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CAPITAL : Lettre ouverte solennelle des fidèles aux quatre évêques de la FSSPX

http://www.virgo-maria.org/articles/2006/VM-2006-10-10-A-00-Appel_aux_quatre_eveques_de_la_FSSPX.pdf

Qui et Pourquoi, depuis la mort de Mgr Lefebvre en 1991, a détourné la finalité surnaturelle de l’OPERATION-SURVIE des sacres de 1988, pour assigner à la FSSPX ce FAUX objectif prioritaire de la «ré-conciliation» avec la Rome conciliaire
(en fait la «ré-conciliarisation» de la FSSPX) ?

Qui a, depuis 2000, PROMU, et Pourquoi, le FAUX préalable de l’autorisation de la messe de Saint Pie V ?

Pourquoi n’a-t-on pas posé la VRAIE question du rétablissement du VRAI Sacerdoce de VRAIS prêtres, ordonnés par des Evêques VALIDEMENT sacrés selon le rite VALIDE des Saints Ordres ?

Qui a INVENTE, et POURQUOI, le faux préalable de la levée des «excommunications» ?

Pourquoi n’a-t-on pas posé la VRAIE question de l’abrogation de Pontificalis Romani INVALIDE de 1968 et du rétablissement du vrai rite de la consécration épiscopale VALIDE d’avant 1968?

A quoi servirait-il, en effet, de faire dire le VRAI rite de la messe par de FAUX prêtres ?

Serait-ce donc qu’après avoir obligé de VRAIS prêtres à dire une FAUSSE messe, l’on veuille désormais faire dire la messe du
VRAI rite par de FAUX prêtres ?

Serait-ce que l’on veuille «concilier» les VRAIS prêtres qui disent encore la VRAIE messe avec un clergé aussi INVALIDE que le
FAUX CLERGE ANGLICAN ?


Gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses sola interemisti.

(Tractus Missæ Salve Sancta Parens)

jeudi 18 décembre 2008

Ce message peut être téléchargé au format PDF sur notre site http://www.virgo-maria.org/.

Le Manuscrit de l’Enfer (Nihil obstat, 1964)

Apostasy

Depuis l’Au-delà, une âme damnée révèle à son amie religieuse,
la réalité de l’Enfer et de l’éternité des peines

Ce texte, diffusé par le Carmel de Lisieux, et préfacé par Mgr L. Cristiani en plein concile de la destruction de l’Église à Vatican en 1964, porte la marque d’un Nihil Obstat et d’un Imprimatur.

Il s’agit d’un texte émanant d’une religieuse :

Une de ses amies ou pour mieux dire une jeune femme qu'elle connaissait vient d'être victime d'un accident d'automobile.’, ‘Le Songe d'une religieuse consiste à recevoir une lettre de l'au-delà, une lettre que lui écrit cette jeune femme qu'elle a connue. Mais cette lettre vient de l'enfer ! Horreur ! L'enfer, son feu, son désespoir, son éternité ! Voilà un thème à réflexions qui n'est pas très courant de nos jours, dans le monde à demi-paganisé des chrétiens d'aujourd'hui.’

Ainsi que l’écrit Mgr L. Cristiani :

« Le Songe de Gérontius de Newman nous conduit au purgatoire. Il ne nous cause aucune épouvante, parce que nous pensons bien que ce sera notre cas à nous, comme celui de l'immense majorité des chrétiens. Mais le « Songe d'une religieuse » devrait éveiller dans le cœur de tous les lecteurs un désir et une résolution aussi farouches que salutaires le désir d'être toujours prêt à paraître devant le Juge infaillible et bon, la résolution de ne pas mourir sans avoir effacé par le repentir, c'est-à-dire une rétractation sincère, toutes nos fautes, afin d'éviter cette catastrophe éternelle, qui se nomme l'enfer! »

La prédication sur l’Enfer se fait rare dans les chapelles de la FSSPX, à mesure qu’avancent la réalisation des « deux préalables » pour le « processus » de réconciliation avec l’abbé apostat Ratzinger-Benoît XVI.

Au sein de l’église conciliaire, cette prédication a quasi-disparu. Il ne faut pas effrayer les fidèles, ni les alerter sur ce qui pourrait les amener à prendre des mesures salutaires pour leurs âmes.

Ce désintérêt pour le salut des âmes vient de haut, depuis que Mgr Fellay l’a quasi-officialisé en déclarant le 25 mars 2007 que les fidèles doivent « obéir » et se satisfaire de « prêtres probables ».

Ce qui veux dire que les fidèles doivent accepter sans broncher de recevoir des sacrements invalides, car les mêmes autorités de la FSSPX reconnaissent qu’il n’y a pas de certitude de la validité de toutes les consécrations épiscopales et ordinations presbytérales de l’église conciliaire (et donc des ralliés).

Pas de certitude à 100% , donc il existe une loterie des sacrements valides, et certains fidèles les reçoivent et d’autres ne les reçoivent pas.

Cela veut dire qu’aux yeux de Mgr Fellay la « réconciliation » avec les « antichrists » qui occupent le siège apostolique est :

Mais qui donc restaurera ENFIN la mission authentique de la FSSPX fixée en préface de ses statuts et voulue par Mgr Lefebvre, et solennellement rappelée par ce dernier un mois avant sa mort rapide et inopinée ?

Qui ?

Notre-Dame a rappelé à Fatima que beaucoup d’âmes vont en Enfer, déjà en 1917 alors que les sacrements (dont consécrations/ordinations) étaient alors à 100% valides, qu’en est-il aujourd’hui en 2008, alors que Mgr Fellay ose appeler les fidèles à se contenter d’ordinations conciliaires « œcuméniques » selon lui « probables » ?

Ce que montrent les paroles de Notre-Dame à Fatima c’est qu’en 1917, le pourcentage d’âmes qui allait en Enfer (parmi les âmes qui mourraient) était élevé, au point qu’elle prit l’initiative de montrer la chute de ces âmes à des enfants de Fatima.

En ne se préoccupant plus d’assurer aux fidèles catholiques de la Tradition, ainsi qu’aux âmes qui suivent les ralliés ou les conciliaires en se croyant catholiques, des consécrations à 100% CERTAINEMENT valides, et donc des sacrements valides, Mgr Fellay croit-il qu’il contribue ainsi à diminuer le % d’âmes qui se damnent par rapport à 1917, époque à laquelle les consécrations épiscopales étaient à 100% CERTAINEMENT valides ?

Cherchez l’erreur !

Plus Mgr Fellay prétend prier et œuvrer par ses « préalables » à restaurer la Tradition au sein de l’église conciliaire et moins il se soucie d’assurer aux âmes de cette même église conciliaire de la libérer d’un « clergé probable » pour lui procurer un clergé à 100% CERTAINEMENT valide.

La contradiction dans le faux discours justificateur des « discussions » avec Rome et du « processus de réconciliation » par les « deux préalables » devient de plus en plus criante, à mesure qu’elle est examinée sous l’angle de la théologie sacramentelle catholique.

Cette contradiction devient insoutenable et mine le discours de Mgr Fellay repris du petit clan des infiltrés qui le subjugue.

Quelle confiance les fidèles et les clercs peuvent-ils accorder à des autorités religieuses qui font preuve tout à la fois d’une telle absence de sens logique et de telles carences doctrinales en matière de théologie sacramentelle catholique, alors que dans le même temps, ces mêmes autorités viennent exiger des mêmes fidèles et clercs de leur remettre entièrement leur jugement, au nom d’une obéissance aveugle, sur ces mêmes matières.

Les fidèles possèdent un droit à exiger de leurs évêques qu’elles leur garantissent leur donner des sacrements à 100% CERTAINEMENT valides.

Il s’agit de l’exercice de la justice la plus élémentaire.

