Virgo-Maria.org

Qui et Pourquoi, depuis la mort de Mgr Lefebvre en 1991, a détourné la finalité surnaturelle de l’OPERATION-SURVIE des sacres de 1988, pour assigner à la FSSPX ce FAUX objectif prioritaire de la «ré-conciliation» avec la Rome conciliaire (en fait la «ré-conciliarisation» de la FSSPX) ?

Qui a, depuis 2000, PROMU, et Pourquoi, le FAUX préalable de l’autorisation de la messe de Saint Pie V ?

Pourquoi n’a-t-on pas posé la VRAIE question du rétablissement du VRAI Sacerdoce de VRAIS prêtres, ordonnés par des Evêques VALIDEMENT sacrés selon le rite VALIDE des Saints Ordres ?

Qui a INVENTE, et POURQUOI, le faux préalable de la levée des «excommunications» ?

Pourquoi n’a-t-on pas posé la VRAIE question de l’abrogation de Pontificalis Romani INVALIDE de 1968 et du rétablissement du vrai rite de la consécration épiscopale VALIDE d’avant 1968?

A quoi servirait-il, en effet, de faire dire le VRAI rite de la messe par de FAUX prêtres ?

Serait-ce donc qu’après avoir obligé de VRAIS prêtres à dire une FAUSSE messe, l’on veuille désormais faire dire la messe du VRAI rite par de FAUX prêtres ?

Serait-ce que l’on veuille «concilier» les VRAIS prêtres qui disent encore la VRAIE messe avec un clergé aussi INVALIDE que le FAUX CLERGE ANGLICAN ?

Gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses sola interemisti.

(Tractus Missæ Salve Sancta Parens)

vendredi 29 décembre 2006

Ce message peut être téléchargé au format PDF sur notre site http://www.virgo-maria.org/.

Le poète-théologien de Tübingen, protégé de Hans Küng : Ratzinger

Entre sobriété, préméditation et ténacité, une continuité digne de l’esprit de la High Church

Ce portrait de Ratzinger publié en italien par 30 Giorni, et dont nous avons effectué la traduction, présente un grand intérêt. En effet, il fourmille d’anecdotes sur une période peu connue de la vie du chef actuel de l’Eglise conciliaire : l’immédiat après-concile à l’université de Tübingen et à celle de Ratisbonne.

Le poÈte-thÉologien Ratzinger et son mentor de TÜbingen, le flamboyant Hans KÜng : L’Alfa RomÉo et la 2 CV

En 1966, le concile Vatican II vient de s’achever, et Ratzinger est appelé à l’université de Tübingen par Hans Küng et par Seckler, afin d’y tenir la chaire de théologie dogmatique. Jusqu’alors il enseignait à Münster, depuis trois ans. Ratzinger et Küng ont tous deux participé en 1964 à la fondation de la revue progressiste Concilium, et ils furent théologiens experts à la session finale de Vatican II.

Dès son arrivée à Tübingen, Ratzinger fait preuve d’un zèle peu coutumier pour se mettre en avant. Il tente d’établir des « relations fécondes avec les théologiens Évangéliques de la faculté Protestante ». Son enseignement s’éloigne de la scolastique et mêle considérations poétiques et spiritualité, ce qui suscite un engouement parmi les étudiants.

Il donnait…

« un cours de conférences, pas uniquement ouvert aux étudiants de théologie, structuré comme une explication du Credo des Apôtres, tenant compte de l'effervescence et de l'agitation de la "fin des temps", réitérant « le contenu et la définition de la foi chrétienne », qui, aux yeux du nouveau professeur, apparaissait maintenant « enveloppée dans un halo nébuleux d'incertitudes comme peut-être elle ne l’avait jamais été dans l'histoire » . » 30 Giorni

Ces conférences donneront naissance à l’ouvrage Introduction au Christianisme. Le nouveau théologien tenta aussi de promouvoir Johann Adam Mohler, à l’origine de la « théologie historique »,

« inspirant l'approche historico-salvifique que Ratzinger favorisait depuis ses études à Freising et Münich. Ce serait une bonne chose – pensait Ratzinger – de récupérer l'enseignement de Mohler et de ses amis afin de renforcer le témoignage dans le monde moderne, comme le suggère le Concile. » 30 Giorni

Küng fut le mentor suisse du bavarois. Leur tempérament et leurs habitudes de vie contrastaient.

« Le Suisse impulsif, circulait dans son Alfa Roméo blanche et s’habillait avec l'élégance. C’est vers lui que les journalistes sont allés, cherchant quelqu'un qui ferait partir une salve dans les affrontements qui tourmentaient l'Église du post-Concile. Le Bavarois modéré allait à pied ou utilisait les transports publics, il disait la messe tous les matins dans la chapelle d'une résidence universitaire féminine et pour le reste, étudiait et préparait ses conférences et tout cela en harmonie avec son style austère et réservé. » 30 Giorni

Il s’était établi un accord entre les deux hommes, se partageant l’un et l’autre le cours principal et subsidiaire de théologie dogmatique, afin que chacun puisse disposer de temps libre.

Quant à Ratzinger, à l’opposé de l’allure flamboyante de son mentor suisse, il privilégiait la sobriété et la simplicité.

« À son dernier cours avec les doctorants de Tübingen, il arriva un peu en retard dans la 2 CV Citroën de Peter Kuhn. Le conducteur freina brusquement devant les étudiants, qui attendaient, et la plaque d’immatriculation de Tübingen tomba du véhicule avec un grand bruit. Tout le monde éclata de rire. » 30 Giorni

Le tempÉrament de Ratzinger : un homme d’influence trÈs polissÉ, craintif des affrontements

Cherchant à s’accorder avec tous, Ratzinger fuyait les conflits et ne tentait même pas de s’opposer à la chienlit.

« Ratzinger ne prenait pas parti, il conservait son attitude critique, mais ce n’était certes pas son genre de polémiquer et de se quereller avec ses collègues. Par nature, ce n’est guère un combattant, il n’aime pas chausser les gants, il fuit les empoignades académiques. Il n’avait absolument aucune intention de jouer le rôle de chien de garde pour organiser une résistance à la dérive croissante ». 30 Giorni

Il semble que ce soit un trait de caractère du bavarois, car Seckler déclare :

« Dans une discussion franche et raisonnée, il est très bon, mais dans une violente controverse, il est perdu. Il ne sait pas crier, il est incapable de crier plus fort que ses opposants, de s’imposer à eux brutalement ». 30 Giorni

Ratzinger excelle dans les débats argumentés, mais aussi dans les stratégies à long terme, dans les évolutions lentes mais certaines, dans les calculs et les ruses qui vont emporter l’adversaire qui raisonne dans le court terme. Il excelle dans les jeux de l’ombre et actions occultes. Nous venons d’observer son comportement dans l’affaire du ralliement de la FSSPX, dans sa patiente mise en place de l’abbé Barthe, dans les pions qu’il ne cesse de pousser depuis 1995 en faveur de la « réforme de la réforme ». Il apparaît également ainsi dans les négociations parallèles[1] qu’il mène avec le TAC (Traditional Anglican Communion) de «Mgr » Hepworth, l’anglican traditionnel. Voilà Ratzinger à l’aise comme un poisson dans l’eau, déployant ses talents et non pas dans la révolution brutale et violente qui retourne les autels.

