Au XVe siècle, l’Église qualifia de « scandaleuse et hérétique » la proposition suivante: « Ecclesia urbis Romae errare potest » (« L’Église de la ville de Rome peut se tromper »). Cette proposition, extraite des ouvrages d’un docteur espagnol nommé Pierre d’Osma, fut censurée le 15 décembre 1476 par le vicaire capitulaire de Saragosse, et le 24 mai 1478 par une commission de théologiens présidée par l’archevêque de Tolède. Le pape Sixte IV confirma leur sentence par un jugement EX CATHEDRA:
« Nous déclarons [...] que les propositions précitées sont fausses, contraires à la sainte foi catholique, erronées, scandaleuses, totalement étrangères à la vérité de la foi, contraires aux décrets des saints Pères et aux constitutions apostoliques, et qu’elles contiennent une hérésie manifeste » (Sixte IV: constitution apostolique sous forme de bulle Licet ea, 9 août 1478).
Que doit-on conclure de la condamnation de Pierre d’Osma par Sixte IV? L’Église a engagé son infaillibilité (jugement ex cathedra du pontife romain) pour certifier ceci: PRÉTENDRE QU’UN PAPE PEUT SE TROMPER EST UNE HÉRÉSIE!
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En commençant nos recherches sur l’infaillibilité pontificale, nous avions ouvert le Dictionnaire de théologie catholique (article « infaillibilité du pape ») et appris pour la première fois l’existence de ce jugement de Sixte IV. Or quelque temps après, nous achetâmes l’édition la plus récente du recueil de Heinrich Denzinger: Symboles et définitions de la foi catholique, Paris 1996. Nous y fimes alors une découverte qui nous plongea dans la perplexité: Sixte IV n’aurait point condamné cette proposition de Pierre d’Osma ! La commission théologique présidée par l’archevêque de Tolède, réunie à Alcala, condamna onze propositions de Pierre d’Osma. Or prétendent les éditeurs du Denzinger, « des onze propositions d’Alcala, trois ne sont pas mentionnées [par Sixte IV] (à savoir: 7; 10; 11; on mentionnera la proposition 7: «L’Église de la ville de Rome peut errer», «Ecclesia urbis Romae errare potest»); les autres propositions sont reprises avec des variantes minimes et dans un ordre différent » (Denzinger, p. 396).
Nous n’avons pas ajouté une foi aveugle à l’édition moderne du Denzinger, étant donné que les éditeurs eux-mêmes avertissent gentiment les acheteurs que le véritable recueil de Denzinger a été profondément modifié à partir de 1963. La 23e édition (1963) est l’œuvre d’Adolf Schönmetzer, qui « supprime les exagérations papalistes [...] et introduit des textes qui ont leur importance dans la discussion œcuménique [...]. Schönmetzer a éliminé une série de textes embarrassants dans la perspective œcuménique en raison de leur raideur. [...11 a] minimisé l’infaillibilité du magistère de l’Église » (préface de l’édition française, Paris 1996, p. XL).
Nous sommes donc allé vérifier les éditions antérieures du Denzinger. Le résultat de cette enquête est fort instructif. Dans une très vieille édition (Enchiridion Symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, Freiburg 1913, p. 253, No 730), la proposition figure bel et bien parmi les propositions condamnées par Sixte IV, et le typographe a même pris soin de mettre en valeur le mot « errer »: « Ecclesia urbis Romae errare potest ».
Par contre, dès l’édition de 1937, cette fameuse proposition n’est citée qu’en note de bas de page! Elle commence déjà à être reléguée dans les oubliettes, puisqu’elle est enlevée du corps du texte et placée en un endroit qui, généralement, n’est pas lu par la majorité des lecteurs.
Puis, dans l’édition allemande de 1963, Schönmetzer conteste que cette proposition ait été mentionnée par le pape. L’édition française de 1996 lui emboîte le pas, comme nous avons vu plus haut.