C’est ce que déclarait le Révérend Père jésuite Henry Davis en 1935 qui souligne le droit absolu du fidèle à la validité certaine du Sacrement qu’il reçoit :

« En administrant les Sacrements (comme dans la Consécration à la Messe) il n’est jamais permis d’accepter des modalités d’action simplement probables quant à leur validité et d’abandonner la procédure la plus sûre. Prétendre le contraire a été explicitement condamné par le Pape Innocent XI. Agir ainsi constituerait un grave péché contre la religion, à savoir un acte d’irrévérence envers ce que le Christ Notre Seigneur a institué, ce serait aussi un grave péché contre la charité, car celui qui reçoit le Sacrement serait probablement privé des grâces et de l’effet du Sacrement, ce serait enfin un grave péché contre la Justice, car celui qui reçoit le Sacrement a droit à la validité des Sacrements, à chaque fois que le ministre, que ce soit ex officio ou non, entreprend d’administrer un Sacrement. Pour ce qui concerne les Sacrements nécessaires il n’y a aucun doute sur ce triple péché, pour ce qui est des Sacrements qui ne sont pas nécessaires, il existe toujours le grave sacrilège contre la religion » Henry Davis, S.J. Moral and Pastoral Theology London : Sheed & Ward, 1935 Volume III, page 27

La formation d’un jésuite en 1935 était largement plus poussée et plus développée que celle d’un séminariste d’Écône. Nous ne savons pas si le Père jésuite Henry Davis était polyglotte comme Mgr Fellay, mais il est désormais démontré, au vu des pitoyables déclarations du successeur de Mgr Lefebvre le 25 mars 2007, que le disciple de saint Ignace connaissait sa théologie mieux que le supérieur de la FSSPX ne la connaît. Le Père jésuite était théologiquement compétent, comme l’attestent ses déclarations publiques.

Que les fidèles, au nom de la justice la plus élémentaire, et en se réclamant des théologiens catholiques compétents, fassent valoir leur droit et réclament de leurs évêques qu’ils leur administrent la preuve de leur procurer des sacrements à 100% valides et que ces derniers cessent d’aller chercher auprès du « clergé probable » des honneurs et des marques de « réconciliation » alors que dans le même temps ils n’apportent aucune preuve de vouloir leur apporter des consécrations épiscopales valides.

C’est un droit autour duquel tous ceux qui veulent sauver leurs âmes, fidèles de la FSSPX, sédévacantistes, âmes sur le chemin de la conversion, en quête de la grâce de Dieu, peuvent s’entendre pour exiger des évêques l’application de ce droit.

Continuons le bon combat

La Rédaction de Virgo-Maria

© 2008 virgo-maria.org


TEXTE ‘LE MANUSCRIT DE L'ENFER’

Jésus lui dit : - Je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi vivra, même s'il meurt ; et celui qui vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ? - Oui, Seigneur, répondit-elle, je crois que tu es le Messie, le Fils de Dieu, celui qui devait venir dans le monde. Jean 11, 25-27.

LE MANUSCRIT DE L'ENFER

(Le Manuscrit de l'enfer. Lettre de l'au-delà, préface de Mgr L. Cristiani, Librairie du Carmel, 1964, Nihil obstat : P. Picard, p. s. s., c. d., Bayeux, 23 juin 1964, Imprimatur : p. Leroy, v. g., Bayeux, 26 juin 1964)

PRÉFACE

      Parmi les œuvres du grand écrivain anglais John-Henry Newman, se trouve un opuscule de 50 à 60 pages seulement, qui a pour titre en français : Le Songe de Gérontius. Newman l'avait composé peu après avoir atteint la soixantaine. Il songeait avec intensité à son éternité. Le Songe de Gérontius était un très beau poème, dans lequel il essayait de décrire ce qui se passe à la mort d'un bon chrétien. Il se représentait l'âme, séparée de son corps, emportée par son Ange Gardien vers le trône du Souverain Juge, et de là conduite au purgatoire, le lieu des suprêmes expiations, avant l'entrée dans la gloire.

      C'est aussi un « songe » que l'on trouvera dans le présent ouvrage. Un « songe », c'est-à-dire une fiction, mais qui n'est pas moins vraisemblable, dans la plupart de ses détails, que le Songe de Gérontius. On pourrait donc l'intituler Le Songe d'une religieuse.

      Une de ses amies ou pour mieux dire une jeune femme qu'elle connaissait vient d'être victime d'un accident d'automobile. Rien de plus fréquent, hélas ! de nos jours et sur toutes nos routes ! Avons-nous parfois considéré ce que peut, ce que doit être le destin éternel de tant de jeunes hommes et de jeunes femmes, qu'un accident de voiture envoie brutalement et soudainement, sans leur laisser le moindre instant de réflexion et de préparation, devant leur Juge plein de bonté et de miséricorde, sans nul doute, mais plein de justice aussi ?

      Le Songe d'une religieuse consiste à recevoir une lettre de l'au-delà, une lettre que lui écrit cette jeune femme qu'elle a connue. Mais cette lettre vient de l'enfer ! Horreur ! L'enfer, son feu, son désespoir, son éternité ! Voilà un thème à réflexions qui n'est pas très courant de nos jours, dans le monde à demi-paganisé des chrétiens d'aujourd'hui.

      C'est bien à propos de l'enfer que l'on peut dire avec notre bonne vieille Vulgate : Diminutae sunt veritates a filiis hominum : les vérités ont été amoindries par les fils des hommes. (Psaume 11, 2. La Bible de Jérusalem, traduisant le même passage sur l'original hébreu, dit d'une manière encore bien plus forte : « Sauve Yahvé ! Il n'est plus de saints, la vérité a disparu parmi les hommes ! » (Psaume 12, selon l'hébreu.)

      La réalité de l'enfer, sa raison d'être, l'explication profonde de son éternité, voilà des vérités bien « amoindries » parmi nous, des vérités qui ont peut-être entièrement disparu des âmes formées cependant au sein de la religion chrétienne. Un très grand nombre de nos frères protestants se refusent à croire à l'éternité de l'enfer. Au XVIè siècle, c'était le purgatoire que les « novateurs », luthériens et calvinistes, rejetaient avec dédain. De nos jours, luthériens et calvinistes n'admettent plus qu'une sorte de purgatoire, en rejetant l'enfer.

      Le petit livre qu'on va lire est consacré, sous une forme originale, à la doctrine de l'enfer. Deux choses y retiendront l'attention : en premier lieu, la description d'un genre d'existence qui n'est que trop répandu de nos jours. Que de femmes et que d'hommes, qui ont reçu le baptême, ont suivi vaille que vaille des cours de religion, sous le nom de catéchisme, ont fait leur première communion, avec la préoccupation d'un beau costume neuf et d'un banquet familial plus copieux qu'à l'ordinaire, beaucoup plus que de la grandeur du mystère qui devait s'accomplir dans leur âme, par la rencontre d'un Dieu tout-aimant, et qui, en entrant dans la vie, ont été pris par cette ambiance de doute, de raillerie, d'incrédulité, de mondanité, qui leur a fait perdre le peu de foi qui était en eux!

      Qu'ont-ils fait de leur vie ? Comment l'ont-ils comprise, abordée et vécue ? La lettre de cette jeune femme, une lettre écrite de l'enfer, décrit une situation spirituelle aussi commune qu'effrayante.

      Voilà le premier point à noter. Et voici le second : au bas des pages, on trouvera ici des références, brèves mais catégoriques. Ces références sont toutes tirées des écrits du plus grand de nos théologiens catholiques, Thomas d'Aquin (1226-1274). Cela veut dire que le soubassement théologique de la lettre fictive qu'on va lire est tout ce qu'il y a de plus sérieux et de plus solide.

      Le Songe de Gérontius de Newman nous conduit au purgatoire. Il ne nous cause aucune épouvante, parce que nous pensons bien que ce sera notre cas à nous, comme celui de l'immense majorité des chrétiens. Mais le « Songe d'une religieuse » devrait éveiller dans le cœur de tous les lecteurs un désir et une résolution aussi farouches que salutaires le désir d'être toujours prêt à paraître devant le Juge infaillible et bon, la résolution de ne pas mourir sans avoir effacé par le repentir, c'est-à-dire une rétractation sincère, toutes nos fautes, afin d'éviter cette catastrophe éternelle, qui se nomme l'enfer !

