La thèse de l'infaillibilité permanente du pape est solidement établie par des arguments de raison et d'autorité. De plus, cette thèse est confirmée par les faits: jamais aucun pape n'a dévié de la foi.
Que des papes aient erré dans la foi est une fable calomnieuse, inventée au XVIe siècle par un groupe d'historiens protestants appelés "centuriateurs de Magdebourg". Leurs mensonges furent repris par les gallicans, puis par les anti-infaillibilistes du XIXe siècle. "C'est le genre d'attaque adopté, il y a trois siècles, par les centuriateurs de Magdebourg. Comme, en effet, les auteurs et fauteurs des opinions nouvelles n'avaient pu abattre les remparts de la doctrine catholique, par une nouvelle stratégie, ils poussèrent l'Église dans les discussions historiques. L'exemple des centuriateurs fut renouvelé par la plupart des écoles en révolte contre l'ancienne doctrine, et suivi, ce qui est d'autant plus malheureux, par plusieurs catholiques [...]. On se mit à scruter les moindres vestiges d'antiquités; à fouiller partout les recoins des archives; à remettre en lumière des fables futiles, à répéter cent fois des impostures cent fois réfutées. [...] Parmi les plus grands pontifes, même ceux d'une vertu éminente ont été accusés et flétris [...]. Les mêmes trames ont cours aujourd'hui; et certes, plus que jamais, on peut dire en ce temps-ci que l'art de l'historien paraît être une conspiration contre la vérité" (Léon XIII: bref Saepenumero considerantes, 18 août 1883).
De 1868 à 1870 eut lieu une véritable bataille journalistique autour des "cas historiques" de papes qui auraient failli dans la foi. Les anti-infaillibilistes anglais, français et allemands s'attaquèrent en première ligne au pape Honorius 1er. Nous assistons "aujourd'hui à ces malheureux débats qui tendent à accuser sa mémoire et à flétrir indirectement le Siège de Pierre", se lamentait le Père Chéry, directeur de la Revue œcuménique du Vatican (in: Guérin: Concile œcuménique du Vatican. Son histoire, ses décisions en latin et enfrançais, Bar-le-duc et Paris 1877, p. 116).
Le Père Gratry, estimant qu'Honorius avait été hérétique, voulut empêcher la prononciation du dogme de l'infaillibilité pontificale. Il vouait à la géhenne ceux qui feraient fi de son interdiction: "Tous ceux qui, malgré ces raisons et ces faits, oseraient passer outre et prononcer dans les ténèbres, ceux-là rendront compte au tribunal de Dieu" (L'Univers, 19 janvier 1870).
Le bénédictin Dom Prosper Guéranger (érudit célèbre pour ses travaux sur la liturgie: Institutions liturgiques + L'année liturgique) réduisit à néant les accusations de Gratry (Défense de l'Église romaine contre les accusations du R.P. Gratry, Paris 1870). Une année auparavant, Dom Guéranger avait publié une étude solide sur les "cas historiques" des papes calomniés (La monarchie pontificale, Paris et Le Mans 1869). Le pape Pie IX l'en avait félicité chaleureusement, tout en déplorant la campagne de presse déclenchée par les anti-infaillibilistes: "Cette folie monte à cet excès qu'ils entreprennent de refaire jusqu'à la divine constitution de l'Église et de l'adapter aux formes modernes des gouvernements civils, afin d'abaisser plus aisément l'autorité du chef suprême que le Christ lui a préposé et dont ils redoutent les prérogatives [= l'infaillibilité et l'autorité]. On les voit donc mettre en avant avec audace, comme indubitables ou du moins complètement libres, certaines doctrines maintes fois réprouvées, ressasser d'après les anciens défenseurs de ces mêmes doctrines des CHICANES HISTORIQUES, DES PASSAGES MUTILÉS, DES CALOMNIES lancées contre les pontifes romains, des sophismes de tout genre. Ils remettent avec impudence toutes ces choses sur le tapis, sans tenir aucun compte des arguments par lesquels ON LES A CENT FOIS RÉFUTÉES.
Leur but est d'agiter les esprits, et d'exciter les gens de leur faction et le vulgaire ignorant contre le sentiment communément professé. Outre le mal qu'ils font en jetant ainsi le trouble parmi les fidèles et en livrant aux discussions de la rue les plus graves questions, ils nous réduisent à déplorer dans leur conduite une déraison égale à leur audace" (Pie IX: bref Dolendum profecto, 12 mars 1870, adressé à Dom Guéranger pour le féliciter pour son livre La monarchie pontificale, livre dans lequel le célèbre bénédictin prône l'infaillibilité permanente du pape).