La fable du retournement de Ratzinger et de son Évolution conservatrice : un hÉritier constant de Congar, de Lubac proches de la filiÈre Anglicane traditionnelle

30 Giorni présente comme une fable celle qui consiste à prétendre que le virage de Ratzinger vers le conservatisme serait consécutive à mai 68 et à son départ pour l’université de Ratisbonne. Ratzinger lui-même rejette cette fable.

« Ratzinger lui-même fut le premier à rejeter le rôle de renégat que la droite comme la gauche essayaient de lui attribuer de force. « Je n’ai pas changé, ce sont eux qui ont changé », devait-il dire en 1984, dans le livre-interview publié par Vittorio Messori, des théologiens qui avaient écrit avec lui au sujet du Concilium. « La même répugnance à reconnaître un profond changement de sa vision des choses après Tübingen », dit de lui Victor Hahn, rédemptoriste qui fut le premier étudiant à passer un doctorat avec Ratzinger. « On trouve cela dès l’interview accordée en 1977 par notre professeur à l’hebdomadaire diocésain de Munich, peut après sa nomination comme archevêque de la capitale bavaroise ». 30 Giorni

La déception que sembla causer chez le théologien de Tübingen l’irruption dissolvante de l’anarchie soixante-huitarde au sein des facultés de théologies allemandes, n’allait aucunement le détourner de soutenir pleinement ce concile dont il avait espéré des fruits bénéfiques.

« Ce qui avait changé, ce n’était ni le cœur, ni la perspective du théologien du Concile, c’était les circonstances dans lesquelles il se trouvait. Pour lui comme pour beaucoup d’enthousiastes de la période du Concile – Congar, De Lubac, Daniélou, Le Guillou –, l’aspiration tremblante à voir les cent fleurs du Concile donner de beaux fruits se mua en désolation lorsque la fête fut finie. L’effondrement des pratiques les plus ordinaires et de tout l’acquis essentiel de la Tradition, théorisé jusqu’au cœur des facultés de théologie, lui apparut comme un véritable processus d’auto-démolition de l’Église. Mais la prise de conscience lucide de l’état dans lequel se trouvait l’Église ne devait jamais l’amener à abjurer la damnatio memoriae du Printemps du Concile. Comme l’écrit Peter Kuhn, « Je me souviens qu’à l’époque où nous autres étudiants étions encore euphoriques à propos du Concile, il disait, évoquant l’image qui se trouve dans l’Évangile : nous avons ouvert la porte pour chasser un démon de la maison, espérons que sept autres n’en ont pas profité pour s’y engouffrer. Et il écrivit la même chose en 1969 dans un article du magazine Hochland. Mais je ne lui ai jamais entendu dire : nous n’aurions pas dû faire ce que nous avons fait ». 30 Giorni

Les conceptions rÉvolutionnaires de Ratzinger sur la thÉologie de l’Épiscopat

Ratzinger avait déjà écrit avec Karl Rahner en 1965, un ouvrage à deux mains intitulé Primauté et épiscopat.

Nous avions déjà écrit le 20 décembre dernier :

« Dans le monde ecclésiastique qu’il connaît bien, aux ambitions plus feutrées, parfois dissimulées sous les apparences d’une charité au sourire étincelant, l’ancien universitaire de Tübingen a dû éprouver une certaine satisfaction à jouer de cet air madré dont il avait déjà fait montre à l’égard de son ancien compère, le professeur Seckler, lorsque le théologien de Tübingen signa[10], à l’été 1969, dans Theologische Quartalschrift, un article collectif préconisant la réduction du pouvoir de l’épiscopat résident à un mandat temporel limité à huit ans et non renouvelable, alors qu’il allait presque aussitôt, d’un air désintéressé, presque enjoué, aider à faire publier la proposition inverse. »[2] Virgo-Maria

Voyons maintenant de quoi il en retourne. A l’été 1969, Ratzinger ajoutait sa signature au bas d’un article collectif de Theologische Quartalschrift qui présentait la forme contemporaine de la juridiction épiscopale comme « un monde étranger et dépassé ». Et les auteurs préconisaient, « la durée du mandat des évêques résidents devra être à l’avenir de huit ans. Le renouvellement ou la prolongation de ce mandat ne sera possible que dans des circonstances exceptionnelle ».

« Quoique marginal, un épisode remontant à la fin de la période de Tübingen est particulièrement éclairant. Pendant l’été 1969, certains professeurs de Tübingen écrivirent un article dans lequel il dégoupillaient une véritable grenade à main : l’abolition de l’épiscopat à vie, la fixation d’une limite temporelle au ministère des évêques résidents. L’article reçut une place prépondérante dans Theologische Quartalschrift, prestigieux magazine de Tübingen qui peut se vanter d’être le tout premier des périodiques théologiques allemands. Avant sa publication, tous les professeurs de la faculté catholique, y compris Ratzinger, signèrent cet article. Dans ses douze pages écrites serré, il entasse les arguments sociologiques pour démontrer que « l’échafaudage et la conception de la loi de l’Église apparaissent comme un monde étranger et dépassé lorsqu’on les compare à l’image actuelle de la société ». Selon les auteurs, la forme actuelle de la juridiction épiscopale dérivait non pas « de l’Évangile, ni même de la structure de la communauté chrétienne primitive, mais uniquement d’une tradition qui devait apparaître plus tard » et qui, « à de nombreux égards, ne convient plus ». Puis, ils exposaient leur proposition tendant à adapter le pouvoir épiscopal aux temps nouveaux. Selon les professeurs de Tübingen, « la durée du mandat des évêques résidents devra être à l’avenir de huit ans. Le renouvellement ou la prolongation de ce mandat ne sera possible que dans des circonstances exceptionnelles, et pour des raisons extérieures objectives tenant au contexte politique de l’Église ». Les auteurs précisaient que leur proposition « est valable à l’heure actuelle pour l’Europe occidentale uniquement » et que « ses incidences sur l’élection papale n’entrent pas ici en ligne de compte et n’y sont donc pas examinées ». C’est là une autre excusatio non petita, étant donné que la provocation impliquait ipso facto la possibilité de concevoir un mandat ad tempus pour l’Évêque de Rome lui-même.

L’adhésion du Professeur Ratzinger à la proposition de ses collègues ne correspond guère à son image d’opposant droit et inébranlable à la dérive théologique de cette époque. Mais on ne saurait l’invoquer non plus à l’appui de l’autre stéréotype, celui du théologien incendiaire appelé à retourner bientôt sa veste. » 30 Giorni

L’adhésion de Ratzinger à cette thèse nouvelle suscita la plus grande surprise dans son entourage.

