lecture par Jean-Paul II, etc. (divergences qui, en réalité, s'expliquent mieux par les erreurs ou les imprécisions de certains auteurs que par l'hypothèse gratuite de deux rédactions différentes ; des divergences de détail sont presque inévitables, même chez des témoins d'une parfaite bonne foi[86]).

Le seul témoignage qu'on pourrait à la rigueur avancer en faveur de cette thèse repose sur une confidence d'un jésuite, le père Schweigl, professeur à l’Université grégorienne et au Russicum. Mandaté par Pie XII auprès de sœur Lucie, en 1952, pour l'interroger au sujet de la consécration de la Russie, le jésuite autrichien aurait confié, à son retour, à l'un de ses proches (dont le nom n'est pas fourni) :

Je ne peux rien révéler de ce que j'ai appris à Fatima à propos du troisième secret, mais je peux dire qu'il a deux parties : l'une concerne le pape ; l'autre, logiquement - bien que je ne doive rien dire - devrait être la continuation des paroles : «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi»[87].

Témoignage intéressant, quoique indirect (le père Schweigl est décédé, et l'on ne sait pas dans quelle mesure l'ami anonyme qui retranscrit ses propos pourrait en garantir l'exactitude littérale). Mais il est difficile d'y trouver un argument solide en faveur de la thèse de M. Cesanek. L'expression «deux parties» ne signifie pas «deux textes rédigés séparément». On peut d'ailleurs remarquer que le texte révélé par le Vatican contient bel et bien deux visions différentes, et donc deux parties. Et que la deuxième de ces parties concerne effectivement le pape. Quant à la première, le père Schweigl en dit simplement qu'elle «devrait être logiquement» la suite de la phrase sur le Portugal. Il s'agit donc là d'une supposition, et non d'un témoignage réel sur la teneur du secret. Bref, rien qui permette de mettre en doute sérieusement l'intégralité de ce que nous possédons.

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On se demande d'ailleurs pourquoi sœur Lucie aurait divisé le troisième secret en deux documents, rédigés à quelques jours d'intervalles et conservés séparément.

Faute d'indice positif en faveur de cette thèse, on est bien obligé de la considérer comme manquant de vraisemblance.

Un deuxième secret inachevé ?

Troisième opinion : le «chaînon manquant» serait à chercher non dans le troisième, mais dans le deuxième secret. Cette idée a été développée (à titre d'hypothèse) par M. l'abbé Knittel :

Les explications ou commentaires de la Vierge qui donneraient tout son sens au texte du troisième secret sur le Saint-Père seraient contenus dans la finale du deuxième secret, non encore publiée, faisant suite à l'incise : «Au Portugal, se conservera toujours le dogme de la foi, etc.». Le secret dès lors comprendrait une vision initiale (de l'enfer) et une vision finale (concernant le Saint-Père), encadrant les paroles de la Vierge explicatives des deux visions. [...]

Sans doute, nous demandera-t-on, où se trouve cette fin du deuxième secret de Fatima, non retranscrite dans les Mémoires de sœur Lucie ? Nous avouerons bien simplement que nous ne le savons pas. D'ailleurs, a-t-elle jamais été écrite ?

Et si ce n'est pas le cas, l'exceptionnelle longévité de vie de sœur Lucie n'est-elle pas justement explicable par le fait qu'elle demeure la seule dépositaire de ce terrible secret, prête à tout moment à faire connaître son contenu lorsque l'autorité suprême lui en fera la demande expresse ?[88]

Le grand avantage de cette hypothèse est qu'elle réserverait une possibilité de développement à la fameuse phrase sur la foi au Portugal (mais cette chance d'explication aurait-elle disparu avec sœur Lucie ?). Sa faiblesse est de ne reposer sur aucun indice positif (sauf, peut-être, la confidence du père Schweigl citée ci-dessus ; mais celle-ci peut être interprétée autrement). Elle est de plus difficilement conciliable avec la division du secret donnée par sœur Lucie elle-même, dans son troisième Mémoire. («Le secret comprend trois choses distinctes, et j'en dévoilerai deux».) Sans l'écarter absolument, elle nous paraît donc assez peu probable.

Conclusion : un texte vraisemblablement complet

Si l'on ne peut affirmer avec certitude que nous ayons désormais intégralement le secret du 13 juillet 1917, aucun indice positif ne permet non plus d'assu‑

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rer que le Saint-Siège aurait dissimulé des éléments lors de la révélation du 26 juin 2000.

Sans être absolument certaine, l'intégralité du troisième secret de Fatima nous paraît même probable.

Matériellement, tout aurait été livré.

Mais s'il n'y a pas eu occultation matérielle, il y a eu occultation formelle : tout a été fait pour fausser le sens du message de Fatima - au moment même où on le livrait intégralement au public. Le secret n'a pas été amputé, mais neutralisé, vidé de son contenu. C'est ce qui nous reste à voir.

L'interprétation du troisième secret

Thèse officielle : c'est Jean-Paul II

Deux intentions ont présidé, semble-t-il, à la publication du troisième secret. Celle de Jean-Paul II d'abord, qui, vingt ans après l'attentat du 13 mai 1981, a fini par réussir à se persuader qu'il était l'évêque en blanc aperçu par les trois enfants. Il lui fallait donc, avant de mourir, en faire part au monde.

Les cardinaux, même s'ils ont été contraints de relayer cette interprétation, ont manifesté beaucoup moins de conviction. Leur intention principale semblait plutôt de se débarrasser enfin d'un encombrant dossier (et, du même coup, de fermer la bouche aux «intégristes» qui s'en étaient emparés). Fatima concerne le XXè siècle, Fatima est donc dépassé puisque nous pénétrons dans le XXIè.

C'est le message contenu dans les tout premiers mots de Mgr Bertone, ceux par lesquels il ouvre l'introduction du document de la congrégation pour la Doctrine de la foi :

Dans le passage du deuxième au troisième millénaire, le pape Jean-Paul II a décidé de rendre public le texte de la troisième partie du «secret de Fatima».

Le cardinal Sodano l'avait dit dès le 13 mai 2000, à Fatima :

Les situations auxquelles fait référence la troisième partie du secret de Fatima semblent désormais appartenir au passé.

Encore fallait-il le prouver.

Et quiconque s'emploie à comparer méthodiquement les faits du 13 mai 1981 avec ceux que décrit la vision sera obligé d'admettre que la difficulté n'est pas mince.

La vision nous présente un pape :

- épuisé de fatigue et d'accablement («à moitié tremblant»), alors que Jean-Paul II manifestait à l'époque une force presque athlétique ;

- marchant avec peine («d'un pas vacillant»), alors qu'il était porté, sans aucun effort, par la «papamobile» ;

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- traversant une ville en ruine, puis escaladant une montagne «escarpée», alors qu'il demeure sur la grandiose (et plane) place Saint-Pierre ;

- entouré de cadavres, alors qu'il est acclamé par une foule de quarante mille pèlerins ;

- affligé de souffrance et de peine, alors qu'il se répand en sourires ;

- prosterné à genoux au pied d'une grande croix, alors que debout, il vient de rendre à son père une petite fille qu'il a prise dans ses bras ;

- visé par un groupe de soldats, alors qu'il est la cible d'un unique tueur à gages (civil) ;

- atteint par plusieurs coups de feu et par des flèches, alors que rien ne correspond à ce détail (tellement inattendu qu'il doit bien représenter quelque chose !) ;

- réellement tué par ces coups, alors que Jean-Paul II ne mourra que 24 ans plus tard, dans son lit ;

- accompagné dans la mort par des évêques, prêtres, religieux, religieuses et chrétiens de toutes conditions, alors que personne n'est mort sur la place Saint-Pierre, le 13 mai 1981...

Le cardinal Sodano, qui doit faire correspondre les deux faits, n'a évidemment pas la tâche facile. A tout prendre, comme le remarquèrent certains journaux italiens, l'assassinat de l'archevêque de San Salvador, Mgr Oscar Romero, le 24 mars 1980, correspondrait davantage au signalement : portant lui aussi une soutane blanche, il a sur Jean-Paul II l'avantage d'avoir réellement été tué, et, de plus, en région montagneuse (même si le reste ne cadre pas davantage) !

Pour se tirer de cette gageure, le cardinal Sodano évite soigneusement de révéler d'emblée le texte du secret. Il faut d'abord faire entrer dans les têtes l'idée qu'il s'agit de Jean-Paul II. La première annonce, faite le 13 mai 2000 (jour anniversaire de l'attentat) est, quant au contenu réel du secret, étonnamment imprécise :

À l'occasion de l'événement solennel de sa venue à Fatima, le souverain pontife m'a chargé de vous faire une annonce. Comme vous le savez, le but de sa visite à Fatima a été la béatification des deux petits bergers. Mais il veut aussi donner à ce pèlerinage le sens d'un geste renouvelé de gratitude envers la Madone, pour la protection qu'elle lui a accordée durant ses années de pontificat. C'est une protection qui semble concerner aussi ce qu'on appelle «la troisième partie» du secret de Fatima.

Ce texte constitue une vision prophétique comparable à celles de l'Écriture sainte [...]. La vision de Fatima concerne surtout la lutte des systèmes athées contre l'Eglise et contre les chrétiens. Elle décrit l'immense souffrance des témoins de la foi du dernier siècle du deuxième millénaire. C'est un interminable chemin de croix, guidé par les papes du vingtième siècle.

Selon l'interprétation des petits bergers, interprétation confirmée récemment par sœur Lucie, «l'évêque vêtu de blanc» qui prie pour tous les fidèles est le

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pape. Lui aussi, marchant péniblement vers la croix parmi les cadavres des personnes martyrisées (évêques, prêtres, religieux, religieuses et nombreux laïcs), tombe à terre comme mort, sous les coups d'une arme à feu.

Après l'attentat du 13 mai 1981, il apparut clairement à Sa Sainteté qu'il y avait eu «une main maternelle pour guider la trajectoire du projectile», permettant au «pape agonisant» de s'arrêter «au seuil de la mort»[89]. A l'occasion d'un passage à Rome de l'évêque de Leiria-Fatima de l'époque, le pape décida de lui remettre le projectile, resté dans la jeep après l'attentat, pour qu'il soit gardé dans le sanctuaire. Sur l'initiative de l'évêque, il fut enchâssé dans la couronne de la statue de la Vierge de Fatima.

Cette annonce est un petit chef-d'œuvre. A tous les auditeurs (qui ne connaissent pas encore le texte du secret, et ne l'auront que quarante jours plus tard), deux idées essentielles sont déjà imposées :

- la vision se rapporte en général aux souffrances des martyrs du XXè siècle considérés dans leur ensemble), et en particulier à l'attentat du 13 mai 1981 contre Jean-Paul II.

- sœur Lucie confirme cette interprétation.