      Non, il ne doit pas être possible de lire ces pages avec indifférence - ou à titre de simple curiosité. C'est de notre éternité qu'il s'agit ici. L'enjeu est le plus formidable qui puisse être ! Bonheur éternel, dans la vision de Dieu « face à face », ou privation éternelle de Dieu, dans la haine et le désespoir d'avoir manqué sa vie ! N'amoindrissons pas les vérités ! Ne fermons pas les yeux à la vérité. Un Dieu est mort pour nous sauver ! À son amour, répondons par la foi et l'amour !

Mgr L. CRISTIANI.            

*

      La personne qui s'est chargé de la présente publication dans son original en langue allemande, ainsi que les acteurs de l'événement, se maintiennent dans le secret de l'anonymat. L'écrit, au contraire, se répand rapidement en éditions multiples parmi des lecteurs toujours plus nombreux ; il creuse l'âme d'un frémissement d'émotion, de piété, en même temps que d'un sentiment d'horreur. Ses pages, vives et terribles, rapportent une expérience très humaine et courante de vie terrestre. Par beaucoup de côtés, elles sont très près de l'atmosphère religieuse contemporaine, tout en soulevant le voile du mystère redoutable qui nous attend. Elles ne peuvent se lire avec indifférence ou par simple curiosité ; on se trouve, à la fin, personnellement engagé vers une révision de ses propres jugements et sentiments. Dans le drame que ce témoignage fait revivre, s'exprime, bien que ce soit d'une manière personnelle, toute la réalité humaine en même temps que divine, dans laquelle se déroule chacune de nos destinées.

*

LE MANUSCRIT DE L'ENFER

Lettre de l'au-delà

      Le manuscrit suivant, que nous publions en version française, a été trouvé parmi les papiers d'une jeune fille morte au couvent, après seulement quelques années de vie religieuse.

*

      J'avais une amie, ou plutôt, nous étions en contact pour raison de travail à ***. Nous étions ensemble, l'une à côté de l'autre, dans une maison de commerce. Puis, Annette se maria et je ne la vis plus. Dans le fond, il régnait entre nous deux, depuis le début, plutôt de la courtoisie que de l'amitié. Je n'en ressentis, à cause de cela, que bien peu la privation, quand elle alla, après son mariage, habiter un quartier de la ville de *** très éloigné de ma demeure. Pendant l'automne de 1937, je passai mes vacances au bord du lac de Garde ; ma mère m'écrivit vers la fin de la seconde semaine de septembre : « Pense donc ! Annette est morte dans un accident d'automobile. Elle a été enterrée hier au Waldfriedhof » (cimetière du bois). Une telle nouvelle m'épouvanta. Je savais qu'elle n'avait jamais été très religieuse. Était-elle prête quand Dieu l'appela ainsi à l'improviste ? Le matin suivant, j'entendis la Sainte Messe pour elle dans la chapelle des sœurs où j'avais pris pension, je priai avec ferveur pour la paix de son âme et offris aussi ma communion à cette intention. Mais pendant la journée, j'éprouvai un certain malaise qui augmenta, vers le soir, encore plus. Je m'endormis inquiète. Finalement, je fus réveillée comme par un coup violent. J'allumai la lumière. La pendule marquait minuit dix. Je ne vis personne. Aucun bruit ne s'entendait dans la maison. Seules les eaux du lac de Garde se brisaient d'une façon monotone sur la rive du jardin de la pension. On n'entendait pas même une brise au vent. Pourtant, au moment de mon réveil subit, en plus du coup, j'avais cru percevoir un bruit comme celui du vent, semblable à celui qui se produisait quand mon chef de bureau, agacé, me passait une lettre de mauvaise manière. Je me tournai de l'autre côté, récitai quelques Pater pour les âmes du Purgatoire et me rendormis. J'eus un songe. (« De Dieu peut dépendre parfois la cause spirituelle d'un songe ; il peut, par le ministère des anges, utiliser les songes lorsqu'il désire révéler quelque chose aux hommes. » (Saint THOMAS, Somme Théologique, II-II, q. 95, a. 6.).

      Je rêvais que je m'étais levée le matin vers 6 heures pour aller à la chapelle de la maison, quand, en ouvrant la porte de ma chambre j'aperçus une liasse de papier à lettre.

      La ramasser, reconnaître l'écriture d'Annette et jeter un cri ne fut qu'une même chose. Les feuilles en main, j'étais tremblante. Je compris qu'avec un tel état d'esprit, je ne pourrais pas même dire un Pater, d'autant que je fus également assaillie comme par une sensation asphyxiante. Je ne trouvai pas de meilleure solution que de sortir dehors à l'air. J'ordonnais un peu mes cheveux, je cachai la lettre dans mon sac et laissai la maison. Une fois dehors, je grimpai par le sentier qui, de là, à partir de la route (la fameuse « Gardesana ») s'élève vers la montagne parmi les oliviers, les jardins des villas et les buissons de lauriers. Le matin se levait lumineux. Les autres fois, tous les cent pas, je m'extasiais sur la vue magnifique qui, de là, s'ouvrait sur le lac et l'île de Garde, belle comme une fable. La merveilleuse couleur bleue de l'eau transparente me délassait toujours. Et je regardais étonnée la blanche montagne Baldo, qui, de l'autre côté, s'élevait lentement de 64 mètres au-dessus du niveau de la mer jusqu'à plus de 2200 mètres.

      Maintenant, au contraire, je n'avais aucun regard pour tout cela. Après un quart d'heure de route, je me laissai tomber mécaniquement sur un banc qui s'appuie sur deux cyprès où, encore deux jours auparavant, j'avais lu avec tant de plaisir la Junger Therese de Federer (H. FEDERER (1866-1928), prêtre, romancier, populaire : Thérèse, la jeune fille d'âge mûr, 1913). Alors, pour la première fois, je ressentis que les cyprès étaient les arbres des morts ; ce qu'auparavant, dans les pays du sud où ils se voient souvent, je n'avais jamais soupçonné.

      Je pris la lettre. La signature manquait, mais c'était très certainement l'écriture d'Annette. Il ne manquait pas même l'ample boucle ornementale des S et des T dont elle avait pris l'habitude au bureau pour contrarier M. Gr. Le style n'était pas le sien, ou tout du moins, elle ne parlait pas comme à son habitude, parce qu'elle savait converser d'une façon extraordinairement aimable et rire de ses yeux célestes. C'était seulement quand nous discutions de questions religieuses qu'elle pouvait devenir venimeuse et prendre le ton dur de cette lettre. (Voici qu'en la jugeant ainsi, je subis moi-même l'amertume de son style impitoyable.)

      Cet écrit du monde de l'au-delà, je le rapporte ici, littéralement comme je l'ai lu alors. Il se présentait ainsi :

      « Claire, ne prie plus pour moi ! Je suis damnée. Si je te le communique et t'en réfère plutôt longuement, ne crois pas que cela soit à titre d'amitié. Nous, ici, nous n'aimons plus personne. Je le fais comme contrainte à bien faire car « je suis du côté de cette puissance qui toujours veut le Mal et fait le Bien » (Parole de Méphistophélès dans Faust de Goethe.)

      En vérité, je te voudrais voir aussi aboutir à cet état où moi, désormais, j'ai été l'ancre pour toujours. (« Les Damnés voudraient que tous les bons soient damnés. » (Saint THOMAS, Supplément à la Somme Théologique, Éd. Du Cerf, Revue des jeunes, 1961, q. 98, a. 7,). Ne t'étonne pas de cette intention, ici, nous pensons tous ainsi ; notre volonté est fixée dans le mal - tout du moins, en ce que vous, vous appelez mal. Aussi, quand nous faisons quelque chose de « bien », comme moi maintenant, en t'ouvrant tout grand les yeux sur l'enfer, cela ne procède pas d'une bonne intention. (« La volonté délibérative vient d'eux-même [les damnés] [...] Et cette volonté est en eux seulement mauvaise. » (Ibid, q. 98, a. 1, rép.). Te souviens-tu, qu'il y a quatre ans, nous nous sommes connues à ***? tu avais alors 23 ans et tu te trouvais déjà là depuis six mois quand j'arrivais.

