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Gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses sola interemisti.
(Tractus Missæ Salve Sancta Parens)
lundi 23 octobre 2006
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La destitution de l’abbé Portal par le cardinal Merry del Val
Complice des Anglicans pour manipuler Léon XIII sur la question des ordinations,
l’abbé Portal fut l’un des premiers clercs à tenter de faire reconnaître une hiérarchie cléricale invalide
Un témoignage sur les méthodes de la subversion cléricale
Une application à Mgr Fellay et à la FSSPX
Le Comité international Rore Sanctifica (CIRS) poursuit ses travaux sur les racines historiques de l’attentat clérical inouï qu’a représenté la promulgation du nouveau rite volontairement invalide de consécration épiscopale (Pontificalis Romani) par Montini-Paul VI en 1968. Il nous communique ces informations.
Début du communiqué du CIRS du 22 octobre 2006
Régis Ladous est favorable à l’abbé Portal, mais il nous rapporte des faits que nous examinons sous l’éclairage des méthodes cléricales de subversion.
Au moment où Rome allait le sanctionner, l’abbé Portale se trouvait à la rue du Cherche-Midi. Il migrera ensuite à la rue de Grenelle. Nous étions en 1908, et le cardinal Merry del Val était le secrétaire d’Etat intègre, orthodoxe et talentueux de Saint Pie X.
Cardinal Merry del Val (1865-1930)
Voici comment le cardinal qui avait patiemment attendu une faute[1] que commettrait l’abbé subversif, frappa en juin 1908 et fit enfin mettre l’abbé subversif à l’écart de la formation des jeunes:
« Il [le cardinal] attendit cinq ans avant de foudroyer Portal. Rien ne permet de suggérer qu'il ait joué un rôle dans les tentatives avortées de 1905 et de 1907. Il n'était pas homme à manquer son coup. Ce ne fut qu'après la publication d'une vie de L'Abbé Gustave Morel par Calvet qu'il sut qu'il tenait sa proie et qu'il pouvait l'expédier à coup sûr, sans que la manoeuvre sentît l'effort ou l'acharnement. En 1906, Portal avait lancé l'idée d'une collection de livres consacrés à l'«étude scientifique des différentes Églises chrétiennes»[2]. Pour inaugurer la série, il demanda à Calvet d'écrire une biographie qui sonnât comme un manifeste, celle de Morel. L'ouvrage fut écrit en six semaines, imprimé en quinze jours, et diffusé aussitôt, «Il fallait tout dire ou ne rien dire»[3]. Calvet dit tout, depuis Harnack jusqu'aux anglicans ; il cite beaucoup de lettres où Morel détaille le bien qu'il pense de certains hérétiques, d'autres où il critique durement la faiblesse des études ecclésiastiques dans l'Église catholique.
J'y trouve beaucoup de Loisy [regretta le recteur de l'Institut catholique de Lyon] et des coups de patte aux théologiens. Les jeunes, naturellement enclins à la nouveauté, n'ont pas besoin d'être poussés dans cette direction[4].
L'ouvrage attira l'attention sur le Cherche-Midi, sur Portal, sur les relations anglicanes de Portal, en un temps où les intégristes affirmaient l'unité de l'erreur depuis Luther jusqu'à Loisy.
Au début d'avril 1908, Baudrillart annonça à Portal que la machine s'était mise en marche. «Je reçois de Rome une demande d'explication au sujet du livre de Monsieur Calvet sur l'abbé Morel ; et on me demande en particulier de répondre si les faits allégués dans ce livre sont exacts»[5]. Régis Ladous
L’abbé Portal, bénéficiait d’une protection de Gasparri (l’homme qui liquidera les Cristeros au Mexique : un grand nombre d’entr’eux livrés par Gasparri aux autorités maçonniques du Mexique seront physiquement massacrés avec leurs familles). Ce dernier, poulain du cardinal Rampolla (lui-même secrétaire d’Etat de Léon XIII et membre de la secte luciférienne de l’OTO qu’il fréquentait en se rendant fréquemment et régulièrement à l’abbaye bénédictine d’Einsiedeln près de Zurich), fut mêlé à la commission qui se pencha sur la question de l’invalidité des ordinations anglicanes.
Cette commission qui travailla en 1895, fut le fruit des manigances de l’abbé Portal, alors au début de sa carrière, et de Lord Halifax, un laïc anglican influent, haut dignitaire des hautes loges illuministe britanniques. Tous deux travaillaient dans la perspective de ce que l’on désigne par « l’Union des Eglises ». Ce concept, déjà formulé par Joseph de Maistre qui, en précurseur annonça le rôle moteur qui tiendrait les anglicans, fut développé par le pasteur anglican Pusey. Rappelons ici cette citation de Maistre qui est reprise dans les citations que place le pasteur anglican en en-tête de son ouvrage : Essays on the Re-Union of Christendom[6].
Traduction
Comte Joseph de Maistre : au sujet de l'Eglise d'Angleterre et de sa Ré-union à la Sainte Eglise.
"Si jamais les Chrétiens devaient se ré-unir, ainsi que toutes les considérations les plus sensées démontrent qu'il en irait de leur intérêt primordial, il apparaîtrait raisonnable de penser que ce mouvement devrait prendre son essor au sein de l'Eglise d'Angleterre....C'est la plus précieuse, et elle peut être considérée comme l'un de ces intermédiaire chimiques, qui sont de nature à réaliser une Union entre des éléments apparemment dissociables en eux-mêmes"
Ce plan énoncé par Joseph de Maistre, lui-même déjà très informé, allait être mené par les milieux anglicans avec ténacité et subtilité durant près de 150 ans. La suppression du rite traditionnel latin de consécration épiscopale le 18 juin 1968, et l’instauration d’un rite rendu volontairement invalide qui allait progressivement interrompre la succession apostolique fût l’aboutissement de leur œuvre.
Le cardinal Merry del Val avait le regard perçant, car il avait bien identifié le rôle joué par l’abbé Portal dans la tentative de manipulation de Léon XIII qui, providentiellement échoua en 1896.