Le Professeur Seckler, qui est l’un des auteurs de l’article en question et qui se rappelle aujourd’hui ce dernier comme s’inscrivant dans la « rébellion de la jeunesse », déclare dans 30Jours : « À l’époque Ratzinger était le seul qui ne voulait pas signer cet article. Sa conception de l’épiscopat ne correspondait pas à la thèse de notre proposition. Je me rendis alors chez lui pour essayer de le convaincre. Nous prîmes le café, bavardâmes longtemps. Et je repartis avec son accord ». Même ses étudiants les plus proches de lui en furent perplexes à l’époque. Trimpe se souvient : « Le professeur était généralement déterminé à s’en tenir à ses convictions. En l’occurrence, peut-être n’a-t-il pas lu l’article avec assez d’attention, à moins qu’il n’ait cédé pour se faciliter la vie. Il voulait éviter toute nouvelle controverse avec ses collègues ». Et peut-être ce qu’on demandait de lui – une simple adhésion à un texte collectif – ne lui semblait présenter rien que de très ordinaire. » 30 Giorni

Peu ému par le scandale que provoquait sa signature, Ratzinger, d’une manière tout-à-fait opportuniste, favorisa la publication par Kuhn d’un article défendant la proposition inverse à celle du théologien de Tübingen.

Après la publication de l’article, comme ses étudiants et ses collaborateurs étaient en émoi, Ratzinger ne semblait pas trop se préoccuper de sa réputation. Il leur suggéra même un moyen quelque peu humoristique de surmonter leur malaise. Trimpe raconte : « Lorsqu’il vit que certains d’entre nous étaient scandalisés, il sourit et leur dit : eh bien, puisque vous êtes en colère, écrivez quelque chose, écrivez un article contre la proposition, et je vous aiderai à le faire publier ».

Ainsi vit-on Kuhn, son assistant, et Martin Trimpe écrire, sur la suggestion de leur professeur, un long article publié dans deux numéros consécutifs du magazine Hochland, afin de réfuter la proposition – qu’il avait lui-même signée – de limiter la durée du mandat épiscopal. Kuhn ne peut s’empêcher de souligner : « Nous n’avons laissé publier cet article qu’après être partis pour Ratisbonne avec le professeur. À Tübingen, on nous aurait sans doute pris pour des hérétiques ». 30 Giorni

Une telle indifférence sur une matière doctrinale traduit bien l’état d’esprit du théologien bavarois. A l’heure à l’on annonce un Motu proprio pour « libérer » le rite de Saint Pie V, avant qu’une réforme Anglo-Tridentine (« réforme de la réforme ») ne vienne l’abroger[3], ainsi que le NOM, au profit d’un troisième rite de synthèse qui réunirait les deux, il serait salutaire que les clercs et les fidèles s’en souviennent. Ratzinger semble se jouer des contraintes doctrinales afin de parvenir à des réalisations ecclésiologiques qui lui semblent bien plus importantes que la recherche de la vérité. Nous sommes persuadé que cet épisode de la vie de Ratzinger ne manquera pas d’intéresser le Comité international Rore Sanctifica qui poursuit ses travaux sur l’invalidité du nouveau rite de consécration épiscopale de Pontificalis Romani (1968).

La filiation intellectuelle de Ratzinger : se dÉmarquant du progressisme ÉchevelÉ, la filiÈre anglicane des nouveaux thÉologiens

Ne se reconnaissant pas dans les excès les plus fragrants du progressisme, Ratzinger « formé à l’école de saint Augustin, de Newman et de Guardini », avait entretenu de bonnes relations avec Congar et de Lubac. Il est important de bien comprendre que Congar fut un homme clé dans le mouvement œcuménique. Il fréquenta Dom Beauduin à Chèvetogne et de Lubac avait étudié l’anglicanisme. Ces hommes qui préparèrent et menèrent la révolution de Vatican II, furent en même temps plus proches de la filière anglicane, inspirée de l’Anglo-catholicisme, nourrie de tradition. C’est cette filière, dont Dom Beauduin et auparavant l’abbé Portal furent les représentants éminents, qui allait mettre en avant des hommes clés tels que Dom Botte et le Père Lécuyer.

Cette mouvance œcuménique, teintée d’anglicanisme, partie prenante de la révolution conciliaire, allait porter le coup fatal à la succession apostolique en répudiant le rite latin de consécration épiscopale, au profit d’un rite nouveau, artificiel et faussement présenté comme antique : la prétendue Tradition apostolique, fallacieusement attribuée à Hippolyte de Rome. Cette mouvance agit, au sein du Consilium, dont Bugnini tenait les rênes, et qui effectua la réforme liturgique post-conciliaire.

La fausse dialectique de 2006 entre « bugninistes » et « ratzinguÉriens » : une mÊme dÉfense du nouveau rite de consÉcration Épiscopale et À la prÉtendue Tradition apostolique

En 2006, commence à apparaître chez les tenants de la réforme Anglo-Tridentine (« réforme de la réforme » de l’abbé Ratzinger), chez un Luc Perrin ou un abbé Barthe une nouvelle dialectique entre les « bugninistes » ou « marinistes » et les « ratzinguériens » qui seraient eux traditionnels, mais d’un « traditionalisme éclairé » pour reprendre les propos de l’abbé Barthe à la Mutualité le 20 novembre 2006. Afin de ne pas être abusé, il convient de bien comprendre que cette mouvance « ratzinguérienne », qui au nom de l’Anglo-Tridentinisme[4], prétendrait s’opposer au « bugninisme », partage en fait avec lui l’entière responsabilité de la réforme liturgique de 1968 et 1969. C’est le même Consilium qui a produit tout à la fois le NOM et le nouveau rite de consécration épiscopale.

Or, les Perrin ou Barthe dénoncent Bugnini, et font mine de dire que la réforme du NOM qui est sortie de la constitution liturgique conciliaire Sacrosanctum Consilium, contredirait les véritables intentions des Pères Conciliaires. Un site internet a d’ailleurs été créé pour alimenter l’argumentaire : http://www.sacrosanctum-concilium.org/  Cependant, ces personnes se gardent bien de mettre en cause le nouveau rite de consécration épiscopale, alors que le rite est invalide comme l’a démontré le CIRS. Cette attitude ne manque pas d’intriguer, d’autant plus qu’ils ne peuvent ignorer que depuis une à deux décennies la crédibilité scientifique de l’attribution de la Tradition apostolique à Hippolyte de Rome, ce qui veut dire son appartenance au corpus liturgique romain antique, est battue en brèche dans les milieux universitaires de la pseudépigraphie des premiers siècles. Le tome I de Rore Sanctifica, publié par le CIRS, l’a bien montré[5]. Isolés au sein de la mouvance de la FSSPX et regroupés autour de Mgr Williamson, les dominicains d’Avrillé font figure d’originaux en admettant la remise en cause de la prétendue Tradition apostolique[6], tout en prétendant que ce discrédit scientifique porté sur le fondement du nouveau rite épiscopal n’a, de façon absolument certaine, aucune conséquence sur la validité du rite. Pour ces « ratzinguériens », il n’est aucunement question de soulever la question du nouveau rite de consécration épiscopale. Ils mettent la loupe exclusivement sur la messe, en espérant ainsi plonger encore davantage dans l’obscurité la genèse et le contenu de Pontificalis Romani. Or à quoi bon disposer d’un rite de Saint Pie V valide, si le célébrant n’est plus revêtu des Saints Ordres catholiques ?