Le pape déplora cette campagne de presse mensongère dans un autre bref encore: "Il est souverainement à propos qu'on ait dans son ensemble et bien coordonné ce que la raison théologique nous démontre, ce que les Saintes Lettres nous enseignent, ce qu'ont toujours tenu et nous ont transmis de la manière la plus constante ce Siège apostolique, les conciles, les docteurs et les Pères, par rapport à la primauté, au pouvoir, aux prérogatives du pontife romain, et en même temps les très graves raisons par lesquelles ont été RÉFUTÉS DEPUIS LONGTEMPS LES SOPHISMES qui, se couvrant des dehors trompeurs de la nouveauté, sont jetés dans le public à l'aide de brochures et de journaux, et cela avec une telle assurance, que l'on dirait que ce sont des découvertes faites par la sagesse moderne et inconnues jusqu'ici" (Pie IX: bref Cum ad sacrae, 5 janvier 1870, adressé au Père Jules Jacques, qui avait publié une traduction des écrits de St. Alphonse de Liguori sous le titre Du pape et du concile).
Les Pères du premier concile du Vatican, connaissant mieux l'histoire ecclésiastique que les pseudo-historiens anti-infaillibilistes, ne se laissèrent nullement impressionner par le battage médiatique. Le concile, faisant fi de ces calomnies, définit l'infaillibilité et affirma clairement que la théorie de l'infaillibilité était confirmée par les faits: "Ce qui a été dit est prouvé par les FAITS; car la religion catholique a toujours été gardée sans tache auprès du Siège apostolique [...]. Nos prédécesseurs ont travaillé infatigablement à la propagation de la doctrine salutaire du Christ parmi tous les peuples de la terre et ils ont veillé avec un soin égal à sa conservation authentique et pure, là où elle avait été reçue" (constitution dogmatique Pastor aeternus, 18 juillet 1870, ch. 4).
De surcroît, lors des travaux préparatoires de Pastor aeternus, les Pères firent même une déclaration spéciale sur le schéma préparatoire de Pastor aeternus, déclaration accompagnée d'une bibliographie scientifique destinée à couper court à l'objection des "cas historiques" de papes qui auraient failli!!! Voici des extraits de leur déclaration capitale, malheureusement totalement inconnue de nos jours:
Les Pères constatèrent que certains étaient opposés à la proclamation du dogme de l'infaillibilité, en raison de prétendues "exceptions tirées de l'histoire ecclésiastique". Or, d'après les Pères, "l'infaillibilité du pontife romain est une vérité divinement révélée; donc il ne sera jamais possible que l'on puisse arriver à démontrer, par des faits tirés de l'histoire, que ceci soit faux; bien au contraire, si on opposait à cette vérité lesdits faits historiques, ces faits doivent être tenus pour faux, vu qu'ils sont en opposition avec une vérité absolument certaine". Les Pères citèrent alors un passage du chapitre 4 de la constitution conciliaire Dei Filius, qui venait d'être votée (ce passage de Dei Filius était d'ailleurs une reprise d'une définition faite par le Ve concile du Latran): "Nous définissons donc comme étant complètement fausse toute assertion contraire à la vérité de la foi éclairée". Les Pères du Vatican en tirèrent la conséquence suivante (dans leur déclaration sur le schéma préparatoire de Pastor aeternus): "Par conséquent, il s'ensuit que toutes les conclusions de la science, ou encore de l'histoire ecclésiastique, opposées à l'infaillibilité du pontife romain (qui manifestement découle des sources de la Révélation) doivent être tenues comme étant certainement autant d'erreurs",
Un peu plus loin, les Pères écrivirent: "La réfutation de ces difficultés [historiques], soulevées pour s'opposer à cette vérité, est l'affaire non pas tant des Pères du concile, mais plutôt celle de l'école des théologiens, qui, en ce qui concerne cette cause, ont fait leur travail déjà depuis longtemps. En effet, ces exceptions historiques - question agitée à l'heure présente - ne sont pas nouvelles, mais sont depuis longtemps très répandues et communes. Lesdites difficultés historiques ont été fréquemment et entièrement et même élégamment résolues par ceux qui traitaient des choses de la théologie (dans leurs dissertations sur la primauté du Saint-Siège, l'infaillibilité de l'Église catholique et d'autres vérités catholiques), lors de leurs controverses variées contre les protestants, jansénistes, fébroniens et autres [hérétiques].
