Ce fut la stupeur chez les catholiques quand, le 13 mai 2000, toutes les radios du monde annoncèrent que Jean-Paul II, alors à Fatima pour la béatification de François et Jacinthe Marto, avait décidé de rendre public le fameux « 3 ème Secret ». Tous les catholiques ayant gardé un minimum d'esprit de foi et de bon sens attendaient beaucoup de cette publication empêchée de manière délibérée par la papauté depuis quarante ans, puisqu'elle devait être normalement faite « au plus tard en 1960 ». C'est le cardinal Angelo Sodano qui fut chargé, au terme de la messe célébrée par Jean-Paul II ce 13 mai, d'en faire l'annonce aux fidèles :
« Au terme de cette célébration solennelle, je ressens le devoir d'adresser à notre bien-aimé Saint-Père Jean-Paul II les vœux les plus cordiaux de toutes les personnes ici présentes pour son tout proche quatre-vingtième anniversaire, le remerciant de son précieux ministère pastoral au bénéfice de toute la sainte Église de Dieu.
« À l'occasion de l'événement solennel de sa venue à Fatima, le Souverain Pontife m'a chargé de vous faire une annonce. Comme vous le savez, le but de sa visite à Fatima a été la béatification des deux petits bergers. Mais il veut aussi donner à ce pèlerinage le sens d'un geste renouvelé de gratitude envers la Madone, pour la protection qu'elle lui a accordée durant ses années de pontificat. C'est une protection qui semble concerner aussi ce qu'on appelle “la troisième partie” du secret de Fatima.
« Ce texte constitue une vision prophétique comparable à celles de l'Écriture sainte, qui ne décrivent pas de manière photographique les détails des événements à venir, mais qui résument et condensent sur un même arrière-plan des faits qui se répartissent dans le temps en une succession et une durée qui ne sont pas précisées. Par conséquent, la clé de lecture du texte ne peut que revêtir un caractère symbolique.
« La vision de Fatima concerne surtout la lutte des systèmes athées contre l'Église et contre les chrétiens. Elle décrit l'immense souffrance des témoins de la foi du dernier siècle du deuxième millénaire. C'est un interminable chemin de croix, guidée par les Papes du vingtième siècle.
« Selon l'interprétation des petits bergers, interprétation confirmée récemment par Sœur Lucie, “l'Évêque vêtu de blanc” qui prie pour tous les fidèles est le Pape. Lui aussi, marchant péniblement vers la Croix parmi les cadavres des personnes martyrisées (évêques, prêtres, religieux, religieuses et nombreux laïcs), tombe à terre comme mort, sous les coups d'une arme à feu.
« Après l'attentat du 13 mai 1981, il apparut clairement à Sa Sainteté qu'il y avait eu “une main maternelle pour guider la trajectoire du projectile“, permettant au “Pape agonisant” de s'arrêter “au seuil de la mort” (Jean-Paul II, Méditation avec les Évêques italiens depuis l'hôpital polyclinique Gemelli , Insegnamenti , vol. XVIII, 1994, p. 1061). À l'occasion d'un passage à Rome de l'évêque de Leiria-Fatima de l'époque, le Pape décida de lui remettre le projectile, resté dans la jeep après l'attentat, pour qu'il soit gardé dans le sanctuaire. Sur l'initiative de l'Évêque, il fut enchâssé dans la couronne de la statue de la Vierge de Fatima.
« Les événements ultérieurs de 1989 ont conduit, en Union soviétique et dans de nombreux Pays de l'Est, à la chute du régime communiste, qui se faisait le défenseur de l'athéisme. Pour cela aussi, le Souverain Pontife remercie de tout cœur la Vierge très sainte. Cependant, dans d'autres parties du monde, les attaques contre l'Église et contre les chrétiens, accompagnées du poids de la souffrance, n'ont malheureusement pas encore cessé. Bien que les situations auxquelles fait référence la troisième partie du secret de Fatima semblent désormais appartenir au passé, l'appel de la Vierge de Fatima à la conversion et à la pénitence, lancé au début du vingtième siècle, demeure encore aujourd'hui d'une actualité stimulante. “La Dame du message semble lire avec une perspicacité spéciale les signes des temps, les signes de notre temps [...]. L'invitation insistante de la très Sainte Vierge Marie à la pénitence n'est que la manifestation de sa sollicitude maternelle pour le sort de la famille humaine, qui a besoin de conversion et de pardon” (Jean-Paul II, Message pour la Journée mondiale des malades 1997, n. 1 : La Documentation catholique , 93 [1996], p. 1051).