Or en réalité - et c'est très remarquable -, le cardinal Sodano n'affirme jamais de façon formelle que la vision de Fatima désigne bel et bien l'attentat du 13 mai. Il se contente de rapprocher les deux images (comme dans un montage audiovisuel), sachant très bien que c'est ce que comprendront les auditeurs. Qu'on relise son texte : il commence par dire que la protection exercée par Notre-Dame sur Jean-Paul II «semble concerner aussi ce qu'on appelle "la troisième partie" du secret de Fatima

». Rapprochement timide. Il parle ensuite de la vision et identifie les personnes qui y sont mises à mort comme «les témoins de la foi du dernier siècle du deuxième millénaire». Il commente : «C'est un interminable chemin de Croix, guidé par les papes du vingtième siècle». Nous voilà donc habilement ramenés au pape - non pas cependant au seul Jean-Paul II, mais à l'ensemble des papes du deuxième millénaire. Sur quoi, le cardinal enchaîne :

Selon l'interprétation des petits bergers, interprétation confirmée récemment par sœur Lucie, «l'évêque vêtu de blanc» qui prie pour tous les fidèles est le pape. Lui aussi, marchant péniblement vers la croix parmi les cadavres des personnes martyrisées (évêques, prêtres, religieux, religieuses et nombreux laïcs), tombe à terre comme mort, sous les coups d'une arme à feu.

L'auditeur, à qui on vient de parler de l'attentat du 13 mai, entend quasi nécessairement ce passage de Jean-Paul II. C'est lui qui «tombe à terre comme mort, sous les coups d'une arme à feu» ; et sœur Lucie confirme cette interprétation. - Alors qu'en réalité, le cardinal, fine mouche, se garde bien d'affirmer cette identification : il se contente de la suggérer habilement. (De même, le texte

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n'affirme pas que sœur Lucie a reconnu Jean-Paul II dans «l'évêque en blanc» ; elle y a seulement reconnu «le pape», sans précision ; mais là encore, le texte est savamment construit pour suggérer beaucoup plus qu'il ne dit.)

Pour que l'illusion soit complète, il ne reste plus qu'à revenir, dès le paragraphe suivant, sur l'attentat du 13 mai, et sur la protection mariale que Jean-Paul II dit y avoir éprouvée. Si, après cela, l'auditeur n'a pas mis le visage de Jean-Paul II sur le pape qui «tombe à terre comme mort, sous les coups d'une arme à feu», c'est à désespérer ! Et pourtant, encore une fois, le cardinal ne soutient pas clairement cette identification. Il est sans doute trop conscient des innombrables difficultés qui ne manqueront pas d'apparaître dès que le texte sera révélé, et qu'il cherche, tant bien que mal, à prévenir :

Ce texte constitue une vision prophétique comparable à celles de l'Écriture sainte, qui ne décrivent pas de manière photographique les détails des événements à venir, mais qui résument et condensent sur un même arrière-plan des faits qui se répartissent dans le temps en une succession et une durée qui ne sont pas précisées. Par conséquent, la clé de lecture du texte ne peut que revêtir un caractère symbolique.

Explication contradictoire. Elle permet assurément d'éliminer à volonté tous les éléments gênants que le cardinal Sodano a soigneusement écartés (la montagne escarpée, la grande ville à moitié en ruine, le groupe de soldats, les flèches, etc.), mais en ce cas, pourquoi en retenir d'autres, et précisément ceux qui peuvent - à la rigueur, et séparés des autres - évoquer l'attentat de 1981 ? Le cardinal le sait bien : toute assimilation trop explicite de l'assassinat de l'«évêque vêtu de blanc» avec l'attentat contre Jean-Paul II se heurte à d'insolubles difficultés. C'est pourquoi il évite toute affirmation trop nette. Sur des gens habitués à regarder la télévision, et à unir des images plutôt qu'à raisonner logiquement, cela passera comme une lettre à la poste.

Et cependant, pour sa mise en scène, le cardinal a dû non seulement éliminer bon nombre d'éléments gênants, mais même falsifier positivement les données du message :

1. D'abord, il confond les cadavres qui gisent dans la ville à moitié en ruine (ceux que le pape rencontre sur son chemin), avec les martyrs mentionnés à la fin («évêques, prêtres, religieux, religieuses et nombreux laïcs») ; les uns comme les autres seraient «des témoins de la foi du dernier siècle du deuxième millénaire». Or le texte les différencie de façon très nette : les premiers ne sont pas des martyrs, mais seulement les victimes d'une catastrophe (qui n'est pas davantage précisée, mais qui est aussi évoquée par les ruines) ; le pape prie d'ailleurs pour leurs âmes, alors qu'on ne prie pas pour des martyrs. En revanche, les évêques, prêtres, religieux, religieuses et laïcs tués au pied de la croix «de la même manière» que le pape, et après lui, sont, eux, présentés comme des martyrs dont le sang doit servir à irriguer les âmes.

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2. Ensuite, le cardinal Sodano déforme le texte en parlant d'un pape qui «tombe à terre comme mort», alors que le secret parle explicitement d'une mise à mort réelle et effective.

3. Enfin, comme nous l'avons déjà indiqué, il est inexact de parler «d'une arme à feu» : il y a «tout un groupe de soldats qui tirèrent [au pluriel] plusieurs coups» : cela implique plusieurs armes.

Ces trois altérations valent des aveux : il est en réalité impossible de faire correspondre la vision du 13 juillet 1917 à l'attentat du 13 mai 1981. C'est sans doute avec un certain soulagement que le cardinal Sodano, chargé de faire cette annonce, se décharge ensuite du dossier sur la congrégation pour la Doctrine de la foi, présidée par le cardinal Ratzinger : c'est elle qui devra révéler le texte même du secret, en l'accompagnant d'un commentaire.

Plusieurs indices manifestent que l'opération fut laborieuse. Le délai imparti pour la rédaction de ce commentaire dut d'abord être élargi, et la révélation du secret (annoncée dès le 13 mai) repoussée au 26 juin. On note d'ailleurs, entre les deux dates, un net changement de ton de la part du cardinal Ratzinger. En mai, il est encore très affirmatif («La relation entre l'attentat et le troisième secret est évidente, elle est dans les faits»[90]) ; le 26 juin, il l'est beaucoup moins : «Nous voyons l'Église des martyrs du siècle qui s'achève, représentée à travers une scène décrite dans un langage symbolique difficile à déchiffrer» (début du commentaire théologique) ; «Un tel texte est symbolique et offre une marge d'interprétation. Ce n'est pas une interprétation historique absolue» (déclaration aux journalistes[91]) ; «On ne peut pas dire que chaque élément visuel doive avoir un sens historique concret» (commentaire théologique).

Le «commentaire théologique» livré par le cardinal Ratzinger semble à plusieurs reprises se protéger derrière la déclaration du cardinal Sodano (citée à quatre reprises) ou derrière sœur Lucie, qui aurait approuvé cette interprétation .

Comme il ressort de la documentation précédente, l'interprétation que le cardinal Sodano a donnée dans son texte du 13 mai a, dans un premier temps, été présentée personnellement à sœur Lucie. A ce sujet, sœur Lucie a tout d'abord observé qu'elle avait reçu la vision, mais pas son interprétation. L'interprétation, disait-elle, ne revient pas au voyant, mais à l'Église. Toutefois, après la lecture du texte, elle a dit que cette interprétation correspondait à ce dont elle avait fait l'expérience et que, pour sa part, elle reconnaissait cette interprétation comme correcte. Donc, dans ce qui suit, on pourra seulement chercher à donner de manière approfondie un fondement à cette interprétation à partir des critères développés jusqu'ici.

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On peut résumer d'un mot toute cette tentative : le mot «symbolique». Pour le cardinal, tout est symbole dans cette vision. Et symbole de réalités très générales. La ville à moitié en ruine, c'est le monde moderne[92] ; l'escalade de la montagne, c'est l'histoire de l'Église au XXè siècle ; les cadavres sur la voie, ce sont les guerres et les souffrances[93] ; le pape même, l'évêque vêtu de blanc, représente toute la papauté du XXè siècle[94].

La marche de l'Église est ainsi décrite comme un chemin de croix, comme un chemin dans un temps de violence, de destruction et de persécutions. On peut trouver représentée dans ces images l'histoire d'un siècle entier.

Mais en ce cas, si ces images ont un sens si général, pourquoi se limiter à un siècle ? Une telle vision ne correspond-elle pas à toute l'histoire de l'Église ? Guerres, souffrances, persécutions ne l'ont-elles pas accompagnée, depuis sa naissance ? Les papes du XXè siècle ont-ils réellement eu plus à souffrir que ceux du XIXè (Pie IX, frénétiquement combattu par la franc-maçonnerie et dépouillé des États pontificaux), du XVIIIè (Pie VI, incarcéré par la République française et mort en captivité le 29 août 1799) ou d'avant ? Et qui dit que les papes du XXIè ne souffriront pas encore davantage ?

Néanmoins, pour le cardinal Ratzinger, il est capital de s'en tenir au XXè siècle. On comprend pourquoi en lisant l'explication qu'il donne aux journalistes, le 26 juin 2000 :

Nous pouvons réellement voir dans cette vision l'histoire des martyrs d'un siècle et aussi, en ce sens, les passions des papes de ce siècle, et pas seulement l'attentat du 13 mai 1981. Mais, dans cette histoire des souffrances des papes, cet attentat, qui a porté le Saint-Père au seuil de la mort, est certainement le point culminant, particulièrement identifié comme le cœur de cette vision[95].

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Autrement dit : le cardinal est parfaitement conscient qu'il est difficile de faire correspondre l'attentat du 13 mai 1981 avec la vision. Aussi, ne se risque-t-il pas aux acrobaties que nécessiteraient un rapprochement immédiat. Il contourne l'obstacle grâce à un raisonnement :

1. la vision se rapporte aux souffrances des papes au XXè siècle ;

2. or l'attentat contre Jean-Paul II marque le point culminant de ces souffrances ;

3. donc cet attentat est le point culminant de la vision, qui doit être interprétée par rapport à lui.

Laissons de côté la deuxième proposition, et considérons seulement la première. C'est, à l'évidence, une affirmation gratuite. Rien - absolument rien - ne permet de faire de l'an 2000 la date-limite de consommation des prophéties de Fatima, après laquelle elles seraient irrémédiablement périmées ! Rien ne garantit non plus que «le point culminant» des souffrances des papes soit derrière nous. Si donc l'on ne réussit pas à trouver, dans le déroulement du XXè siècle, faits qui correspondent vraiment à la prophétie, il est logique de conclure ces faits sont encore à venir, plutôt que de vouloir à tout prix les découvrir dans un attentat qui concorde avec la vision en un petit détail (les coups de feu), mais diverge pour tout le reste. Car, de fait, tout le reste diverge, depuis l'auteur des coups de feu (un groupe de soldats), jusqu'au résultat (la mort) en passant par l'attitude du pape (à genoux au pied d'une croix), des personnes qui l'accompagnent (toutes martyrisées) ou de leurs exécuteurs (munis de flèches).

L'argument du cardinal est entièrement fondé sur la supposition que la prophétie a nécessairement dû se réaliser au XXè siècle. Faute d'en trouver un accomplissement exact et littéral, il faudrait se rabattre sur ce qui s'en rapproche le plus : l'attentat du 13 mai (qui a vu, à défaut du reste, deux ou trois coups de feu). Mais si l'on poussait le cardinal dans ses retranchements pour savoir ce qui permet de limiter la vision au XXè siècle, que pourrait-il dire, sinon que, de fait, elle s'est réalisée le 13 mai 1981, et que tout est donc accompli ? Bref, le cercle est vicieux, et tout l'argument fondé sur une pétition de principe.