« Une «haute personnalité romaine» le confia un jour au recteur Baudrillart : «Le cardinal Merry del Val ne pardonne pas à Monsieur Portal les ordinations anglicanes»[7] Régis Ladous
Il est vrai que l’abbé Portal, bien qu’ayant échoué en 1896, ne lâchait pas prise :
« Une lettre signée d'un «groupe de prêtres de Paris» le dénonça comme «suspect au point de vue de la foi» : il dirigeait une revue hétérodoxe, il n'acceptait pas la condamnation des ordinations anglicanes, il avait fondé une Société d'études religieuses avec des personnages aussi sulfureux que Le Roy ou Laberthonnière. » Régis Ladous
De même, après sa mise à l’écart qui intervint en juin 1908, l’abbé Portal allait quitter la rue du Cherche-Midi, mais n’allait pas renoncer. Il présenterait sa sanction comme une souffrance offerte. Mais déjà il avait pris les devants et préparé une autre activité de laquelle il serait difficile de le déloger.
Nos travaux de recherches historiques mettent à nu les racines de tout un travail de subversion de l’Eglise depuis le milieu du XIX° siècle.
Cette attaque de l’Eglise ne prit pas directement le visage du libéralisme, mais elle passa par le circuit des loges illuministes dites « de droite ».
Elle se concentra sur les questions de la liturgie et de l’œcuménisme. Son idée, géniale dans le mal, fut de parvenir à interrompre les canaux de la grâce sacramentelle dans l’Eglise, en rendant la transmission du Sacerdoce catholique de Melchisedech invalide. Pour cela, leur coup de maître fut de s’attaquer aux rites d’ordination et surtout de consécration épiscopale, véritable clef de voûte de la transmission du Sacerdoce.
La tentative de faire reconnaître comme valide les ordinations de la fausse hiérarchie cléricale anglicane fut leur première approche. Elle échoua, et produisit même le résultat opposé à leurs aspirations, par la bulle Apostolicae Curae, dans laquelle Léon XIII déclarait en 1896 ces ordinations anglicanes « totalement vaines et entièrement nulles ».
Nous signalons, fait hautement significatif que la revue Le Sel de la terre des dominicains d’Avrillé, qui se présente par ailleurs comme un organe de combat contre la révolution contre l’Eglise et organise des colloques sur le sujet, ne se hasarde jamais à mener des recherches sur le terrain de la subversion anglicane. Verrua et la revue Sodalitium non plus. Pourquoi donc ? Serait-ce donc que ces revues cherchent à masquer aux fidèles et aux clercs la fine pointe de la révolution cléricale contre l’Eglise ?
Le CIRS a décidé de briser cette omerta cléricale et va s’y consacrer.
Fin du communiqué du CIRS
Ce témoignage historique que produit le CIRS au sujet de la lutte du cardinal Merry del Val contre les agents cléricaux de la subversion, met en lumière deux points importants pour la période historique que nous vivons. Nous allons les développer. Il montre aussi comment procède la subversion des clercs. Nous en voyons en 2006 presque un cas d’école en observant et disséquant au fil des mois comment la petite faction du ralliement procède, à la tête de la FSSPX et de ses médias pour parvenir à trahir l’œuvre de Mgr Lefebvre. L’abbé Portal a eu des successeurs.
En 2006, Ratzinger sur le chemin de l’aboutissement de la « ré-union des Eglises », plan maçonnique amorcé au XIX° siecle
Nous assistons aujourd’hui à la concrétisation de ce projet de « ré-union des Eglises » imaginé et défendu par les milieux anglicans et des abbés ou religieux subversifs au sein de l’Eglise. En effet, l’abbé Ratzinger, a dès son élection, manifesté son intention d’avancer rapidement sur ce terrain. Kasper, son serviteur, s’y emploie activement. Les contacts avec les Eglises schismatiques dites « orthodoxes » n’ont jamais été aussi avancés. On annonce maintenant d’ailleurs une visite de Ratzinger à Moscou d’ici un à deux ans. De même, au sein de l’ARCIC, à laquelle le successeur de Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (CDF), Levada, est très mêlé, le rapprochement de l’Eglise conciliaire avec les anglicans progresse.
Et il est stupéfiant de voir Mgr Fellay, successeur de Mgr Lefebvre rentrer dans ce jeu de la fausse Eglise conciliaire qui lui propose un « processus de réconciliation ». En exprimant toute son espérance que la FSSPX se retrouve dans la situation de l’ « Eglise patriotique chinoise » vis-à-vis de Rome, ou même en appliquant le modèle imaginé pour les Melchites schismatiques (ses propos rapportés par l’Agence Reuters le 16 octobre 2006), Mgr Fellay est en train de faire appliquer à la FSSPX ce plan décrit par Joseph de Maistre et poursuivit inlassablement par l’abbé Portal et plus tard par Dom Beauduin, l’ami de Roncalli-Jean XXIII.
Mgr Fellay inscrit delibÉrement la FSSPX dans le plan de « rÉ-union des Églises » de Ratzinger
En acceptant le principe du « processus » de « réconciliation » fixé par l’abbé Ratzinger lors de l’audience du 29 août 2005, Mgr Fellay a inséré la FSSPX dans cette « ré-union » qui a tout de maçonnique (dans son origine comme dans sa nature) et rien de catholique. Il a ainsi accepté de mettre toutes ses forces à jeter la FSSPX dans le Niagara de l’Eglise conciliaire.
Contrairement à ce que l’on nous laisse entendre sur ce « processus » de « réconciliation », s’il en avait été témoin ici-bas, Mgr Lefebvre fut mort de chagrin devant les agissements de Mgr Fellay.
Continuons le bon combat.