« Pour permettre aux fidèles de mieux recevoir le message de la Vierge de Fatima, le Pape a confié à la Congrégation pour la Doctrine de la Foi le soin de rendre publique la troisième partie du secret, après en avoir préparé un commentaire approprié. Nous remercions la Vierge de Fatima de sa protection. Nous confions à sa maternelle intercession l'Église du troisième millénaire. »
A la suite de cette annonce, tous les médias annoncèrent donc que le 3 ème Secret portait sur l'attentat qui faillit coûter la vie à Jean-Paul II le 13 mai 1981 à Rome et qu'il concernait donc désormais des événements du passé. Et la presse relaya l'information, avec cependant quelques nuances… surprenantes : « La révélation, samedi, sur le troisième secret de Fatima, peut légitimement poser bien des questions. (…) Et si le document avait été manipulé ? C'est toute la question de la crédibilité que l'on peut accorder ou non aux responsables de l'Église… »
Le grand journal « La Stampa » de Turin, en date du 14 mai, penche quant à lui pour un faux délibéré. Il a publié une caricature montrant Jean-Paul II en train de corriger le texte de sœur Lucie au corrector . La légende dit : « Alors Saint-Père, vous nous communiquez le texte ? » et Jean-Paul II répond que les corrections ne sont pas encore sèches…
Le Figaro, quant à lui, publiera dans son « courrier des lecteurs » deux lettres qui dénoncent clairement ce texte comme un faux. Nous reproduirons des extraits de l'une d'elle en conclusion finale. Bien des journalistes, comme également bien des fidèles ont donc manifestement immédiatement flairé l'imposture, sans pouvoir, en l'absence des documents complets, la prouver absolument.
De fait, cette allocution du cardinal Sodano avait de quoi étonner puisqu'il ne disait pas un mot d'une crise interne dans l'Église, par la perte de la vraie Foi catholique, sujet dont tous les meilleurs spécialistes de Fatima disaient et écrivaient depuis longtemps que c'était l'un des thèmes principaux de la 3 ème partie du Secret. L'étonnement se transforma même en inquiétude et en suspicion quand le porte-parole du Vatican, M. Navarro-Valls, fit, après le 13 mai, une déclaration qui indiquait le but profond de la divulgation du 3 ème Secret, qui était tout simplement de contrer le « traditionalisme anti-œcuménique » : « La publication du troisième secret ne signifie aucun appui papal au traditionalisme anti-œcuménique, qui s'était approprié abusivement certains aspects du message de Fatima, spéculant dans une perspective millénariste sur de présumés, mais non véritables, contenus de ce texte inédit. La décision de la publier répond à la conviction que Fatima ne peut rester otage de cette position partisane. »
« Le but du Vatican était donc très clair : couper l'herbe sous le pied des traditionalistes, en publiant le troisième Secret ! Mais comment ce but pourrait-il logiquement se concilier avec le contenu essentiel du troisième Secret annoncé par tous les meilleurs spécialistes : une apostasie de la vraie Foi à l'intérieur de l'Église ? Beaucoup de questions légitimes se posaient donc et laissaient pointer un sentiment de réelle inquiétude : quel texte Rome allait-il nous présenter ? »
Il fallut donc attendre le lundi 26 juin 2000 pour en savoir plus et surtout pour pouvoir obtenir le texte officiel de ce 3 ème Secret et se forger ainsi un jugement en connaissance de cause.
L'attente était donc à son comble quand le Vatican publia enfin un texte –comme étant le 3 ème Secret de Fatima– avec le fac-similé du manuscrit. Ce texte supposé intégral et authentique était accompagné d'une présentation sous la signature de Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et d'une interprétation du Secret ; cette interprétation comprenait une lettre de Jean-Paul II à sœur Lucie, la relation de l'entretien qu'a eu sœur Lucie le 27 avril 2000 avec Mgr Bertone, représentant de Jean-Paul II, le discours prononcé à Fatima par le cardinal Sodano et enfin un commentaire théologique du cardinal Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Le livret fut diffusé abondamment lors de la conférence de presse donnée au Vatican par le cardinal Ratzinger le lundi 26 juin 2000 devant des centaines de journalistes.
Comme il fallait s'y attendre, le texte présenté par le Vatican confirma pleinement l'inquiétude et les soupçons qui avaient accompagné l'attente de sa publication. Ce texte ne cadrait pas du tout avec ce que l'on était en droit d'attendre objectivement, à la suite des écrits des spécialistes de la question. Et de surcroît, le sens de la vision –sensée être le 3 ème Secret– s'avérait très confus, très obscur, son interprétation était bien « difficile » (ce sont les propos mêmes du cardinal Ratzinger !).
Après quelques jours d'émotion, le silence retomba donc plus lourd qu'auparavant. Le 3 ème Secret, tel qu'il a été publié et interprété officiellement, a passé aux yeux de beaucoup pour une mauvaise plaisanterie… définitivement enterrée.
