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CAPITAL : Lettre ouverte solennelle des fidèles aux quatre évêques de la FSSPX

http://www.virgo-maria.org/articles/2006/VM-2006-10-10-A-00-Appel_aux_quatre_eveques_de_la_FSSPX.pdf


Qui et Pourquoi, depuis la mort de Mgr Lefebvre en 1991, a détourné la finalité surnaturelle de l’OPERATION-SURVIE des sacres de 1988, pour assigner à la FSSPX ce FAUX objectif prioritaire de la «ré-conciliation» avec la Rome conciliaire
(en fait la «ré-conciliarisation» de la FSSPX) ?

Qui a, depuis 2000, PROMU, et Pourquoi, le FAUX préalable de l’autorisation de la messe de Saint Pie V ?

Pourquoi n’a-t-on pas posé la VRAIE question du rétablissement du VRAI Sacerdoce de VRAIS prêtres, ordonnés par des Evêques VALIDEMENT sacrés selon le rite VALIDE des Saints Ordres ?

Qui a INVENTE, et POURQUOI, le faux préalable de la levée des «excommunications» ?

Pourquoi n’a-t-on pas posé la VRAIE question de l’abrogation de Pontificalis Romani INVALIDE de 1968 et du rétablissement du vrai rite de la consécration épiscopale VALIDE d’avant 1968?

A quoi servirait-il, en effet, de faire dire le VRAI rite de la messe par de FAUX prêtres ?

Serait-ce donc qu’après avoir obligé de VRAIS prêtres à dire une FAUSSE messe, l’on veuille désormais faire dire la messe du
VRAI rite par de FAUX prêtres ?

Serait-ce que l’on veuille «concilier» les VRAIS prêtres qui disent encore la VRAIE messe avec un clergé aussi INVALIDE que le
FAUX CLERGE ANGLICAN ?


Gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses sola interemisti.

(Tractus Missæ Salve Sancta Parens)

samedi 9 août 2008

Ce message peut être téléchargé au format PDF sur notre site http://www.virgo-maria.org/.

Le Grand Rabbin de Grande-Bretagne prêche le noachisme

devant les Anglicans à Lambeth 2008 (Kent)

Traduction en français du discours de Sir Jonathan Sacks, grand rabbin du Commonwealth,

à la conférence Anglicane de Lambeth, le 19 juillet 2008

Appréciation officielle de Lambeth dans le rapport final

« 91. We honour the special relationship we have, as Christians, with the Jewish community. It was a delight and honour for the Conference to be addressed by Rabbi Sir Jonathan Sacks, Chief Rabbi of the United Hebrew Congregations of the Commonwealth. His paper moved and challenged us with a powerful presentation on the biblical understanding of covenant, which enables God's people to face the future without fear. Covenant, he insisted, is the redemption of solitude. If we can honour a covenant of fate together, we make space for God and each other and move forward together towards a covenant of faith. In a moving final appeal, he noted that the Anglican Communion has held together more gracefully than any other religion he knows. We renew our commitment to on-going dialogue and genuine friendship with the Jewish People.”

Rapport final de la conférence de Lambeth 2008[1]

Que le traducteur soit ici chaleureusement remercié pour son travail

Conférence de Lambeth  - Discours de Sir Jonathan Sachs, Grand rabbin de Grande-Bretagne

            Chers amis, ce moment est très émouvant pour moi. Vous m’avez invité, moi, un Juif, à participer à vos délibérations : je vous en sais gré, et je vous remercie également de tout ce que cela implique. Nos deux religions ont une longue histoire commune, et ma présence ici aujourd’hui – moi qui considère l’Archevêque de Canterbury et l’Archevêque d’York comme de bien-aimés confrères – constitue un signal d’espoir pour nos enfants et pour le monde qu’ils recevront en héritage.