      Tu me tirais de quelque embarras ; en tant que débutante, tu me donnais de bonnes adresses. Mais que veut dire « bon » ? Je louais alors « ton amour du prochain ». Ridicule !

      Ton secours dérivait d'une pure courtoisie comme du reste, déjà, je le soupçonnais. Ici, nous ne reconnaissons rien de bon, en personne.

      Tu connais le temps de ma jeunesse. Je comblerai quelques lacunes. Selon le plan de mes parents, à dire vrai, je n'aurai jamais dû exister. Ce fut pour eux proprement une « disgrâce ». Quand j'arrivai au monde, mes deux sœurs avaient 14 et 15 ans.

      Puissè-je n'être jamais née ! Puissè-je maintenant être anéantie et fuir ces tourments ! Aucune volonté n'égalerait celle avec laquelle je laisserais mon existence comme un vêtement de cendre, se répandant dans le néant. (« Il vaut mieux n'être pas que d'être mal. Et ainsi les damnés peuvent choisir de ne plus exister » (Ibid., q. 98, a. 3). « Ne pas exister est le pire des maux. Cependant, la privation de l'existence est un grand bien si elle entraîne la privation du plus grand des maux : ainsi considérée, on peut la préférer à l'existence » (Ibid., q. 98, a. 3, ad 3.).

      Mais je dois exister. Je dois exister ainsi, comme je me suis faite, avec une existence manquée.
      Quand papa et maman, encore jeunes, quittèrent la campagne pour la ville, tous deux avaient perdu le contact avec l'Église, et ils sympathisèrent avec des gens éloignés de la foi ; ce fut mieux ainsi.

      Ils s'étaient connus dans un lieu dansant et six mois après, ils « durent » se marier. De la cérémonie nuptiale, il ne leur resta que juste assez d'eau bénite pour que maman allât à la messe du dimanche, environ deux fois par an. Elle ne m'a jamais enseigné à prier vraiment, tout se terminait avec les soucis de la vie quotidienne, bien que notre condition fût aisée.

      Des mots comme : prier, messe, eau bénite, église, je les écris avec une répugnance intérieure sans pareille. J'abhorre tout cela, comme j'abhorre ceux qui fréquentent l'Église, et en général, tous les hommes et toutes les choses. De tout, en effet, nous vient le tourment. Chaque connaissance, chaque souvenir de choses vues et sues est pour nous la cause d'une flamme cruelle. (« Il n'y aura rien, chez les damnés, qui ne soit pour eux matière et cause de tristesse [...] Ainsi, chez les damnés, il y aura une considération des choses connues auparavant, mais comme source de tristesse et non de délectation » (Ibid., q. 98, a. 7, rép.). Dans chacun d'eux en particulier, nous voyons le côté qui était la grâce, grâce que nous avons méprisée. Quel tourment est cela !

      Nous ne mangeons pas, nous ne dormons pas, nous ne marchons pas avec des pieds. Spirituellement enchaînés, nous regardons hébétés, avec hurlement et grincement de dents, notre vie manquée, haineux et tourmentés !

      M'entends-tu ? Nous buvons la haine comme l'eau, la haine, même entre nous. (« Chez les damnés [règne] la plus parfaite haine » (Ibid., q. 98, a. 4, rép.). )

      Surtout, nous haïssons Dieu. Je veux te l'expliquer. Les bienheureux, au ciel, ne peuvent pas ne pas l'aimer, parce qu'ils le voient sans voile, dans sa beauté éblouissante. Cela les rend tellement heureux, qu'il est impossible de le décrire. Nous le savons et cette connaissance nous rend furieux. (« Les damnés, avant le jour du jugement, verront les bien-heureux dans la gloire, mais non de telle sorte qu'ils comprennent quelle est leur gloire, mais en sachant qu'ils sont dans une gloire inestimable » (Ibid., q. 98, a. 9, rép.). ).

      Les hommes sur la terre, qui connaissent Dieu par la création et par la révélation, peuvent l'aimer, mais ils n'y sont pas contraints.

      Le croyant, je le dis en grinçant des dents, qui, en méditant, contemple le Christ en croix avec les bras étendus, finira par l'aimer.

      Mais celui vers lequel Dieu s'avance seul comme un ouragan, comme punisseur, comme juste vengeur, parce qu'un jour il a été répudié par Lui, ainsi qu'il est advenu de nous, celui-là ne peut que le haïr, avec toute l'impétuosité de sa volonté mauvaise, éternellement. (« Les damnés n'ont de haine pour Dieu qu'à cause de sa punition et de son interdiction, qui correspondent à leur volonté mauvaise : ils ne le considèrent donc que comme celui qui punit et qui interdit » (Ibid., q. 98, a. 8, ad 1). « Les damnés, qui voient Dieu à travers les effets de sa justice, c'est-à-dire dans leur châtiment, le haïssent, comme ils haïssent leur tourment » (Ibid., q. 98, a. 5, rép.). ). Le haïr avec la vigueur d'une libre résolution d'être séparé de Lui, résolution avec laquelle, en mourant, nous avons exhalé notre âme, et que, pas même maintenant nous ne retirerions et que jamais nous n'aurons la volonté de retirer.

      Comprends-tu, maintenant, pourquoi l'enfer dure éternellement ? C'est parce que notre obstination ne cessera jamais.

      Contrainte, j'ajoute que Dieu est miséricordieux même pour nous. Je dis « contrainte » parce que, tout en écrivant cette lettre de propos délibéré, il ne m'est cependant pas permis de mentir, comme je le voudrais volontiers. Je mets beaucoup de choses sur le papier contre ma volonté. Ainsi, l'emportement d'injures que je voudrais vomir, je dois l'étrangler.

      Dieu est miséricordieux envers nous en ne nous laissant pas continuer à répandre sur la terre notre volonté mauvaise comme nous aurions été prêts à le faire. Cela aurait augmenté nos fautes et par suite, nos souffrances. Il nous fait mourir prématurément comme il l'a fait pour moi, ou bien il fait intervenir d'autres circonstances atténuantes.

      Il se montre encore miséricordieux envers nous en ne nous contraignant pas à nous approcher de Lui plus que nous le sommes en ce lieu retiré de l'enfer, cela diminue le tourment. (« Dans la damnation même des réprouvés, la miséricorde de Dieu apparaît, non pour une relaxe totale, mais pour une certaine atténuation, car Dieu punit en deçà de ce qui est mérité » (Saint THOMAS D'AQUIN, Somme Théologique, Éd. du Cerf, 1984, I, q. 21, a. 4, ad 1). ).

      Chaque pas qui m'approcherait davantage de Dieu m'occasionnerait une peine plus grande que celle qui t'arriverait pour un pas plus près d'un brasier ardent.

      Tu avais été épouvantée, quand une fois, pendant une promenade, je te racontais que mon père, peu de jours avant ma première communion, m'avait dit : « Cherche à obtenir un beau vêtement, ma petite Annette, le reste n'est que comédie. »

      À cause de ton épouvante, j'en ai eu presque honte. Maintenant, je m'en moque.
      L'unique raison de cela était que l'on n'admettait à la Communion qu'à dix ans seulement. À ce moment, j'étais, en ce qui me concerne, passablement prise par la manie des amusements du monde, de sorte que, sans scrupule, je me moquais des choses religieuses et je ne donnais pas grande importance à la première communion.

      Que beaucoup d'enfants aillent maintenant recevoir l'hostie dès l'âge de sept ans, nous met en fureur. Et nous faisons tout pour donner à entendre aux gens que les enfants de cet âge n'ont pas la raison suffisante. Ceux-ci doivent d'abord commettre quelque péché mortel. Alors la blanche particule ne fait plus en eux grand dommage, comme lorsque leur cœur vit encore de la foi, de l'espérance et de la charité – pouah ! Quelle pensée ! - reçues au baptême. Te souviens-tu que déjà sur terre je soutenais cette opinion ?