Abbé Michel Marchiset
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Monsieur Portal et les siens par Régis Ladous, Editions du Cerf, 1985
Préface d’Emile Poulat
CHAPITRE XI (p 269 à 280)
LA DESTITUTION
Première alerte : été 1905
Jusqu'en 1905 Portal n'attira pas trop l'attention des vigilants, des inquisiteurs avec ou sans mandat, des dénonciateurs, ceux qui signent et ceux qui ne signent pas. Tout au plus ses adversaires le désignaient-ils comme «ce monsieur qui s'est compromis avec les anglicans»[8]. L'accusation n'était plus très fraîche, elle se référait à un dossier que le Vatican, selon toute vraisemblance, avait définitivement classé. Portal accueillit sans émoi les prodromes de la chasse aux sorciers, il commenta sur le mode plaisant les premières interventions de Pie X dans l'affaire Loisy, il s'amusa franchement de l'attaque lancée contre ses Petites Annales par Mgr Latty, l'évêque de Châlons, qu'il qualifia gentiment de «Christophe Colomb de l'hypercritique»[9].
Ce ne fut qu'en juillet 1905 qu'une première alerte un peu sérieuse lui permit de mesurer quels périls lui faisait courir la conscience malheureuse et inquiète des catholiques qui se sentaient exilés dans leur propre partie par la poussée anticléricale et menacés dans leur foi par la poussée critique. Une lettre signée d'un «groupe de prêtres de Paris» le dénonça comme «suspect au point de vue de la foi» : il dirigeait une revue hétérodoxe, il n'acceptait pas la condamnation des ordinations anglicanes, il avait fondé une Société d'études religieuses avec des personnages aussi sulfureux que Le Roy ou Laberthonnière.
Les temps n'étaient plus où les dénonciations anonymes achevaient leur trajectoire dans la corbeille à papiers de Monsieur Fiat. L'archevêque de Paris retint l'affaire et exigea une enquête. Il fut beaucoup question des relations de Portal (l'entrée du 88 était sans doute surveillée), de la récitation du bréviaire par ses séminaristes (on l'accusa de l'avoir rendu facultative), et de l'effroi dans lequel auraient plongé le diocèse de Saint-Flour les opinions philosophiques de deux anciens du Cherche-Midi. En bon lazariste, Portal se crut victime d'une cabale jésuite ; il est vrai que les Bons Pères avaient quelques raisons d'en vouloir aux supérieurs et aux élèves des deux séminaires universitaires de l'Institut catholique.
Les étudiants en théologie sont ma terreur [expliqua Portal dans le mémoire justificatif qu'il rédigea pour Monsieur Fiat et les évêques protecteurs][10]. Chaque année il y a des histoires. Cette année-ci, l’un d'entre eux a dessiné au tableau noir dans la salle où se fait le cours un blason avec trois rasoirs, armes parlantes qui désignaient les trois professeurs de théologie. Sur les plaintes réitérées des élèves le père Auriault est changé et le père de La Barre est fortement atteint. Deux étudiants sont allés auprès d'un évêque pour le prier de demander au Conseil le changement de Monsieur Fillion. Monsieur Fillion est changé. En toute justice les élèves ont raison [...]. Les révérends pères en veulent beaucoup à Monsieur Guibert et moi parce que en conseil nous avons pris le parti des élèves à cause d'un examen où les notes n'avaient pas été données consciencieusement. La preuve en a été fournie par les examinateurs autres que jésuites.
Interprétation réductrice, et donc rassurante. Portal ne voulut pas voir dans cette affaire le symptôme d'une crise majeure, d'une dégradation brutale du climat intellectuel et des relations humaines dans l'Église de France. Il fallait bien qu'il secondât ses supérieurs, qui s'attachèrent à minimiser le cas et à tourner en dérision l'acte d'accusation. Monsieur Villette, l'assistant de Monsieur Fiat, rendit des conclusions si nettes que le cardinal Richard put classer le dossier et renvoyer les «prêtres de Paris» à leurs études. Mais Monsieur Fiat ne gouvernait que sa congrégation, et le cardinal Richard n'était que l'archevêque de Paris. Les dénonciateurs anonymes furent bientôt relayés par des vigilants qui combattaient, eux, à visage découvert. Le 11 novembre 1905, la Semaine religieuse de Cambrai, le brûlot périodique de l'infatigable chanoine Delassus, dénonçait la Revue catholique des Eglises comme l'un des foyers du «criticisme» et du «démocratisme» dans le clergé enseignant. Ce ne fut qu'un an plus tard que Portal put mesurer la portée de cette attaque. Le 11 novembre 1906, en effet, le gouvernement français fit saisir les papiers du chargé d'affaires de la nonciature apostolique à Paris, Mgr Montagnini, et en communiqua une partie à la presse. Portal publia des extraits prouvant que, dès juillet 1906, Montagnini avait demandé au Vatican la condamnation de la Revue. Toujours optimiste, le lazariste ne voulut voir dans cette affaire qu'un échec de ceux que nous appelons maintenant les intégristes, et que lui nommait les «têtes pointues». Après tout, le Vatican n'avait pas suivi les recommandations de son chargé d'affaires.
Cet optimisme s'alimentait de lettres venues de Rome, signalant l'influence modératrice du cardinal secrétaire d'État Merry del Val, un prudent, disait-on, un diplomate qui ne manquait pas de s'appuyer sur des incidents comme l'affaire Montagnini pour détourner Pie X d'intervenir continuellement et directement dans les affaires de l'Église de France. En mai 1906, Jacques Chevalier alla tout bonnement lui rendre visite ; il revint persuadé d'avoir rencontré un esprit étroit mais réaliste, sous l'influence duquel Rome se bornerait â modérer ceux qui allaient trop vite. En novembre 1906, ce fut un ancien du Cherche-Midi, Paul Sevestre, qui signala à Portal l'opposition de Merry del Val à toute condamnation du Sillon de Marc Sangnier.