            Il y a bien des siècles, des sages juifs se sont demandé qui pouvait être le plus grand de tous les héros. Ils ont conclu que c’était non pas celui qui vainc son ennemi, mais celui qui se fait un ami de son ennemi. C’est ce qui s’est produit entre Juifs et chrétiens : les étrangers sont devenus des amis. Et en cette occasion – la première, je crois, qui ait été donnée à un rabbin de s’exprimer devant une session plénière de la Conférence de Lambeth –, je veux rendre grâces à Dieu en prononçant les paroles de l’antique bénédiction juive : « Shehecheyanu vekiyemanu vehigiyanu lazman hazeh » ; autrement dit : Merci, mon Dieu, de nous avoir conduits jusqu’à ce moment.

I.

            Vous m’avez demandé de traiter le thème du pacte, et c’est ce que je vais faire. Nous découvrirons là non pas seulement une idée transformative, une idée qui nous change alors même que nous la concevons, non pas seulement une voie à suivre pour la religion au vingt et unième siècle : nous nous découvrirons aussi mieux à même de répondre à la question de savoir quel est le rôle de la religion dans la société, y compris dans une société laïque comme la société britannique.

            Commençons notre voyage en un lieu où je suis passé jeudi dernier : à Westminster. Ce fut une si belle journée que je m’imagine rendant visite à ma petite-fille sur le chemin du retour pour l’emmener visiter certains endroits remarquables de Londres. Nous commençons là où nous sommes : devant le Parlement. Elle me demande ce qu’on y fait, et je lui réponds : de la politique. Elle me demande alors ce qu’est la politique, et je lui réponds que cela a à voir avec la création et la répartition du pouvoir.

            Ensuite, nous nous rendons à la City, devant la Banque d’Angleterre. Elle me demande ce qu’on y fait, et je lui réponds : de l’économie. Elle me demande alors ce qu’est l’économie, et je lui réponds que cela a à voir avec la création et la répartition de la richesse.

            Enfin, sur le chemin du retour, nous passons devant la cathédrale Saint-Paul. Ma petite-fille me demande ce qu’on y fait, et je lui réponds : de l’adoration. Elle me demande encore : qu’est-ce que l’adoration ? Que crée-t-elle et distribue-t-elle ? Et c’est une bonne question, parce qu’au cours des cinquante dernières années, nos vies ont été dominées par les deux autres institutions : la politique et l’économie, l’État et le marché, la logique du pouvoir et la logique de la richesse. L’État, c’est nous à titre collectif. Le marché, c’est nous à titre individuel. Et la question à trancher était celle-ci : qu’est-ce qui est le plus efficace ? La gauche tend à favoriser l’État, la droite tend à favoriser le marché, et il existe une infinité de nuances entre l’une et l’autre.

            Mais ce qu’exclut cette équation duale, c’est un troisième phénomène de la plus haute importance, et je tiens à dire pourquoi. L’État, c’est le pouvoir. Le marché, c’est la richesse. Et ce sont deux manières d’amener les gens à faire ce qu’on veut. Ou bien on les contraint, et c’est la manière du pouvoir, ou bien on les paye, et c’est la manière de la richesse.

            Mais il existe une troisième voie, et pour le comprendre, faisons une simple expérience intellectuelle. Imaginons que nous disposions d’un pouvoir total et que nous voulions le partager avec neuf autres personnes. De quel pouvoir disposerons-nous alors ? Du dixième de celui que nous avions initialement.

            Supposons à présent que nous décidions de partager, non pas du pouvoir ou de la richesse, mais de l’amour, de l’amitié, de l’influence, voire de la connaissance avec neuf autres personnes. Que nous restera-t-il ? Posséderons-nous moins qu’avant ? Au contraire, nous posséderons davantage, peut-être dix fois plus qu’auparavant.

            Pourquoi ? Parce que l’amour, l’amitié et l’influence sont des choses qui n’existent que dans la mesure où elles se partagent. À mes yeux, ces biens relèvent d’un pacte, et plus on les partage, plus on en a.