Le cardinal n'avait d'ailleurs pas le choix : il devait parvenir à cette conclusion puisque le pape le voulait. A l'instar du cardinal Sodano, il s'arrange d'ailleurs pour laisser reposer sur Jean-Paul II le poids de l'identification de «l'évêque vêtu de blanc» :

Dans la vision, le pape aussi est tué sur la voie des martyrs. Lorsque, après l'attentat du 13 mai 1981, le pape se fit apporter le texte de la troisième partie du «secret», ne devait-il pas y reconnaître son propre destin ? Il a été très proche des portes de la mort et il a lui-même expliqué de la manière suivante comment il a été sauvé : «C'est une main maternelle qui guida la trajectoire de la balle et le pape agonisant s'est arrêté au seuil de la mort» (13 mai 1994). Qu'ici une «main maternelle» ait dévié la balle mortelle montre seulement encore une fois qu'il n'existe pas de destin immuable, que la foi et la prière sont des puissances qui

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peuvent influer sur l'histoire et que, en définitive, la prière est plus forte que les projectiles, la foi plus puissante que les divisions.

A quelques intimes, le cardinal Ratzinger a confié ses difficultés à accepter l'interprétation papale du message de Fatima. Monsieur l'abbé Schmidberger témoigne :

Au sujet du troisième secret de Fatima je peux vous dire la chose suivante. L'année de sa publication, à l'occasion d'une université d'été qui se tient chaque année à Aigen, en Autriche, Mgr Krenn, ancien évêque de St. Pôlten, a publiquement affirmé que le cardinal Ratzinger avait des difficultés dans l'élaboration de l'explication du secret, et que ces difficultés augmentaient à fur et à mesure qu'il se penchait sur le problème, mais que c'était le pape qui voulait cette interprétation. J'étais moi-même présent à cette séance et j'ai entendu de mes propres oreilles les affirmations de Mgr Krenn, qui lui d'ailleurs n'est pas du tout un spécialiste de Fatima[96].

En résumé, ni le cardinal Sodano ni le cardinal Ratzinger ne semblent croire solidement à la théorie qu'ils développent. Le cardinal Sodano est obligé, pour la défendre, de falsifier à trois reprises le texte de la vision. Tandis que le cardinal Ratzinger pose comme point de départ ce que précisément il serait censé prouver.

Et sœur Lucie ? A-t-elle vraiment confirmé l'interprétation papale du troisième secret de Fatima ? Ce ne serait pas en soi impossible, car on sait sa scrupuleuse obéissance aux autorités ecclésiastiques. Les choses sont cependant assez ambiguës. Mgr Bertone, secrétaire de la congrégation pour la Doctrine de la foi, a rencontré sœur Lucie le 27 avril 2000, à Coïmbra. Son compte-rendu de l'entretien est publié avec le commentaire théologique du secret rédigé par le cardinal Ratzinger. Les choses y sont ainsi présentées :

[..] Monseigneur Tarcisio Bertone lui présente alors les deux enveloppes : l'enveloppe extérieure et celle qui contient la lettre avec la troisième partie du «secret» de Fatima, et elle affirme aussitôt, la touchant avec ses doigts : «C'est mon papier», et puis en la lisant : «C'est mon écriture».

Avec l'aide de l'évêque de Leiria-Fatima, le texte original, qui est en portugais, est lu et interprété. Sœur Lucie partage l'interprétation selon laquelle la troisième partie du «secret» consiste en une vision prophétique, comparable à celles de l'histoire sainte. Elle réaffirme sa conviction que la vision de Fatima concerne avant tout la lutte du communisme athée contre l'Église et les chrétiens, et elle décrit l'immense souffrance des victimes de la foi du vingtième siècle.

À la question : «le personnage principal de la vision est-il le pape ?», sœur Lucie répond immédiatement par l'affirmative et elle rappelle que les trois petits bergers étaient très tristes des souffrances du pape, et que Jacinta répétait: «Coitadinho do Santo Padre, tenho muita pena dos pecadores !» («Pauvre Saint-Père, il a beaucoup de peine pour les pécheurs !»). Soeur Lucie continue : «Nous ne

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connaissions pas le nom du pape, la Vierge ne nous a pas donné le nom du pape, nous ne savions pas s'il s'agissait de Benoît XV ou de Pie XII ou de Paul VI ou de Jean-Paul II, mais c'était le pape qui souffrait et cela nous faisait aussi souffrir».

Jusqu'ici, rien de surprenant. L'affirmation selon laquelle la vision décrit «l'immense souffrance des victimes de la foi du vingtième siècle» n'a rien d'exclusif. Le fait que le personnage principal de la vision soit le pape semble également bien établi. Le texte continue cependant :

Quant au passage concernant l'évêque vêtu de blanc, à savoir le Saint-Père - comme le perçurent immédiatement les petits bergers durant la «vision» - qui est blessé à mort et qui tombe par terre, Sœur Lucie partage pleinement l'affirmation du pape : «Ce fut une main maternelle qui guida la trajectoire du projectile et le pape agonisant s'arrêta au seuil de la mort» (Jean-Paul II, Méditation avec les évêques italiens depuis l'hôpital polyclinique Gemelli).

Il suffit de lire attentivement ce passage pour en percevoir l'étrangeté. D’abord, l'auteur parle d'un évêque vêtu de blanc qui «est blessé à mort et qui tombe par terre». Or le texte du secret est tout différent : il ne dit aucunement que l'évêque en question «tombe par terre», mais très précisément qu «prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats». Si Mgr Bertone traite les propos de sœur Lucie avec la même désinvolture que le texte du secret, on peut craindre le pire ! Par ailleurs, Mg Bertone ne dit pas, comme on l'attendrait : quant à l'évêque vêtu de blanc, sœur Lucie est d'avis qu'il s'agit de Jean-Paul II - ou toute autre affirmation semblable Non. Si l'on considère bien sa phrase, son affirmation essentielle est celle-ci :

Sœur Lucie partage pleinement l'affirmation du pape : «Ce fut une main maternelle qui guida la trajectoire du projectile et le pape agonisant s'arrêta au seuil de la mort».

Affirmation digne d'intérêt, mais qui n'a pas en soi de lien avec l'interprétation du troisième secret : on peut très bien concevoir que la sainte Vierge ait protégé Jean-Paul II de la mort sans voir en lui le pape martyrisé de la vision. Or Mgr Bertone joint ce fait à la vision du 13 juillet par une apposition extrêmement vague :

Quant au passage concernant l'évêque en blanc [...j Sœur Lucie partage pleinement l'affirmation du pape : «Ce fut une main maternelle qui guida la trajectoire du projectile [...]».

Mgr Bertone fait un certain lien entre la vision prophétique du 13 juillet et la reconnaissance par sœur Lucie d'une intervention de la sainte Vierge lors de l’attentat du 13 mai 1981, mais il ne nous dit pas précisément dans quelle mesure - et surtout dans quel sens - ce lien est confirmé par sœur Lucie. On ne peut s'empêcher de penser que si sœur Lucie avait dit clairement et formellement : Oui, l'évêque en blanc désigne Jean-Paul II, cela nous serait rapporté tout aussi clairement. Le fait que Mgr Bertone soit obligé de recourir à des construc

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tions aussi embarrassées (des constructions qui suggèrent beaucoup plus qu'elles n'affirment réellement) est en soi très révélateur.

Mgr Bertone poursuit :

Alors que sœur Lucie, avant de remettre à l'évêque de Leiria-Fatima de l'époque la lettre scellée contenant la troisième partie du «secret», avait écrit sur l'enveloppe extérieure qu'elle pouvait être ouverte seulement après 1960, soit par le patriarche de Lisbonne soit par l'évêque de Leiria, Monseigneur Bertone lui demande : «Pourquoi l'échéance de 1960 ? Est-ce la Vierge qui avait indiqué cette date ? Sœur Lucie répond : «Ça n'a pas été Notre-Dame, mais c'est moi qui ai mis la date de 1960, car, selon mon intuition, avant 1960, on n'aurait pas compris, on aurait compris seulement après. Maintenant on peut mieux comprendre. J'ai écrit ce que j'ai vu, l'interprétation ne me regarde pas, elle regarde le pape». [...]

Cette dernière phrase sonne comme un aveu : l'aveu de l'insistance avec laquelle on a pressé sœur Lucie de confirmer l'interprétation officielle. Or sans la contester formellement, sœur Lucie, c'est visible, n'entend pas la prendre à son compte : «L'interprétation ne me regarde pas, elle regarde le pape». Il va de soi que cette réserve n'aurait pas lieu d'être si l'interprétation officielle lui paraissait évidente.

Enfin, l'explication sur la date de 1960 est surprenante, car sœur Lucie semble avoir déclaré le contraire au chanoine Barthas en 1946 :

Lorsque je poussai l'audace jusqu'à demander pourquoi il fallait attendre jusque-là, j'obtins pour toute réponse [...] : Parce que la sainte Vierge le veut ainsi[97].

L'explication de cette apparente divergence est sans doute la suivante : Mgr Bertone a dû demander à la voyante si la sainte Vierge lui avait explicitement indiqué, lors d'une apparition, cette date de 1960. Sœur Lucie a sans doute répondu, comme au sujet d'autres révélations, que :

Le bon Dieu ne me manifeste pas cela au moyen d'apparitions ; c'est par le moyen d'un sentiment intime et intense de Sa présence dans mon âme[98].

Mgr Bertone aura traduit, sans scrupules excessifs : «Ça n'a pas été Notre-Dame, mais c'est moi qui ai mis la date de 1960».

Quoiqu'il en soit de cette hypothèse, la relation que nous donne Mgr Bertone de son entretien avec sœur Lucie doit être prise avec beaucoup de précautions. Le seul point qui s'en dégage avec une absolue certitude, c'est une absence : on n'y trouve aucune affirmation explicite de sœur Lucie selon laquelle Jean-Paul II serait le pape du secret. Il semble légitime d'en conclure que sœur Lucie ne l'a pas dit. Sans doute a-t-elle admis (elle était fortement poussée en ce sens) un certain lien entre l'attentat du 13 mai 1981 et la vision du 13 juillet 1917. Mais

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un tel lien peut être interprété de très diverses façons. L'attentat du 13 mai 1981 peut être considéré comme un avertissement à la papauté et une annonce du châtiiment qui l'attend si elle persiste à refuser les demandes du Ciel. La sainte Vierge y aurait, cette fois-là, protégé le pape de la mort, mais précisément pour l'amener à considérer plus attentivement la terrible annonce du secret, non pour supprimer celle-ci.

De fait, l'attentat a attiré l'attention de Jean-Paul II sur les demandes de Fatima. Le pape a essayé d'y répondre, mais à moitié seulement. Il n'a pas consacré la Russie comme l'avait demandé le Ciel, ni promu la dévotion réparatrice des premiers samedis[99]. Tout porte à croire que la terrible prophétie du troisième secret, loin d'être périmée, menace, plus que jamais, notre XXIè siècle.

La nouvelle thèse de la C.R.C.

En face de la thèse officielle se dresse, presque en symétrie, la nouvelle thèse de la C.R.C. L’«évêque en blanc» n'y est pas Jean-Paul II mais Jean-Paul Ier. De cette identification, les frères de la C.R.C. trouvent un certain nombre d’indices :

- D'abord, le texte du troisième secret parle d'un «Évêque vêtu de Blanc», et sœur Lucie a curieusement mis une majuscule au mot «Blanc» (Branco)[100]. Or ce mot peut se traduire en italien par Albino, qui était le prénom de Jean-Paul Ier ! De plus, sœur Lucie écrit qu'il a été vu «dans une lumière immense qui est Dieu». Or le nom de famille de Jean-Paul Ier, Luciani, évoque précisément la lumière[101].