L’ « Universelle araigne » de TÜbingen

Nous avons fait cette digression, car elle est capitale afin de bien comprendre Ratzinger. Nous voyons à travers ces quelques faits qu’il a peu évolué depuis le concile, car il était déjà enraciné dans le modernisme tout en bénéficiant de cette connotation à la fois « traditionnelle » et révolutionnaire. Mais en quarante ans, il a mûri ses plans et tissé sa toile, à l’exemple de la patience d’un Louis XI, que l’histoire a immortalisé sous le surnom d’ « Universelle araigne ». Ce surnom convient donc à l’abbé Ratzinger et Mgr Lefebvre, fort de son expérience, l’avait très bien compris et en avait tiré les conclusions en sacrant et en coupant les cours aux « discussions ». Mais il semble que son successeur, Mgr Fellay, ait encore beaucoup à découvrir. Empêtré dans le double langage et les contradictions où l’ont plongé ses « discussions » secrètes avec Rome et l’extraordinaire médiatisation par l’abbé Lorans de la « nouvelle bataille de Lépante » du « bouquet » spirituel dont l’imposture éclabousse désormais le Supérieur, Mgr Fellay vient de vivre à ses dépens, les effets subtils et dissolvants des agissements de l’ « universelle araigne » qui, depuis Tübingen jusqu’à l’usurpation du siège de Saint Pierre, n’a cessé de progresser et de tisser sa toile. Mgr Lefebvre avait mieux compris à qui il avait affaire, et il avait su garder ses distances.

Continuons le bon combat

Abbé Michel Marchiset

http://www.30giorni.it/us/articolo_stampa.asp?id=10525

L'HISTOIRE DE JOSEPH RATZINGER

Les années difficiles

D'anciens collègues et des étudiants parlent du Professeur Ratzinger au campus théologique de Tübingen. Là où son adhésion obstinée aux réformes du Concile a été mise à l'épreuve par le triomphalisme clérical et par cette classe moyenne traînant les pieds

par Gianni Valente

Au milieu des années soixante, Tübingen est apparue comme une sorte de Terre Promise pour quelques théologiens allemands respectables. Avec son histoire vielle de plusieurs siècles comme centre théologique "papiste" qui a survolé le Luthéranisme depuis son commencement ; et avec sa faculté de Théologie Catholique qui a été vigoureusement mise en place dans le milieu du dix-neuvième siècle, le campus théologique Swabian parut l'endroit idéal pour certains qui voulaient connaître les nouvelles effervescences du Concile et scruter les « signes du temps » en les liant et en les comparant à la grande et honorable tradition.

En 1966, Joseph Ratzinger n'avait pas encore quarante ans mais ses cheveux étaient déjà blancs et sa renommée en tant qu'enfant prodige de la théologie allemande était déjà établie par sa participation intense et profonde à l'aventure du Concile. Vatican II se terminait, l'atmosphère était encore vibrante avec de réels espoirs. Mais l'attente de jours meilleurs dans le monde pour l'Église a été marquée par d'autres présages étranges. Déjà cette année-là, dans une conférence résumant le Concile, Joseph le Bavarois tint compte de ces différentes conditions. « Cela me semble important », déclara-t-il, « Afin de montrer les deux facettes de ce qui nous a rempli de joie et de gratitude au Concile… Il me semble important de noter la dangerosité du nouveau triomphalisme dans lequel les accusateurs du triomphalisme passé tombent souvent. Alors que l'Église reste un pèlerin sur la terre, elle n'a aucune raison de s'en faire sa gloire. Cette nouvelle façon de se glorifier pourrait devenir plus insidieuse que les tiares et les trônes à porteurs qui, en tout cas sont maintenant plus une raison d'en rire que pour la fierté ».

Celui qui, à la Faculté Catholique à Tübingen, avait tiré les ficelles afin que le vocatio soit envoyé au professeur qui enseignait à Münster depuis seulement trois ans, était Hans Küng, aidé par un autre jeune collègue, Max Seckler. Seckler rapporte pour le Magazine 30 Jours : « il y a eu un changement de génération en ce temps là, avec la mise à la retraite de professeurs âgés. Pour renforcer la faculté, certaines personnes ont été contraintes d'offrir la chaire de Théologie Doctrinale aux professeurs les plus mûrs, ayant des profils mieux définis. J'avais trente-neuf ans en 1966, Küng en avait trente-huit. C'est nous qui avons lutté pour faire appel à un autre jeune homme. Ratzinger alors, était l'homme de l'avenir ». Le professeur bavarois, poli et réservé, et son collègue suisse, têtu et convaincant, se connaissaient depuis 1957. Ils avaient collaboré pendant la séance de clôture du Concile en tant que théologiens experts ; mais des différences évidentes étaient apparues quant à la façon dont le Concile allait affluer vers le grand fleuve qu'est la vie quotidienne de l'Église. Mais, comme Ratzinger l’explique dans son autobiographie, « tous deux avons considéré ceci comme une différence de position théologiques légitime » et que « ceci n'affecterait pas notre accord profond de théologiens Catholiques » . En 1964, tous deux apparurent parmi les membres fondateurs de Concilium, la revue internationale du "front uni" des théologiens du Concile. Seckler explique : « Küng se rendait compte que lui et Ratzinger avaient des vues différentes sur beaucoup de choses, mais il dit : avec le meilleur ont peut négocier et collaborer, c'est le petit, le mesquin, qui crée des problèmes ». Le professeur Wolfgang Beinert, un ancien étudiant de Ratzinger à Tübingen, ajoute : « Küng a peut-être appelé Ratzinger précisément parce qu'il a voulu que les étudiants soient capables de le comparer à d’autres théologiens du Concile, différent de lui ; quelqu'un qui serait un contrepoids à sa théologie unilatérale. D'autres enseignants, aux vues plus étroites, n'ont pas même perçu la distance entre les deux hommes et ils ont considéré Ratzinger comme un dangereux libéral. Ils dirent : un Küng est suffisant pour nous ».