Voulant en avoir le cœur net, nous avons vérifié cette affaire en nous reportant aux sources elles-mêmes, à savoir la grande collection en neuf tomes de textes magistériels reproduits intégralement (!) par le cardinal Pietro Gasparri. Et là, la fraude perfide de Schönmetzer est apparue en plein jour: le pape mentionne plusieurs propositions hérétiques de Pierre d’Osma relatives à la confession et aux indulgences, puis ajoute (ce que Schönmetzer occulte!!!) qu’il condamne encore les autres propositions de Pierre d’Osma:
« ... et les autres [propositions] que nous passons sous silence à cause de leur énormité (que ceux qui en ont connaissance les oublient, et que ceux qui n’en ont pas connaissance ne soient pas mis au courant par notre présente!), nous les déclarons fausses, contraires à la sainte foi catholique, erronées, scandaleuses, totalement étrangères à la vérité de la foi, contraires aux décrets des saints Pères et aux constitutions apostoliques, et contenant une hérésie manifeste »[1]
Ainsi donc, contrairement à ce que prétendent les éditeurs modernes du Denzinger, le pape a bel et bien mentionné la proposition de Pierre d’Osma relative à l’inerrance de l’Église. Qui plus est, il a même jugé tellement énorme, grave et pernicieuse cette proposition-là qu’il a jugé bon de ne pas en indiquer le contenu. Ne vaut-il pas mieux que seulement la commission de théologiens et lui-même soient au courant de l’existence d’une maxime si perverse? Et l’histoire lui donnera raison: la diffusion de l’hérésie de Pierre d’Osma au cours des siècles postérieurs a eu pour effet des guerres de religion épouvantables commencées par les protestants et l’apostasie de nations entières. Il a fallu convoquer un concile œcuménique exprès (Vatican 1) contre cette hérésie.
Et de nos jours, on compte sur les doigts de la main les catholiques qui croient sans hésitation que la proposition « L’Église de la ville de Rome peut errer » est une HÉRÉSIE CONDAMNÉE EX CATHEDRA.
« Mon Dieu, je crois fermement TOUT ce que vous avez révélé et que la Sainte Église romaine M’ORDONNE de croire, parce que c’est vous, ô Vérité INFAILLIBLE QUI LE LUI AVEZ RÉVÉLÉ et que vous ne pouvez ni nous tromper, ni vous tromper » (prière du matin, « acte de foi »).
Les ennemis dénoncés sans cesse par saint Pie X ont donc continué leur travail de sape en modifiant d’une édition l’autre les textes de la Vérité. Il n’y a plus à s’étonner que des prêtres ou des moines âgés aient déjà reçu un enseignement faux lors de leur formation théologique.
Prenons un exemple parmi tant d’autres: le recteur du séminaire français à Rome, le Père Le Floch. Ce professeur de séminaire totalement hérétique avait pour devise de réduire le plus possible l’infaillibilité pontificale. Il affirmait, en 1926: « L’hérésie qui vient sera la plus dangereuse de toutes; elle consiste dans l’exagération du respect dû au pape et l’extension illégitime de son infaillibilité ».
Le Père Le Floch eut pour élève un séminariste qui allait faire parler de lui plus tard: Mgr Marcel Lefebvre…[1]Voici la fin de la liste des hérésies condamnées: Et romanum pontificem purgalorii poenam remittere, et super his quae universalis Ecclesia statuit, dispensare non posse. Sacramentum quoque poenitentiae, quantum ad collationem gratiae, naturae, non autem institutionis novi aut veteris testamenti exsistere, et alias quas propter earum enormitatem (ut illi qui de eis notitiam habent obliviscantur earum, et qui de eis notitiam non habent ex praesentibus non instruantur in eis) silentio praetereundas ducimus, falsas, sanctae catholicae fidei contrarias, erroneas, et scandalosas, ac a fidei veritate alienas, ac Sanctorum Parrum decretis, et Apostolicis constitutionibus contrarias fore, manifestam haeresim continere, dictarum literarum, et per illas sibi concessae facultatis vigore, declaravit, et pro talibus haberi, et reputari debere decrevit , prout in quibusdam authenticis scripturis desuper confectis. plenius continetur » (Sixte IV: constitution apostolique sous forme de bulle Licet ea, 9 août 1478, § 3, in: Pietro Gasparri (éd.): Codicis Juris Canon ici Fontes, cura emi. Petri card. Gasparri editi, Rome 1947, t. 1., p. 85 - 87, n° 58).