            À court terme, du moins, la richesse et le pouvoir s’inscrivent dans un jeu où il y a toujours un perdant : si je gagne, vous perdez ; si vous gagnez, je perds. Alors que les biens relevant d’un pacte s’inscrivent dans un jeu gagnant/gagnant : si je gagne, vous gagnez aussi, et inversement. Ce qui a d’énormes conséquences.

            La richesse et le pouvoir, l’économie et la politique, le marché et l’État suscitent la concurrence, alors que les biens relevant d’un pacte suscitent la coopération.

            Où se rencontrent des biens de cet ordre, tels que l’amour, l’influence, la confiance ? Ils naissent non de l’État ou du marché, mais dans les mariages, les familles, les congrégations, les amitiés et les communautés – même dans la société, si l’on comprend que la société est autre chose que l’État.

            Pour bien voir ce qui est en jeu, il faut saisir la différence entre deux choses qui se ressemblent et rendent le même son, mais en apparence seulement : le contrat et le pacte.

            Dans un contrat, au moins deux individus – chacun poursuivant ses propres intérêts – se joignent pour procéder à un échange mutuellement avantageux. On distingue ainsi le contrat commercial, qui crée le marché, et le contrat social, qui crée l’État.

            Un pacte, c’est autre chose. Dans un pacte, au moins deux individus – chacun respectant la dignité et l’intégrité de l’autre ou des autres – établissent entre eux un lien fait d’amour et de confiance pour mettre en commun leurs intérêts, parfois même leurs vies, en se promettant mutuellement fidélité afin d’accomplir ce qu’aucun ne pourrait faire seul.

            Un contrat est une transaction. Un pacte est une relation. Ou, en termes légèrement différents, un contrat relève de l’intérêt, tandis qu’un pacte relève de l’identité et nous amène, vous et moi, à former un « nous ». C’est pourquoi un contrat profite, alors qu’un pacte transforme.

            Par conséquent, l’économie et la politique, le marché et l’État, relèvent d’une logique de concurrence, tandis le pacte relève d’une logique de coopération.

II.

            Je voudrais maintenant poser la question de savoir pourquoi une société ne peut exister en l’absence de coopération, pourquoi l’État et le marché ne suffisent pas à la soutenir.

            La réponse à cette question est absolument fascinante et commence avec Charles Darwin.

            Darwin s’est heurté à un problème qu’il ne pouvait résoudre. Il nous a dit que toute vie évoluait par sélection naturelle, c’est-à-dire par une compétition pour se procurer des ressources rares, telles que la nourriture et un abri.

            On s’attendrait alors à ce que toute société accorde de la valeur aux individus les plus compétitifs, et même les plus impitoyables. Mais Darwin a remarqué que tel n’était pas le cas. En fait, dans toute société dont il avait connaissance, c’étaient les individus les plus altruistes, non les plus compétitifs, auxquels on accordait le plus de valeur et d’admiration. J’emploierai à ce propos le langage de Richard Dawkins : des gènes égoïstes s’assemblent en amas et produisent des gens égoïstes. Tel était le paradoxe de Darwin, qui est resté sans solution jusqu’à la fin des années 1970.

            C’est alors que trois disciplines très différentes se sont mises à converger : la sociobiologie, une branche des mathématiques appelée théorie des jeux, et la simulation informatique à grande vitesse. Ensemble, elles ont produit ce qu’on a appelé le dilemme du prisonnier répété.

            En bref, ce qu’elles ont permis de découvrir, c’est que quoique la sélection naturelle opère par les gènes des individus, ces derniers – à coup sûr dans les formes de vie supérieures – survivent pour la seule raison qu’ils font partie d’un groupe. Et le groupe ne survit que sur la base de la réciprocité et de la confiance, sur la base de ce que j’appelle le pacte, ou encore la logique de coopération. Quand un seul homme est opposé à un lion, c’est le lion qui l’emporte. Quand dix hommes sont opposés à un lion, ils ont leurs chances.