De l'affaire Calvet à l'affaire Le Roy
Ces rapports rassurants n'étaient pas de trop pour entretenir l'optimisme de Portal. A partir de 1906, il découvrit qu'il y avait quelque chose de pire que d'être persécuté ; c'était de voir «les siens soupçonnés, contrecarrés, arrêtés, en butte à des mesures qui paralysaient leur élan ou annihilaient leurs talents»[11]. De tous les portaliens, Calvet fut le premier frappé, et durement. Il ne s'était jamais senti à l'aise à l'Institut catholique de Toulouse ; peu à peu, sa situation devint intenable ; avec le recteur, Mgr Batiffol, et deux ou trois autres professeurs, il souleva la colère des bien-pensants qui ne lui pardonnèrent pas d'avoir noué des relations cordiales avec les facultés d'Etat.
[...] Nous sommes trop universitaires, c'est-à-dire que nous ne parlons pas d'égorger l'Université [...]. On prie pour nous dans les couvents et Toulouse la Sainte nous vomit[12].
Il aggrava son cas en diffusant la Revue catholique des Eglises et en recrutant pour la Société d'études religieuses. En juin 1906, enfin, après s'être concerté avec Batiffol et l'abbé Birot, vicaire général de l'archevêque d'Albi, il publia dans Demain un article très portalien : pour éviter la dispersion des hommes et des moyens, trop rares, il proposait de supprimer l’enseignement de la médecine, du droit, des lettres et des sciences dans les instituts catholiques de province, qui ne garderaient qu'une direction d'études et enverraient leurs étudiants aux cours magistraux des facultés d'État.
Tandis que Mgr Batiffol et l'abbé Birot, coresponsables de l'article, gardaient un silence prudent, Calvet fut chassé de l'Institut catholique. L'évêque de Cahors, dont il dépendait, lui expédia sous le même pli un congé, un celebret et un mot pour expliquer qu'il n'y avait plus de poste pour lui dans le diocèse. «Bien entendu, personne ne posait la question de savoir si j'avais une fortune personnelle et des moyens d'existence»[13].
Encore dut-il s'estimer heureux de n'avoir pas été interdit, comme l’archevêque de Toulouse l'en avait menacé. L'article de Demain avait fait du bruit ; l'exclusion de Calvet aussi. Pourchassé par les têtes pointues, lâché par les progressistes de la nuance Batiffol, sollicité par les anticléricaux qui lui offrirent une chaire de lycée s'il acceptait de se défroquer, jeté à la rue sans un sou et menacé de famine à moins d'apostasier, le scandaleux ne trouva qu'un seul refuge : le séminaire Saint-Vincent-de-Paul, où Portal l'accueillit à bras ouverts, s'exposant ainsi aux commentaires variés d'une opinion déchaînée. Un an plus tard, ce fut au tour de Mgr Batiffol de tomber dans la trappe ; il alla se faire nourrir par son frère, qui avait du bien.
Ce fut donc dans une atmosphère d'orage, pleine d'excommunications volantes, selon la formule de Loisy, que s'ouvrit la seconde instruction contre Portal. A l'origine de l'affaire, la publication d'un ouvrage important et voué à l'Index, Dogme et critique. Edouard Le Roy y développait son article de 1905, «Qu'est-ce qu'un dogme ?», et donnait à la crise moderniste une dimension nouvelle : il ne s'agissait plus d'une enquête linguistique et historique sur le texte de la Bible ou sur un ensemble de documents relatifs aux origines chrétiennes, mais d'une interrogation philosophique sur l'acte de foi ; le dogme en était présenté comme le support pédagogique.
L'instruction fut menée par le nouveau recteur de l'Institut catholique de Paris, Alfred Baudrillard ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé d'histoire, membre de l'Oratoire de France, esprit ouvert ramené à la prudence par les difficultés du temps.
Son grand souci, en prenant la direction d'une maison qui avait abrité Loisy, fut de la laver de tout soupçon de modernisme[14].
Il prit donc très au sérieux une étonnante question qui lui parvint, au début de juin 1907, de la Congrégation romaine des affaires ecclésiastiques extraordinaires : «Monsieur Portal a-t-il eu une part quelconque, directe ou indirecte, prochaine ou éloignée, dans la publication du récent livre de Monsieur Le Roy ?» Question étonnante, mais que l'incompétence notoire du lazariste en matière philosophique ne permettait pas d'éluder : c'était en effet la publication et non la rédaction de Dogme et critique qui était en jeu ; il suffisait de prouver que Portal en avait lu les épreuves, par exemple, pour entraîner sa condamnation. Lui-même, après coup, reconnut le danger :
De fait mes adversaires avaient parfaitement choisi le point d'attaque et c'est miracle que j'ai pu répondre comme je le peux. Il a fallu la volonté bien arrêtée de Le Roy de ne compromettre personne pour que je n'aie pas eu communication du manuscrit ou des épreuves[15].
Il comprit donc la grandeur du péril, mais, encore une fois, après coup. Quand Baudrillart se transporta au Cherche-Midi pour lui poser la question avec toute la gravité d'un magistrat instructeur, il commença par prendre la chose «très gaiement». Pour le ramener à plus de sérieux, le recteur dut lui expliquer qu'il disposait déjà de trois témoins à charge.
Portal demanda et obtint vingt-quatre heures pour faire une contre-enquête qui ruina les témoignages et les réduisit à quelques conversations déformées et ragots de confessionnal. Baudrillart, qui était prudent mais honnête, envoya à Rome un rapport favorable ; le secrétaire des Affaires extraordinaires accepta de classer l'affaire, non sans adresser à Portal un avertissement par l'intermédiaire de Mgr Fontaine, directeur de la maison des lazaristes à Saint-Nicolas-de-Tolantino.
Dites que pour le passé c'est fini ; il n'en sera rien. Nous n'écrirons pas d'ici à la rue de Sèvres. Mais dites aussi d'être bien prudent à l'avenir. Nous avons les yeux bien fixés sur tout ce et tous ceux qui touchent de près à l'Institut catholique[16].