Il paraît moins beau et moins convenable aux Pères de revenir sur la question en réexaminant une nouvelle fois une par une chacune de ces difficultés, comme si des objections faites contre les vérités catholiques avaient un fond de réalité et comme si elles avaient conservé jusqu'à ce jour une vraie valeur et force; ou bien ce qui reviendrait au même - comme si cette vérité révélée et la doctrine de l'Église catholique n'étaient pas assez protégées et défendues" (Relatio de observationibus Reverendissimorum concilii Patrum in schema de romani pontificis primatu, in: Schneemann (ed.): Acta..., col. 287 - 288).
C'est pourquoi les Pères refusèrent d'examiner l'histoire ecclésiastique et se contentèrent simplement de renvoyer à une bibliographie scientifique, où les prétendues chutes des papes étaient réfutées: "Que l'on consulte donc des auteurs sérieux et éprouvés, qui ont écrit sur les principales exceptions que l'on oppose [au dogme]".[1]
A priori, si le magistère dit qu'un pape ne peut jamais défaillir dans la foi, le croyant jugera inutile d'aller vérifier cette assertion en épluchant l'histoire de tous les pontificats depuis saint Pierre. Toutefois, étant donné que les ariens, gallicans, protestants et jansénistes se sont efforcés de prouver que tel ou tel pape serait tombé dans l 'hérésie, et que leurs arguments sont constamment repris et ressassés par les milieux catholiques à l'heure actuelle, il semble quand même incontournable d'étudier ces cas controversés.[1]
Voici leur bibliographie:
a) dans la
cause du pape Vigile: Giuseppe Agostino Orsi: De
irre
b) dans la cause
du pape Honorius: parmi les auteurs plus anciens:
Joseph Biner: Apparatus eruditionis ad jurisprudentiam
praesertim Ecclesiasticam, Augsburg et Freiburg 1754,
parties III, IV et XL; Orsi: op. cit. ch. 21
28; St. Robert Bellarmin: De romano pontifice, livre
IV, ch. Il; Thomassin: op cit., Diss. XX;
Alexandre Natalis: Historia Ecclesiastica veteris novique
testamenti Constantini Roncaglia et Joannis Dominici Mansi notis et
animadversionibus castigate et illustrata, Venise 1776,1. V,
siècle VII, Diss. Il; François Antoine Zaccaria: Anti-Febronio,
1767 [traduction allemande: Augsbourg 1768; traduction
française: L 'Antifebronius ou la
primauté du pape justifiée par le raisonnement et
par l'histoire, Paris 1859-1860, 4 t.], partie II, livre IV
[réfutation du livre de Iustinus Febronius: De
statu Ecclesiae et legitima potestate romani pontificis..., mis
à l'Index le 27 février 1764, le 3
février 1766, le 24 mai 1771 et le 29 mars 1773];
parmi les auteurs plus récents; Civiltà
cattolica, année 1864, série V, volume
XI et XII; Gerhard Schneemann: Studien über die
Honorius-Frage, Freiburg 1864 [la Civiltà
cattolica et Schneemann réfutent le livre de
Döllinger (principal théologien de la secte des
"vieux-catholiques") paru l'année
précédente, intitulé Die
Papstfabeln des Miltelalters]; Joseph Pennacchi: De
HOl/orii 1. Romani Pontificis causa in Concilio VI. dissertatio. Ad
Patres Concilii Vaticani, Rome 1870;
c) dans la cause de la
chute [ prétendue ] du pontife romain en ce qui
concerne le ministre du sacrement de l'ordre: Orsi: op.
cit. livre III, ch. 31; Tournely, qui dans son
traité De Sacramento Ordinis réfute
les objections de Morini, etc.;
d) dans la cause de la bulle de Boniface VIII: Aguirre: Defens. Cathedrae S. Petri, disp. 32 - 33; Joseph Hergenröther: Anti-Ianus. Eine historisch-theologische Kritik der Schrift "Der Papst und das Concil" von Janus, Freiburg 1870, p. 133 sqq. [réfutation d'un livre mis à l'Index le 26 novembre 1869, publié sous le pseudonyme "Janus" par Johann Joseph Ignaz von Döllinger, le maître à penser de la secte des "vieux-catholiques"].