- Lucie compare d'ailleurs cette vision dans la lumière divine à «quelque chose de semblable à la façon dont les personnes se voient dans un miroir quand elles passent devant». Et les frères de la C.R.C. d'expliquer que ces derniers mots («quand elles passent devant») «expriment bien la brièveté d'un pontificat de trente-trois jours. Il n'a donc fait que "passer"»[102].

- De plus, parmi les cardinaux qui rencontrèrent soeur Lucie, seul le cardir Albino Luciani, patriarche de Venise, fut demandé au parloir du Carmel à l'û tiative de soeur Lucie elle-même, le 11 juillet 1977. Le patriarche célébra la mes uis, sur la demande instante de soeur Lucie, s'entretint avec elle pendant pi deux heures. Le cardinal fut visiblement très ému par cette rencontre.

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- Enfin, Jean-Paul Ier aurait été un pape martyr. La C.R.C. s'inspire ici du livre à sensation de David Yallop, Au nom de Dieu, selon qui Jean-Paul Ier aurait été assassiné par la maffia financière du Vatican (cardinal Villot en tête)[103]. Mais tout en corrigeant cet auteur (elle essaye de se dégager de ses préjugés gauchistes), elle le dépasse allègrement puisqu'elle présente comme un martyr celui en qui David Yallop ne voyait que la victime d'un empoisonnement. Il faut, pour être martyr, être tué en haine de la foi (et accepter cette mort).

- Au terme, les frères de la C.R.C. sont convaincus : Jean-Paul Ier est bien le pape annoncé par le secret. «Le pape qui occupe les pensées de la sainte Vierge, dès 1917, c'est lui ! Cela ne fait aucun doute. Ce ne peut être que lui».

Très curieusement, le même frère François de Marie-des-Anges qui invoquait les différents éléments de la vision (soldats, flèches, etc.) pour s'opposer à son application à Jean-Paul II (soulignant, à juste titre, qu'on ne les retrouve pas dans l'attentat du 13 mai 1981), oublie cet argument dès qu'il s'agit de Jean-Paul Ier. Pas de soldats, pas de flèches, pas de coups de feu, pas de compagnons martyrs ? Aucune importance. La preuve que Jean-Paul Ier est le pape-martyr annoncé à Fatima, c'est qu'il est «le seul pape du XXè siècle qui a été tué» (p. 519). On retrouve, implicite, le fameux axiome des autorités romaines : la vision se rapporte au passé - aux événements du XXè siècle. L'identification ne s'impose pas d'elle-même, mais par élimination. Il faut choisir parmi les papes du XXè siècle ; et comme aucun autre n'a été tué, ce doit être celui-là (que l'on suppose tué). Il ne reste plus qu'à lui attribuer de force tous les traits de la vision. Nous apprenons ainsi, grâce au secret de Fatima, que la mort de Jean-Paul Ier était bien un martyre :

[...] Le martyre de Jean-Paul Ier demeurait encore un secret dans l'Église, mais c'était un secret dont notre Père céleste voulait qu'il fût divulgué au monde, et il le fut le 26 juin 2000 : par la publication du secret de Fatima, la Vierge Marie a révélé elle-même, dans sa plénitude surnaturelle, le drame qu'a vécu son élu, victime innocente tuée par ses frères. C'était figuré dans la vision symbolique du 13 juillet 1917 : «Parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande croix, il fut tué par un groupe de soldats qui lui tirèrent plusieurs coups et des flèches».

La mort de l'Évêque vêtu de Blanc est un sacrifice rédempteur, le sacrifice du bon Pasteur donnant sa vie pour ses brebis, à la ressemblance de Jésus-Christ [.. .][104].

On peut difficilement aller plus loin dans l'arbitraire[105].

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Quelques éléments d'interprétation

Nous entendons d'ici l'objection :

- Vous qui critiquez si sévèrement les interprétations du Vatican ou de la C:R.C., avez-vous donc quelque chose de mieux à proposer ?

A quoi nous répondons franchement : non, nous n'avons pas d'explication générale et parfaite du secret de Fatima. Nous en ignorons encore le dernier mot. Nous avons bien quelques pistes et quelques indices, et nous en parlerons un peu, mais nous n'avons pas, comme la C.R.C. d'avant l'an 2000, ou comme la ,C.R.C. d'après l'an 2000, une «thèse» à défendre ou à imposer.

En cet état d'incertitude, nous sommes cependant parfaitement à l'aise pour combattre tant l'interprétation officielle du troisième secret (application à Jean-Paul II) que celle de la C.R.C. (application à Jean-Paul Ier), car elles ont en commun le même défaut fondamental : elles ne s'imposent pas d'elles-mêmes. Imaginez un catholique de base connaissant comme tout le monde les figures de Jean-Paul Ier et de Jean-Paul II et mis en face du texte de la vision. Il n'aurait guère, de lui-même, l'idée de le leur appliquer. Il finira peut-être par succomber aux explications en trompe-l'oeil du cardinal Sodano ou aux subtiles exégèses de la C.R.C., mais ce n'est pas la façon dont il aura compris, à la première lecture, le texte du secret.

Il nous semble, au contraire, que l'explication du troisième secret de Fatima doit, le moment venu, s'imposer d'elle-même.

On peut sans doute déjà apercevoir ou entr'apercevoir certains des éléments de cette explication. Mais ils ne recevront leur confirmation définitive que lorsque l'ensemble sera accompli.

:Nous n'avons donc pas de «thèse» générale à proposer. Seulement quelques hypothèses plus ou moins particulières, plus ou moins probables, et même, selon les cas, plus ou moins en concordance les unes avec les autres. Au total, sept éléments, empruntés de droite ou de gauche, et que seul l'avenir permettra de partager.

- Un lien avec la crise de la foi ?

Quel lien précis unit la vision du troisième secret avec la phrase qui le précède («Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi») ? Aucun, répondent les autorités conciliaires, qui s'empressent de la reléguer en note de bas de page. En sens contraire, certains voudraient que cette petite phrase fasse réellement partie du troisième secret et en indique le sens général. La solution pourrait être intermédiaire. La sainte Vierge est venue à Fatima mettre en garde contre le communisme. Elle a donné le remède, dans la consécration de la Russie à son Cœur immaculé. Elle a aussi prévu que les papes tarderaient, hélas, à employer ce remède, et annoncé les châtiments qui s'ensuivraient : guerre, persécutions, souffrances du Saint-Père. Il semble qu'elle ait voulu aussi, sans y

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insister davantage, laisser entendre, avec la délicatesse d'une mère, que le mal pourrait être bien pire encore et corrompre la foi à l'intérieur même de l'Église (en partie à cause de la subversion communiste). C'est ce que laisse entendre la petite phrase sur le Portugal[106]. Il n'était pas besoin qu'elle en dise davantage puisque, de fait, cette seule petite phrase a suffi à orienter l'esprit des experts vers la crise actuelle de la foi[107]. Elle peut ensuite parler d'autre chose, dans la troisième partie, sans se référer explicitement à la crise dans l'Eglise, mais en la conservant néanmoins en arrière-fond. Cela pourra d'ailleurs aider à mieux comprendre certains détails de la deuxième vision.

- L'ange à l'épée de feu : une guerre écartée ?

Première vision du troisième secret : un ange muni d'une épée de feu, qui semble enflammer le monde, mais dont les flammes s'éteignent au contact de la splendeur qui émane de la main droite de Notre-Dame, tandis que l'ange, répète : Pénitence ! Pénitence ! Pénitence !

Cette vision est fréquemment interprétée comme une figure de la guerre froide. Notre-Dame aurait, par son intervention, empêché ce conflit de dégénérer en guerre mondiale.

De fait, en 1960 - l'année où le secret devait être révélé - deux journées spéciales de prière et de pénitence furent organisées à Fatima par Mgr Venancio ; des centaines d'évêques se joignirent à cet appel et, les 12 et 13 octobre, des centaines de milliers de pèlerins se rassemblèrent à Fatima. La cérémonie se déroula sous une terrible tempête, beaucoup de pèlerins passant la nuit à prier dans le vent et sous la pluie. Le soleil ne réapparut que dans la matinée du 13 octobre, au moment précis où la statue de Notre-Dame de Fatima sortait processionnellement de la Capelinha. Or ce mois d'octobre 1960 marqua un des sommets de la guerre froide : le même 12 octobre, en pleine séance de l'O.N.U., le successeur de Staline, Nikita Khroutchev, se permit de se déchausser pour

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taper violemment son pupitre avec sa chaussure. Au cours des jours qui suivirent, les Russes subirent une série d'échecs retentissants dans leurs expérimentations aérospatiales et nucléaires. Le maréchal Nedeline, vice-ministre de la défense, trouva la mort avec plus de 150 hauts militaires et scientifiques russes lors d'une explosion sur la base de Tioura-Tam, près de Baïkonour, au Kazakhstan[108]. Il semble que ces catastrophes aient empêché, à ce moment, le déclenchement d'une guerre mondiale (nucléaire).

- La ville en ruine : l'Église postconciliaire ?

La deuxième vision présente la vision d'un pape traversant une grande ville à moitié en ruine et priant pour les âmes des cadavres qu'il trouve sur son chemin. Plusieurs auteurs veulent y voir une figure de la crise dans l'Église qui est particulièrement visible depuis les années 1960[109]. Rien ne permet d'écarter a priori une telle interprétation, qui a l'avantage de lier la vision à la petite phrase «Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi». En sens contraire, on notera cependant que la vision ne présente pas le pape et la hiérarchie comme responsables de la crise, mais au contraire s'en affligeant, et priant pour les cadavres.

- L'annonce d'une destruction de Rome ?

Cette vision de la ville en ruine est susceptible d'une interprétation beaucoup plus matérielle : elle annoncerait tout simplement une destruction (partielle) de la ville de Rome, au cours, sans doute, d'une guerre ou d'une révolution. Là encore, rien ne permet a priori d'écarter une telle interprétation, comme rien ne permet de l'imposer[110].

- Un pape martyr ?

L'interprétation matérielle de la ville à moitié en ruine conduirait logiquement à une interprétation tout aussi matérielle de la mise à mort du pape. On remarquera qu'une telle interprétation rejoint de manière indirecte la thèse du

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père Alonso (selon laquelle le secret devait désigner la crise dans l'Église). Le secret ne se rapporterait pas directement à la crise, mais à son dénouement. Les défaillances de la hiérarchie de l'Église réclament un châtiment et une réparation appropriés. La crise ayant atteint une gravité absolument sans précédent à cause du scandale donné par le pontife romain lui-même (liberté religieuse, réunions d'Assise, baiser au Coran, etc.), la réparation ne pourrait se faire que par un acte héroïque de foi de la part d'un autre souverain pontife. Celui-ci mériterait à nouveau, par son martyre, la confiance et la dévotion du peuple chrétien envers le pape (de même que saint Pierre a réparé par le martyre son triple reniement). L'Église serait ainsi régénérée par le sang des martyrs, pape en tête[111].