Un magnétophone pour un best-seller

Dans ses débuts à Tübingen, Ratzinger s’est impliqué sans s'épargner. A son nouveau poste, il a espéré établir des relations fécondes avec les théologiens Évangéliques de la faculté Protestante. Son enthousiasme et la forme incontestable de ses conférences - théologie substantielle, nourrie par les Pères, et la liturgie lumineuse et légère avec des nuances poétiques - réponse franches à toutes les questions en ces temps troublés – ont enflammé les cœurs de beaucoup d'étudiants en théologie et pas seulement les leurs. Une foule de plus de quatre cents étudiants s'est immédiatement pressée à ses conférences. Un grand nombre a également voulu assister à ses conférences, et ont dû être sélectionnés par un examen d'entrée de Grec et Latin. Helmut Moll, le prélat qui a collaboré durant de longues années avec son ancien professeur de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, se rappelle : « Pour assister à une conférence sur la Mariologie vous deviez passer un pré-examen sur les textes Marials, Grecs et Latins, des premiers siècles. Mais il n'y avait aucune comparaison entre Ratzinger et les autres. Les conférences de professeurs de tendance néo-scolastique que j'avais entendues à Bonn semblaient arides et froides : une simple liste de définitions dogmatiques précises et c'était tout. Quand j'ai entendu Ratzinger à Tübingen, parlant de Jésus ou de l'Esprit Saint, il m’a semblé par moments que ses mots avaient l'accent d’une prière »

En 1967, Ratzinger accomplit un projet sur lequel il avait travaillé depuis dix ans : un cours de conférences, pas uniquement ouvert aux étudiants de théologie, structuré comme une explication du Credo des Apôtres, tenant compte de l'effervescence et de l'agitation de la "fin des temps", réitérant « le contenu et la définition de la foi chrétienne », qui, aux yeux du nouveau professeur, apparaissait maintenant « enveloppée dans un halo nébuleux d'incertitudes comme peut-être elle ne l’avait jamais été dans l'histoire » . Les universitaires de toutes les facultés venaient l'écouter, tôt le matin, ainsi que des prêtres de paroisse, des religieux et de simples fidèles. Peter Kuhn, que Ratzinger avait fait venir à Tübingen comme son assistant, avait l'habitude de travailler aux premières heures du jour et n'arrivait pas à rester vigilant pendant ces conférences matinales. « Quand il m’arrivait de m’assoupir », dit-il, « mes voisins me donnaient un coup dans les côtes, parce qu'ils avaient vu que le professeur l’avait remarqué. J'esquivais en prenant la pose d'un penseur ».Du coup, Kuhn pris son magnétophone encombrant aux conférences et les fit retranscrire par un secrétaire. De ces enregistrements est paru le livre "Introduction au Christianisme", le premier best-seller de Ratzinger, publié par Heinrich Wild : dix éditions dans la seule première année, il a ensuite été traduit en une vingtaine de langues. Dans la même année, le professeur nouvellement arrivé, prit une part active dans l'organisation du cinquantième anniversaire de la Faculté Catholique de Théologie. Il  décida que c'était une occasion propice à de nouvelles perspectives, cherchant dans les travaux de la fameuse École de Tübingen l'équipe de théologiens qui s'étaient rassemblés autour de Johann Adam Mohler, lequel, dans les premières décennies du dix-neuvième siècle avait donné l'impulsion nette à l'apparition de la théologie historique, inspirant l'approche historico-salvifique que Ratzinger favorisait depuis ses études à Freising et Münich. Ce serait une bonne chose – pensait Ratzinger – de récupérer l'enseignement de Mohler et de ses amis afin de renforcer le témoignage dans le monde moderne, comme le suggère le Concile. Mais l'atmosphère à la Faculté était conditionnée et déformée par une dynamique totalement différente. « Ratzinger », dit plus loin Kuhn, « a peut-être espéré revenir à la grande tradition de Tübingen. Mais quand nous sommes arrivés, cette grande tradition n'était plus là ».

La fierté professionnelle des ecclésiastiques

Les relations de Ratzinger avec ses collègues de Tübingen restèrent correctes et polies jusqu'à la fin. Dans ses conférences, Küng proclamait haut et fort son respect pour le théologien bavarois et plus d'une fois a confirmé leur point de vue différent. Ratzinger a aussi déclaré en public qu'il n'y avait aucun problème avec son mentor suisse. "Excusationes non petitae".


A la Faculté, les différences humaines et de caractère entre les deux grands hommes - détenteurs des deux chaires de Théologie Doctrinale - avaient toujours été évidentes. Le Suisse impulsif, circulait dans son Alfa Roméo blanche et s’habillait avec l'élégance. C’est vers lui que les journalistes sont allés, cherchant quelqu'un qui ferait partir une salve dans les affrontements qui tourmentaient l'Église du post-Concile. Le Bavarois modéré allait à pied ou utilisait les transports publics, il disait la messe tous les matins dans la chapelle d'une résidence universitaire féminine et pour le reste, étudiait et préparait ses conférences et tout cela en harmonie avec son style austère et réservé. « Un jour, alors que nous étions en voyage avec quelques étudiants, nous nous sommes arrêtés dans une taverne », se souvient Kuhn, « il a tout simplement commandé un Würstel Viennois pour lui et nous autres. Il a pensé que nous mangions tous aussi léger que lui. Cette fois là, nous n'avions pas osé lui faire comprendre que nous étions jeunes et affamés. Peut-être l'a-t-il compris car lors d'une autre occasion, il s’est assuré que chacun avait choisi ce qu'il voulait au menu … ». Mais dans la routine concrète de vie de la faculté, durant les cours, les séminaires, les conférences et les examens, sous l'unanimité apparente du "Concile", la distance croissante entre Ratzinger et certains de ses collègues avait atteint des niveaux tout à fait critiques.

Ratzinger croyait que toutes les choses importantes qui l’avaient exalté pendant le Concile – le renouveau biblique et patristique, l’ouverture au monde, l’appel sincère et pressant à l’unité avec les autres chrétiens, la libération de l’Église de toutes les babioles qui l’encombraient et faisaient obstacle à sa mission – n’avaient rien à voir avec la frénésie corrosive et iconoclaste qui agitait nombre de ses collègues. Le rôle joué par tant de théologiens dans l’orientation des travaux du Concile avait fini par susciter chez beaucoup d’entre eux une fierté professionnelle exigeant que même les traits les plus élémentaires de la doctrine et de la vie de l’Église fussent soumis à un tribunal d’« experts ». Dans ses « Lectures », Moll écrit ceci : « Même l’accord le plus minimal sur le donné essentiel de la foi semblait s’être perdu entre les différents professeurs. Et les étudiants avaient la tête qui tournait. Il fallait toujours prendre position sur des choses qui semblaient jusqu’alors échapper à tout débat : le diable existe-t-il ou non ? Y a-t-il sept sacrements ou seulement deux ? Une personne non ordonnée peut-elle célébrer l’Eucharistie ? Existe-t-il une primauté de l’évêque de Rome, ou la papauté n’est-t-elle qu’un régime despotique à renverser ? » Le rédemptoriste Réal Tremblay, qui était arrivé du Canada à Tübingen en 1969 pour faire un doctorat sous l’autorité de Ratzinger, et qui enseigne maintenant à l’Académie Alphonsine, hasarde l’hypothèse suivante : « J’ai toujours pensé qu’une certaine agressivité présente chez Küng procède aussi des difficultés que celui-ci a rencontrées à Rome lorsqu’il était étudiant. Il est l’un de ceux qui n’ont pu se défaire d’une bile anti-romaine résultant de ce qu’ils avaient personnellement vécu étant jeunes. Ratzinger n’a pas rencontré ces difficultés, ne serait-ce que parce qu’il n’a pas fait ses études à Rome.