            Il s’avère que tout ce qui fait la particularité d’Homo sapiens – le langage, le volume du cerveau, voire le sens moral lui-même – est en relation avec la capacité de former et de maintenir un groupe : plus le cerveau est développé, plus le groupe est nombreux.

            Les néo-darwiniens parlent à cet égard d’altruisme réciproque, les sociologues de confiance, et les économistes de capital social. C’est là une des grandes découvertes intellectuelles de notre époque. Les individus ont besoin du groupe. Le groupe a besoin de la coopération. Et la coopération a besoin d’un pacte, d’un lien de réciprocité et de confiance.

            Cela a toujours été le rôle de la religion. Après tout, la racine latine du mot « religion » signifie « relier ». Un penseur conservateur comme Edmund Burke, un révolutionnaire comme Thomas Paine, un sociologue comme Emil Durkheim ou un observateur extérieur comme Alexis de Tocqueville ont tous perçu ce phénomène, quand bien même chacun l’a expliqué à sa manière. Et le phénomène en question a été démontré scientifiquement depuis. La société ne peut survivre s’il ne s’y pratique que de la compétition sans aucune coopération, s’il n’y a que l’État et le marché sans aucune relation établie par un pacte.

            Qu’arrive-t-il, alors, à une société lorsque la religion y est en déclin et qu’il n’y a aucun autre pacte pour remplacer cette dernière ?

            Les relations se rompent, le mariage recule, la famille se fragilise, les communautés s’atrophient. Et le résultat en est que les individus se sentent solitaires et vulnérables. S’ils extériorisent leurs sentiments, ils risquent souvent de ressentir une colère pouvant tourner en violence. S’ils les intériorisent, ils s’exposent à des états dépressifs, des syndromes liés au stress, des désordres alimentaires, un abus d’alcool ou de drogue. Dans un cas comme dans l’autre, l’abondance matérielle s’accompagne d’une misère spirituelle.

            Cela se produit non pas d’un seul coup, mais lentement, progressivement, inexorablement. Une société dénuée de pactes et des institutions nécessaires pour l’inspirer et la soutenir finit par se désintégrer. Le processus, qui commence par une perte de convivialité dans la vie collective, va jusqu’à s’achever par une perte de liberté.

III.

            C’est à ce stade que nous en sommes. Voyons à présent comment tout a commencé.

            Dans l’antique Proche-Orient, les pactes se présentaient sous forme de traités entre tribus ou États. Ils avaient peu choses à voir avec la religion. Au contraire, dans le monde antique, la religion étant en rapport avec la politique et l’économie, le pouvoir et la richesse. Les dieux étaient les pouvoirs suprêmes. Ils étaient aussi les maîtres de la richesse, c’est-à-dire – en l’espèce – de la pluie, de la fertilité et des produits de la terre. Donc, si on voulait pouvoir et richesse, il fallait plaire aux dieux.

            Dans ces conditions, l’idée qu’il puisse y avoir un pacte entre Dieu et l’humanité devait sembler absurde. Si vous aviez dit alors aux gens qu’il pouvait exister, entre l’infinitude et la finitude, entre l’éternel et l’éphémère, un lien d’amour et de confiance, je crois que l’on vous aurait répondu : allez vous reposer jusqu’à ce que ce que vous alliez mieux.

            Si vous aviez ajouté que Dieu aime, non pas les riches et les puissants, mais les pauvres et ceux qui n’ont aucun pouvoir, on vous aurait regardé comme un fou. Et pourtant, c’est cette idée qui a transformé le monde.

            Le pacte est le mot-clé du Tanakh (Bible hébraïque), dans lequel on le rencontre à 250 reprises. Nul n’a exprimé la chose plus simplement que le prophète Osée, en des termes que nous répétons chaque matin de la semaine au début de nos prières :

            Je te fiancerai à moi pour toujours ;

            je te fiancerai à moi dans la justice et le jugement,

            dans la grâce et la tendresse ;

            je te fiancerai à moi dans la fidélité,

            et tu connaîtras Yahweh [2].