- La vision de saint Jean Bosco

C'est sans doute en mai 1862 que saint Jean Bosco eut son célèbre songe des deux colonnes sur la mer (il le raconta aux jeunes de sa congrégation le 30 mai 1862)[112]. L'Église y est représentée par un grand et majestueux navire, accompagné de toute une flottille de petits bateaux. En face, des vaisseaux innombrables, armés d'un éperon de fer et munis d'armes de toutes sortes lui livrent un assaut sans merci. Le vent et la mer agitée favorisent les assaillants.

Soudain, deux colonnes en granit s'élèvent sur les flots. La plus haute porte une hostie rayonnante, avec l'inscription Salut des croyants. L'autre, sur laquelle sont gravés les mots Auxilium christianorum (Secours des chrétiens), porte une statue de l'Immaculée.

Le socle des colonnes est garni d'ancres, de crochets et de chaînes.

Le commandant du grand vaisseau (le pape) convoque à son bord les pilotes des vaisseaux auxiliaires (les évêques) afin de prendre conseil. Mais la tempête se fait tellement violente que les pilotes doivent au plus vite regagner leurs petits bateaux. (Le songe de don Bosco annonçait ici le premier concile du Vatican, convoqué le 6 décembre 1864 par Pie IX pour remédier «par un moyen extraordinaire à la détresse extraordinaire de l'Eglise», et interrompu par la guerre de 1870.)

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Une accalmie permet au pape de les réunir à nouveau, mais la tempête se déchaîne alors, encore plus violente (cela semble désigner le concile Vatican II qui fut effectivement convoqué alors que semblait régner un calme relatif, et qui déchaîna une violente tempête).

Mais les colonnes sont toujours là, dressées immobiles sur la mer en furie. Le pape prend conscience qu'elles seules pourront sauver l'Église, et s'efforce d'y guider son navire, de plus en plus attaqué : certains ennemis le bombardent au canon et au fusil, d'autres foncent sur lui et le frappent de leurs éperons ; certains jettent à son bord quantité de mauvais livres et de matières incendiaires. Un coup formidable ouvre une large blessure dans le flanc de la nef. Mais un souffle mystérieux, venu des deux colonnes, referme la brèche par où voulait s’engouffrer la mer. L'ennemi semble alors monter à l'abordage du vaisseau amiral : un corps à corps furieux s'engage sur le pont, au milieu des blasphèmes et des malédictions. (Il est aisé de voir dans cette description l'état de l'Église depuis Vatican II.)

Tout à coup le pape lui-même est frappé. Il tombe, ses sujets le relèvent ; mais un deuxième coup l'abat ; il est frappé à mort. Un cri de victoire retentit. Sur les vaisseaux ennemis, on exulte et on danse. Cependant la mort du pape est à peine connue que le successeur est élu. Les pilotes, réunis en conseil, ont fait diligence. Les adversaires perdent courage. Le nouveau pontife passe à travers tous les obstacles et conduit le navire jusqu'aux deux colonnes. Il amarre solidement la proue à la colonne de l'hostie et la poupe à celle de l'Immaculée.

C'est la victoire de l'Église, la déroute des ennemis. Leurs navires se dispersent, se heurtent, se brisent et se coulent mutuellement. Les bateaux qui avaient lutté pour le pape viennent, eux aussi, s'attacher aux colonnes. D'autres qui, loin du danger, avaient attendu prudemment la victoire, suivent leur exemple.

«Sur la mer, conclut le saint, règne maintenant un grand calme».

Certains commentateurs de ce songe ont voulu voir dans le premier coup porté contre le pape (celui dont il se relève) l'attentat du 13 mai 1981. Cette interprétation est loin de s'imposer (la vision peut très bien désigner un pape encore à venir qui subirait deux attaques successives), mais, de toute manière, l'attentat de 1981 ne peut en aucune façon être le second coup (le coup mortel). Celui-ci reste donc à venir (il s'agit nécessairement d'une vraie mise à mort, puisqu'elle entraîne l'élection d'un successeur). Quelle que soit la façon dont on veut comprendre le premier coup, la vision de saint Jean Bosco contredit donc interprétation officielle du troisième secret de Fatima (qui parle explicitement d'un pape tué, et doit donc nécessairement se rapporter au deuxième coup annoncé par le saint[113]).

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Le songe de saint Jean Bosco semble en revanche confirmer l'hypothèse selon laquelle la crise actuelle s'achèvera par le martyre d'un pape. Le pape restaurateur lui succéderait ; peut-être sera-ce lui qui accomplira, enfin, la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie (amarrant ainsi l'Eglise à la colonne de l'Immaculée). En tout cas, c'est lui qui jouirait des fruits de cette consécration.

- Les visions de Jacinthe

Dernier élément à prendre en compte dans l'interprétation du troisième secret, les visions prophétiques de Jacinthe. Sœur Lucie a donné le récit de deux d'entre elles, dans son troisième Mémoire. Jointes à la vision du troisième secret, on peut dire, avec M. l'abbé Delestre, qu'elles forment «un triptyque dans lequel les trois tableaux sont complémentaires et absolument indissociables» :

- «Je ne sais pas comment cela s'est passé, mais moi j'ai vu le Saint-Père, dans une grande maison, à genoux devant une table, la tête dans les mains, et pleurant. Au dehors, il y avait beaucoup de monde. Les uns lançaient des pierres, d'autres l'insultaient et lui disaient de vilaines paroles. Pauvre Saint-Père ! Il nous faut beaucoup prier pour lui». [Jacinthe à Lucie, troisième mémoire[114]]

- «A une autre occasion, nous allâmes à Lapa do Cabeço. [...] Après un certain temps, Jacinthe se redressa et m'appela :

- Ne vois-tu pas tant de routes, tant de chemins et de champs pleins de gens qui pleurent de faim et n'ont rien à manger ? Et le Saint-Père dans une église, priant devant le Cœur Immaculé de Marie ? Et tant de monde qui prie avec lui ?

Plusieurs jours après, Jacinthe me demanda :

- Est-ce que je peux dire que j'ai vu le Saint-Père et tout ce monde ?

- Non ! Ne vois-tu pas que cela fait partie du secret ? Et qu'ainsi bientôt tout se découvrirait ?

- C'est bien, alors je ne dirai rien»[115].

Il faut joindre à ces visions les avertissements donnés par Notre-Seigneur à Lucie, en août 1931 :

- Fais savoir à Mes ministres, étant donné qu'ils suivent l'exemple du roi de France en retardant l'exécution de Ma demande, qu'ils le suivront dans le malheur» [Lucie, lettre du 29 août 1931].

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Ils n'ont pas voulu écouter Ma demande !... Comme le roi de France, ils s'en repentiront et ils le feront, mais ce sera tard [Lucie, lettre au père Gonçalvès en 1936].

On se souvient également de l'avertissement donné par sœur Lucie, en 1945 :

Il est nécessaire de ne pas cesser de prier pour Sa Sainteté. De grands jours d'affliction et de tourmente l'attendent encore[116].

Tous ces éléments ne permettent certes pas de percer complètement le mystère du troisième secret. Mais ils permettent d'en mieux saisir la portée générale, et d'en nourrir plus efficacement notre piété.

Conclusion

Les grandes étapes de l'histoire du secret de Fatima correspondent aux grandes étapes de l'histoire du XXè siècle. Manifesté aux trois enfants durant la première guerre mondiale, le secret reste inconnu du grand public jusqu'à la seconde (dont il parle). Dans la nuit du 25 au 26 juillet 1938, cependant, Lucie perçoit, comme des millions de personnes en Europe, en Amérique et en Afrique, la grande aurore boréale. Elle comprend que c'est la réalisation de l'annonce de la sainte Vierge («Lorsque vous verrez une nuit éclairée par une lumière inconnue, sachez que c'est le grand signe que Dieu vous donne qu'Il va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre [...]»), et elle s'emploie à avertir les autorités[117]. C'est durant cette guerre qu'elle révèle au public les deux premières parties et qu'elle rédige la troisième.

Seuls les papes de Vatican II prendront connaissance, à partir de 1960, du texte du troisième secret. C'est à eux qu'il était d'abord destiné, et c'est eux qu'il devait dissuader de la catastrophique ouverture au monde (et au communisme) malheureusement opérée par ce concile que Mgr Lefebvre appelait «la troisième guerre mondiale».

Quarante ans plus tard (quelques années avant la mort de sœur Lucie et de Jean-Paul II, toutes les deux en 2005), les autorités romaines se décident enfin à révéler le troisième secret, non pour le mettre en valeur, mais au contraire dans l’espoir de l'enterrer définitivement. La Providence divine dirigeant tout, on peut penser que nous en avions, au contraire, plus que jamais besoin.

***

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En 1937, le père Kolbe annonça que la statue de l'Immaculée régnerait au centre de Moscou, mais, ajouta-t-il, pas avant «l'épreuve du sang»[118].

Est-ce l'épreuve annoncée par le troisième secret de Fatima ? Les éléments d'interprétation donnés plus haut permettent de l'envisager.

Toutefois, et comme nous l'avons déjà dit, nous n'entendons pas imposer une thèse ou clore un débat qui ne s'achèvera sans doute qu'avec le plein accomplissement des prophéties. Les divergences, en ce domaine, sont légitimes, et nous recevrons avec reconnaissance tous éléments pouvant permettre de rectifier, d'affiner ou de compléter notre jugement.

Tous en tout cas, sommes d'accord sur un point, parce que la sainte Vierge l'a solennellement promis :

«A la fin, mon Cœur Immaculé triomphera».

ABREVIATIONS ET SIGLES DIVERS

AAS Acta Apostolicæ Sedis.

CIC Code de Droit canonique.

DACL : Dom CABROL et LECLERC, Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie.

DAFC : D'ALÈS, Dictionnaire apologétique de la foi catholique, Paris, 1925.

DB, DBS : VIGOUROUX, Dictionnaire de la Bible (PIROT, Supplément au ...).

DC : La Documentation catholique.

DDC NAZ, Dictionnaire de Droit canonique.

DTC : VACANT et MANGENOT, Dictionnaire de théologie catholique, Paris, Letouzey et Ané, 1909.

DS : H. DENZINGER et A. SCHöNMETZER, Enchiridion symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, 36è éd., Barcelone-Fribourg-Rome, Herder, 1976. Édition bilingue latin-français (augmentée des textes conciliaires et post-conciliaires), sous la direction de Peter HUNERMANN, Paris, Cerf, 1996.

Dz : H. DENZINGER et Cl. BANNWART, ibid., Fribourg en Brisgau, Herder, 1951.

EPS-Égl.: L'Église, Enseignements pontificaux (Solesmes), Desclée.

EPS-IVP : Les instituts de vie parfaite, Enseignements pontificaux (Solesmes), Desclée.

EPS-PIN: Paix Intérieure des Nations, Enseignements pontificaux (Solesmes), Desclée.

FC : DUMEIGE, La Foi catholique, Paris, éd. de l'Orante, 1961.

ORLF : Osservatore Romano en langue française.

PL : Patrologie latine de MIGNE.

PG : Patrologie grecque de MIGNE.

RJ : M.-J. ROUET DE JOURNEL, Enchiridion Patristicum, Fribourg en B., Herder, 1981.