L'affaire renforça plutôt la thèse de l'influence modératrice du Vatican. Le secrétaire des Affaires extraordinaires, qui n'était autre que Gasparri, le compagnon de la campagne anglo-romaine, l'ami de 1894, a réussi à retenir le dossier et à transformer la menace en avertissement utile. Portal put raconter à ses amis qu'il venait d'échapper à un complot, un complot jésuite, évidemment. Malgré tout, il commença à se demander jusqu'à quand, dans les congrégations romaines, les bonnes volontés pourraient continuer à modérer les choses.
Sous «Pascendi»
Le mois suivant, le Saint-Office publia le décret Lamentabili sane exitu condamnant soixante-cinq propositions doctrinales. Sans hésiter, Portal signa un texte d'adhésion que lui soumit Baudrillart, mais contrairement à son habitude, il eut du mal à dégager l'aspect positif de l'événement.
Si le document calme les conservateurs par le fait même qu'il leur donne la victoire et s'il arrête certains esprits : ce sera parfait. Mais s'il devient un instrument de lutte entre personnes nous n'en avons pas fini. Le Roy a été mis à l'Index et Dimnet aussi [...]. Demain suspend sa publication [...] Evidemment c'est le triomphe de la réaction et des jésuites .
Après la publication de l'encyclique Pascendi le néo-gallicanisme de Portal (comment dire autrement ?) s'épanouit dans la conviction qu'il n'y avait plus rien à attendre des éléments modérés du Vatican. Le lazariste resta optimiste, oui, et s'acharna à souligner le bon côté de la crise, mais uniquement parce qu'il croyait qu'elle provoquerait le déclin de la centralisation romaine.
On sent l'éveil d'un sentiment nouveau dans notre monde catholique. Au lieu que depuis trente ans nous allions toujours vers l'exaltation de la papauté, même ceux qui l'approuvent le font sans la même conviction et beaucoup d'autres ne se gênent pas pour dire que la papauté dépasse la mesure et qu'il est temps de marquer les limites de cette puissance[17].
Cette conviction que la crise est accoucheuse de progrès et que les convulsions préparent une Eglise renouvelée témoigne chez Portal d'un certain détachement par rapport à ses tribulations personnelles. De septembre 1907 à avril 1908, sa situation ne cessa de se dégrader. Ses supérieurs lui notifièrent l'ordre de ne plus parler en public ; présentée comme provisoire, la mesure ne fut levée qu'après la guerre. Tandis que Baudrillart mettait sur pied un conseil de surveillance de l'Institut catholique, la Revue catholique des Eglises recevait un censeur. Le cardinal Richard accepta que ce rôle déplaisant fût confié à Monsieur Mangenot, le commensal, l'ami, la caution modérée du portalisme. La mesure n'en sonna pas moins le glas de la Revue. Comment des anglicans, des protestants, des orthodoxes pourraient-ils accepter de soumettre leurs articles à la censure catholique ? C'était nier le principe même de la Revue, lieu de contact où toutes les confessions se tenaient sur un pied d'égalité. Dès la fin de 1907, Portal décida de la saborder et d'utiliser d'autres moyens d'expression.
Je crois que pour parler d'union il faudra attendre le plein développement des forces qui s'agitent en chaque Église pour sa prospérité ou pour son malheur [...]. Nos amis et nous, sans perdre de vue le but final, devons nous livrer uniquement à des travaux préliminaires, à des enquêtes sur l'état actuel des Églises [...]. J'en suis venu à conclure que la Revue n'était plus l'instrument de cette formule nouvelle d'action [...]. La disparition de la Revue n'entraînerait pas la dissolution de notre groupe qui a sa vie propre. Il y aurait peut-être lieu de penser â l'organiser un peu plus fortement, et à tirer des membres de nos réunions du dimanche plus de travaux écrits pour différents organes. Nous devrions devenir de plus en plus un véritable chantier[18].
Encore fallait-il que les ouvriers pussent travailler. Après Calvet, Emile Amann, ancien du Cherche-Midi, collaborateur abondant de la Revue et professeur au grand séminaire de Nancy, fut le deuxième portalien notoire à être frappé. Portal réussit â prévenir l'éclat, l'expulsion, la condamnation en le repliant d'urgence sur une aumônerie discrète. A côté de ces «cas», il y eut les harcèlements obscurs, les petites persécutions lassantes qui brisèrent quelques courages ; citons l'abbé Louvière, élève du Cherche-Midi en mission outre-Manche, qui écrivit en décembre 1907 toutes les difficultés qu'il rencontrait pour dire sa messe â la paroisse catholique d'Oxford (et pourtant il se gardait bien de s'afficher avec des anglicans) :
Les récentes encycliques leur (nous avons comme «curés» des RR. PP. jésuites) ont tourné la tête : mon celebret ne suffisait pas, paraît-il, car j'avais une tête et des intentions «modernistes»[19].
Les premiers mois de 1908 furent marqués par une succession rapide d'affaires qui confirmèrent Portal dans sa volonté de travailler «pour l'Église dans une humilité profonde, par un labeur inconnu de tous»[20]. Ce fut la condamnation et la suppression de La Vie catholique de l'abbé Dabry et de la Justice sociale de l'abbé Naudet, aux applaudissements d'Henri Lorin, ce qui permit à l'abbé Lemire d'écrire : «Lorin a la dévotion du pape ; je n'ai que la religion»[21], formule que Portal aurait pu parapher. Suivit de près l'excommunication majeure, nominative et personnelle de Loisy et la mise à l'Index de Paul Bureau, qui obligea les supérieurs des deux séminaires universitaires de Paris à se faire un peu moins supérieurs et un peu plus surveillants. A suivre à la lettre les instructions du recteur, leur tâche quotidienne se serait réduite à peu près à menacer, dénoncer, exclure.
