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A. L'orthodoxie d'Honorius prouvée par le témoignages de ses contemporains et par ses propres écrits


    La biographie officielle d’Honorius, insérée dans le Li­ber pontificalis, loue ce pape pour ses nombreuses bonnes œuvres, et notamment pour avoir rendu érudit le clergé (« Multa bona fecit. Hic erudivit clerum », in: Liber pontificalis, édition annotée par Louis Duchesne et les élèves de l’École de Rome, Paris 1955,1. J, p. 323). Jonas de Bobbio, qui avait vu le pape à Rome, en fit un por­trait très avantageux: vénérable, sagace, de bon conseil, doux, hum­ble, « BRILLANT PAR SA DOCTRINE (doctrina clarens) » (Bobbio: Vie de St. Bertulfe, ch. 6). Cet éloge concorde bien avec l’épitaphe d’Honorius: son nom est en grand honneur, il est sagace, grand en mérite, d’une puissance divine en matière de chant sacré, « PUISSANT PAR SA DOCTRINE (doctrina potens) » (in: Liber pontificalis, note explicative 19).

    Il eut un saint zèle pour la doctrine, puisqu’il reprocha aux évêques espagnols leur tiédeur en matière de foi. L’évêque de Saragosse Braulio, parlant au nom des évêques réunis au VIe concile de Tolède (638), essaya de se justifier, puis conclut avec un com­pliment: « Les deux parties de l’univers, à savoir l’Orient et l’Occident, averties par ta voix, comprirent que l’aide résidait dans ta divine présidence et qu’il fallait s’attacher à démolir la perfidie des mauvais » (Braulio de Saragosse: Epistolario, 129, in: Georg Kreuzer: Die Honoriusfrage im Mittelalter und in der Neuzeit (collection « Papste und Papsttum », t. VIII), thèse de doctorat, Stutt­gart 1975, p. 19). D’après l’universitaire spécialiste Kreuzer, Braulio fit là une allusion à la lutte vaillante d’Honorius contre le monothé­lisme.

    L’hérésie « monothélite » prétend que Notre Seigneur n’aurait qu' « une volonté », alors qu’en vérité, il en a deux: la divine et l’humaine. Mais à l’époque d’Honorius, l’Église n’avait pas en­core tranché cette question, et des théologiens se disputaient à ce sujet. De plus, les théologiens se disputaient encore sur une deuxième question: le Christ a-t-il une ou deux volontés humaines? Donc trois opinions:

a). le Christ a une volonté divine plus une volonté hu­maine bonne (= théologiquement correct);

b). le Christ a seulement une volonté (= hérésie monothélite );

c). le Christ a une volonté humaine bonne (esprit) plus une volonté humaine vicieuse (chair) (= hérésie).

    Situation embrouillée, d’où danger de quiproquo - ce qui arriva effectivement! Car l’évêque de Constantinople Serge in­terrogea le pape Honorius 1er sur l’opinion c).. Le pape dit que l’opinion c). était fausse et adhéra à l’opinion a). (en outre, il enjoi­gnit à tous de s’abstenir de disputer sur la question). Or les mono­thélites prétendirent ensuite que le pape aurait approuvé l’opinion .b).! D’où la fable d '«Honorius monothélite »!

    Au lieu d’attaquer l’hérésie au moyen d’anathème et d’excommunication, Honorius enjoignit simplement aux théologiens de s’abstenir de disputer sur la question. Dans sa lettre Scripta fra­ternitatis (634) adressée à l’évêque Serge de Constantinople, le pape Honorius 1er
demanda en effet de garder le silence, d’éviter les vai­nes disputes, chères aux sophistes: « Que Jésus-Christ soit le même qui opère les choses divines et les choses humaines, les Écritures le montrent clairement. Mais de savoir si, à cause des œuvres de la di­vinité et de l’humanité, on doit dire ou entendre une opération ou deux, c’est ce qui ne doit pas nous importer, et nous le laissons aux grammairiens, qui ont coutume de vendre aux enfants les mots qu’ils ont inventés. [... NSJC a deux natures]. Nous devons rejeter ces mots nouveaux qui scandalisent les Églises, de peur que les simples, choqués du terme de deux opérations, ne nous croient nes­toriens, ou qu’ils nous croient eutychiens, si nous ne reconnaissons en Jésus-Christ qu’une seule opération. Pour ne pas rallumer le feu des disputes à peine assoupies, confessons avec simplicité que le même Jésus-Christ opère et dans la nature divine et dans la nature humaine. Il vaut mieux laisser crier contre nous les vains éplucheurs des natures, les boursouflés philosophes à voix de grenouilles, que de laisser à jeun le pauvre peuple. Nous vous exhortons, en consé­quence, à éviter l’expression nouvelle d’une ou de deux opérations, et de prêcher avec nous, dans la foi orthodoxe et dans l’unité catho­lique, un seul Jésus-Christ opérant dans les deux natures et ce qui est de la divinité et ce qui est de l’humanité » (in: Rohrbacher, t. IV, p. 390).

    Le pape imposait donc le silence sur la question des volontés du Christ. Cette démarche, guidée par le souci d’éviter de vaines disputes, n’est pas foncièrement mauvaise en elle-même. Des siècles après, les franciscains et les dominicains se disputaient entre eux pour savoir si les gouttes de sang perdues par Jésus lors de son chemin de croix demeuraient, oui ou non, en union hypostatique avec Notre Seigneur. Le pape régnant ne trancha pas la question, mais interdit aux théologiens de se livrer à ce genre de spéculations oiseuses (Pie II: bulle InefJabilis, 1er août 1464). De même, le Ve concile œcuménique du Latran (Il e session, 14 janvier 1516) im­posa le silence, en interdisant à quiconque de prétendre déterminer la date de la fin du monde.

*  *  * 

    Se pose maintenant la question: Honorius était-il tombé dans l’hérésie lui-même? La réponse est non. De quoi était-il ques­tion dans les débats théologiques?

    Depuis le péché originel, les hommes ont deux volontés humaines contradictoires, celle de l’esprit et de la chair.

    Notre Seigneur, qui a pris notre nature sauf le péché, a pris seulement la volonté humaine non viciée par le péché originel (il a pris celle de l’esprit, mais non celle de la chair). De plus, étant Dieu, Notre Seigneur a également une volonté divine. Il a donc deux volontés, l’une humaine, l’autre divine.

    Les monothélites soutenaient à tort que Notre Seigneur n’avait qu’une seule volonté (négation des deux volontés humaine et divine).

    L’évêque de Constantinople, Serge, écrivit à Honorius, se plaignant que certains affirmaient qu’il y avait dans notre Sei­gneur deux volontés contraires. Tout en enseignant longuement et en détail que le Christ a pris une (et non pas deux) volonté humaine, Honorius affirma brièvement (seulement en passant, car l’objet de la demande de Serge était les deux volontés humaines opposées) que le Christ a aussi une volonté divine.

    Ainsi donc, l’enseignement du pape Honorius 1er était irrépro­chable: il croyait et enseignait que le Christ n’avait pas deux volontés humaines contraires, mais une seule, et qu’il avait, de plus, une volonté divine.


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