Et pour couronner le tout, deux jours plus tard, le 28 juin 2000, Mgr Tarcisio Bertone, au cours d'une conférence de presse, suite à sa présentation du 3 ème Secret le 26 juin, fit cette stupéfiante déclaration, qui précise bien l'intention du Vatican :
« L'industrie de Fatima, qui doit sa prospérité à son opposition au pape [Jean-Paul II] ne le croira probablement jamais [= n'attachera aucun crédit au troisième secret tel qu'il a été révélé le 26 juin 2000]… Jusqu'à présent, nous avons laissé les intégristes suivre leur tragique chemin. En plus de l'appel fondamental à la pénitence, ce que le Vatican a montré d'important est la réfutation de la thèse principale des intégristes : le secret n'a rien à voir avec l'apostasie liée au Concile, au Nouvel Ordo [de la Messe] et aux papes conciliaires, comme les intégristes le soutiennent depuis des décennies. Ce seul fait valait la peine de révéler ce secret. »
Ainsi, cette déclaration de Mgr Tarcisio Bertone, secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans la droite ligne de celles du porte-parole du Vatican M. Navarro-Valls, citées plus haut, donne le motif principal de la proclamation.
Ce n'est pas pour réaliser enfin la volonté de la sainte Vierge qui demande depuis 1944 la publication de ce Secret, mais pour s'opposer à la thèse anti-conciliaire des “intégristes“, les seuls avec qui le dialogue, si cher aux oecuménistes, est exclu. Et déjà à ce niveau, il nous faut constater que ces déclarations sont en opposition formelle avec les propos du Père Alonso, expert officiel de Fatima, qui avait écrit peu de temps avant sa mort en 1981 (dans le dernier article qu'il consacra au Secret de Fatima) exactement le contraire de ces déclarations du Vatican :
« Une révélation intempestive du texte n'aurait fait qu'exaspérer davantage les deux tendances qui continuent à déchirer l'Église : un traditionalisme qui se serait cru assisté par les prophéties de Fatima et un progressisme qui aurait hurlé contre ces apparitions qui, d'une manière si scandaleuse, auraient semblé freiner la marche en avant de l'Église conciliaire… L'Église n'a pas encore surmonté l'impact effrayant de vingt années de post-concile, durant lesquelles la crise de la foi s'est installée à tous les niveaux. »
« Paroles stupéfiantes : La révélation du 3 ème Secret, nous explique l'expert de Fatima, viendrait donner visiblement raison aux défenseurs de la Tradition et les soutenir dans leur lutte, et au contraire freiner et désavouer les partisans de la “réforme conciliaire” au point de les rendre furieux contre Fatima. »
Mais les contradictions ne s'arrêtent pas là. En réalité, les invraisemblances du texte prétendument authentique sont telles qu'il nous faut nous rendre à l'évidence : nous sommes là face à une incroyable imposture. Encore faut-il l'établir clairement à l'aide d'arguments solides pour convaincre ceux qui risquent de perdre pied dans cette nouvelle aggravation de la crise. La confusion est en effet à son comble !
C'est donc tout l'objet de ce livre qui sera le plus clair et le plus succinct possible pour démasquer la supercherie, en abordant également les sujets connexes : qu'en est-il de la consécration de la Russie ? Que contient donc avec certitude le vrai 3 ème Secret ? Quel est le Saint-Père qui « souffrira beaucoup » ? Que penser de sœur Lucie qui apparemment cautionne la version des autorités Romaines ? Que penser du cardinal Ratzinger ? Pourquoi une telle supercherie ?
« Le Message de Fatima » (Libr. Ed. Vaticana). Cf. aussi « Le Secret de Jean-Paul II » par Aura Miguel, p. 195-197. Mame-Plon 2000.
« Ouest-France » du lundi 15 mai 2000, p. 3.
Mensuel portugais Christus, de juin 2000, p. 27.
Abbé Fabrice Delestre, « Bulletin saint Jean Eudes » juin/juillet 2000 p. 2.
Tous ces textes ont été publiés entre autres dans l'Osservatore Romano n°147 des 26-27 juin 2000 et dans la Documentation Catholique n°2230 du 16 juillet 2000, et repris dans un livret spécial édité en de nombreuses langues (avec les fac-similés) : « Le Message de Fatima » (44 pages, Libr. Ed. Vaticana). Ils sont également reproduits dans l'ouvrage « Le Secret de Jean-Paul II » par Aura Miguel, Mame-Plon, p. 193-233.
Le texte de la conférence de presse de Mgr Bertone ne se trouve que dans le site anglais d'internet wysiwyg// 6http//res2.géocities… Athens/Ithaca/3251/genfatima 2.htm. Cf. “Monde et Vie” n°670 du 13 juillet 2000, p. 14.
Eph. Mar., 1982, p. 93. Cf. également « Fatima, joie intime, événement mondial » du Frère François de Marie des Anges, p. 407.