            Un pacte équivaut à des fiançailles, c’est un lien d’amour et de confiance. Et c’est le prophète Jérémie qui, au nom de Dieu, en a magnifiquement exprimé le résultat :

            Je me suis souvenu de la piété de ta jeunesse,

            de l’amour de tes fiançailles,

            alors que tu me suivais au désert,

            au pays qu’on n’ensemence pas [3].

IV.

            On trouve trois pactes dans la Genèse et l’Exode, qui sont les premiers livres de la Bible : le premier, dans Genèse 9, est celui conclu avec Noé et, à travers ce dernier, avec l’humanité entière ; le deuxième, dans Genèse 17, est celui conclu avec Abraham ; le troisième, dans Exode 19-24, est celui conclu avec les Israélites au temps de Moïse. Et aucun des trois ne vient se substituer à l’un des deux autres. Sans entrer dans les détails, je voudrais maintenant évoquer une distinction importante entre deux types de pactes.

            Nous devons cette distinction à un homme que je tiens pour le plus grand penseur juif du vingtième siècle, un homme dont le nom vous est peut-être familier : le rabbin Joseph Soloveitchik.

            Le moyen le plus simple d’aborder la question est de se demander à quel moment les Israélites sont devenus une nation. Les livres mosaïques donnent à ce sujet deux réponses apparemment contradictoires. À en croire la première, ce moment est celui de l’exil en Égypte. On lit ainsi dans Deutéronome 26 : « Nos ancêtres sont descendus en Égypte et y sont devenus une nation [4]». À en croire l’autre réponse, ce moment n’arriva que lorsque les Israélites eurent effectivement quitté l’Égypte et se tenaient au pied du mont Sinaï, où ils devinrent, selon Exode 19, « un royaume de prêtres et une nation sainte ». Or, l’une et l’autre réponses ne semblent pouvoir être toutes deux valables. Mais cette impression est-elle justifiée ?

            D’après le rabbin Soloveitchik, l’une et l’autre sont valables, mais impliquent chacune l’existence d’un pacte distinct. Il y a là, dit-il, un pacte de destin et un pacte de foi, et ce sont deux choses fort différentes.

            Les membres d’un groupe peuvent être liés par un pacte de destin lorsqu’ils souffrent ensemble, lorsqu’ils sont aux prises avec un ennemi commun. Ils partagent des peines, des craintes, des responsabilités. Ils se rapprochent les uns des autres pour se réconforter et se protéger mutuellement. Le pacte de destin, c’est cela.

            Le pacte de foi, c’est entièrement différent. Il est conclu par des gens qui partagent les mêmes rêves, les mêmes aspirations, les mêmes idéaux. Ils n’ont pas besoin d’un ennemi commun, car ils ont un espoir commun. Ils se regroupent pour créer quelque chose de nouveau. Ils se définissent non par ce qui leur arrive, mais par ce qu’ils s’engagent à accomplir. C’est cela, le pacte de foi.

            Vous comprenez, à présent, comment il se fait que les Israélites aient eu deux moments fondateurs, le premier en Égypte, le second au Sinaï. En Égypte, ils sont devenus une nation liée par un pacte de destin, un destin d’esclavage et de souffrance. Au Sinaï, ils sont devenus une nation liée par un pacte de foi que définissaient la Torah et les commandements de Dieu. Cette distinction est essentielle par rapport à ce que j’ai à dire aujourd’hui.

            Pourquoi donc personne n’a fait cette distinction avant le rabbin Soloveitchik, c’est-à-dire avant la seconde moitié du vingtième siècle ? La réponse tient en un mot : Holocauste.