Ratzinger, formé à l’école de saint Augustin, de Newman et de Guardini, ressentait le fardeau du néo-conformisme qui semblait avoir gagné un grand nombre de ses collègues : l’exégète Herbert Haag, le moraliste Alfons Auer, le canoniste Johannes Neumann. Lui qui, au Concile, s’était lié d’amitié avec Congar et De Lubac, ne pouvait masquer son non-alignement avec les slogans accrocheurs du nouveau triomphalisme « progressiste ». Le père Martin Trimpe, l’un des étudiants les plus proches de Ratzinger à l’époque de Tübingen et de Ratisbonne, se souvient : « Un jour, dans une salle de classe bondée, il y eut un débat entre plusieurs professeurs sur la primauté du pape. Küng avait dit que le pape authentique était représenté par Jean XXIII, parce que la primauté de ce dernier était d’ordre pastoral, et non pas juridictionnel. Ratzinger n’ayant pas encore pris la parole, les étudiants commencèrent à scander son nom : Rat-zin-ger ! Rat-zin-ger ! Ils voulaient savoir comment lui voyait la chose. Il répondit placidement que le point de vue présenté par Küng était correct, car il fallait tenir compte de tous les aspects du ministère pétrin. En revanche, si l’on insistait trop sur l’aspect pastoral, on risquait de faire le portrait non d’un pasteur de l’Église universelle, mais d’un pantin universel manœuvrable à volonté ».

Ratzinger ne prenait pas parti, il conservait son attitude critique, mais ce n’était certes pas son genre de polémiquer et de se quereller avec ses collègues. Par nature, ce n’est guère un combattant, il n’aime pas chausser les gants, il fuit les empoignades académiques. Il n’avait absolument aucune intention de jouer le rôle de chien de garde pour organiser une résistance à la dérive croissante.

Il est un fait que pendant la période de Tübingen, aucune querelle publique n’eut lieu entre Ratzinger et le reste du corps académique, qui le réélit même doyen. Ses relations avec Küng s’effilochèrent lentement et silencieusement, selon une prise de distances progressive sans heurts frontaux. « Küng n’a attaqué Ratzinger qu’une fois », signale Seckler, « et ce n’était pas sur un point de théologie ». Les deux hommes s’étaient entendus de telle sorte que si l’un donnait le principal cours de théologie dogmatique, l’autre donnerait le cours subsidiaire, ce qui lui laisserait ainsi du temps libre pour d’autres activités. Lorsque Ratzinger annonça qu’il était sur le point de quitter Tübingen en réponse à un « appel » de la nouvelle faculté de théologie de Ratisbonne, sa décision bouleversa les plans de son collègue, qui avait déjà pris des engagements dans le cadre de l’ordre du jour de son semestre « allégé ». Seckler poursuit : « Küng cracha feu et flammes. Il attaqua Ratzinger violemment, en insistant pour que leur accord soit respecté. Ratzinger garda son calme, mais maintint imperturbablement sa décision ».

Dès avant cette dispute, ce qui devait convaincre le plus Ratzinger qu’un changement d’air serait une bonne chose, dans la mesure où les relations entre les deux hommes s’étaient déjà gâtées du fait des turbulences post-conciliaires, ce fut l’arrivée « éclair » (c’est le mot employé dans son autobiographie par celui qui était alors Préfet de l’ex-Saint Office) des événements de 1968.

De Tübingen à Ratisbonne

La bourgeoisie se lançait un défi à elle-même. Les enfants des classes moyennes se rebellaient contre leurs pères. À Berlin, lors d’une manifestation contre les lois d’urgence promulguées pour maintenir la sécurité nationale, il y eut un mort. Cela enflamma d’abord les centres universitaires de Berlin et Francfort, et le feu se communiqua rapidement aux facultés de théologie. Ernst Bloch, qui enseignait alors à la faculté de théologie de Tübingen, désigna dans son livre Principe de l’espoir un messianisme judéo-chrétien laïcisé comme étant la cause fondamentale du vent de révolution qui balayait l’Occident. Dans son autobiographie, Ratzinger dit de cette perspective que « du fait justement qu’elle reposait sur l’espérance biblique, elle la déformait de telle sorte qu’elle en conservait la ferveur religieuse, mais avec l’élimination de Dieu et le remplacement de cette espérance par l’action politique des hommes ». La foi – explique Ratzinger dans son Introduction au christianisme – « cédait à la politique son rôle de force salvifique ». Dans cette « nouvelle fusion de l’élan chrétien et de l’action politique au niveau mondial », beaucoup de chrétiens ressentaient à nouveau l’ivresse de redevenir des meneurs dans le cours de l’histoire. Après que la culture occidentale de pointe eut tenté de confiner la religion dans la sphère subjective et le for interne, dès lors, avec « une Bible relue selon une nouvelle grille et une liturgie célébrée comme le pré-accomplissement symbolique de la révolution et la préparation de cette dernière… le christianisme, avec son étrange synthèse, réapparaissait dans le monde, s’offrant en message “caractéristique de l’époque” ». Même l’ordre du jour des théologiens d’avant-garde, qui était à la démocratisation, s’en trouva subitement dépassé. Il ne s’agissait plus de bricoler avec la structure de l’Église et d’encourager son ouverture au monde. Même la forme historique prise peu à peu par l’Église devait être démolie à la faveur du renversement de l’ancien régime. Les étudiants des facultés de théologie scandaient : « Unter den Talaren der Muff von tausend Jahren ! » : sous les soutanes, la crasse de mille ans. Les convulsions révolutionnaires introduisirent des failles dans la vie quotidienne de la faculté, déformant et brisant des pratiques pluri-centenaires concernant les relations entre maîtres et étudiants. Dans la bataille, on ne prenait pas d’otages. À Tübingen, Küng et ses amis eurent eux aussi à souffrir. Les « rebelles » investirent également la paroisse universitaire de Saint-Jean et exigèrent l’élection démocratique de l’aumônier. Puis ils se répandirent sur les marches de la faculté, dont il empêchèrent le personnel d’entrer : il n’était plus temps de suivre des cours inutiles, on devait se tenir prêt à la révolution qui arrivait. Ratzinger eut à comparaître plus d’une fois devant les « tribunaux du peuple » institués par les étudiants. Ainsi que le narre Martin Trimpe, « Ils interrompaient les cours en scandant des slogans, ou bien ils montaient sur l’estrade et l’obligeaient à répondre à leurs questions “révolutionnaires” ». D’autres professeurs essayaient de faire copain-copain avec les protestataires. Ratzinger, lui, leur répondait avec son argumentation calme et logique. Mais sa voix faible était souvent couverte par les cris. Seckler note de son côté : « Dans une discussion franche et raisonnée, il est très bon, mais dans une violente controverse, il est perdu. Il ne sait pas crier, il est incapable de crier plus fort que ses opposants, de s’imposer à eux brutalement ».