Les coups ne venaient pas seulement des adversaires. Le numéro de mars-avril de la Correspondance de l'Union pour la vérité facilita la tâche des têtes pointues en classant tout bonnement parmi les modernistes des collaborateurs de la Revue catholique des Eglises aussi abondants que Hemmer, Wilbois et Tunnel. Le souterrain abbé Tunnel, qui donna à Portal neuf articles sur l'histoire ancienne de la papauté, causa plus de dégâts qu'une meute d'inquisiteurs : un professeur de l'Institut catholique de Toulouse, l'abbé Saltet, l'identifia comme l'auteur, sous les pseudonymes de Herzog et de Dupin, d'articles «hypercritiques», corrosifs de la foi et du dogme, publiés en 1907 par la Revue d'histoire et de littérature religieuses de Loisy. Turmel entreprit de réfuter Saltet dans la Revue du clergé français. D'où controverse, polémique, relecture et réévaluation des articles signés par Turmel les années précédentes.
Après l'affaire Loisy, nous allons avoir l'affaire Tunnel [soupirait Portal]. Apres l'exégèse, l'histoire. Décidément entre les savants et les ignorants, la position n'est pas commode[22].
Avoir publié neuf articles de Turmel-Herzog-Dupin après avoir été soupçonné de complicité avec Le Roy, c'était évidemment beaucoup. Ainsi, au printemps de 1908, le cas de Monsieur Portal commençait-il à prendre allure. Pour le régler, il suffisait maintenant d'un prétexte bien amené ; ce fut Calvet qui le fournit, et Merry del Val qui le saisit.
La vie scandaleuse de l'abbé Morel
Portal eut l'honneur douteux d'être révoqué à la demande du cardinal secrétaire d'État, le deuxième personnage de l'Église catholique. C'était, il est vrai, une vieille connaissance, et un homme qui aimait les comptes bien réglés. Une «haute personnalité romaine» le confia un jour au recteur Baudrillart : «Le cardinal Merry del Val ne pardonne pas à Monsieur Portal les ordinations anglicanes»[23]. Depuis 1896, sa carrière avait été rapide : camérier secret participant, délégué apostolique au Canada, consulteur de l'Index, président de l'Académie des nobles ecclésiastiques, archevêque de Nicée à trente-quatre ans, enfin substitut du cardinal Volpini, secrétaire du Sacré Collège. Il avait bénéficié en 1903 d'un heureux concours de circonstances : comme Léon XIII agonisait, une attaque avait foudroyé Volpini, secrétaire de droit du Conclave. Les cardinaux durent se hâter de lui trouver un successeur ; parmi tous les candidats, Merry del Val divisait le moins ; n'étant pas encore cardinal, il ne pouvait prétendre à la tiare. Ce fut donc lui qui organisa le Conclave. Cette haute fonction, efficacement assumée, lui valut la pourpre, et le relatif isolement de Pie X la charge de secrétaire d'État, à trente-huit ans.
Il attendit cinq ans avant de foudroyer Portal. Rien ne permet de suggérer qu'il ait joué un rôle dans les tentatives avortées de 1905 et de 1907. Il n'était pas homme à manquer son coup. Ce ne fut qu'après la publication d'une vie de L'Abbé Gustave Morel par Calvet qu'il sut qu'il tenait sa proie et qu'il pouvait l'expédier à coup sûr, sans que la manoeuvre sentît l'effort ou l'acharnement. En 1906, Portal avait lancé l'idée d'une collection de livres consacrés à l'«étude scientifique des différentes Églises chrétiennes»[24]. Pour inaugurer la série, il demanda à Calvet d'écrire une biographie qui sonnât comme un manifeste, celle de Morel. L'ouvrage fut écrit en six semaines, imprimé en quinze jours, et diffusé aussitôt, «Il fallait tout dire ou ne rien dire»[25]. Calvet dit tout, depuis Harnack jusqu'aux anglicans ; il cite beaucoup de lettres où Morel détaille le bien qu'il pense de certains hérétiques, d'autres où il critique durement la faiblesse des études ecclésiastiques dans l'Église catholique.
J'y trouve beaucoup de Loisy [regretta le recteur de l'Institut catholique de Lyon] et des coups de patte aux théologiens. Les jeunes, naturellement enclins à la nouveauté, n'ont pas besoin d'être poussés dans cette direction[26].
L'ouvrage attira l'attention sur le Cherche-Midi, sur Portal, sur les relations anglicanes de Portal, en un temps où les intégristes affirmaient l'unité de l'erreur depuis Luther jusqu'à Loisy.
Au début d'avril 1908, Baudrillart annonça à Portal que la machine s'était mise en marche. «Je reçois de Rome une demande d'explication au sujet du livre de Monsieur Calvet sur l'abbé Morel ; et on me demande en particulier de répondre si les faits allégués dans ce livre sont exacts»[27]. Comment répondre sans se livrer à une véritable enquête sur la maison que Morel habita les cinq dernières années de sa vie, le séminaire Saint-Vincent-de-Paul ? Baudrillart entreprit donc les commensaux et les habitués du Cherche-Midi. Il s'en trouva deux - Mgr Graffin et l'abbé Peillaube, selon Calvet - pour en accabler le supérieur. Ce fut alors que se cristallisa ce qu'on appela désormais (mais chez les catholiques anglais plus que sur le continent) le portalisme, une sorte d'hérésie aux contours mal définis dans laquelle on jette en vrac tout ce qui touche aux difficultés concernant la notion même d'Église. A Rome et en France, on ne manquera pas d'associer le portalisme au modernisme[28].
Ainsi la machine fonctionnait-elle à merveille. Sous prétexte d'enquêter sur un livre de Calvet (retiré de la vente, il ne fut même pas mis à l'Index), un dossier se constituait contre Portal. Tôt informé que l'on instrumentait contre son subordonné, et que les ordres venaient de haut, Monsieur Fiat plongea dans un état d'inquiétude qui l'ouvrit à toutes les suggestions raisonnables.
Le 4 mai, enfin, Baudrillart informa Portal que le maître d'œuvre venait d'entrer en scène. Pour intervenir, Merry del Val attendit que la situation fût assez mûre pour qu'il pût tout régler d'un mot. Ce mot, il le dit au vice-recteur de l'Institut catholique de Paris.