            Sur le chapitre de la foi, les Juifs des dix-neuvième et vingtième siècles étaient profondément divisés. Mais durant l’Holocauste, ils ont partagé le même destin, qu’ils soient orthodoxes ou non orthodoxes, religieux ou indifférents, marqués par leur identité ou entièrement assimilés. Ce que le rabbin Soloveitchik a fait à ce monde juif si fragmenté, ç’a été de lui rendre le sens de la solidarité avec les victimes. D’où son idée, toujours implicite dans la tradition, mais jamais si bien explicitée auparavant, de l’existence d’un pacte de destin, même en l’absence d’un pacte de foi.

V.

            Cette distinction étant établie, il est loisible d’avancer une proposition de la plus haute importance. Si on lit superficiellement la Genèse et l’Exode, on a l’impression que les pactes de Noé, d’Abraham et du Sinaï sont une seule et même chose. Mais nous voyons à présent que tel n’est nullement le cas.

            Les pactes d’Abraham et du Sinaï sont des pactes de foi. Mais le pacte de Noé ne dit rien de la foi. Le monde avait été presque complètement détruit par le déluge. Toute l’humanité, toute vie – à l’exception de celle abritée dans l’Arche de Noé – avait connu le même destin. L’humanité d’après le Déluge était comparable au peuple juif après l’Holocauste. Le pacte de Noé n’est pas un pacte de foi, c’est un pacte de destin.

            Dieu dit : jamais plus je ne détruirai le monde. Mais je ne puis promettre que vous autres ne détruirez jamais le monde, parce que je vous ai dotés du libre arbitre. Tout ce que je peux faire, c’est vous enseigner comment ne pas détruire le monde. Comment ?

            Le pacte de Noé comporte trois dimensions. Premièrement, « Quiconque aura versé le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé, car Dieu a fait l’homme à son image » [5]. Le premier élément est donc la sainteté de la vie humaine.

            Deuxièmement, lisez attentivement Genèse 9, et vous verrez qu’à cinq reprises, Dieu y insiste sur le fait que le pacte de Noé vaut non seulement pour l’humanité, mais aussi pour toute vie sur terre. Le deuxième élément est donc l’intégrité du monde créé.

            La troisième dimension du pacte de Noé est représentée par l’arc-en-ciel, symbole du pacte, dans lequel la lumière blanche de Dieu se réfracte en toutes les couleurs du spectre. L’arc-en-ciel symbolise ce que j’ai appelé la dignité de la différence. Le miracle qui est au cœur du monothéisme, c’est que l’unité jusqu’à ce point crée l’unité à partir dudit point. Ces trois dimensions définissent le pacte de foi.

            Dans Isaïe 11, on trouve la célèbre prophétie selon laquelle le loup habitera avec l’agneau. Cela n’a pas encore eu lieu (malgré le cas – d’authenticité douteuse – de ce zoo où, dans une même cage, un lion habite effectivement avec un agneau. « Comment faites-vous cela ? », demande un visiteur. « C’est simple, répond le gardien du zoo : on a juste besoin d’un agneau chaque jour ».)

            Il fut pourtant une époque où le loup habitait bel et bien avec l’agneau. Quand était-ce ? Pendant le Déluge, dans l’Arche de Noé. Comment cela s’est-il fait ? Non parce que le loup et l’agneau étaient amis, mais parce que sinon, ils se seraient noyés. Tel est le pacte de destin.

            Notez que le pacte de destin précède le pacte de foi, car la foi est particulière, tandis que le destin est universel. Tel est donc ce que décrit Genèse 9 : le pacte mondial de la solidarité humaine.

VI.

            Tout cela m’amène à l’époque actuelle. Nous vivons dans l’un des âges de changement les plus marqués par le destin depuis l’apparition d’Homo sapiens. La mondialisation et les nouvelles technologies de l’information font deux choses à la fois. Tout d’abord, elles fragmentent notre monde : la radiodiffusion se sectorise de plus en plus, les cultures nationales s’affaiblissent, et nous nous émiettons en sectes de plus en plus minuscules.