      Je viens de parler de mon père. Souvent, il était en dispute avec ma mère. Je t'y faisais allusion, mais très rarement, parce que j'en avais honte. Chose ridicule d'avoir honte du mal ! Pour nous, ici tout est pareil.
      Mes parents ne dormaient même plus dans la même chambre ; j'étais avec ma mère et mon père restait dans la chambre voisine où il pouvait rentrer librement, à n'importe quelle heure. Il buvait beaucoup et de telle façon qu'il dissipait tout notre avoir. Mes sœurs travaillaient toutes les deux, mais tout l'argent qu'elles gagnaient leur était nécessaire, disaient-elles. Aussi ma mère commença-t-elle à travailler de son côté pour gagner quelque chose.

      Dans sa dernière année de vie, mon père battait souvent ma mère quand celle-ci ne voulait rien lui donner. À mon égard, au contraire, il était toujours affable. Un jour, je te l'ai raconté, et tu t'es choquée de mon caprice (au reste, de quoi ne t'es-tu pas choquée à mon sujet ?), un jour, donc, il dut rapporter au moins deux fois les souliers qu'il m'avait achetés parce que la forme et les talons n'étaient pas assez modernes. (Les détails précédents au sujet du père d'Annette et l'épisode suivant sont des faits constatés.).

      La nuit pendant laquelle mon père fut frappé d'une apoplexie mortelle, il m'advint quelque chose que, par crainte d'une mauvaise interprétation de ta part, je n'ai jamais osé te confier. Mais maintenant tu dois le savoir. C'est important parce qu'alors, pour la première fois, je fus assaillie de mon esprit tourmenteur actuel. Je dormais dans la chambre de ma mère. Ses respirations régulières indiquaient son profond sommeil, quand voici que je m'entendis appeler par mon nom. Une voix inconnue me disait : « Qu'arrivera-t-il si ton père meurt ? »

      Je n'aimais plus mon père depuis qu'il traitait si vilainement ma mère, comme du reste, je n'aimais, dès lors, absolument, plus personne ; j'étais seulement affectionnée à certaines qui étaient bonnes pour moi. L'amour, sans espoir de retour terrestre, existe seulement dans les âmes en état de grâce. Et moi je ne l'étais pas.

      Je répondis à la mystérieuse demande sans savoir d'où elle venait : « Mais il ne meurt pas ! »

      Après une brève pause, la même demande se fit clairement percevoir. La même réponse : « Mais il ne meurt pas ! » m'échappa encore brusquement de la bouche. Pour la troisième fois, il me fut demandé : « Qu'arrivera-t-il si ton père meurt ? » Il me vint à l'esprit comment mon père venait souvent à la maison en état d'ivresse, tempêtait et maltraitait ma mère et comment il nous avait mises dans une condition humiliante vis-à-vis de notre entourage. Indisposée, je criai : « Je m'en moque ! » Alors tout se tut. Dans la matinée, quand ma mère voulut mettre en ordre la chambre de mon père, elle trouva la porte fermée à clef. Vers midi, on la força. Le cadavre de mon père, à demi vêtu, gisait sur le lit. En allant prendre la bière à la cave, il avait dû lui arriver quelque accident. Depuis longtemps il était en mauvais état de santé. (Dieu avait-il donc lié la conversion de cet homme, bon d'une certaine façon pour sa fille, à la volonté de celle-ci ?)

      Marthe et toi, vous m'aviez persuadée d'entrée dans l'association des jeunes. Je n'ai jamais caché que je trouvais bien accordé à la mode paroissiale les instructions des deux directrices. Les jeux étaient amusants. Comme tu sais, j'y eus tout de suite un rôle de direction. Cela suivait mon inclination naturelle. Les promenades aussi me plaisaient. Je me laissais faire jusqu'à aller quelque-fois à la confession et à la communion.

      À dire vrai, je n'avais rien à confesser. Pensées et discours, pour moi, n'avaient pas d'importance, et pour les actions plus grossières, je n'étais pas encore assez corrompue.

      Une fois, tu m'avertis : « Anne, si tu ne pries plus assez tu vas à la perdition. » Je priais vraiment peu et seulement d'une façon nonchalante. Maintenant je sais que tu avais vraiment raison. Tous ceux qui brûlent en enfer n'ont pas prié, ou prié insuffisamment.

      La prière est le premier pas vers Dieu. Et il demeure le pas décisif. Spécialement la prière à Celle qui fut la Mère du Christ et dont nous ne prononçons jamais le nom. Sa dévotion arrache au démon d'innombrables âmes que le péché devrait infailliblement jeter entre ses mains.

      Je poursuis en me consumant de colère et seulement parce que je le dois. Prier est la chose la plus facile que l'homme puisse faire sur la terre. Et c'est justement à cette chose très facile que Dieu a lié le salut de chacun. À qui prie avec persévérance, peu à peu, Il donne tant de lumières et le fortifie de manière telle, qu'à la fin, même le pécheur le plus endurci peut définitivement se relever, fût-il enfoncé dans la boue jusqu'au cou. Dans les dernières années de ma vie, je n'ai plus prié comme je le devais et ainsi, je me suis privée de la grâce, sans laquelle personne ne peut se sauver. Ici, nous ne recevons plus aucune grâce, au reste, même si nous en recevions, nous les refuserions cyniquement.

      Toutes les fluctuations de l'existence terrestre ont cessé en cette vie. Pour vous, sur la terre, vous pouvez monter d'un état de péché à l'état de grâce ; de la grâce tomber dans le péché souvent par faiblesse, quelquefois par malice. Avec la mort, ces changements sont finis, parce qu'ils ont pour cause l'instabilité de l'homme terrestre. Désormais, nous avons rejoint l'état final. Déjà, avec la croissance des ans, les changements deviennent plus rares. Il est vrai que jusqu'à la mort on peut toujours se retourner vers Dieu ou s'en détacher. Cependant, entraîné par l'habitude, l'homme, avant de mourir, avec ses derniers faibles restes de volonté, se comporte comme il en avait l'habitude pendant sa vie. L'habitude devenue une seconde nature, il se laisse entraîner par elle. C'est ainsi qu'il advint pour moi. Depuis des années, je vivais loin de Dieu. À cause de cela, au moment du dernier appel de la grâce, je me tournai contre Dieu. Ce n'est pas le fait que je péchais souvent qui fut pour moi fatal, mais plutôt que je ne voulais plus me relever. Plusieurs fois, tu m'as averti d'écouter les prédications, de lire des livres de piété. « Je n'ai pas le temps », était ma réponse ordinaire, rien d'autre n'augmentait davantage mon incertitude intérieure.