Le cardinal a laissé entendre, - sans cependant le dire expressément - que Monsieur Portal n'est pas tout ce qu'il conviendrait d'être pour diriger tes jeunes gens dans un séminaire. Le cardinal dit que s'il s'informe sur la Vie de l'abbé Morel, ce n'est pas qu'on songe à mettre ce livre à l'Index ; mais parce qu'il craint qu'on ne donne la formation de l'abbé Mord, et en particulier sa fréquentation des cours de Harnack et autres hérétiques, comme le type de la formation du bon professeur d'instituts catholiques, ce qui serait se tromper beaucoup[29].
Le 27 mai, par une lettre datée de Rome, Baudrillart fit savoir à Portal que Monsieur Fiat avait pris l'affaire en main et négociait directement avec le secrétaire d'État. Le 7 juin, Portal écrit à Lord Halifax :
Mon compte est réglé. Le cardinal Merry del Val a dit à mon supérieur général à peu près dans les mêmes termes ce qu'il avait dit à ces messieurs de l'Institut catholique, et la conclusion est que je ne peux pas rester où je suis, suivant l’expression même de Monsieur Fiat. Le secrétaire d'État demande mon déplacement ou plutôt l'obtient par une pression administrative.
Il ne s'agit pas seulement d'un déplacement. En juin 1908, Portal plongea, il s'effaça, il entra en discrétion, il fit le mort et le fît si bien qu'au moment des conversations de Malines, quand les journaux parleront de lui, certains s'étonneront qui le croyaient véritablement mort. Monsieur Fiat aida son subordonné à se transformer en taupe. Pour prévenir toute manifestation en sa faveur, il lui demanda de quitter Paris jusqu'à nouvel ordre. Destitution, disparition : le bruit courut que Portal avait été interdit et chassé de sa congrégation. Il dut écrire à des Filles de la Charité qui se demandaient si elles pouvaient toujours recevoir un prêtre aussi douteux. La rumeur laissa des traces, surtout en province. D'après son neveu Marcel Cambon, Portal ne célébra plus jamais la messe à Laroque. Désormais, quand il visitait sa famille, il s'en allait officier à vingt-cinq kilomètres de là, à l'hôpital du Vigan, où peu de gens le connaissait. Comme il célébrait à la première heure, il quittait Laroque dans la nuit. «Exul in patria», disait Tertullien, «exilé dans sa propre patrie...»
Paris-Limay-Paris
De juillet 1908 à janvier 1909, Portal n'eut pas le droit de résider à Paris. Matériellement, l'épreuve n'eut rien de féroce. Il ne fut jamais question d'in-pace ou d'hospitalité obligatoire dans un couvent écarté. Le lazariste se replia d'abord à Montpellier, non pas au séminaire (ce genre de fréquentation lui était maintenant interdite) mais à l'asile des sourds et muets tenu par les Filles de la Charité. En août, il passa quelques jours avec la famille Le Roy, à Pornichet, au chalet des Roches. Après les sourds-muets, des enfants, quel repos ; il put jouer à l'oncle curé, taper dans le ballon et tremper le bas de sa soutane dans les flaques, sur la plage. Enfin il s'installa, sur l'invitation d'une personne dont on reparlera, Mme Lefort, au château des Célestine, à Limay, en Seine-et-Oise ; un exil confortable, oui, mais aux portes d'une ville interdite.
Cela me fait tout de même un curieux effet que cette interdiction de séjour [...]. C'est horriblement long[30].
Ce fut là qu'il reçut, en décembre, le dernier numéro de la Revue catholique des Églises.
En dehors de ma question personnelle, je crois plus habile, plus pratique que les hommes qui se sont formés chez nous se dispersent et écrivent dans les revues et les journaux. Gratieux écrit dans L'Univers sur l'Église russe. D'autres écrivent dans le Bulletin de la semaine. Nous allons pénétrer dans Le Correspondant et j'espère aussi dans d'autres revues. Notre action sera plus étendue et nous ne ferons plus la guerre à nos frais[31].
Si toute publication lui était interdite, et pour longtemps, il reçut l'autorisation de conserver une maison d'études indépendante qu'il avait établie en 1906 au 14 de la rue de Grenelle, et où il recevait des prêtres qui préparaient leur thèse. Ce fut là que Monsieur Fiat lui permit de s'installer à partir de janvier 1909. Cette perspective, jointe à l'assurance de pouvoir continuer son ministère ordinaire auprès des Filles de la Charité et de garder son confessionnal en la chapelle des lazaristes de la rue de Sèvres, le développement aussi d'une œuvre sociale dont il s'occupait depuis 1907, tout cela l'aida à réagir, mais encore plus les témoignages d'amitié et d'estime qui affluèrent de toutes parts. Sa destitution n'éloigna pas grand monde, au contraire ; ceux qui ne partageaient pas ses hardiesses mirent un point d'honneur à manifester leur sympathie, et la séduction portalienne se renforça du mépris qu'inspiraient les chasseurs de sorciers. Citons le cas de Monsieur Mangenot, du très modéré Monsieur Mangenot, qui s'entêta à appeler Portal «M. le Supérieur», voulut le suivre rue de Grenelle, et, en attendant, se rendit à Limay avec l'abbé Baudin pour y déguster un «succulent pâté de lièvre» dont on ne sait toujours pas s'il a été apporté par les deux pèlerins ou bien fourni par Portal. Citons aussi Henri Lorin, qui n'avait certes rien de moderniste, mais tint absolument à recevoir l'exilé dans sa propriété de la Rolanderie, à Maule, en compagnie de Georges Goyau. Des évêques se mirent de la partie, celui de Nice, bien sûr, indéfectible, celui d'Amiens, celui de Séez, et jusqu'au nouvel archevêque de Paris, Léon Amette, qui, un peu plus tard, expliqua en public ses raisons d'estimer Portal :
Comme il regrettait que Marc Sangnier ne rentrât pas dans le silence, il a opposé à son exemple le vôtre, et il a dit de vous : «C'est un bon prêtre, qui a pu être un peu téméraire à certains moments, mais qui a su obéir humblement à ses supérieurs ; je l'estime vraiment[32].