Ouvrages de saint Thomas d'Aquin

Somme théologique : on indique les parties par I, I-II, II-II, III, Suppl. ; les questions par «q.» ; les articles par «a.» ; les objections par «ad». Ex : I-II, q. 10, a. 3, ad 1.

Commentaire des Sentences : II Sent. D. 3, q. 2, a. 3, q.la 2.

Somme contre les Gentils : C. G. I, c. 2.

Commentaire d'Écriture sainte : Coin. in Mt.

Pour les autres ouvrages, on écrit la référence complète : De Correctione fraterna, De Potentia, etc.



[1] Cardinal OTTAVIANI, DC 19 mars 1967, col. 542.

[2] Le pape Jean-Paul II a fixé une nouvelle fête : le dimanche de la Miséricorde (dimanche après Pâques) d'après les révélations faites à sœur Faustine, polonaise. Il aurait facilement pu encourager la dévotion des cinq premiers samedis du mois, et même l'enrichir d'indulgences, comme il y en a pour les neuf premiers vendredis du mois.

[3] Voir Le Sel de la terre 6, p. 168-170.

[4] Selon les accords de Balamand : voir par exemple Le Sel de la terre 44, p. 444 et sq.

[5] Voir l'article sur le commentaire du cardinal Ratzinger sur le message de Fatima.

[6] Voir l'article sur le commentaire du cardinal Ratzinger sur le message de Fatima.

[7] Sœur Lucie rapporte cette parole de Notre-Seigneur dans une lettre au père Gonçalvez en 1936. Lettre citée par le père ALONSO dans Marie sous le symbole du cœur, Paris, Téqui, 1973, p. 42.

[8] P. Gérard MURA, Fatima - Rom - Moskau, Die Weihe Ruβlands an das Unbefleckte Herz Mariens steht noch immer aus, Jaidhof, Rex Regum Verlag, 1999, 78 p.

[9] DICI 101, 25 septembre 2004, p. 10.

[10] www.ebior.org/Encyc/Apparitions/commentaire-Fatima.htm. On le trouve aussi en appendice dans la dernière édition (février 2005) des Mémoires de Lucie faites par le Secretariado dos pastorinhos, Fatima, Portugal.

[11] Voir Le Sel de la terre 43, p. 1 et sq.

[12] «Une parole (locution, discours) surnaturelle de Dieu aux hommes». (Père Réginald GARIIGOU-LAGRANGE O.P., De Revelatione, Paris, Gabalda, 1918, p. 150).

[13] «Une parole (locution, discours) de Dieu aux hommes [...] surnaturelle [...] immuable». (DS index, A 1a, 5a et 5b).

[14] Sachant qu'à la Révélation correspond la foi, il n'est pas étonnant que la foi des néo-modernistes conciliaires soit, elle aussi, un processus «global», un acte d'abandon interpersonnel un hommage de la personne, et non plus un assentiment de la raison à la Vérité révélée. Voir à ce sujet l'intervention du frère EMMANUEL-MARIE O.P. au symposium théologique de Paris de 2003, «Une nouvelle approche de la foi (DV5)», in La Conscience dans la Religion de Vatican II, éd. du Sel, 2004, p. 114 et sq. (disponible à nos bureaux, 25 € + 3,5 € de port).

[15] Pascendi dominici gregis, encyclique de saint Pie X du 8 septembre 1907.

[16] Par exemple le cardinal Ratzinger affirme le caractère provisoire et évolutif de l'enseignement magistériel en ce qui concerne les «déclarations des papes du siècle dernier sur la liberté religieuse», les «décisions antimodernistes du début de ce siècle, en particulier les décisions de la Commission biblique de l'époque», mais il ne l'acceptera sans doute pas pour d'autres domaines. (Voir «Magistère et théologie», O.R.L.F., 10 juillet 1990).

[17] La Religion de Vatican II (Symposium 2002), éd. des Cercles de Tradition de Pari 2003 (disponible à nos bureaux, 27 € + 3,5 € de port) ; La Conscience dans la Religion Vatican II (Symposium 2003), éd. du Sel, 2004 (disponible à nos bureaux, 25 € + 3,5 € port). Voir notamment les études de M. l'abbé Calderon FSSPX et du frère Emmanue Marie O.P.

[18] Le Sel de la terre 43, éditorial.

[19] Joseph GREDT O.S.B., Elementa Philosophiæ aristotelico-thomisticæ, 8è éd., Barcelone, Herder, t. 2, thèse II.

[20] Propos que sœur Lucie aurait tenu à Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la congrégation pour la Doctrine de la foi, le 27 avril 2000, au carmel de Coïmbra, rapporté dans les Mémoires de Lucie I, Secretariado dos pastorinhos, Fatima, 2005, p. 226.

[21] Les mots «chapelet» et «rosaire», sont absents du «commentaire théologique du message de Fatima», alors qu'à Fatima la sainte Vierge s'est présentée comme Notre-Dame du Rosaire et qu'elle a recommandé nommément le chapelet à chacune des six apparitions de Fatima. Par ces omissions, le cardinal a peut-être voulu nous éviter un long «processus de traduction» qu'il aurait été nécessaire de faire à l'usage des «personnes provenant de l'ère culturelle anglo-saxonne et allemande» (c'est-à-dire des protestants).

[22] On lira plus loin, dans l'article du frère Louis-Marie sur le troisième secret, le témoignage de M. l'abbé Schmidberger dont voici un extrait : «Mgr Krenn, ancien évêque de St. PSlten, a publiquement affirmé que le cardinal Ratzinger avait des difficultés dans l'élaboration de l'explication du secret, et que ces difficultés augmentaient à fur et à mesure qu'il se penchait sur le problème, mais que c'était le pape qui voulait cette interprétation».

[23] «Vous avez vu l'enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Afin de les sauver. Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Si l'on fait ce que je vais vous dire, beaucoup d'âmes seront sauvées et l'on aura la paix. La guerre va finir. Mais, si on ne cesse d'offenser Dieu, sous le règne de Pie XI, il en commencera une autre, pire encore. Lorsque vous verrez une nuit éclairée par une lumière inconnue, sachez que c'est le grand signe que Dieu vous donne qu'il va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre, de la famine et de persécutions contre l'Eglise et le Saint-Père. Afin de l'empêcher, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la communion réparatrice des premiers samedis. Si l'on écoute mes demandes, la Russie se convertira et on aura la paix. Sinon, elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l'Eglise. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, plusieurs nations seront anéanties. A la fin, mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira, et un certain temps de paix sera accordé au monde».

- Certains auteurs proposent une répartition légèrement différente des premier et deuxième secrets : ayant remarqué que les deux premières phrases de Notre-Dame commentent la vision de l'enfer, ils les joignent à cette vision pour constituer la première partie du secret. On obtient ainsi une division par thème, très logique, qui peut légitimement être employée pour mettre en valeur l'ordonnance du message de Fatima (ainsi faisait, par exemple, le père Joseph de Sainte-Marie O.C.D.), mais qui n'est pas celle de sœur Lucie. Celle-ci, dans son troisième Mémoire, ne distingue pas trois parties ayant chacune leur thème, mais trois «choses» dont la première est une vision et la deuxième une allocution de Notre-Dame.

[24] Le père Joaquin-Maria Alonso, grand spécialiste de Fatima, ne manqua pas de le souligner. Voir Joaquin-Maria ALONSO, «Fatima et le Cœur immaculé de Marie, Histoire et sens des révélations», dans l'ouvrage collectif Marie sous le symbole du cœur, documents nouveaux, Contribution de six experts à la connaissance de Fatima, Paris, Téqui, 1973, p. 65.

Joaquin-Maria Alonso (1913-1981), clarétain espagnol, fut chargé en 1966 par l'évêque de Fatima d'entreprendre l'étude critique complète de Fatima : œuvre imposante (vingt-quatre tomes de 800 pages chacun) dont quatre volumes seulement ont été édités à ce jour.

[25] Par commodité de langage, nous emploierons parfois l'expression «troisième secret» dans cet article, là où nous devrions dire, en toute rigueur : «la troisième partie du secret».

[26] Voir frère Michel de la Sainte-Trinité, Toute la vérité sur Fatima, t. 3, Le troisième secret, Saint-Parres-lès-Vaudes, CRC, 1985 p. 314-319.

[27] Sœur Lucie au chanoine Barthas. Cité dans l'ouvrage de ce dernier, Fatima, merveille du XXè siècle, Fatima-éditions, 1952, p. 83.

[28] On reconnaît là l'optimisme irénique du pape Jean.

[29] Selon le porte-parole du Vatican, Joaquin Navarro-Valls, Jean-Paul II avait pris connaissance du secret dès les premiers jours de son accession à la papauté, en 1978. (Déclaration du 13 mai 2000).

- Mgr Tarcisio Bertone, au contraire, laissa entendre aux journalistes que le pape ne lût le secret pour la première fois qu'après l'attentat du 13 mai 1981. Il est en réalité possible que Jean-Paul II ne se soit fait révéler dès 1978 que le contenu du troisième secret, sans prendre la peine de le lire personnellement. Ses déclarations de novembre 1980 à Fulda et le fait qu'il relia immédiatement l'attentat de 1981 au secret de Fatima semblent en tout cas indiquer qu'il en avait déjà au moins une certaine connaissance.

[30] Stimme des Glaubens n° 10, octobre 1981, éd. Vox Fidei. Cité par frère MICHEL DE LA SAINTE-TRINITÉ, ibid, p. 442-443.

[31] Joaquin-Maria ALONSO, La Verdad sobre el secreto de Fatima, Fatima sin mitos, Madrid, 1976 (2e éd., 1988). Édition française chez Téqui en 1979, sous le titre La Vérité sur le secret de Fatima.

[32] Mgr do Amaral, évêque de Fatima, a révélé au frère François de Marie-des-Anges avoir été chargé par le cardinal secrétaire d'État de transmettre à sœur Lucie cette consigne expresse des autorités romaines : dire désormais que la consécration était faite. (frère François de Marie-des-Anges, Jean-Paul 1er, le pape du secret [Toute la vérité sur Fatima, t. 4], Saint-Parres-lès-Vaudes, CRC, 2003, p. 452)

[33] Le père Grüner sera frappé de la suspense a divinis en 2001. Voir Le Sel de la terre 39, p. 249.

[34] Christian Duquoc O.P., dans La Croix du 28 juin 2000, p. 3.

[35] Cardinal RATZINGER, Commentaire théologique du troisième secret. Ce texte - comme l'ensemble du dossier réalisé par le Vatican pour la publication du troisième secret - a été publié dans la Documentation catholique, 2000, p. 671-683. On peut aussi le trouver sur internet, à l'adresse :

http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc con_cfaith_doc 20000626 message fatima_fi.html

[36] «Dans la traduction, on a respecté le texte original, même dans les imprécisions de ponctuation, qui n'empêchent d'ailleurs pas la compréhension de ce que la voyante a voulu dire». (Note de la congrégation pour la Doctrine de la foi. - Nous reproduisons ici la traduction française officielle que nous corrigeons néanmoins sur un point : voir la note suivante. NDLR).