            Mais la mondialisation a aussi pour effet de nous amalgamer les uns aux autres comme cela ne s’était jamais produit auparavant. La destruction d’une forêt tropicale aggrave partout le réchauffement planétaire. Un conflit politique éclatant quelque part peut susciter un attentat terroriste ailleurs dans le monde. La pauvreté constatée à tel endroit peut remuer les consciences à tel autre endroit. Au moment même où les pactes de foi éclatent en mille morceaux, le pacte de destin nous force à nous rassembler, et nous ne nous sommes pas encore montrés à la hauteur de ce pacte.

            Les trois éléments du pacte mondial sont en danger. Le terrorisme profane la sainteté de la Vie humaine. La catastrophe environnementale menace l’intégrité de la création. Le respect de la diversité est mis en danger par ce qu’un auteur a appelé le choc des civilisations. Répétons-nous : le pacte de destin précède le pacte de foi. Avant de pouvoir vivre une religion quelconque, nous devons vivre tout court. Et il nous faut honorer notre pacte avec les générations futures pour que ces dernières puissent hériter un monde dans lequel il soit possible de vivre. C’est là ce que Dieu attend de notre époque.

VII.

            Chers amis, Je me tiens devant vous en tant que Juif, c’est-à-dire non pas seulement comme individu, mais comme représentant de mon peuple. Et en préparant cette allocution, j’avais l’âme remplie des larmes de mes ancêtres. On l’a peut-être oublié, mais pendant mille ans, de la première Croisade à l’Holocauste, le mot « chrétien » a frappé de terreur les cœurs juifs. Songez seulement aux termes et expressions que la rencontre des Juifs avec la Chrétienté a ajoutés au vocabulaire de la souffrance humaine : crimes de sang, autodafés de livres, disputations, conversions forcées, inquisition, autodafés d’êtres humains, ghettos, pogroms.

            Je ne pourrais paraître ici aujourd’hui en toute franchise sans mentionner ce livre des  peines juives.

            Et je me suis demandé : qu’est-ce que nos ancêtre attendraient de nous aujourd’hui ?

            La réponse à cette question réside dans la scène qui constitue le paroxysme et la clôture de la Genèse. Souvenez-vous : après la mort de Jacob, les frères craignent la vengeance de Joseph. Après tout, ils l’ont vendu comme esclave en Égypte.

            Or, Joseph pardonne, mais il fait plus encore que pardonner. Écoutez attentivement ses paroles :

            Vous aviez dans la pensée de me faire du mal ;

            mais Dieu avait dans la sienne d’en faire sortir un bien,

            afin d’accomplir ce qui arrive aujourd’hui,

            afin de conserver la vie à un peuple nombreux [6].

            Joseph fait plus que pardonner. Il dit que du mal est sorti un bien. Car à cause de ce que vous m’avez fait, j’ai pu sauver bien des vies. Quelles vies ? Non pas seulement celles de ses frères, mais aussi celles d’Égyptiens, d’étrangers. J’ai pu nourrir ceux qui avaient faim. J’ai pu honorer le pacte de foi. Et en honorant le pacte de destin entre lui et des étrangers, Joseph peut restaurer le pacte de foi entre lui et ses frères, qui avait été rompu.

            En fait, Joseph dit à ses frères : on ne peut effacer le passé, mais on peut le racheter si l’on utilise ses larmes pour se sensibiliser à celles d’autrui.

            Et l’on assiste ici à quelque chose de remarquable. Bien que la Genèse ait à voir avec le pacte de foi entre Dieu et Abraham, elle commence et s’achève avec le pacte de destin : d’abord à l’époque de Noé, puis, plus tard, à celle de Joseph.

            Dans l’un et l’autre cas, il y a l’eau. Dans le cas de Noé, elle surabonde : c’est un déluge ; dans celui de Joseph, elle fait défaut : c’est une sécheresse.

            Dans l’un et l’autre cas, il y a le sauvetage de vies humaines. Mais Noé sauve sa propre famille, alors que Joseph sauve une nation entière d’étrangers.