      Du reste, je dois constater que lorsque je quittai l'association des jeunes, l'orientation était déjà tellement avancée qu'il m'aurait été extrêmement pénible de me mettre sur une autre voie. Je me sentais dans l'insécurité et non heureuse, mais devant la conversion surgissait une muraille. Tu ne soupçonnais pas cela ; tu considérais le retour à Dieu comme une chose très simple ; un jour, en effet, tu me dis : « Mais fais donc une bonne confession, Annette, et tout ira bien après. » Je sentais qu'il en serait ainsi, mais le monde, la chair me tenaient déjà fortement dans leurs griffes. Je n'aurai jamais cru à l'influence du démon. Et maintenant j'atteste qu'il influe considérablement sur les personnes qui se trouvent dans les conditions où je me trouvais alors. Seulement beaucoup de prières, faites par les autres et moi-même, jointes à des sacrifices et souffrances, auraient pu m'en arracher. Et même cela, peu à peu seulement. Si l'on voit peu de possédés extérieurement. Il y en a de très nombreux qui le sont intérieurement. Le démon ne peut ravir la libre volonté à ceux qui se donnent à son influence, mais en punition de leur apostasie, pour ainsi dire, méthodique de Dieu, Dieu permet que le « Malin » se mette en eux. Je hais même le démon et pourtant il me plaît, parce qu'il cherche à vous ruiner, vous autres, lui et ses satellites, les esprits tombés avec lui au commencement du temps. Ils sont innombrables, et rôdent sur la terre, ils dansent comme un essaim de mouches et vous ne vous en apercevez même pas. (« Frères, soyez sobres et veillez parce que votre adversaire, le diable, rôde autour de vous comme un lion rugissant en quête de quelqu'un à dévorer » (1 P 5, 8). « Revêtez-vous des armes de Dieu pour pouvoir résister aux embûches du démon. Ce ne sont pas, en effet, des hommes que nous avons à combattre mais les Principautés et les Puissances, les maîtres de ce monde de ténèbres, les mauvais esprits répandus dans les airs » (Ep. 6, 11-12).) Ce n'est pas à nous, réprouvés, de vous tenter ; cela est réservé aux esprits tombés. (« Il n'appartient pas au rôle des hommes damnés d'attirer les autres à damnation, comme cela appartient aux démons » (Saint Thomas, Supplément à la Somme Théologique, q. 98, a. 6, ad 2).). À la vérité, cela accroît encore davantage leur tourment chaque fois qu'ils entraînent ici une âme. Mais que ne fait pas la haine ! (« Bien que la souffrance de chaque damné soit accrue par leur multitude, pourtant la haine et l'envie se développent chez eux à tel point qu'ils préféreront mourir davantage avec un plus grand nombre que de souffrir moins, mais en étant seuls » (Ibid., q. 98, a. 4, ad 3). ). Je marchais dans des sentiers éloignés de Dieu et pourtant Dieu me poursuivait. J'aplanissais la voie à la grâce en raison d'actes de charité naturelle que j'accomplissais assez souvent par simple inclination. Quelquefois, Dieu m'attirait vers une église ; alors je sentais comme une nostalgie. Quand je soignais ma mère malade, malgré mon travail de bureau durant la journée, d'une certaine façon je me sacrifiais vraiment, alors les attraits de Dieu agissaient puissamment. Une fois, dans l'église de l'hôpital dans laquelle tu m'avais conduite pendant l'arrêt de travail de midi, il m'arriva une chose qu'alors il n'aurait fallu qu'un pas pour que j'en vienne à me convertir : j'ai pleuré. Mais la joie du monde passait de nouveau comme un torrent par-dessus la grâce, le bon grain suffoquait vraiment parmi les épines. Sous le prétexte que la religion était affaire de sentiment, comme on disait souvent au bureau, je rejetais encore cette notion de grâce comme toutes les autres. Une fois, tu m'as attrapée parce que, à la place d'une génuflexion jusqu'à terre, je fis à peine une informe courbette en pliant le genou. Tu pensais que c'était un acte de paresse et ne semblais pas même suspecter qu'alors je ne croyais déjà plus à la présence du Christ dans le Saint-Sacrement. Maintenant, j'y crois, mais seulement d'une façon naturelle, comme on croit à un orage dont on entend les effets. En attendant, je m'étais accommodée d'une religion à ma façon. Je soutenais l'opinion, qui parmi nous au bureau était commune, que l'âme après la mort allait dans un autre être, de façon qu'elle continuait ainsi à pérégriner sans fin. Avec cela, l'angoissante question de l'Au-delà était résolue et rendue inoffensive. Pourquoi ne me rappelais-tu pas la parabole du riche opulent et du pauvre Lazare, dans laquelle le Christ envoie immédiatement après la mort, l'un en enfer, l'autre au paradis ?... Il est vrai que tu n'aurais rien obtenu, rien de plus qu'avec tes autres discours de bigote.

      Peu à peu, je me créais à moi-même un dieu suffisamment étoffé pour être appelé Dieu ; assez éloigné de moi pour ne devoir maintenir aucune relation avec lui, assez vague pour le laisser, selon le besoin, ressembler à un dieu panthéiste ou bien pour se laisser poétiser comme un dieu solitaire. Ce dieu n'avait aucun paradis pour me récompenser ni aucun enfer à m'infliger. Je le laissais en paix. En cela consistait mon adoration pour lui.

      On croit volontiers à ce qui plaît, aussi au cours des ans je me tins suffisamment convaincue de ma religion pour n'en avoir pas de souci. Une chose seulement aurait pu briser mon obstination, une longue et profonde douleur. Et cette douleur n'est pas venue ! Comprends-tu maintenant ce que veut dire « Dieu châtie ceux qu'il aime » ?

      Un dimanche de juillet, l'association des jeunes organisa une excursion à ***. Elle m'aurait bien plu, mais ses fades discours, ce comportement de bigotes, m'en ont détournée. D'ailleurs, une autre image bien différente de celle de la Madone demeurait depuis quelque temps sur l'autel de mon cœur : l'attrayant Max du magasin voisin ; déjà nous avions plaisanté ensemble plusieurs fois. Or, précisément pour ce dimanche, il m'avait invitée à une promenade. Celle avec laquelle il allait d'habitude était malade à l'hôpital. Il avait bien compris que j'avais mis les yeux sur lui. Je ne pensais pas encore à l'épouser toutefois. Il était certainement riche mais il se comportait trop gentiment avec toutes les filles. Et moi, jusqu'à ce moment, je voulais un homme qui m'appartînt uniquement. Non seulement être sa femme, mais sa femme unique. J'ai toujours eu, en effet, un certain goût naturel pour la bienséance. (Il est vrai, Annette, malgré toute son indifférence religieuse, avait quelque chose de noble dans son comportement. Je m'épouvante à la pensée que même des personnes bien éduquées peuvent aller en enfer, quand, par ailleurs, elle le sont, en fait, si mal qu'elles fuient Dieu.) Au cours de la promenade susdite, Max se prodigua en gentillesses. Et l'on ne s'en tint nullement à des conversations de prêtres comme vous. Le jour suivant, au bureau, tu me faisais des reproches parce que je n'étais pas venue avec vous. Je te racontai mon divertissement de ce dimanche. Ta première demande fut : « As-tu été à la messe ? » Sottise ! Comment pouvais-je, étant donné que le départ avait été fixé pour six heures ? Tu sais encore, comment, excitée, j'ajoutai : « Le Bon Dieu ne fait pas attention ainsi à ces bagatelles comme vos prêtres. » Maintenant, je dois confesser : « Dieu, malgré sa bonté infinie, pèse les choses avec une plus grande précision qu'eux tous. »

      Après cette première promenade avec Max, je vins encore une seule fois à l'association, à Noël, pour la célébration de la fête ; c'était quelque chose qui me plaisait suffisamment pour revenir encore, mais intérieurement j'étais déjà étrangère à vous autres. Cinéma, bals, promenades se succédaient constamment. Avec Max, nous nous disputions quelquefois, mais je sus toujours l'enchaîner à moi de nouveau. J'eus beaucoup de mal avec l'autre amie qui, au retour de l'hôpital, se comportait auprès de lui comme une obsédée. Ce fut un avantage pour moi car mon noble calme, par opposition, fit une profonde impression sur Max qui finit par décider que je serais la préférée. J'avais su la lui rendre odieuse en parlant froidement ; positive à l'extérieur et vomissant le venin à l'intérieur. De tels sentiments, une telle conduite préparent excellemment à l'enfer. Ils sont diaboliques, dans le sens le plus étroit du mot. Pourquoi je te raconte cela ? C'est pour te dire comment je me détachai définitivement de Dieu.

      Entre moi et Max, nous n'étions pas arrivés souvent à la très grande familiarité. Je comprenais que je me serais abaissée à ses yeux si je m'étais laissée aller complètement avant le temps, c'est pourquoi je sus me maintenir. J'étais prête à tout, je devais le conquérir. À cette fin, rien ne m'était trop cher. En outre, peu à peu, nous nous aimions, possédant l'un et l'autre de précieuses qualités, qui nous faisaient nous apprécier réciproquement. J'étais habile et capable, d'une agréable compagnie, aussi je le tins solidement attaché et réussis, au moins dans les derniers mois avant notre mariage, à être l'unique à le posséder.