[37] La traduction française diffusée par le Vatican porte : «tirèrent plusieurs coups avec une arme à feu et des flèches». Elle laisse donc entendre que les coups de feu sont tirés avec une seule et unique arme, ce qui a l'avantage de correspondre à l'attentat du 13 mai 1981, mais... n'est pas le sens du portugais. Comme l'a souligné M. l'abbé Delestre, le texte original ne désigne pas d'arme à feu par un substantif (qui pourrait être au singulier ou au pluriel), mais il emploie le verbe portugais «disparar» qui signifie tirer (avec une arme); comme nous sommes en présence d'un «groupe de soldats» qui «tirèrent [au pluriel] plusieurs coups», la vision comprenait certainement plusieurs armes, et non une seule ! (NDLR]

[38] Laurent MORLIER, Le troisième secret de Fatima publié par le Vatican le 26 juin 2000 est un faux. En voici les preuves, Argentré-du-Plessis, D.F.T., 2001.

On peut aussi se référer, pour un état de la question, à l'enquête de Jean-Louis MANGIN et Camille PIERRON publiée sur Internet (http://www fatima.be/fi/fatima/secret/index.html). Ces auteurs sont favorables aux thèses de la C.I.C.

[39] Cette hypothèse rocambolesque faisait rire la famille de sœur Lucie qui continua à la visiter régulièrement jusqu'à sa mort, et qui la reconnaissait parfaitement. Laurent Morlier, qui consacre tout un chapitre à cette thèse de la «fausse sœur Lucie» (p. 128-143), se fonde principalement sur les étranges paroles que sœur Lucie aurait prononcées en 1992 et 1993 en présence de Carlos Evaristo. Mais nous avons déjà montré dans Le Sel de la terre (n° 35, p. 64-88) que la relation de Carlos Evaristo ne mérite aucun crédit.

[40] Exemples : «Comment le Saint-Père pourrait-il donc consacrer finalement la Russie si préalablement il meurt sous les balles et sous les flèches ?» (Laurent Morlier, ibid., p. 29)

- «Cette description rappelle les mauvais westerns» (Michèle Reboul dans Monde et Vie du 13 juillet 2000, n° 670)

- «[Un] autre élément qui fait fortement douter de l'authenticité du texte est l'expression "l'évêque vêtu de blanc", car dans toutes les apparitions, la sainte Vierge emploie l'expression "le Saint-Père". Bien sûr, on peut penser que le dépôt de la tiare par Paul VI, le 13 novembre 1964, en signe de renonciation à la souveraineté du pontife romain, donnerait une légitimité au prétendu troisième secret, puisque le pape est vêtu de blanc ; toutefois il n'en reste pas moins le souverain pontife, donc chef de l'Église et pape. On ne peut dès lors le considérer comme un évêque, même s'il est "vêtu de blanc"» (http://wwwfatima.be/fi/fatima/secret/analyse.html).

- «"La grande croix est de troncs bruts, comme si elle était en chêne-liège avec l'écorce", donc sans le Christ. Les hommes martyrs l'ont remplacé ! Ce n'est plus la religion catholique, avec son calice et le sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, mais c'est la religion humaine avec son arrosoir et le sang des martyrs que le Vatican instaure par le "message de Fatima" : cette religion humaine, où l'œcuménisme a une grande place puisque les martyrs ne sont plus des hommes qui ont souffert la mort plutôt que de renier leur foi au Christ et à Sa divinité, mais "des messieurs et des dames de rangs et de conditions différents", sous-entendu : de toutes religions ! voire même sans religion du tout ! C'est donc l'aboutissement du grand rêve de la franc-maçonnerie que nous voyons s'accomplir sous nos yeux». (Ibid.)

- «En fin de déclaration, le cardinal Sodano commet une lourde erreur [...]. Il dit en effet que "la troisième partie du secret de Fatima semble appartenir au passé", oubliant dans l'emportement que les paroles de la sainte Vierge datent de 1917 et qu'à cette époque elles avaient un caractère prophétique. Si le cardinal Sodano était en train de communiquer le véritable troisième secret, il se serait placé en 1917 et non en l'an 1981». (ibid.)

[41] Sauf mention contraire, les phrases entre guillemets et les références, dans cette partie, renvoient à l'ouvrage de Laurent Morlier.

[42] Voir frère MICHEL DE LA SAINTE-TRINITÉ, ibid., p. 458.

[43] Mgr Bertone annonce, dans l'introduction du document de la congrégation pour la Doctrine de la foi : «En ce qui concerne la description des deux premières parties du "secret", déjà publiées par ailleurs et donc connues, on a choisi le texte écrit de Sœur Lucie dans le troisième Mémoire du 31 août 1941 ; dans le quatrième Mémoire du 8 décembre 1941, elle y a ajouté quelques annotations». (DC, 2000, p. 671-683).

[44] Laurent MORLIER, Vrai ou faux secret de Fatima. Réponse au tome IV de « Toute la Vérité sur Fatima », Argentré-du-Plessis, D.F.T., 2004, p. 17.

[45] Frère FRANÇOIS DE MARIE-DES-ANGES, Fatima, joie intime, événement mondial, Saint-Parres-lès-Vaudes, CRC, 1991, p. 291.

[46] Frère MICHEL DE LA SAINTE-TRINITÉ, ibid., p. 457.

[47] http:/www.tldm.org/NEWS/LUCYS_writing.htm

[48] Nous nous inspirons, ici comme ensuite, de l'étude de M. l'abbé DELESTRE publiée dans les Nouvelles de Chrétienté n° 7 (novembre-décembre 2002).

[49] Mémoires de sœur LUCIE, 2è édition française, mai 1991, réimprimée en 1997, IIIè Mémoire.

[50] Nous suivons là encore M. l'abbé DELESTRE, ibid.

[51] Cité dans le livre du père Sebastiâo Martins Dos Rats : A vidente de Fatima dialoga e responde pelas Apariçöes, Braga, 1970, p. 59.

[52] Mémoires de sœur Lucie, IVè Mémoire, p. 166.

[53] Ière partie : Sous le regard de Dieu - I) Les familles des pastoureaux, p. 26 (p. 42 dans l'Édition française, Appels du message de Fatima, 2003).

[54] Voir Mémoires de sœur Lucie, Ier Mémoire, p. 35 ; IIIè Mémoire p. 113-114, etc.

[55] Abbé DELESTRE, ibid.

[56] P. ALONSO, La Vérité sur le secret de Fatima, p. 75 ; Fr. MICHEL, ibid., p. 425, 429, etc.

[57] Fr. MICHEL, ibid.,p. 35-39.

[58] Sœur Lucie a précisé que l'expression «le dogme de la foi» désignait la foi authentique, la vraie foi.

[59] Laurent MORLIER, ibid., p. 30.

[60] Frère MICHEL, ibid., p. 459. Le frère précise en note que cet illogisme fut, à son avis, intentionnel : «[Lucie] préféra laisser la nouvelle phrase en fin de paragraphe afin de ne pas attirer l'attention sur elle avant le moment opportun. Ce qui réussit parfaitement !»

[61] Ibid.

[62] Cité par exemple par Frère MICHEL, ibid., p. 458.

[63] Exemple : «La locution etc. est toujours précédée d'une virgule et suivie d'un point». Jean GIRODET, Dictionnaire Bordas. Pièges et difficultés de la langue française, Paris, Bordas, 1986, p. 295.

[64] Il faut en dire autant des passages où sœur Lucie a parlé du secret (dans son ensemble) en évoquant les «paroles» de Notre-Dame. Cela ne signifie pas que tout le secret est composé de paroles de Notre-Dame, et la meilleure preuve en est que la première partie du secret, déjà, était constituée d'une vision, celle de l'enfer.

[65] Mgr Loris CAPOVILLA dans La Stampa du 20 octobre 1997. Cité par frère FRANÇOIS DE MARIE-DES-ANGES,Jean-Paul ler, le pape du secret (Toute la vérité sur Fatima, t. IV), Saint-Parres-lès-Vaudes, C.R.C., 2003, p. 22.

[66] Voir Aura MIGUEL, Le Secret de Jean-Paul II, Paris, Marne-Plon, 2000, p. 167-168.

[67] Frère MICHEL DE LA SAINTE-TRINITÉ, ibid., p. 437.

[68] Frère MICHEL DE LA SAINTE-TRINITÉ, ibid., p. 487. Voir tout le passage p. 483-493, très sévère pour le préfet de la congrégation pour la Doctrine de la foi.

[69] Cardinal RATZINGER (interrogé par Vittorio Messori) dans la revue italienne Jésus, novembre 1984, p. 79.

[70] p. 568.

[71] Cardinal OTTAVIANI, conférence du 11 février 1967, DC, 19 mars 1967, col. 542.

[72] Frère MICHEL, ibid., p. 446.

[73] Stimme des Glaubens n° 10, octobre 1981, éd. Vox Fidei. Cité par frère MICHEL, ibid., p. 442-443.

[74] Les propos du pape furent assez rapidement répandus dans le monde entier. Dom Putti en publia, à Rome, la traduction italienne, et le père M. Crowdy une version anglaise dans la revue écossaise Approaches Magazine (éditée par le communiste converti Hamish Fraser).

[75] Frère MICHEL, ibid, p. 563.

[76] Voir frère MICHEL, ibid., p. 314-319.

[77] Frère Michel affirmait au contraire que «la prophétie du troisième secret se réalise sous nos yeux depuis 1960», en se fondant sur le principe que «la seule raison qui puisse rendre une prophétie plus claire à partir d'une date déterminée est sans nul doute le début de sa réalisation» (p. 428-429).

[78] On peut aussi concevoir que le châtiment annoncé dans ce troisième secret soir conditionnel : il aura lieu si les chefs de l'Eglise n'obéissent pas aux demandes du Ciel. Dans Sa bonté, Dieu ménage donc un certain nombre d'avertissements successifs pour les papes qui se succèdent, tout en rendant l'annonce du châtiment de plus en plus manifeste : Pie XII a bénéficié de la reproduction du miracle du soleil ; Jean-Paul II sera frappé par l'attentat du 13 mai 1981. Entre temps, Jean XXIII et Paul VI reçoivent le troisième secret. Tout se passe comme si la Providence divine voulait contraindre tous les papes qui se succèdent à se pencher personnellement sur Fatima. (Benoît XVI n'échappe pas à la règle puisqu'il a dû avant même d'être élu pape, rédiger un commentaire du troisième secret).

[79] Tout en indiquant dans le même article les défauts de la C.R.C., Jean MADIRAN notait en 1986 : «Les trois volumes parus [du frère Michel de la Sainte-Trinité] provoquent un changement dans le paysage catholique. Ils apportent un éclairage, un éclaircissement ; des brumes se dissipent. On distingue avec netteté ce que l'on pressentait vaguement dans le brouillard. Souvent on y apprend ce que l'on ne savait pas. [...] Un travail monumental de critique historique». (Itinéraires 305, juillet-août 1986, p. 7-8).

[80] Frère MICHEL, ibid., p. 472.

[81] http://www.tldm.org/NEWS/LUCYS-writiyg.htm

[82] Le texte manuscrit de ce quatrième Mémoire est reproduit en fac-similé dans l'ouvrage Memorias e cartas da Irma Lucia (édition réalisée par le P. Antonio Maria MARTINS S J.), Porto, 1973, p. 242-396.

[83] http://www.tldm.org/news/responsel.htm

[84] Juste après le titre : «La troisième partie du secret [...]» et la formule d'introduction («J'écris en obéissance à vous, mon Dieu...») sœur Lucie commence : «Après les deux parties que j'ai déjà exposées, nous avons vu sur le côté gauche de Notre-Dame, un peu plus en hauteur, un ange [...]».