            Dans l’un et l’autre cas, il y a le pardon. Dans celui de Noé, c’est Dieu qui pardonne. Dans celui de Joseph, c’est un homme qui pardonne.

            Dans l’un et l’autre cas, enfin, il y a une relation avec le passé. Dans celui de Noé, le passé est oblitéré. Dans celui de Joseph, le passé est racheté.

VIII.

            Et aujourd’hui, entre Juifs et chrétiens, ce passé est en cours de rachat. En 1942, au milieu de la nuit la plus noire qu’ait connue l’humanité, un illustre Archevêque de Canterbury, William Temple, et un illustre Grand Rabbin, J. H. Hertz, ont conclu ensemble un pacte de destin capital appelé le Conseil de Chrétiens et de Juifs. Depuis lors, Juifs et chrétiens ont fait plus pour améliorer leurs relations que ne l’avaient jamais fait deux autres religions sur terre, de sorte que nous nous rencontrons aujourd’hui comme des amis très chers.

            Or, il nous faut à présent étendre plus largement cette amitié. Nous devons renouveler le pacte mondial de destin, celui qui a commencé au temps de Noé et devait atteindre son apogée avec la tâche accomplie par Joseph, qui consister à sauver de nombreuses vies.

            C’est justement là ce que nous avons commencé à faire jeudi dernier, lorsque nous avons marché côte à côte : chrétiens, Juifs, Sikhs, musulmans, hindous, bouddhistes, jaïnes, zoroastriens et baha’is. Car si nous ne partageons pas la même foi, nous partageons à coup sûr le même destin. Quelle que soit notre foi ou notre absence de foi, la faim fait toujours souffrir, la maladie frappe toujours, la pauvreté défigure toujours, et la haine tue toujours. Peu d’auteurs ont exprimé cela avec autant de justesse que le grand poète chrétien John Donne : « La mort de tout être humain me diminue, car je suis concerné par l’humanité tout entière ».

            Chers amis, si on lit Genèse 50, on voit que juste avant que Joseph prononce ses magnifiques paroles de réconciliation, le texte dit : « Joseph pleura ». Pourquoi Joseph a-t-il pleuré ? Il a pleuré sur toutes les souffrances inutiles que les frères s’étaient causées les uns aux autres. Nous-mêmes, ne pleurons-nous pas en voyant les immenses difficultés que l’humanité connaît en ce vingt et unième siècle : misère, faim, maladie, catastrophe environnementale. Or, quel est le visage que la religion n’offre que trop souvent au monde ? Celui des conflits entre les religions, et parfois même au sein des religions.

            Nous autres, Juifs et chrétiens, qui avons travaillé si durement et si efficacement à notre réconciliation, devons montrer au monde une autre voie consistant à honorer l’humanité comme étant à l’image de Dieu, à protéger l’environnement comme étant l’œuvre de Dieu, à respecter la diversité comme procédant de la volonté de Dieu et à maintenir le pacte comme étant la parole de Dieu.

            Trop longtemps avons-nous habité dans la vallée de larmes.

            Marchons ensemble vers la montagne du Seigneur,

            côte à côte,

            main dans la main,

            liés par un pacte de destin qui transforme des étrangers en amis.

            En une époque de peur, soyons des agents d’espoir.

            Soyons ensemble une bénédiction pour le monde.

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[1] http://www.lambethconference.org/vault/Reflections_Document_(final).pdf ou http://www.lambethconference.org/reflections/document.cfm

[2] NdT : Traduction donnée par la Bible du chanoine Crampon.

[3] NdT : Id.

[4] NdT : La traduction donnée par la Bible du chanoine Crampon est à la fois plus longue et sensiblement différente : « Mon père était un Araméen prêt à périr ; il descendit en Égypte avec peu de gens et y vécut en étranger ; là il devint une nation grande, puissante et nombreuse. »

[5] NdT : Traduction donnée par la Bible du chanoine Crampon.

[6] Id.