      En cela consistait mon apostasie de Dieu, d'avoir fait d'une créature mon idole. Jamais une chose pareille ne peut arriver entièrement que dans l'amour d'une personne pour l'autre sexe lorsque cet amour reste enfermé dans les satisfactions purement terrestres ; c'est aussi ce total abandon qui forme son attrait, son stimulant et son venin. Pour moi, en la personne de Max, cette adoration de moi-même me devint une religion vécue. Pendant ce même temps, au bureau, je me lançai avec âcreté contre tout ce qui était d'église, les prêtres, les indulgences, le marmonnement du chapelet et semblables sottises. Tu cherchais, avec plus ou moins d'esprit, à prendre la défense de ces choses, sans soupçonner, semblait-il, que dans l'intime, je n'argumentais pas à la vérité contre elles mais je cherchais plutôt un soutien contre ma conscience - j'avais alors besoin d'un tel soutien pour justifier mon apostasie par la raison.

      Tout au fond, je me révoltais contre Dieu. Tu ne le comprenais pas ; je me tenais encore pour catholique et désirais être appelée ainsi ; j'allais même jusqu'à payer les taxes ecclésiastiques. Une certaine contre-assurance ne pouvait me nuire, pensais-je. Il arrivait parfois que tes réponses me frappaient mais elles n’avaient pas prise sur moi parce que tu ne « devais » pas avoir raison. En raison de ces fausses relations, nous avons eu, l'une et l'autre, peu de regret lorsque nous nous sommes séparées à l'occasion de mon mariage.

      Avant cette cérémonie, je me confessai et communiai encore une fois, comme c'était prescrit. Moi et mon mari, nous pensions la même chose sur ce point. Pourquoi ne pas accomplir ces formalités ? Nous nous y soumîmes comme à toutes les autres. Vous appelez indigne une telle communion. Eh bien, après l'avoir faite, j'eus plus de calme dans la conscience. Ce fut du reste la dernière.

      Notre vie conjugale se passait, la plupart du temps, en grande harmonie. Sur toutes ces questions, nous étions du même avis. En particulier, sur ce point que nous ne voulions pas endosser la charge d'élever des enfants. À la vérité, mon mari en aurait volontiers eu un, mais pas plus, bien sûr. À la fin, je sus le dissuader encore de ce désir. Vêtements, meubles de luxe, promenades, voyages en auto et semblables distractions m'importaient bien davantage.

      Ce fut une année de plaisir sur la terre que ce temps entre mon mariage et ma mort soudaine.
      Chaque dimanche nous allions en voiture ou bien nous rendions des visites aux parents de mon mari. (J'avais honte désormais de ma mère.) Ceux-ci glissaient à la surface de l'existence, ni plus ni moins que nous. Intérieurement, je ne me sentais jamais heureuse, cependant, extérieurement, je riais. C'était toujours, au-dedans de moi, quelque chose qui me rongeait. J'aurais voulu qu'après la mort, laquelle, naturellement, devait être encore bien lointaine, tout fût fini.

      Étant enfant, j'entendis un jour, au cours d'un sermon, que Dieu récompense toute bonne œuvre que chacun accomplit et, quand il ne pourra la récompenser dans l'autre vie, il le fait sur la terre ; cela est très exacte.

      Inopinément, j'eus un héritage de la tente « Lotte » et mon mari réussit à obtenir des émoluments très honorables. Je pus alors arranger ma nouvelle habitation d'une façon attrayante. La religion ne m'envoyait plus que de loin sa lumière, pâle, faible et incertaine.

      Les cafés des villes, les hôtels dans lesquels nous allions durant les voyages ne nous portaient certainement pas à Dieu. Tous ceux qui fréquentaient ces lieux, vivaient comme nous de l'extérieur à l'intérieur, mais non de l'intérieur à l'extérieur. (L'extérieur envahissait l'intérieur au lieu que ce soit l'inverse.)

      Si, dans nos voyages, au moment des vacances, nous visitions quelque cathédrale, nous n'avions d'intérêt que pour son contenu artistique. L'atmosphère religieuse que nous respirions, spécialement dans ces monuments du Moyen Âge, je savais les neutraliser avec quelque critiques de circonstance ; un frère faisant l'office de guide, qui avait un maintien gauche ou n'était vêtu que peu proprement ; le scandale que des moines, qui se faisaient passer pour pieux, vendissent des liqueurs ; l'éternelle sonnerie des cérémonies sacrées pendant que l'on ne s'occupe que de faire de l'argent... De la sorte, je chassai de moi, à chaque fois, la grâce, dès qu'elle passait. Je laissai libre cours à ma mauvaise humeur, en particulier à propos de certains tableaux médiévaux de l'enfer, dans les cimetières ou ailleurs, dans lesquels le démon grille les âmes sur les charbons incandescents tandis que ses compagnons aux longues queues entraînent d'autres victimes avec de longues cordes. Claire ! On peut se tromper pour peindre l'enfer, mais on n'exagère jamais !

      Le feu de l'enfer, je l'ai toujours eu en vue d'une façon spéciale. Tu sais comment, durant une altercation à ce propos, je te tins une allumette sous le nez et te dis avec sarcasme : « A-t-elle l'odeur de l'enfer ? » Tu as éteint en hâte la flamme. Ici, personne ne l'éteint !

      Le feu, je te le dis moi-même, ne signifie pas le tourment de la conscience. Le feu est le feu. Cette parole de l'Évangile est à entendre littéralement : « Éloignez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel ! » Littéralement !

      Comment un esprit peut-il être touché par le feu matériel, demanderas-tu. Comment peut souffrir ton âme sur la terre quand tu mets le doigt sur une flamme ? De fait, l'âme ne brûle pas ; et pourtant, quel tourment en éprouve tout l'individu !

      De façon analogue, nous ici, nous sommes spirituellement liés au feu, selon notre nature et selon nos facultés. L'âme est privée de sa liberté naturelle ; nous ne pensons pas ce que nous voulons (« [Le feu] devient le châtiment de l'âme, lui interdisant l'exercice de sa volonté, l'empêchant d'agir où elle veut et comme elle veut » (Ibid., q. 70, a. 3, rép.). ) ni comme nous le voulons.

      Ne regarde pas hébétée ces lignes ; cet état, qui à vous autres ne dit rien, me brûle sans me consumer.

      Notre plus grand tourment consiste dans la certitude que nous avons que nous ne verrons Dieu, jamais.

      Comment cela peut-il nous tourmenter autant, alors que sur la terre on y demeure aussi insensible ? Tant que le couteau reste étendu sur la table, on reste indifférent. On voit s'il est affilé, on ne l'éprouve pas. Que le couteau te transperce et tu te mettras à crier de douleur. Maintenant nous souffrons la perte de Dieu; avant nous y pensions seulement.

      Toutes les âmes ne souffrent pas d'une égale façon. D'autant plus pernicieusement et d'autant plus systématiquement quelqu'un a péché, d'autant plus gravement pèse sur lui la perte de Dieu et d'autant plus la suffoque la créature dont elle a abusé.

      Les catholiques damnés souffrent plus que ceux des autres religions parce que, le plus souvent, ils ont reçu et méprisé plus de grâces et de lumières.

      Celui qui savait plus, souffre plus durement que celui qui savait moins. Ceux qui tombent par malice pâtissent plus cruellement que ceux qui tombent par faiblesse. Mais personne ne souffre plus que ce qu'il a mérité. Oh ! Si du moins, cela n'était pas vrai ! J'aurais au moins une raison de haïr !

      Tu me disais un jour que personne ne va en enfer sans le savoir. Cela aurait été révélé à une sainte. Moi, j'en riais, mais ensuite, je me retranchai derrière cette déclaration : « De cette façon, en cas de nécessité, me disais-je secrètement, j'aurais toujours la possibilité de faire volte-face. »

      Cette pensée est juste. Vraiment, avant ma fin subite, je ne connus pas l'enfer comme il est. Aucun mortel ne le connaît. Mais j'en avais la pleine conscience. « Si tu meurs, tu vas dans le monde de l'Au-delà tout droit comme une flèche contre Dieu. Tu en porteras les conséquences. »

      Je n'en changeai pas pour autant parce qu'enracinée par la force de l'habitude, comme je te l'ai dit déjà, j'étais poussée, entraînée par elle. Plus les hommes vieillissent, plus ils aiment leurs habitudes... Ma mort vint ainsi !