[85] Voir la traduction du texte d'Andrew M. CESANEK dans Le Sel de la terre 36, p. 180-197, et quelques mises au point sur cette thèse dans Le Sel de la terre 39, p. 246-248.

[86] Andrew M. Cesanek invoquait ainsi dix points de divergence qui peuvent faire impression dans un premier temps, mais résistent difficilement à un examen approfondi. Sur la date de transfert du secret au Saint-Office, par exemple, il oppose le frère François de Marie-des-Anges (qui donne la date du 16 avril 1957) à Mgr Bertone (qui parle du 4 avril 1957). Il en conclut qu'il existe deux documents différents. Mais, comme l'a noté le frère François de Marie-des-Anges : «Un critique sans a priori aurait commencé par examiner les sources des deux historiens pour discerner si l'un des deux n'avait pas publié une information inexacte. Or la date que nous avons donnée, en suivant le père Alonso, est certainement fautive, car ce dernier n'a pas eu accès aux archives du Saint-Office, alors que Mgr Bertone les a compulsées et y a trouvé des renseignements précis et sûrs. » Jean‑Paul Ier, pape du secret, ibid., p. 20).

[87] Texte cité par frère MICHEL, ibid., p. 476.

[88] M. l'abbé François KNITTEL «Où est la fin du deuxième secret de Fatima ?» dans Nouvelles de Chrétienté 78 (novembre-décembre 2002).

[89] JEAN-PAUL II, «Méditation avec les évêques italiens depuis l'hôpital polyclinique Gemelli», Insegnamenti, vol. XVIII, 1994, p. 1061

[90] Cardinal Joseph RATZINGER interrogé par le quotidien italien La Repubblica, 19 mai 2000.

[91] Cardinal Joseph RATZINGER explication donnée oralement aux journalistes le 26 juin 2000. Cité par Aura MIGUEL, Le Secret de Jean-Paul II, Paris, Mame-Plon, 2000, p. 236.

[92] «La montagne et la ville symbolisent le lieu de l'histoire humaine : l'histoire comme une montée pénible vers les hauteurs, l'histoire comme lieu de la créativité et de la convivialité humaines, mais en même temps comme lieu de destructions, par lesquelles l'homme anéantit l'œuvre de son propre travail. La ville peut être lieu de communion et de progrès, mais aussi lieu des dangers et des menaces les plus extrêmes. Sur la montagne se trouve la croix - terme et point de référence de l'histoire».

[93] «De même que les lieux de la terre sont synthétiquement représentés par les deux images de la montagne et de la ville, et sont orientés vers la croix, de même aussi les temps sont présentés de manière condensée : dans la vision, nous pouvons reconnaître le siècle écoulé comme le siècle des martyrs, comme le siècle des souffrances et des persécutions de l'Église, comme le siècle des guerres mondiales et de beaucoup de guerres locales, qui en ont rempli toute la seconde moitié et qui ont fait faire l'expérience de nouvelles formes de cruauté».

[94] «Dans le chemin de croix de ce siècle, la figure du pape a un rôle spécial. Dans sa pénible montée sur la montagne, nous pouvons sans aucun doute trouver rassemblés différents papes qui, depuis Pie X jusqu'au pape actuel, ont partagé les souffrances de ce siècle et se sont efforcés d'avancer au milieu d'elles sur la voie qui mène à la croix».

[95] Cardinal Joseph RATZINGER explication donnée oralement aux journalistes le 26 juin 2000. Cité par Aura MIGUEL, Le Secret de Jean-Paul II, Paris, Mame-Plon, 2000, p. 236.

[96] Abbé Franz SCHMIDBERGER, courrier du 16 avril 2005 à l'auteur de l'article.

[97] Chanoine BARTHAS, Fatima, merveille du XXè siècle, 1952, p. 83.

[98] Sœur Lucie à propos des demandes du Ciel aux évêques espagnols. Lettre du 28 février 1943, citée par frère MICHEL, ibid., p. 20.

[99] Le fait que Jean-Paul II soit mort un premier samedi du mois n'en est que remarquable, et semble un avertissement adressé à son successeur.

[100] En réalité, sœur Lucie est très large dans l'emploi des majuscules : elle en met à «Évêque», à «Martyrs», etc.

[101] Frère Bruno (de la C.R.C.) cité par frère FRANÇOIS DE MARIE-DES-ANGES, Jean-Paul Ier, le pape du secret (Toute la vérité sur Fatima, t. IV), Saint-Parres-lès-Vaudes, C.R.C., 20 p.277.

[102] ID., ibid., p. 278.

[103] David YALLOP, Au nom de Dieu, Paris, Christian Bourgeois, 1984.

[104] Fr. FRANÇOIS DE MARIE-DES ANGES, ibid., p. 385.

[105] Le Fr. FRANÇOIS DE MARIE-DES ANGES apporte cependant une prudente réserve à cette identification : «Du moins, pour ne pas préjuger de l'avenir, disons qu'Albino Luciani nous apparaîtra comme le figuratif du pape du secret. Car la prophétie peut encore s'accomplir, dans l'avenir, d'une manière plus littérale». (p. 26).

[106] Dans son ouvrage La Porte du Ciel, Paul Chaussée propose d'entendre la fameuse phrase sur le Portugal comme une indication de temps venant préciser la durée de l'épreuve : celle-ci s'achèvera avant que le Portugal ne perde la foi. Or, remarque-t-il, il est en train de la perdre : Le sud du pays (Lisbonne) est déjà déchristianisé et ne pratique plus guère ; le centre se tient dans un état moyen grâce à la dévotion mariale de Fatima, tandis que le nord reste fidèle aux dévotions traditionnelles, surtout le chapelet, mais n'a aucune perception de la crise. La nouvelle génération (moins de 25 ans) est matérialiste, mondaine, et en voie de protestantisation (par la nouvelle messe), ou de déchristianisation. Paul Chaussée en conclut que les événements qui mettront fin à ce processus de disparition de la foi (en supprimant sa cause) sont relativement proches. (Paul CHAUSSÉE, La Porte du Ciel, auto-édition [Haut Casteret, 33750 Beychac-et-Caillau], 2004, p. 175-176.)

[107] A ceux qui pensent que le troisième secret est nécessairement incomplet parce qu'il doit traiter explicitement de la crise dans l'Église, et compléter la petite phrase sur le Portugal, on serait tenté d'objecter : De deux choses l'une. Soit cette petite phrase est suffisante pour indiquer une crise de la foi ; et dans ce cas, pourquoi serait-il absolument nécessaire que la Vierge en dise davantage ? Soit elle n'est pas suffisante. Mais en ce cas, sur quoi vous basez-vous pour affirmer que le secret doit parler de la crise dans l'Église ?

[108] M. l'abbé Caillon, grand apôtre de Fatima, aimait raconter cet épisode. On en trouve encore le récit dans le dernier numéro du journal de l'Armée bleue en France (devenue ensuite l'Apostolat mondial de Fatima), L'Appel de Notre-Dame (n° 196, 4e trimestre 2004, p. 6).

[109] «La Cité sainte, l'Église catholique, apostolique et romaine, en état d’autodémolition, en proie aux fumées de Satan, de l'aveu même de Paul VI, depuis que ce pape en a lui-même ébranlé les fondements, abattu les remparts, profané et dévasté le Sanctuaire». Frère FRANÇOIS DE MARIE-DES-ANGES, ibid., p. 142.

[110] Certaines prophéties privées d'apparence sérieuse vont dans ce sens. La stigmatisée Helena Aiello a ainsi annoncé une révolution en Italie, au cours de laquelle Rome serait «purifiée dans le sang», tandis que le drapeau rouge serait arboré au sommet de la basilique Saint-Pierre. On prête des prophéties analogues au Padre Pio. (Toutes ces annonces sont bien sûr à recevoir avec précaution). — On sait, d'autre part, que certains chefs musulmans rêvent d'occuper Rome.

[111] Selon les travaux de Margherita GUARDUCCI (Saint Pierre retrouvé. Le martyre, la tombe, les reliques, Paris, 1974, p. 26-35), c'est le 13 octobre 64 qu'aurait eu lieu le martyre de saint Pierre, sur une des sept collines romaines (le Vatican), au cours de jeux organisés par Néron pour fêter ses dix ans de règne (il devint empereur le 13 octobre 54). Par ailleurs, le 13 mai fut longtemps, dans l'Église romaine, la fête de tous les martyrs (c'est le 13 mai 610 que le panthéon romain leur fut dédié par le pape Boniface IV). Dans un travail réalisé avant la révélation du troisième secret, l'abbé Gérard Mura voyait dans le choix de ces dates par Notre-Dame (13 mai, 13 octobre) l'annonce du martyre d'un pape, avant le renouveau de l'Eglise. Pour expliquer le nombre 13, M. l'abbé Mura se référait également à la Femme couronnée de douze étoiles (les douze apôtres) de l'Apocalypse (ch. 12) ; le nombre 13 (12 + 1) pourrait ainsi être considéré comme le symbole de l'union de Notre-Dame avec le pape et les évêques.

[112] Il existe plusieurs récits de ce songe, d'après les différents témoins auxquels le saint le raconta. On peut consulter : Saint JEAN BOSCO, Récits et visions (traduction nouvelle), Beaumont-Pied-de-Bœuf (53290), éd. des Amis de saint Jean Bosco, 1995, p. 59-62.

[113] Bruno Cornacchiola, le voyant de l'apparition des Trois-Fontaines, à Rome, en 1947 (apparition implicitement reconnue par Pie XII) est encore actuellement en vie. La sainte Vierge semble lui être à nouveau apparue, après l'attentat du 13 mai 1981, pour indiquer que le pape aurait à subir une nouvelle agression. Les auteurs qui relatent le fait le rapprochent bêtement du pseudo-attentat du 13 mai 1982 (un homme qui avait apostrophé Jean-Paul II fut interpellé par la police et trouvé porteur d'une arme blanche ; voir Itinéraires 264, juin 1982, p. 349-352). On peut se demander si la sainte Vierge n'essayait pas plutôt de faire comprendre à Jean-Paul II que l'attentat de 1981 n'était pas la réalisation du troisième secret, comme il commençait à se l'imaginer, mais un simple avertissement. Il préféra s'accrocher à son rêve.

[114] Mémoires de sœur LUCIE, IIIè Mémoire (31 août 1941), p. 113.

[115] Mémoires, ibid., p. 114.

[116] Sœur LUCIE, lettre du 2 mars 1945 ; MARTINS, Documentos, Porto, 1976, p. 497-499 ; fr. MICHEL, ibid., p. 157 et 475.

[117] Lucie écrivit notamment à l'évêque de Leiria le 6 février 1939 (quatre jours avant la mort de Pie XI), pour l'avertir de l'imminence de «la guerre prédite par Notre-Dame».

[118] Voir l'article «Le père Maximilien Kolbe, contemporain et complément de Fatima» dans le présent numéro du Sel de la terre.

On notera au passage que les schismatiques «orthodoxes» refusent d'honorer les statues des saints (ils y voient même de l'idolâtrie ; mais ils honorent, en revanche, les icônes). La vision d'une statue de l'Immaculée au centre de Moscou indique donc clairement une conversion au catholicisme.