Pourtant, Ratzinger éprouvait une réelle sympathie, teintée de tristesse, pour beaucoup de ces jeunes, et cela lui compliquait parfois la vie.

L’une s’appelait Karin. C’était une très jolie blonde, et quoiqu’elle fût agaçante, on voyait bien qu’elle était à la recherche de quelque chose, que son rêve révolutionnaire exprimait confusément une aspiration à une vie différente et meilleure, le désir d’être heureuse. Ratzinger l’écoutait, lui consacrait du temps. Mais Karin mourut subitement. Trimpe raconte : « C’est moi qui l’ai appris au professeur, pendant le déjeuner. Il en fut perturbé et ne dit plus un mot. Je suis certain qu’ensuite, il aura exprimé à la messe, à l’autel, sa compassion pour la vie et la mort de cette jeune fille, confiant le salut de son âme à la miséricorde du Seigneur ».

Dans ses cours également, Ratzinger commença – comme il avait accoutumé – par prendre au sérieux et à mettre en valeur les exigences de la critique marxiste, car elles pouvaient exprimer, elles aussi, une aspiration à un véritable salut historique qui ne soit pas confiné dans le ghetto d’une individualité subjective. Mais il était terriblement choqué lorsque la confrontation devenait une parodie sacrilège exprimant un mécontentement bourgeois, corrodant de façon destructrice tout ce qu’il avait de plus cher. Werner Hülsbusch, ancien étudiant de Ratzinger aujourd’hui curé en retraite d’une paroisse proche de Münster, nous dit de lui : « Il ne pouvait plus supporter de lire des manifestes présentant Jésus et saint Paul comme des hommes sexuellement frustrés, d’entendre des gens tourner la croix en dérision en tant que symbole de sadomasochisme. Il en était bouleversé ».

L’atmosphère de plus en plus empoisonnée qui régnait à Tübingen ne fit qu’accélérer son départ pour la nouvelle faculté de théologie créée en Bavière en 1967. À son dernier cours avec les doctorants de Tübingen, il arriva un peu en retard dans la 2 CV Citroën de Peter Kuhn. Le conducteur freina brusquement devant les étudiants, qui attendaient, et la plaque d’immatriculation de Tübingen tomba du véhicule avec un grand bruit. Tout le monde éclata de rire.

Un renégat du Concile ?

Le départ de Ratzinger pour  Ratisbonne est souvent signalé comme coïncidant avec la période au cours de laquelle le théologien réformiste du Concile, traumatisé par ce qu’il avait vécu à Tübingen, a commencé sa métamorphose en un conservateur lucide (ou sournois, selon l’état d’esprit de ceux qui sacrifient à ce cliché). Ici sont nées la légende d’un Ratzinger Titan de la contre-attaque orthodoxe contre les maux de l’époque et celle – opposée – d’un Ratzinger crypto-conservateur jetant le masque du théologien réformiste et révélant ses démangeaisons réactionnaires viscérales.

Ratzinger lui-même fut le premier à rejeter le rôle de renégat que la droite comme la gauche essayait de lui attribuer de force. « Je n’ai pas changé, ce sont eux qui ont changé », devait-il dire en 1984, dans le livre-interview publié par Vittorio Messori, des théologiens qui avaient écrit avec lui au sujet du Concilium. « La même répugnance à reconnaître un profond changement de sa vision des choses après Tübingen », dit de lui Victor Hahn, rédemptoriste qui fut le premier étudiant à passer un doctorat avec Ratzinger. « On trouve cela dès l’interview accordée en 1977 par notre professeur à l’hebdomadaire diocésain de Munich, peut après sa nomination comme archevêque de la capitale bavaroise ».

Ce qui avait changé, ce n’était ni le cœur, ni la perspective du théologien du Concile, c’était les circonstances dans lesquelles il se trouvait. Pour lui comme pour beaucoup d’enthousiastes de la période du Concile – Congar, De Lubac, Daniélou, Le Guillou –, l’aspiration tremblante à voir les cent fleurs du Concile donner de beaux fruits se mua en désolation lorsque la fête fut finie. L’effondrement des pratiques les plus ordinaires et de tout l’acquis essentiel de la Tradition, théorisé jusqu’au cœur des facultés de théologie, lui apparut comme un véritable processus d’auto-démolition de l’Église. Mais la prise de conscience lucide de l’état dans lequel se trouvait l’Église ne devait jamais l’amener à abjurer la damnatio memoriae du Printemps du Concile. Comme l’écrit Peter Kuhn, « Je me souviens qu’à l’époque où nous autres étudiants étions encore euphoriques à propos du Concile, il disait, évoquant l’image qui se trouve dans l’Évangile : nous avons ouvert la porte pour chasser un démon de la maison, espérons que sept autres n’en ont pas profité pour s’y engouffrer. Et il écrivit la même chose en 1969 dans un article du magazine Hochland. Mais je ne lui ai jamais entendu dire : nous n’aurions pas dû faire ce que nous avons fait ».