      Il y a une semaine, je parle selon que vous comptez ; en regard à la douleur, je pourrais dire très bien que je brûle en enfer déjà depuis dix ans. Il y a une semaine, donc, mon mari et moi, nous faisions pendant ce dimanche une promenade, la dernière.

      Le jour pointait radieux. Je me sentais bien autant que jamais. Un sinistre sentiment de bonheur m'envahit qui serpentait en moi durant toute la journée. Quand voici qu'à l'improviste, pendant le retour, mon mari fut ébloui par une auto qui venait à toute allure. Il perdit le contrôle. « Jésus » me sortit des lèvres comme un frisson ; non comme une prière, mais comme un cri. Une douleur déchirante m'opprimait toute. Et, en regard de celle d'à présent, c'était une bagatelle. Puis, je perdis les sens. Il est étrange que pendant cette matinée, il m'était venu encore à l'esprit, d'une façon inexplicable, cette pensée : « Tu pourrais encore une fois aller à la messe. » Elle retentissait en moi comme une imploration.

      Nettement et résolument mon « non » trancha le fil de mes pensées. « Avec toutes ces choses il faut en finir. Que j'en endosse toutes les conséquences ! » Maintenant je les porte.

      Ce qui advint après ma mort, tu le sais déjà. Le sort de mon mari, celui de ma mère, ce qui arriva de mon cadavre et le déroulement de mes funérailles, je les ai connus dans leur détail par le moyen des connaissances naturelles que nous avons ici. Ce qui arrive sur la terre, nous le savons seulement d'une façon assez vague. Mais ce qui nous touche de plus près, en quelque façon, nous le connaissons. Ainsi, je vois maintenant où tu séjournes. (L'âme séparée ne reçoit pas [...] une connaissance parfaite des choses, mais une sorte de connaissance générale et confuse » (Somme Théologique, q. 89, a. 3, rép.). « Quant aux âmes séparées, elles ne peuvent connaître par ces espèces que les singuliers avec lesquels elles ont eu un certain rapport ; soit par une connaissance antérieure, soit par quelque sentiment, soit par une relation naturelle, soit par une disposition divine » (Somme Théologique, I, q. 89, a. 4, rép.). )

      Moi-même, au moment de ma mort, je me réveillai soudainement du brouillard. Je me vis comme inondée d'une lumière éblouissante.

      J'étais au lieu même où gisait mon cadavre. Il arriva comme il arrive au théâtre lorsque, d'un coup, s'éteignent les lumières pour ne plus laisser voir que la scène. Le rideau se divise avec grand bruit et s'ouvre sur une scène inattendue, horriblement lumineuse, la scène de ma vie.

      Comme dans un miroir, mon âme se montra à elle-même les grâces méprisées, depuis ma jeunesse jusqu'au dernier « non » en face de Dieu. Je me sentis comme un assassin, auquel, durant le procès judiciaire, on vient apporter sa victime inanimée.

      Me repentir ? Jamais ! (« Les mauvais ne se repentiront pas de leur péché en soi, parce que le vouloir de la malice du péché demeure en eux ; ils se repentiront par accident, en tant qu'ils seront attristés de la peine subie à cause du péché » (Supplément à la Somme Théologique, q. 98, a. 2, rép.).

      En avoir honte ? Jamais !

      Pourtant, je ne pouvais non plus résister sous les yeux de Dieu que j'avais rejeté. Il ne me restait qu'une chose, la fuite.

      Comme Caïn s'enfuit du cadavre de son frère Abel, ainsi mon âme fut poussée dehors, loin de cette vue d'horreur. Ce fut le jugement particulier. L'invisible Juge disait : « Éloigne-toi de moi ! »

      Alors mon âme, comme une ombre, enduite de soufre, se précipita dans l'éternel tourment ! » (L'éternité des peines de l'enfer est une vérité de foi ; sans doute la plus terrible de toutes. « Alors le Fils de l'homme dira à ceux qui sont à sa gauche : « Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feu éternel » [...] et ils s'en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes, à la vie éternelle » (Mt 25, 41-46). « Lors de la révélation du Seigneur Jésus, ceux-là subiront la peine du châtiment éternel... » (2 Th 1, 9). « Les mauvais, auxquels sont réservés d'épaisses ténèbres pour l'éternité » (Jude, 13). « Si quelqu'un adore la bête et son image, et en prend la marque sur son front ou sur sa main, il boira, lui aussi, du vin de la fureur de Dieu, du vin pur versé dans la coupe de sa colère, et il sera tourmenté dans le feu, et la fumée de leur supplice s'élèvera aux siècles des siècles et il n'y aura de repos pour eux ni le jour ni la nuit » (Ap 14, 11). « Et ils seront tourmentés jour et nuit aux siècles des siècles » (Ap 20, 10). ).

      Alors, après l'âpre accent de ces lignes que j'avais cru lire, résonna doucement un bruit venant de la campagne.

      Je me réveillai en sursaut. J'étais encore au lit dans ma chambre. Par la fenêtre la lumière matinale pénétrait, tandis que de la paroisse arrivait le son de l'Angélus.

      Je ne réalisais pas encore ce qui m'était arrivé, mais jamais je ne ressentis un tel réconfort de l'angélique Salutation. Lentement, je récitai les trois Ave Maria. « Pour toi, me fut-il fortement inspiré, il faut te tenir attachée à la Mère bénie du Seigneur : tu dois honorer filialement Marie si tu ne veux pas subir le sort d'une âme qui ne verra jamais Dieu. »

      Encore tremblante après cette terrible nuit, je me levai, m'habillai en hâte et courus en bas par l'escalier dans la chapelle de la maison.

      Le cœur me battait jusque sous la gorge. Les quelques hôtes agenouillés près de moi me regardèrent ; mais peut-être pouvaient-ils penser que j'étais excitée pour avoir ainsi descendu l'escalier en courant.

      Une brave dame de Budapest, plutôt âgée, éprouvée par la souffrance, grêle comme un enfant, myope, mais expérimentée dans les choses spirituelles et fervente dans le service du Seigneur, durant l'après-midi, dans le jardin me dit en souriant : « Mademoiselle, Jésus, ne veut pas être servi avec si grand empressement ! » Mais ensuite elle s'aperçut que quelque chose d'autre m'avait agitée et m'agitait encore. Me calmant elle ajouta : « Ne vous troublez pas. Connaissez-vous la strophe de sainte Thérèse ?

Ne vous troublez pas,
Ne vous effrayez pas,
Tout passe,
Dieu seul ne change pas.
La patience arrive à tout.
À qui possède Dieu
Rien ne manque.
Dieu seul suffit. »

      Pendant qu'elle me disait doucement ces paroles lentement et sans vouloir m'instruire, il me parut qu'elle lisait dans mon âme : « Dieu seul suffit. »

      Oui, Lui seul doit me suffire, ici-bas et Là-haut. Je ne veux pas aller en enfer. Je veux le posséder un jour, quelque sacrifice qu'il puisse m'en coûter.

*

      On pourrait ajouter, en guise de conclusion, ces paroles de Bernanos extraites de son roman intitulé L'imposture, à la fin de la première partie :


      Nul n'est jeté à l'abîme, sans avoir repoussé, sans avoir dégagé son cœur de la main terrible et douce, sans avoir senti son étreinte. Nul n'est abandonné qui n'ait d'abord commis le sacrilège essentiel, renié Dieu non pas dans sa justice mais dans son amour. Car la terrible croix de bois peut se dresser d'abord au premier croisement des routes, pour un rappel grave et sévère, mais la dernière image qui nous apparaisse, avant de nous éloigner à jamais, c'est cette autre croix de chair, les deux bras étendus de l'ami lamentable, lorsque le plus haut des anges se détourne avec terreur de la Face d'un Dieu déçu.

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