Il faut s'y résoudre : Portal n'avait rien d'un précurseur incompris. Son retour à Paris, en janvier 1909, fut une manière de fête, avec la participation de Lord Halifax encore tout bouillant d'indignation. Le fabuleux escortait le roi George en visite officielle, ce qui n'en donna que plus de lustre à sa présence. Il y eut un dîner chez Lorin avec Goyau, un grand dîner chez Leroy-Beaulieu avec Baudrillart (mais oui), un dîner d'anciens combattants chez Tavernier avec Courcelle, l'homme de la Revue anglo-romaine, un dîner clandestin chez Le Roy, où l’on clabauda tant qu'on put contre Merry del Val.
Ainsi l'éviction de Portal releva-t-elle plus d'un conflit d'autorités que d'un conflit entre l'institution et le mouvement. Des délations remontèrent à Rome par des chemins obscurs, échappant au contrôle de l'épiscopat français qui, lui, ne demanda jamais aucune sanction. Ces délations aboutirent à une adresse où elles furent favorablement accueillies, en l'occurrence, et pour des raisons propres à Portal, la secrétairerie d'État. Et la sanction intervint, au regret ou du moins à la surprise des autorités intermédiaires, évêques et supérieurs religieux, qui ne furent pas consultés, et qui manifestèrent que le sanctionné avait toujours leur confiance. Comme trois ou quatre professeurs de l'Institut catholique vinrent bientôt s'établir rue de Grenelle à la suite de Monsieur Mangenot, on eut ce paradoxe : Rome interdit à Portal d'influencer les élèves, mais Paris lui laissa la possibilité d'influencer les maîtres.
Ces circonstances, tout autant que sa formation spirituelle et sa visée unioniste, expliquent la manière dont il accepta sa destitution. S'éprouvant comme un instrument entre les mains du Maître, il se préparait depuis longtemps, à son image, à être rejeté.
Ce que Notre Seigneur nous demande [écrit-il en août 1907], c'est le travail, c'est la peine, c'est le sacrifice dans l'humiliation et dans le mépris. On n'est pas un ouvrier de Notre Seigneur tant qu'on n'a pas compris cette vérité que toutes les pages de la vie du Maître et de l'histoire de l'Eglise nous enseignent[33].
En 1908, le sacrifice fut d'autant plus facile à accepter qu'il vint des bureaux romains et que Portal ne se sentit pas réprouvé ni barré par son Église. Aussi ne manifesta-t-il jamais la tentation de se désœuvrer.
Tandis que Merry del Val et ses amis vont jouir de leur triomphe et de mon humiliation, moi je vais travailler plus efficacement que jamais, dans l'ombre, dans le silence, en deux ou trois petits cénacles, à former pour l'Église les apôtres de demain, des ouvriers et des ouvrières capables de comprendre les temps nouveaux [...]. Je suis très heureux de ce qui arrive[34].
[1] Il s’agit de la publication par l’abbé Portal de la vie de l’abbé Gustave Morel. Cet ouvrage a été numérisé et est disponible sur internet. Logiciel gratuit à télécharger pour le lire :
http://www.lizardtech.com/download/download.php?dl=DJVUCNTL_61_FR.EXE
Lien d’où il est possible de télécharger le livre :
http://www.archive.org/details/a549278600calvuoft (cliquer sur « DjVu (download)»)
Une fois téléchargé, il est possible d’imprimer le livre dans un format PDF. Les informations sur les Anglicans sont à lire (entre autres) à partir de la page 184 du livre.
Le site www.rore-sanctifica.org le mettra également en ligne prochainement.
[2] Programme manuscrit, de la main de J. Chevalier
[3] J. Calvet, Mémoires, p. 79.
[4] Mgr Lavallée à Portal, 15 mars 1907
[5] Baudrillart à Portal, 9 avr. 1908.
[6] Cet ouvrage« Essays on re-union of Christendom » (1867) a été numérisé et est disponible sur internet : http://ia310111.us.archive.org/0/items/a578562200leeuoft/a578562200leeuoft.pdf Le site www.rore-sanctifica.org le mettra également en ligne.
[7] Pontal à Monsieur Fiat, 24 juin 1908.
[8] Formule recueillie par J, Calvet auprès d'un père jésuite.
[9] Il est vrai que l'attaque date de juin 1904 : les Petites Annales avaient cessé de paraître depuis 6 mois.
[10] Mémoire justificatif de la main de Portal, daté du 1er août 1905.
[11] H. Hemmer, Monsieur Portal, p. 167.
[12] Calvet à Portal, 9 janv. 1905.
[13] J. Calvet, Mémoires, p. 77.
[14] Ibid., p. 102.
[15] Portal à Halifax, 23 juin 1907.
[16] Mgr Fontaine à Portal, 21 juin 1907. 10. Portal fl Halifax, 3 août 1907.
[17] H. Portal à Halifax, 23 déc. 1907.
[18] Portal à J. Chevalier» 17 déc. 1907
[19] Louvière a Portal, 1er déc. 1907.
[20] Portal à Mme Gallice, 2 nov. 1907.
[21] J. M. Mayeur, Un prêtre démocrate : l'abbi Lemire, p. 357.
[22] Portal a Halifax, 1er mai 1908.
[23] Pontal à Monsieur Fiat, 24 juin 1908.
[24] Programme manuscrit, de la main de J. Chevalier
[25] J. Calvet, Mémoires, p. 79.
[26] Mgr Lavallée à Portal, 15 mars 1907
[27] Baudrillart à Portal, 9 avr. 1908.
[28] J. Calvet, Visages d'un demi-siècle, p. 16
[29] Baudrillart a Portal, 4 mai 1908.
[30] J. Chevalier à Portal, 12 déc. 1910.
[31] Portal à Lord Halifax, 4 févr. 1909.
[32] J. Chevalier à Portal, 12 déc. 1910.
[33] Portal à Mme Gallice, 9 août 1907.
[34] Portal à Lord Halifax, 7 juin 1908.