À Rome, Paul VI voyait les mêmes choses. « Nous croyions », devait-il déclarer le 29 juin 1972, « qu’après le Concile, un jour ensoleillé viendrait pour l’histoire de l’Église. Au lieu de cela, il est venu un jour de nuages et de tempêtes, d’obscurité, de recherche et d’incertitudes, on se bat pour donner la joie de la communion ». En 1968, précisément, face à Humanae vitae et à son rejet répété des méthodes modernes de contraception, la contestation du Magistère avait atteint son summum au sein même de l’Église. Le Canadien Tremblay tomba sur une caricature ironique de Paul VI dans un magazine catholique. Il la trouva amusante et décida de la montrer lors d’une des rencontres qu’il avait le samedi avec des doctorants catholiques. « Lorsque je la lui montrai [à Ratzinger] avec un sourire, il me fusilla d’un regard sévère ». Le message était clair : pas de plaisanteries au sujet du pape. « Mais justement, cette liberté toute catholique qu’il entretenait dans ses relations avec le Saint-Siège », signale Tremblay, « l’immunisait aussi contre le “fondamentalisme magistériel” qui semble prévaloir aujourd’hui et que l’on rencontre chez ceux qui ouvrent la bouche uniquement pour citer des phrases de documents du Vatican à peine sortis de presse ». En tant que prêtre bavarois essuyant la tempête qui sévissait le plus violemment sur les Églises d’Europe septentrionale, Ratzinger n’appelait pas à l’aide le policier romain. Il appartenait à chaque évêque de proclamer la foi des Apôtres, dont ils étaient les successeurs, et de défendre les fidèles ordinaires de ceux qui empoisonnaient les puits de la grâce. « En 1965 », note Beinert, « Ratzinger avait écrit avec Karl Rahner l’ouvrage-clé Primauté et épiscopat, dans lequel, en un certain sens, le mot le plus important était la conjonction de coordination entre les deux termes. Sur la quaestio disputata du rapport entre pape et évêques, Ratzinger est toujours resté sur la ligne définie par le Concile ». Avec ses étudiants aussi, il lui échappait à l’occasion un commentaire judicieux sur la conformité des cercles académiques romains. « J’avais séjourné à Rome pendant dix ans », se souvient encore Beinert, « j’avais fait mes études à l’Université pontificale grégorienne et j’avais été pendant longtemps élève du Collège pontifical allemand. Pendant un entretien avec le groupe des doctorants, le professeur a posé un problème et nous a demandé à nous, étudiants, ce que nous en pensions. Puis il a ajouté en souriant : il est inutile de demander à Monsieur Beinert ; il a fait ses études à Rome et on sait déjà ce qu’il pense et ce qu’il doit dire…».

Savoir sourire de soi

Quoique marginal, un épisode remontant à la fin de la période de Tübingen est particulièrement éclairant. Pendant l’été 1969, certains professeurs de Tübingen écrivirent un article dans lequel il dégoupillaient une véritable grenade à main : l’abolition de l’épiscopat à vie, la fixation d’une limite temporelle au ministère des évêques résidents. L’article reçut une place prépondérante dans Theologische Quartalschrift, prestigieux magazine de Tübingen qui peut se vanter d’être le tout premier des périodiques théologiques allemands. Avant sa publication, tous les professeurs de la faculté catholique, y compris Ratzinger, signèrent cet article. Dans ses douze pages écrites serré, il entasse les arguments sociologiques pour démontrer que « l’échafaudage et la conception de la loi de l’Église apparaissent comme un monde étranger et dépassé lorsqu’on les compare à l’image actuelle de la société ». Selon les auteurs, la forme actuelle de la juridiction épiscopale dérivait non pas « de l’Évangile, ni même de la structure de la communauté chrétienne primitive, mais uniquement d’une tradition qui devait apparaître plus tard » et qui, « à de nombreux égards, ne convient plus ». Puis, ils exposaient leur proposition tendant à adapter le pouvoir épiscopal aux temps nouveaux. Selon les professeurs de Tübingen, « la durée du mandat des évêques résidents devra être à l’avenir de huit ans. Le renouvellement ou la prolongation de ce mandat ne sera possible que dans des circonstances exceptionnelles, et pour des raisons extérieures objectives tenant au contexte politique de l’Église ». Les auteurs précisaient que leur proposition « est valable à l’heure actuelle pour l’Europe occidentale uniquement » et que « ses incidences sur l’élection papale n’entrent pas ici en ligne de compte et n’y sont donc pas examinées ». C’est là une autre excusatio non petita, étant donné que la provocation impliquait ipso facto la possibilité de concevoir un mandat ad tempus pour l’Évêque de Rome lui-même.

L’adhésion du Professeur Ratzinger à la proposition de ses collègues ne correspond guère à son image d’opposant droit et inébranlable à la dérive théologique de cette époque. Mais on ne saurait l’invoquer non plus à l’appui de l’autre stéréotype, celui du théologien incendiaire appelé à retourner bientôt sa veste. Le Professeur Seckler, qui est l’un des auteurs de l’article en question et qui se rappelle aujourd’hui ce dernier comme s’inscrivant dans la « rébellion de la jeunesse », déclare dans 30Jours : « À l’époque Ratzinger était le seul qui ne voulait pas signer cet article. Sa conception de l’épiscopat ne correspondait pas à la thèse de notre proposition. Je me rendis alors chez lui pour essayer de le convaincre. Nous prîmes le café, bavardâmes longtemps. Et je repartis avec son accord ». Même ses étudiants les plus proches de lui en furent perplexes à l’époque. Trimpe se souvient : « Le professeur était généralement déterminé à s’en tenir à ses convictions. En l’occurrence, peut-être n’a-t-il pas lu l’article avec assez d’attention, à moins qu’il n’ait cédé pour se faciliter la vie. Il voulait éviter toute nouvelle controverse avec ses collègues ». Et peut-être ce qu’on demandait de lui – une simple adhésion à un texte collectif – ne lui semblait présenter rien que de très ordinaire. Après la publication de l’article, comme ses étudiants et ses collaborateurs étaient en émoi, Ratzinger ne semblait pas trop se préoccuper de sa réputation. Il leur suggéra même un moyen quelque peu humoristique de surmonter leur malaise. Trimpe raconte : « Lorsqu’il vit que certains d’entre nous étaient scandalisés, il sourit et leur dit : eh bien, puisque vous êtes en colère, écrivez quelque chose, écrivez un article contre la proposition, et je vous aiderai à le faire publier ».

Ainsi vit-on Kuhn, son assistant, et Martin Trimpe écrire, sur la suggestion de leur professeur, un long article publié dans deux numéros consécutifs du magazine Hochland, afin de réfuter la proposition – qu’il avait lui-même signée – de limiter la durée du mandat épiscopal. Kuhn ne peut s’empêcher de souligner : « Nous n’avons laissé publier cet article qu’après être partis pour Ratisbonne avec le professeur. À Tübingen, on nous aurait sans doute pris pour des hérétiques ».

À suivre…

(en collaboration avec Pierluca Azzaro)

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[1] http://www.virgo-maria.org/articles/2006/VM-2006-11-20-A-00-FSSPX_et_Anglicans.pdf

[2] http://www.virgo-maria.org/articles/2006/VM-2006-12-20-A-00-Chadwick_Reforme_Anglo-Tridentine_3.pdf

[3] Article du Figaro du 12 décembre 2006

[4] http://www.virgo-maria.org/articles/2006/VM-2006-12-05-B-00-Operation_Anglo_Tridentine.pdf

[5] http://www.rore-sanctifica.org/etudes/2006/RORE-2006-03-17-FR-Rore_Sanctifica_Tome1.pdf

[6] Voir les citations du Professeur Metzger (collègue de Luc Perrin à Strasbourg) dans Le Sel de la terre, n°54, au sujet du nouveau rite de consécration épiscopale. Metzger endosse les conclusions de Jean Magne, pourfendeur de la thèse de Dom Botte, sur le sujet.